Questions cisterciennes



 

 

 
 

 

Le problème des frères convers [1]

 

 

Introduction

 

 

Le problème

 

            Il existe actuellement, dans notre Ordre comme ailleurs, à n’en pas douter, un réel problème des Frères Convers.  Leur recrutement va à un rythme décroissant, et bon nombre des recrues ne persévèrent point.

 

            Cependant, ce problème du recrutement n’est, en réalité, que la conséquence d’un problème plus radical qui semble être celui de la non actualité de l’état de convers, ou du moins de ses cadres présents...

 

 

Monde moderne 

 

            Il y a une antinomie complète entre la vocation de convers humble et dépouillée, et l’esprit du monde moderne orgueilleux et indépendant.  Si bien que chaque vocation de convers, de nos jours, est une victoire presque héroïque contre le monde, remportée par l’esprit de foi.  Haec est victoria quae vincit mundum, fides nostra.

 

 

Monde nouveau

 

            Mais, à côté du monde moderne qui s’effrite, s’édifie un monde nouveau, une Chrétienté Nouvelle, qui sait assimiler tout ce qu’il y a de foncièrement évangélique dans les aspirations de la société moderne.

 

            On peut alors se demander sérieusement si l’état de convers, incompatible avec l’esprit orgueilleux du monde moderne, ne l’est pas aussi avec ce qu’il y a de parfaitement évangélique dans les acquisitions de la pensée moderne.

 

 

Comme le ferment dans la pâte

 

            La sagesse païenne réservait la vie contemplative  à quelques privilégiés, pour lesquels travaillaient la masse des ignorants.  – La sagesse chrétienne a donné l’accès de la vie contemplative à tous, y ordonnant positivement le travail.

 

            Cependant, l’action du ferment évangélique se fait lentement, et n’atteindra sa perfection qu’au jour de la Parousie.  – à un point donné de cette Révolution Évangélique, se place l’institution des Frères Convers par nos Pères du XIIème siècle.  Huit siècles ont passé... le ferment du Message chrétien a travaillé la pâte...  Les quelques lignes qui suivent voudraient essayer de répondre à la question suivante :  « Cette institution des Frères Convers (dans notre Ordre), parfaitement normale dans la chrétienté du Moyen-âge, cadre-t-elle avec les perspectives de la Chrétienté nouvelle qui s’inaugure)... »

 

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I – Le droit à la vie contemplative

 

 

1) Reconnaissance progressive de ce droit

 

 

Sagesse humaine

 

            La sagesse humaine d’avant le Christ avait déjà compris que la vie contemplative est supérieure à la vie active.  Ce fut la hantise de l’Inde, en particulier.  La pensée hellénique, à son tour, lorsqu’elle aura atteint son apogée, avec Aristote, affirmera que la perfection ultime de l’homme réside dans l’actuation la plus parfaite de sa faculté la plus noble, par son objet le plus parfait :  à savoir, la vision intellective de Dieu. 

 

            Mais, ces païens, ignorant l’ordre surnaturel, s’imaginaient atteindre cette contemplation uniquement par la suprême tension des énergies les plus hautes de l’homme.  Ils la faisaient résider uniquement dans l’intellect, et, -- ne moralisant que pour cette vie, -- ils lui donnaient comme but unique le perfectionnement suprême du sage (par lui-même). 

 

            Aussi, réservaient-ils cette activité suprême à quelques privilégiés pour lesquels tout le reste de l’humanité travaillait.  Ainsi, Aristote distinguait, dans sa cité idéale, deux groupes d’hommes :  Tout d’abord les citoyens :  Ce sont les hommes libres que la naissance, l’éducation, des dispositions rendent dignes d’aspirer à la plénitude de la vie intellectuelle.  L’état doit tout organiser pour leur permettre d’atteindre ce but.  Puis, il y a les serviteurs, ceux que leur condition rend incapables d’aspirer à la fin de l’homme :  la béatitude.  Outre les esclaves, presque dépourvus d’intelligence par naissance, ce sont parmi les hommes libres les agriculteurs, les artisans, les commerçants et les mercenaires.  Ils trouvent dans leur travail un double obstacle à l’acquisition de la béatitude :  ils y prennent des habitudes grossières qui s’opposent à la pratique de la vertu ;  et de plus, ils n’ont pas les loisirs nécessaires à l’acquisition de la science.

