3ème dimanche de Carême, "A"

 

                                         Homélie                 

 

Dans la mémoire du Peuple d'Israël, la période de vie au désert est toujours demeurée comme le moment privilégié des relations entre Dieu et son Peuple.  Le désert géographique est, en lui-même une rude école.  C'est le lieu où l'on est privé de presque tout ce qui constitue habituellement notre sécurité. C'est un lieu sans habitation, sans route, sans nourriture, sans eau sauf pour un oasis ou un puits ici ou là.  C'est dans cette rude école du désert que Jahweh a formé son peuple, le dépouillant de toutes les sécurités humaines et l'habituant à ne mettre sa confiance qu'en lui, le Seigneur. Nous avons, dans la première lecture de ce matin, un bel exemple de l'attention paternelle de Dieu, qui vient soulager la soif de son peuple.  Mais le peuple aura la nuque raide, et même longtemps après l'entrée dans la terre promise, le prophète Ezéchiel pourra se plaindre:  « mon peuple a commis deux péchés: ils m'ont abandonné, moi la source d'eau vive, et se sont creusé des citernes crevassées qui ne peuvent retenir l'eau ». 

Dans la tradition monastique, le désert -- à la fois géographique et spirituel -- a toujours été considéré comme l'école du service du Seigneur, comme le lieu où l'on se prépare à la rencontre contemplative avec Dieu.  

Dieu s'offre constamment à nous comme la source d'eau vive, qui seule peut satisfaire notre soif profonde, seule peut répondre au désir le plus profond de nos coeurs humains. Dieu veut venir en nous pour y faire sa demeure.  « Si quelqu'un m'aime, dit Jésus, il observera ma parole, mon Père l'aimera et nous viendront en lui et nous ferons en lui notre demeure) ».  

Pour que Dieu puisse venir en nous, il nous faut aviver notre soif de lui, creuser en nous l'espace du désir, au delà de tous nos besoins.  Comme êtres humains, nous avons de nombreux besoins, réels ou artificiels, que nous pouvons satisfaire avec les biens créés.  Mais même si nous arrivions à les satisfaire tous, resterait en nous l'aspiration à un surplus d'être, que nous ne pouvons recevoir que comme un don gratuit de Dieu, puisque c'est Lui qui nous a créés à son image, avec une capacité infinie de croissance. 

L'attitude contemplative est l'attitude d'ouverture, d'attente, de réceptivité, face à cette plénitude d'être qui nous est toujours offerte comme un don gratuit. Ce désir de la vie en plénitude est cette prière continuelle du coeur, ce gémissement de l'Esprit dont parle Paul au chap. 8 de la lettre aux Romains.  

Ce désir, cette soif de Dieu, ne peut croître en nous que si nous acceptons de limiter la satisfaction de nos besoins.  La rude atmosphère de l'école du désert et de l'ascèse monastique a pour but de dessécher graduellement le feuillage de nos besoins afin que puisse s'épanouir la fleur du désir. 


Le fils de Dieu s'est fait l'un de nous.  Il a assumé tous nos besoins, il a connu notre soif.  Le "donne-moi à boire" de l'Évangile d'aujourd'hui annonce déjà le "J'ai soif" de la Passion.  Et cette soif creuse en Lui l'espace qui sera totalement rempli par le désir que la volonté de son Père soit accomplie. 

Si nous cessons de satisfaire tous nos besoins et demandons à Jésus de nous donner lui-même de son Eau Vive, cette eau jaillira en nous comme une fontaine de Désir, comme ce gémissement en nous de l'Esprit, qui est prière continuelle.

Dans l'Évangile de Jean, les femmes jouent un rôle capital. C'est Marthe, par exemple, qui proclame la foi en la divinité de Jésus, réservée à Pierre dans les Synoptiques. Les femmes qui ont suivi Jésus tout au long de son ministère sont les premières à annoncer la résurrection aux Apôtres.  Dans l'évangile d'aujourd'hui, c'est à une Samaritaine, qui n'est certes pas un modèle de vie ascétique, mais qui est une personne honnête, qui a connu son désert et en qui la satisfaction jamais assouvie des besoins humains a creusé l'espace du désir, que Jésus fait cette révélation si profonde.  Et elle se fait immédiatement l'apôtre de celui qui l'a amenée à la connaissance d'elle-même et à l'aspiration à la plénitude de vie.  

Puisse la soif et la faim de notre observance du carême nous ouvrir nous aussi à cette soif qui nous permettra d'accueillir en nous cette source de contemplation jaillissant en vie éternelle.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

 

 

 


Homélie pour le même dimanche en 1999 :

français / español

 

www.scourmont.be