26 janvier 2011– Solennité des Saints Fondateurs de Cîteaux
Si 44, 1.10-15; Heb 11, 1-2. 8-13a; Marc 10, 24b-30

 

Homélie

            Il y a quelques semaines un soulèvement du peuple Tunisien renversait un chef d’état qui semblait solidement établi. L’ampleur et l’efficacité de ce mouvement semble avoir pris tous les experts par surprise. Et pourtant, six mois auparavant, un politicien tunisien en exil, Moncef Marzouki, qui travaillait depuis longtemps à la conscientisation de son peuple, expliquait pourquoi il conservait l’espoir en un avenir meilleur. Il disait qu’il semait dans le désert. Et il expliquait comment, enfant, il avait vu son père semer dans les sables du désert. Que fait-on lorsqu’on a semé dans le sable sec du désert.  On attend.  On peut attendre six mois, un an ou deux ans.  Mais lorsque vient la première pluie, tout pousse à une vitesse incroyable et le désert reverdit.

            Je trouve cet image très belle, et je pense qu’elle s’applique très bien à ce qu’ont fait les Fondateurs de Cîteaux – Robert, Albéric, Étienne et leurs compagnons. Ils ont semé dans le désert. D’ailleurs, le document primitif de l’histoire de l’Ordre, appelé le « Petit Exorde », décrit Cîteaux comme un « désert ».

            Non seulement le lieu était un désert, au moins par son isolement, mais l’aventure même des fondateurs les mettait dans une grande solitude.  En quittant Molesme, un monastère florissant se situant dans la lignée de la grande réforme clunysienne, et une communauté respectée par les grands de ce monde, aussi bien dans la société civile que dans le monde ecclésiastique, ils faisaient le vide autour d’eux.  Ils avaient coupé les ponts derrière eux et brûlé leurs bateaux.

            Ce n’étaient pourtant pas de jeunes aventuriers. Robert avait 70 ans et la plupart de ses compagnons pas beaucoup moins. Ils semèrent dans le désert, sans savoir quand la pluie viendrait.  Ils attendirent plusieurs années et, comme nous le savons, la pluie est tout à coup venue et la moisson fut abondante. Nous en sommes les héritiers.

            Les siècles ont passé, avec leurs hauts et leurs bas, leurs temps de gloire et les rappels à l’humilité.  Au sein de l’Ordre de Cîteaux comme au sein de l’Église, il y a eu au cours des dernières décennies, des changements climatiques comme on en constate au niveau de la planète, avec des pluies abondantes – parfois trop abondantes -- là où était le désert et de nouveaux désert là où l’on avait connu des prairies florissantes.

            Comme nos Pères de Cîteaux, nous sommes appelés à semer dans le désert, en vivant simplement, en toute fidélité et en tout détachement, ce que nous avons été appelés à vivre et ce que nous avons choisi librement de vivre. Ce désert est ce qu’était appelé à vivre le jeune homme riche de l’Évangile. C’est notre forme de pauvreté répondant à l’appel de Jésus de Nazareth. Il ne nous appartient pas de déterminer quand viendra la prochaine pluie, et le prochain reverdissement du désert.

            La recherche de succès immédiats et la nostalgie des moissons du temps passé sont deux formes de la même tentation.  Il existe plusieurs façons de faire fleurir artificiellement le désert et d’y trouver un succès numériquement quantifiable. Cela ressemble un peu à ces admirables tours que l’on construit à Dubai, sur des îles artificielles faites avec du sable arraché à la mer. Ces îles resteront toujours artificielles et ces tours n’engendreront jamais rien d’autre qu’elles-mêmes.

            Demeurons fidèles à notre mission de semer dans le désert qui est nôtre et qui regorge d’espérance. Gardons nos yeux tendus vers le petit nuage qui annonce la pluie abondante qui, à l’heure de Dieu, fera reverdir tous nos déserts.

        

 

Armand Veilleux

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