 

 

Sagesse divine

 

            Mais, lorsque la miséricorde et la vérité se furent rencontrées, que la justice et la paix se furent entrebaisées, que la rosée des cieux fût descendue et que les nuées eurent fait pleuvoir le JUSTE, une révolution a commencée ;  un nouvel ordre de choses est apparu.

 

            Le Christ venait réaffirmer que la vie contemplative est la meilleure part.  Mais la véritable contemplation, fin ultime de l’homme, ce n’est plus celle des philosophes, c’est celle des saints.  C’est la contemplation vraiment déiforme qui, de l’intelligence, passe dans le coeur et y surabonde en amour de charité. 

 

            Cette contemplation, -- et c’est ici le point capital, --- n’est plus le privilège de quelques individus ;  tous y sont appelés, les pauvres comme les riches, et même ... les pauvres plus que les riches.

 

 

Ordre spirituel et ordre social

 

            Cette immense révolution, comme il appert, était essentiellement d’ordre spirituel.  Mais, parce que le surnaturel s’enracine dans le naturel, que la grâce élève et parfait la nature, cette révolution allait engendrer peu à peu et indirectement de grands changements dans l’ordre temporel et social.

 

            Car, si Dieu reste toujours maître d’infuser la contemplation mystique dans l’âme  de qui Il veut, quand Il veut, et comme Il veut, il n’en est pas moins vrai que la voie normale pour atteindre à cette connaissance expérimentale de Dieu en est la connaissance intellectuelle naturelle : celle du philosophe et du théologien.

 

            Ce sont les mystères de la Foi : --- Trinité, Incarnation, Eucharistie --- qui constituent l’objet propre de la contemplation infuse.  C’est pourquoi une âme est normalement apte et disposée à recevoir cette contemplation, dans la mesure où elle a pénétré avec sa raison naturelle éclairée par la Foi (Ratio fide illustrata).

 

            Dès lors, si toute ne portion de l’humanité est dans l’impossibilité de développer ses facultés supérieures, c’est, dans les perspectives d’u humanisme intégral et chrétien, comme celui de saint Thomas, une conséquence du péché original ;  et l’économie de la Rédemption doit y porter remède.

 

            Seulement, le royaume de Dieu est semblable à un grain de sénevé qui germe et croît lentement, encore que sûrement.

 

            Bien que l’inégalité sociale soit naturelle et eût existé même sans le péché, il n’en reste pas moins que tous les hommes ont des droits premiers inviolables à une égalité proportionnelle dans la commune jouissance des biens suprêmes, même ici-bas.

 

            C’est cet ordre qu’est venu enseigner et réaliser progressivement le Christ.  L’Évangile veniat affirmer qu’il n’y a pas deux espèces d’hommes :  les uns faits pour la sagesse, les autres pour le travail ;  mais que, selon un mot de Maritain, tout homme est à la fois « homo faber » et « homo sapiens » ;  « homo faber » afin d’être « homo sapiens ».  (De Bergson à Thomas d’Aquin, p. 266).

 

 

 

 

2) À huit siècles de distance.

 

 

La Chrétienté médiévale

 

            Au douzième siècle, lorsque nos Pères fondèrent Cîteaux, régnait encore le système féodal où se retrouvaient tous les éléments de la « cité » d’Aristote, avec la séparation (quoique un peu atténuée) des hommes en deux catégories :  les seigneurs et les travailleurs ;  une élite très raffinée (où se recrutaient généralement les moines), et une multitude d’ignorants (où se recrutaient généralement les convers).

 

            Étant données ces conditions sociales, il était en quelque sorte normal de retrouver dans les monastères des choristes (instruits) et des convers (ignorants), divisés en deux catégories bien distinctes.

 

            De plus, dans ce système féodal alors régnant se retrouvait la vieille distinction entre les hommes faits pour le travail et ceux faits pour les activités intellectuelles.  Et c’est ici le point le plus important.

