5 avril 2007
– Jeudi Saint
Ex 12, 1...14;
1 Co 11, 23-26; Jn 13, 1-15
H o m é l i e
De nos jours on utilise
facilement l’adjectif virtuel pour désigner des réalités qui n’existent que
dans nos imaginations, où à travers une monde d’images
créées par nous. Ainsi, on parle de
relations virtuelles à travers l’Internet.
On parle de communautés virtuelles, constituées par des personnes n’ayant
pas d’autres relations qu’à travers des médias électroniques.
Or le monde symbolique
des rituels et des sacrifices de l’Ancien Testament constituait en réalité
une sorte d’univers virtuel, auquel Jésus a précisément mis fin. Les Juifs, qui avaient été nomades avant de
devenir sédentaires, avaient élaboré et conservé des rites sacrés appartenant
à ces deux univers. À travers ces rites
ils revivaient virtuellement des événements importants de leur histoire où
ils avaient fait l’expérience d’une présence ou d’une assistance de la divinité.
La Pâque ancienne, telle
que décrite dans la lecture du chapitre 12 de l’Exode, que nous venons d’entendre,
était un tel rite très élaboré, comportant une longue série de symboles :
l’agneau immolé, le sang mis sur les montants des portes et le linteau des
maisons, les pains sans levain et les herbes amères. À travers tout cet univers symbolique, les Juifs
se rappelaient et voulaient revivre leur libération de l’Égypte, le passage
de la Mer Rouge, leur traversée du désert, etc.
Or, le repas célébré par
Jésus avec ses disciples la veille de sa mort est d’un tout autre ordre. Ce n’est pas le remplacement d’un rituel par
un autre rituel. Le dernier repas pris
par Jésus avec ses disciples, tel que décrit dans l’Évangile de Jean, n’est
pas un repas rituel. C’est tout simplement
un repas (deípnon). Ce n’est pas un rituel auquel il faudrait donner
une signification symbolique. C’est
un véritable repas dont Jésus s’efforce de faire comprendre la valeur symbolique.
Les gestes que pose Jésus durant ce repas ne sont pas des gestes rituels
ou des symboles. Ce sont des gestes très réels. Le lavement des pieds, dans le contexte palestinien,
n’était ni un rituel, ni un geste symbolique. C’était un service que les esclaves rendaient
à leur maître ou les enfants à leur père.
Jésus décide de rendre lui-même ce service à ses disciples, et, après,
il les aide à comprendre le sens de ce geste.
Jésus ne donne pas un
exemple d’humilité. Il ne donne pas
l’exemple d’un grand qui sert les petits.
Au contraire il abolit l’importance des grades et des degrés et il
établit l’égalité de tous, malgré la variété de services rendus. Tous doivent, comme il l’a fait, se servir mutuellement.
Le dialogue avec Pierre montre bien qu’il n’est pas facile à celui-ci,
pas plus qu’aux autres disciples, de passer de la logique des sacrifices rituels
à celui du service à travers les gestes plus ordinaires de la vie de tous
les jours. Jésus remplace l’idée du Dieu céleste tout-puissant,
créée par toutes les religions anciennes et que les hommes devaient honorer
ou apaiser par toutes sortes de rituels – il le remplace par le Dieu qui se
fait le serviteur des hommes.
La lecture, l’une après
l’autre, de la description de la Pâque ancienne dans le livre de l’Exode et
du dernier repas pris par Jésus avec ses disciples, tel que décrit dans l’Évangile
de Jean, nous montre que notre religion chrétienne n’est plus une religion
où l’on doive inventer toujours de nouveaux symboles plus beaux les uns que
les autres pour exprimer nos sentiments. C’est
une religion où il nous faut au contraire devenir toujours plus sensibles
et attentifs à la valeur symbolique de chacune des actions de notre vie de
tous les jours : à nos refus de servir tout autant qu’à nos actes les
plus ordinaires de service.
La liturgie a été grandement
simplifiée depuis Vatican II, après avoir accumulé, au cours des siècles du
Moyen-âge, une profusion impressionnante de rituels et de symboles qui, à
la fin, ne parlant plus à l’homme et à la femme ordinaires, n’étaient plus
d’authentiques symboles. Ce mouvement
de simplification était dans la ligne de l’évolution commencée par Jésus.
Les tentatives, en certains milieux, de retrouver toute la floraison
de gestes, d’ornements et de rites d’avant le Concile, ou de fabriquer de
toutes pièces de nouveaux symboles, est un cheminement pathétique en sens
inverse – la tentative d’un retour à l’économie vétérotestamentaire que Jésus
a remplacée par sa vie et sa mort. Plutôt que de se contenter de poser des
gestes symboliques qui lui rappellent le divin ou qui sont censés l’unir à
la divinité, le Chrétien est appelé à devenir toujours plus conscient de la
valeur symbolique de chacun de ses gestes, à commencer par les plus fréquents
et les plus ordinaires. La bonté que je témoigne à mon prochain est le signe
visible de l’amour miséricordieux de Dieu pour nous tous, tout comme mon indifférence
ou mes gestes négatifs à leur égard sont le signe visible ou le symbole de
la présence du Mal dans notre monde.
En disant « faites
vous aussi de même », Jésus appelait ses disciples à se mettre au service
les uns les autres. Au début de sa
Règle, saint Benoît dit qu’il veut établir au monastère une Schola dominici servitii. On traduit trop facilement par « école
du service du Seigneur », comme si c’était une école où l’on apprend
à servir Dieu par toutes sortes d’actions vertueuses. Il faudrait plutôt traduire
par « une école où l’on apprend à servir à la façon du Seigneur ». D’ailleurs toute la Règle décrit une vie où
c’est en se servant mutuellement que les frères servent Dieu.
Homélies des années précédentes pour le Jeudi Saint
2004 :
français
2002 :
français
Armand VEILLEUX
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