8 avril 2007
– Vigile pascale « C »
Rom 6, 3-11 ;
Luc 24, 1-12
Ne
pas entrer dans l’histoire à reculons
La longue série de lectures
que nous venons d’écouter couvrent une période de plusieurs siècles et même
de quelques millénaires. D’un point
de vue scientifique il faudrait sans doute parler de plusieurs millions, sinon
de milliards d’années. Mais la Bible
n’est ni un ouvrage scientifique, ni un traité d’histoire. Elle est plutôt une sorte de « journal ».
Il y a des personnes qui aiment tenir leur journal personnel, afin
de pouvoir jeter plus tard un regard sur les moments importants de leur vie
passée. On pourrait dire que la Bible est comme le journal
d’un peuple, du peuple d’Israël. Dans
ce journal, dont les auteurs sont plus souvent des poètes que des chroniqueurs,
ce peuple essaye de comprendre son présent à la lumière de son passé.
Il se rappelle parfois ses péchés, mais se remémore surtout l’intervention
de Dieu qui, après l’avoir engendré, l’a toujours sorti avec amour et tendresse
de toutes les situations désastreuses dans lesquelles il s’est mis.
Cette attitude, consistant
à regarder sans cesse son passé, avait quelque chose en commun avec une tentation
constante qu’ont toujours eu les humains : la tentation de progresser
dans la vie en regardant en arrière et donc d’entrer dans l’histoire à reculons.
Et pourtant l’une des caractéristiques d’Israël, qui fait sa grandeur, est
d’avoir quand même perçu que ce qui donnait son sens à son histoire n’était
pas son passé, si brillant qu’il ait voulu le concevoir, mais l’attente d’un
personnage mystérieux, le Messie, dont l’existence même révélerait le sens
de toute vie et de tout être.
Jésus est ce personnage
mystérieux, il est ce Messie. Tout
son message nous oriente non vers le passé mais vers l’avenir, non vers la
mort mais vers la vie. Lorsque les femmes viennent au tombeau le matin du
premier jour de la semaine, y cherchant non pas le Seigneur Jésus mais, comme
dit très précisément Luc, « le corps du Seigneur Jésus », elles
ne le trouvent pas. Les deux anges
leur posent alors cette question qui est le coeur même de ce récit, et qui
nous est adressée à nous aussi : « Pourquoi cherchez-vous Le Vivant
parmi les morts ». Faisons bien
attention à chaque mot. Ils ne disent
pas « celui qui est vivant » ou « quelqu’un qui est vivant ».
Ils disent « Le Vivant », c’est-à-dire « Le Vivant »
par excellence. Celui qui est la Vie même, qui, vivant de toute
éternité a choisi de naître et de mourir comme nous et est toujours vivant.
Le corps qu’elles cherchent appartient au passé. Jésus appartient à l’éternel
présent de Dieu. La traduction de l’autre
verbe : « il est ressuscité » est un peu trompeuse. On pense
trop facilement à un mort qui est revenu pour un
certain temps à la vie terrestre (comme Lazare, par exemple). Il faudrait plutôt traduire littéralement :
« il s’est levé ». L’homme Jésus n’est pas resté lié aux conditions
de la vie temporelle. Il est assumé dans l’éternel présent de son Père. Est
ainsi révélé le destin de tout être humain
Les anges demandent alors
aux femmes de se rappeler les paroles que Jésus leur avait dites. Et, en saint Luc, « se rappeler »
a généralement le sens de « comprendre ». Et ce que Jésus leur avait dit les orientait
non vers le passé mais vers l’avenir. Ce matin de Pâques était non seulement
« le premier jour de la semaine », mais « le premier jour »
tout court, le début d’une nouvelle phase de l’histoire humaine. Désormais
nous ne pouvons plus entrer dans cette histoire à reculons, il faut le faire
en regardant droit devant nous.
Nous pouvons, nous aussi, de bien des façons, chercher Le
Vivant parmi les morts. Dans notre
vie personnelle, aussi bien physique que psychologique, spirituelle et morale,
se côtoient sans cesse des germes de vie nouvelle et des éléments de mort. Ainsi en est-il de la vie d'un groupe humain,
que ce soit une famille ou une communauté, une nation ou même une grande période
culturelle, ou encore l’Église. Le
Vivant y est toujours présent, mais nous ne pouvons Le trouver que si nous
le cherchons dans les semences de vie nouvelle, qui viennent de Lui, si petites
soient-elles, en regardant devant nous, et non dans les germes de mort qui
marquent la fin de ce qui est caduque.
Par ailleurs la pierre, qui a pour un moment établi un mur
entre le monde des morts enterrés où se trouvait Le Vivant et le monde des
morts ambulants qui le croyaient disparu à jamais – cette pierre, a été roulée
le matin de Pâques, laissant toute grande ouverte le passage de l'un à l'autre. Le Vivant est maintenant source de vie pour
tous, de quelque côté de la frontière qu'ils soient. Il n'est cependant pas le Dieu des morts mais
des vivants. (Luc 20,28). Pour le trouver
il faut s'ouvrir à la vie.
Le Vivant, ne le cherchons pas dans un monde abstrait et
éthéré. Ne le cherchons pas dans des
retours nostalgiques sur nous-mêmes ou sur nos souvenirs du passé. Cherchons-le dans tout ce qui est Vie nouvelle,
en nous et autour de nous.
Ne nous arrive-t-il pas
parfois dans notre vie, soit dans nos relations avec notre prochain, soit
dans nos relations avec Dieu, de nous arrêter à un moment de notre histoire
et de ne plus rien comprendre, tout comme quelqu’un qui quitte une pièce de
théâtre ou un film avant la fin. Dans
nos relations humaines, nous pouvons nous être bloqués sur le fait qu’à telle
date, une personne nous a blessés, ou nous a fait du tort, ou nous a insultés. Nous en sommes toujours à ce moment du passé,
ignorant que la personne en question a une histoire
qui a continué après cet événement et qu’elle n’est plus la même personne. Dans nos relations avec Dieu, nous nous sommes
peut-être arrêtés à un moment où lors d’une grande souffrance ou un grand
besoin, nous avons prié Dieu et nous avons eu l’impression qu’il ne nous a
pas répondu. Ou encore on s’arrête à ce qui a été une intense expérience spirituelle
d’un moment, et nous ignorons sa présence plus prosaïque de tous les jours.
On n’arrête pas l’histoire.
Surtout pas l’histoire de notre salut.
Vivons-en chaque instant en plénitude, en communion avec Le
Vivant, dont nous célébrons cette nuit la victoire sur la mort et qui
l’envahit de Sa présence.
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Autres homélies pour la Vigile pascale :
2006 : français
2005 : français
2003 : français
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/ español
2002 : français
Armand VEILLEUX
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