 

            Nos Pères ont institué la catégorie des frères convers « pour le travail » ;  c’est là une chose indubitable, affirmée en plusieurs endroits :  il suffit de relire certains décrets des Chapitres Généraux 1220, 1224, 1225, qui prescrivent d’admettre les convers après six mois de probation « s’ils sont utiles », i.e. capables de donner le rendement d’un bon mercenaire.  Ce qu’on attend d’eux avant tout, c’est une bonne dose de travail.

 

            Nos Pères ont institué les Frères Convers parce que, désireux de réaliser d’une façon absolue et parfaite leur idéal de vie contemplative, ils s’étaient aperçu qu’ils ne pourraient y être sans cesse fidèles, tout en pourvoyant eux-mêmes à tous leurs besoins matériels.

 

            Évidemment, nos Pères ne refusaient pas à ces Frères le droit à la contemplation ;  mais ils leur refusaient au moins implicitement la vie contemplative, telle qu’ils l’envisageaient pour eux-mêmes, avec ses principaux éléments constitutifs :  en particulier la vie liturgique, et la contemplation intellectuelle, des mystères de la foi, par l’étude et la méditation, prélude normalement nécessaire à la contemplation mystique.

 

            En un mot, au point de vue spirituel (au sens le plus large du terme), les Frères Convers étaient réduits à un état d’infériorité...  D’ailleurs, à cette époque, peu de personnes avaient le privilège du travail intellectuel.  Il fallait œuvrer dur pour gagner son pain.

 

 

La Chrétienté nouvelle

 

            Mais huit siècles on passé.  Le ferment évangélique a vigoureusement travaillé, et nous assistons de nos jours à l’aube d’une nouvelle humanité, d’une nouvelle chrétienté.  Les biens intellectuels autrefois réservés à quelques privilégiés, deviennent de plus en plus le lot de tous ;  le nombre des ignorants diminue.  De même l’égalité de tous les hommes dans la race humaine, et l’égalité au moins relative de leurs droits aux biens suprêmes de l’esprit et du coeur est de plus en plus revendiquée et reconnue.  La distinction entre la foule des travailleurs et celle des spirituels tend à disparaître.

 

 

Le doigt de Dieu est là

 

            Cette évolution sociale est, en elle-même, (sinon dans la façon où elle se réalise parfois), parfaitement ÉVANGÉLIQUE, et il faut y reconnaître le doigt de Dieu conduisant la société humaine à sa perfection naturelle et surnaturelle.

 

            Dans ces perspectives, ce qui pouvait sembler tout à fait normal au douzième siècle, l’est beaucoup moins au vingtième.

 

            Dès lors, faire disparaître la distinction qui divise nos communautés en deux catégories dont l’une a comme but immédiat  de favoriser par son travail les activités spirituelles de l’autre, ne serait-ce pas tout simplement entrer dans les voies de la Providence qui ouvre de plus en plus à tous les hommes l’accès aux biens supérieurs de l’esprit ?  Ne serait-ce pas réaliser plus parfaitement la volonté de celui qui est venu ut sint unum , et enfin préparer l’ordre eschatologique où il n’y aura plus de ces distinctions, mais omnia et in omnibus Christus ?

 

 

 

II – Le travail dans le plan divin

 

            D’ailleurs, il semble bien que le motif pour lequel nos Pères ont institué les Frères Convers n’existe plus.

 

            Ce motif était propter laborem.  Or, sous l’action vigoureuse du ferment évangélique, les conditions de travail (et aussi la conception du travail) ont profondément évolué depuis huit siècles, surtout depuis la parution de Rerum Novarum et de Quadragesimo Anno.

 

            Le Fils de Dieu, se faisant simple artisan a ennobli le travail manuel, considéré comme dégradant par l’antiquité.  Cette nouvelle conception du travail s’est, elle aussi, implantée lentement.

 

 

La mécanique appelle la mystique

 

            Dans les perspectives d’un humanisme chrétien, le travail des hommes a pour fin de leur ouvrir l’accès des biens intérieurs de l’â, qui sont l’objet des activités immanentes propres à la connaissance et à l’amour, et qui sont une ébauche et déjà une participation de la vie contemplative.

