Cantique des Cantiques, 3,1-4
Philippiens, Ph 3,8-14
Matthieu, 13,1-3a.44-46


Introduction à la célébration

 

 

Homélie pour la profession solennelle

de frère Damien Debaisieux

en l’Abbaye de Scourmont, le 10 juillet 2010

 

                Devenir moine n’est pas une chose raisonnable -- en aucune circonstance.  Mais, pour utiliser la sentence bien connue de Blaise Pascal, « le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas ». Devenir moine est une affaire d’amour.

                Saint Benoît, l’auteur de la Règle selon laquelle nous vivons, était un Romain à l’esprit pratique et concret qui, dans sa Règle, décrit la vie du moine sans envolées mystiques et sans la moindre pointe romantique. Et pourtant, il y a dans cette Règle une petite phrase, qu’on peut à juste titre considérer comme le sommet et qui, en quelque sorte, la résume.  Cette phrase, dans sa forme latine très concise, ne comporte que quatre mot : amore Christi nihil praeponere – Ne rien préférer à l’amour du Christ.

C’est de l’amour – de cet amour du Christ – que nous parlent, chacune à sa façon, les trois lectures bibliques que nous venons d’entendre.

                La première lecture est tirée du Cantique des Cantiques, un des Livres sacrés de l’Ancien Testament.  Ce Cantique des Cantiques est une collection de poèmes célébrant l’amour humain dans toute sa fraîcheur et son enthousiasme.  Si cette série de poèmes d’amour est passée dans le Canon de la Bible, c’est qu’aussi bien Israël que l’Église y ont vu une excellente description symbolique de la relation entre la personne humaine – homme ou femme – et Dieu.  Dans le passage que nous avons lu, une amante décrit de façon enjouée la recherche de son bien-aimé qui joue comme à cache-cache avec elle. Lorsqu’elle l’a trouvé, elle s’exclame : « Je l’ai trouvé, je ne le lâcherai pas ! ».

                Le choix de la vie monastique est en général le point d’arrivée d’une période de recherche plus ou moins longue selon les personnes.  Lorsque quelqu’un commence son noviciat ou fait sa profession temporaire, il peut dire, au sujet du Christ  : « Je l’ai trouvé… ».  Lorsqu’il fait sa profession solennelle et définitive, il déclare : « je ne le lâcherai pas ! ». C’est ce que Damien veut déclarer solennellement ce matin.

                Les premiers Cisterciens du 12ème siècle, venant d’une société en pleine ébullition, qui venait de découvrir la beauté et la fraîcheur toute naïve de l’amour courtois, commentèrent à qui mieux mieux ce Cantique des Cantiques, où ils trouvaient une description de leur attachement affectif à l’humanité du Christ.

              Quand un véritable amour se saisit d’une personne, il y a un point de rupture dans sa vie.  Il y a un avant et un après.  Sinon ce n’est pas vraiment de l’amour.  Saint Paul a vécu cette transition d’une façon dramatique sur le chemin de Damas.  Sa vie ne pouvait désormais être ce qu’elle avait été auparavant.  Il décrit cela dans la Lettre aux Chrétiens de Philippe, dans le passage que nous avons lu comme deuxième lecture. Avant sa rencontre de Jésus sur le chemin de Damas, Paul avait une existence humaine enviable – membre respecté de la caste des Pharisiens, du point de vue religieux et, dans l’ordre social, citoyen romain.  Tout a été bousculé et bouleversé par sa rencontre avec Jésus.  À partir de ce moment-là, tout ce qui était important pour lui auparavant, il le considère comme de la balayure. Désormais toute sa vie est tendue comme un arc vers l’avant, vers un seul but : arriver à la connaissance de Jésus, arriver à le saisir, Lui par qui il a été saisi. « Une seule chose compte – dit-il -- : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but pour remporter le prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus. »

                Et ainsi nous arrivons au texte d`Évangile que nous avons lu, et qui nous rapporte deux paraboles de Jésus – celle de l’homme qui a trouvé un trésor dans un champ et celle du négociant qui recherchait des perles fines. En ayant trouvé une de grande valeur, il vend tout ce qu`il possède pour l’acheter.

                Chers frères et sœurs, vous aurez remarqué que dans chacun de ces textes il est question de recherche et donc aussi de désir. Un désir qu’exprimait lyriquement notre psaume responsorial après la première lecture : « Mon âme a soif du Dieu vivant ;  quand le verrai-je face à face ? » Pour saint Benoît, que j’ai cité au début, le moine est un être de désir.  Il dit dans le Prologue de sa Règle, qu’il va écrire celle-ci pour ceux qui désirent la vie et qui veulent être heureux.  Et lorsqu’à la fin de cette même Règle, il appelle à ne rien préférer à l’amour du Christ, c’est en conclusion d`une longue exhortation à la communion fraternelle faite de service mutuel.

                Cher Damien, tu as été saisi par le Christ et depuis longtemps tu cherche à le saisir.  Tu l’as cherché au sein de ta famille, qui t’entoure aujourd’hui.  Tu l’as cherché dans l’Église de Soissons, au Séminaire de Soissons, puis au Séminaire des Carmes à Paris, puis à l’Abbaye de Scourmont.  Je n’oserai évidemment pas dire que la perle précieuse pour laquelle tu as tout vendu c’est Scourmont ! Non ! La perle précieuse,  c’est le Christ Jésus. Et, en réalité, il t’a saisi et tu l’as trouvé à chacune des étapes de ton cheminement antérieur, que j’ai mentionnées. Aujourd’hui, c’est Lui qui veut te consacrer à Lui-même dans cette humble et petite communauté de Scourmont. C’est lui qui dit à ton sujet : « je ne le lâcherai pas », et c’est aussi toi qui dit à Son sujet : « je l’ai saisi, je ne le lâcherai pas ».

                Tu as senti l’appel à incarner ton amour du Christ dans l’amour de tes frères – un amour qui ne s’exprime pas normalement dans de grandes déclarations mais bien dans des gestes concrets de service mutuel, à l’exemple de Celui qui était Dieu et s’est fait le serviteur de tous. Les Frères de Scourmont sont heureux de t’accueillir dans cette humble communauté de service qu’ils forment – service de Dieu exprimé à travers le service mutuel et le service des hommes et des femmes qui les entourent.

                Cher frère Damien – si, comme j’en suis persuadé, tu désires vraiment ne rien préférer à l’amour du Christ et désires incarner cet amour dans une vie de louange de Dieu avec des frères dans la communauté de Scourmont, je t’invite à exprimer ce désir devant notre communauté, devant ta famille, devant tous tes amis et tout le Peuple de Dieu ici rassemblé.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

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