21 novembre 2010 - Fête du Christ Roi

2 Samuel 5,1-3 ; Col 1,12-20 ; Luc 23,35-43

 

Homélie

 

 

            Dans un passage du film Des hommes et des dieux, que la plupart d’entre vous avez probablement vu, le vieux frère Luc, le médecin qui soigne tous ceux qui se présentent à lui, sans se soucier à quel groupe ils appartiennent, dit à son supérieur, Christian : « J’ai pas peur des terroristes, ni même de la police ! La mort, je m’en fous, je suis un homme libre. » Et, en quittant le bureau de Christian, il dit avec son humour caractéristique : « Laissez passer l’homme libre ! ».

            Ce genre de liberté est rare.  Un psychologue moderne, Erich Fromm, dans un ouvrage intitulé « La peur de la liberté », écrit il y a déjà plus d’un demi-siècle, et qui demeure un classique, a montré que l’être humain, lorsqu’il est confronté à sa solitude existentielle, au moment où il se perçoit comme un être distinct de tous les autres et séparé des autres, oscille entre deux attitudes pathologiques. La première est de se fusionner avec les autres en exerçant sur eux le pouvoir ; la deuxième est de renoncer à sa liberté dans une dépendance fusionnelle avec quiconque exerce le pouvoir.

            La plupart des gens ont peur de la liberté, et pourtant seuls ceux qui sont vraiment libres n’ont pas peur.  Dans le récit de la passion de Jésus, dont nous venons de lire un passage, tiré de l’Évangile de saint Luc, les deux réactions de peur décrites par Erich Fromm sont omniprésentes.  Il y a la peur des chefs du peuple juif, des grands prêtres, d’Hérode et de Pilate qui tous se réfugient dans l’exercice brutal du pouvoir.  Et il y a la peur de la foule, des soldats romains, et même du premier larron, qui se laissent absorber par la peur de ceux qui exercent le pouvoir. Ils crient à Jésus : « Sauve-toi, toi-même », comme si Jésus était venu pour se sauver et non pour nous sauver.  Et tous, dans leur peur, se trouvent rassurés par le fait qu’il ne se sauve pas. 

            Tous, dans ce récit, ont peur, sauf deux personnes.  D’abord Jésus, l’homme libre par excellence. Contrairement aux potentats de ce monde qui imposent leur pouvoir à travers la violence – violence dont il est lui-même l’une des victimes – il ne recourt jamais lui-même à la violence.  Il ne demande pas que descende sur ses persécuteurs la vengeance divine.  Au contraire, il implore pour eux la miséricorde : «  Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils font ».  Et, dans cet Évangile de Luc, il y a un autre homme libre, celui qu’on appelle « le bon larron ». Il a surmonté sa « peur de la liberté ».  Il est totalement libre tout en étant lui-même attaché à la croix.  Il peut donc entrer en conversation – et une conversation très intime, dans laquelle il appelle Jésus par son « petit nom » -- dans une liberté et une sérénité extraordinaire.

            L’Évangéliste Luc établit un contraste extrêmement frappant entre la compréhension de Jésus qu’a ce pauvre larron et l’incompréhension totale qu’ont de lui tous les autres.  Le pauvre peuple, si facilement manipulé – comme nous le constatons toujours dans les moments de crise – a d’abord suivi Jésus et avait même voulu le faire roi, puis, manipulé par les docteurs de la Loi et les chefs du peuple, il avait réclamé sa mort.  Et maintenant ce pauvre peuple – qui ne sait plus – « reste là à regarder ». Le bon larron, qui n’a plus rien à perdre et tout à gagner, dit à Jésus : « Souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton règne ».

            Puisse Jésus régner en chacun de nos coeurs, nous libérer nous aussi de notre propre « peur de la liberté », et nous permettre d’arriver à une liberté qui puisse au moins se rapprocher quelque peu de celle de ce larron crucifié à ses côtés.

 

Armand VEILLEUX

 

 

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