Homélie
On ne le rappellera jamais
assez.
Luc
n'est
pas
un
journaliste
mais
un
théologien.
Il
ne
faut
pas
lire
ces
deux
premiers
chapitres
de
son
Évangile
comme
de
beaux
petits
récits
édifiants
mais
essayer
de
les
décortiquer
pour
en
extraire
le
sens
caché.
De
tous
les
Évangélistes,
Luc
est
celui
qui
s'intéresse
le
moins
aux
pratiques
juives,
qu'il
ne
semble
d'ailleurs
pas
connaître
très
bien.
Il
ne
faut
sans
doute
pas
s'arrêter
à
la
description
du
rituel
de
la
présentation
de
l'enfant
et
de
la
mère
au
Temple.
Ce
qui
intéresse
Luc
ce
sont
les
personnes
qu'il
met
en
présence.
En réalité plusieurs "couples"
sont
présentés
par
Luc
en
ces
premiers
chapitres
de
son
Évangile.
Il
y
a
eu
tout
d'abord
le
couple
Zacharie/Élizabeth
qui
donnèrent
naissance
à
Jean-Baptiste,
puis,
si
l'on
me
permet
l'expression,
le
couple
Esprit-Saint/Marie,
puisque
Marie
enfanta
sous
l'action
de
l'Esprit
Saint,
puis,
ici
le
couple
Marie/Joseph
qui
viennent
présenter
leur
fils
au
Temple.
Il
y
a
aussi
d'autres
binômes,
qui
bien
qu'il
ne
s'agisse
évidemment
pas
de
"couples"
sont
des
groupes
de
deux,
qui
se
complètent
et
sont
reliés
l'un
à
l'autre
par
leur
vocation
ou
leur
mission. Il s'agit de Jean-Baptiste et Jésus qui se rencontrent alors même
qu'ils
sont
encore
dans
le
sein
maternel
ainsi
que
Syméon
et
Anne
qui
se
retrouvent
tous
les
deux
au
Temple,
avec
la
même
foi
et
la
même
attente.
On
pourrait
ajouter
que
la
première
lecture
de
la
messe
nous
présentait
le
couple
Abraham/Sara.
Luc établit une comparaison
et
même
une
certaine
opposition
entre
le
couple
Zacharie/Élizabeth,
qui
se
situe
à
la
fin
de
l'Ancien
Testament,
dont
la
foi
hésitante
et
questionnante
de
Zacharie
est
un
symbole
et
le
couple
Marie/Joseph,
humblement
fidèles
à
la
Loi
et
surtout
ouverts
à
l'Esprit. Entre les deux se trouvent les deux vieillards Syméon et Anne, en
qui
s'incarne
toute
l'attente
confiante
de
l'Ancien
Testament. Ils se situent au point de rupture. Le lieu de la théophanie n'est plus le Temple
mais
la
personne
de
Jésus.
Les
promesses
faites
à
la
famille
d'Abraham
et
à
ses
descendants,
puis
à
David
et
à
sa
descendance,
à
Israël,
sont
maintenant
accomplies. Elles ne sont plus faites à une famille particulière mais à la famille
des
nations.
Avec Jésus la famille
prend
un
sens
tout
à
fait
nouveau.
Elle
n'est
plus,
pour
chacun
des
membres
qui
lui
appartiennent,
le
cœur
du
monde,
auquel
tout
doit
être
rapporté
et
rattaché.
Elle
est
éclatée.
Elle
est
le
lieu
dont
on
sort
pour
entrer
dans
le
monde
--
un
lieu
de
passage
et
d'initiation
à
l'univers.
C'est
le
glaive
qui
sépare
le
cœur
de
Marie
en
deux.
Son
cœur
sera
divisé
entre
le
Fils
qu'elle
perd
lorsqu'il
lui
échappe,
au
Temple,
à
l'âge
de
douze
ans,
lorsqu'il
la
quitte
vers
l'âge
de
trente
ans,
alors
qu'elle
est
sans
doute
déjà
veuve,
et
finalement
lorsqu'il
se
fait
crucifier.
Ce
cœur
divisé
est
tout
de
suite
re-soudé
dans
l'amour
universel
qu'elle
partage
avec
son
fils.
De la Sainte Famille on
sait
peu
de
choses
sinon
qu'elle
était
pauvre.
Joseph
était
un
simple
ouvrier
(le
mot
grec
"tektón"
signifiant
plutôt
un
homme
à
tout
faire
qu'un
menuisier
au
sens
strict). Lorsqu'ils présentent leur fils au Temple,
ils
présentent
non
pas
l'agneau
des
riches
mais
les
tourterelles
des
pauvres.
Et
cette
pauvre
famille
(bienheureux
les
pauvres,
dira
Jésus)
éclatera
rapidement,
dans
le
sens
le
plus
positif
du
mot
éclater
--
comme
une
fleur
éclate
en
ouvrant
ses
pétales,
pour
s'ouvrir
à
la
grande
famille
des
disciples
de
Jésus,
à
la
grande
famille
des
nations.
N'y a-t-il pas là un message
important
pour
notre
temps,
où
alors
même
que
la
famille
éclate
dans
un
autre
sens,
plutôt
négatif,
et
qu'on
refuse
même
souvent
de
la
former
--
en
même
temps,
un
vent
de
repliement
sur
soi
souffle
sur
les
groupements
humains
à
tous
les
niveaux.
Des
nations
entières,
et
pas
des
moins
puissantes,
développent
à
nouveau
des
attitudes
tribales
d'agression
en
même
temps
que
d'isolement,
que
l'on
croyait
appartenir
aux
millénaires
passés.
La
même
chose
se
produit
au
niveau
des
collectivités
ou
communautés
plus
restreintes.
Jésus de Nazareth nous
enseigne
que
la
famille
est
un
lieu
de
formation
essentiel
et
indispensable,
mais
qu'elle
remplit
bien
son
rôle
lorsqu'elle
enfante
à
la
Société
et
à
la
grande
Famille
des
Nations
ceux
qu'elle
a
reçus
en
son
sein.
Armand VEILLEUX