 

            Alors, dans ces perspectives, on reconnaît facilement que les progrès de la technique sont voulus par Dieu pour permettre à la multitude humaine de se procurer par un travail quotidien de durée relativement restreinte les biens matériels nécessaires à la vie.  Et ainsi, selon le mot de Bergson, « la mécanique appelle la mystique », c’est-à-dire qu’elle permet à la multitude et non plus seulement à quelques privilégiés, de se livrer aux activités d’épanouissement libre et de fruition, qui nourrissent l’âme de vérité et de beauté, et la conduisent vers la Vérité et la Beauté subsistante.

 

 

Du douzième au vingtième siècle

 

            Ceci nous replonge au coeur de notre problème.  Nos Pères ont institué les Frères Convers, parce qu’ils ne pouvaient réussir à bien mener leur vie contemplative et effectuer en même temps tout le travail nécessaire à leur subsistance.

 

            Or, l’évolution des conditions de travail et surtout l’usage rationnel de la mécanique permettent d’effectuer aujourd’hui le travail nécessaire à notre subsistance en un laps de temps extraordinairement plus court qu’au douzième siècle.  Les ouvriers du monde peuvent gagner le pain de leur famille dans un nombre d’heures assez restreint, et jouissent ainsi de loisirs très considérables qu’ils peuvent, s’ils le veulent, consacrer à leur épanouissement spirituel.

 

 

Devoir de justice

 

            Dès lors, est-il juste de laisser une partie de nos communautés dans un « status » social inférieur à celui des ouvriers laïcs ?

 

            Ne serait-ce pas faire tout simplement acte de justice et entrer dans les voies de la Providence que de profiter de l’amélioration des conditions de travail, pour faire partager à nos Frères tous les avantages de notre vie contemplative – en particulier de l’Office divin, et d’une lectio divina plus considérable ?

 

 

Travail et servitude

 

            Cette Révolution évangélique de l’ordre social soulève aussi le problème de ce que Marx appelait l’aliénation du travail.

 

            Le travail, dans l’humanité, a toujours été lié à une forme quelconque de servitude (esclavage, servage, domesticité, prolétariat), auxquelles, espérons-le, d’autres formes toujours plus atténuées succéderont.

 

            Pour saint Thomas (I, q. 96, a. 4), cette servitude du travail est une suite du péché, parce qu’elle est un état humiliant pour l’homme, et va contre les aspirations les plus légitimes de la nature.  Car tout homme désire naturellement son bien propre, et il lui est pénible de travailler pour d’autres, de céder le fruit immédiat de son travail, qui devrait être son bien propre.  Le perfectionnement chrétien des sociétés humaines, selon saint Thomas, doit aller vers un affranchissement de plus en plus parfait du travail.

 

 

Servitude du travail des Convers

 

            Cet état de servitude se retrouve dans le statut social de nos frères.  Comme nous l’avons vu, le travail humain a pour fin de procurer les bien spirituels de l’homme (et les biens matériels uniquement par voie de conséquence).  Or, le travail des Frères Convers, (sans considérer le mérite personnel inhérent à toute œuvre surnaturelle) est ordonné non pas immédiatement à leur bien personnel, mais au bien spirituel des moines, ayant pour but de faciliter à ceux-ci les exercices de la vie contemplative.

 

            Il y a là un état de servitude et d’aliénation du travail, qui a pu être normal en certains temps et en certaines circonstances, mais qui semble bien être anormal in se. 

 

 

Toujours la même conclusion

 

            La conclusion revient toujours la même :  il semble bien qu’une correspondance fidèle aux voies de la Providence nous demande d’ouvrir toutes grandes à nos Frères les sources de la vie spirituelle et surnaturelle, en les faisant devenir MOINES, comme nous.

 

 

Conclusions Pratiques

 

Priorité des principes

 

            Tout ce qui précède peut sembler beaucoup trop spéculatif et pas suffisamment considéré en regard des conditions pratiques.  Mais les principes n’ont-ils pas une priorité de nature sur leur application pratique ?

 

            Si la « monacalisation » des Frères convers se réalise un jour, cette réalisation rencontrera de nombreuses et grandes difficultés.  Mais il semble que nous ne devons pas considérer ces difficultés au moment où nous jugeons de la question de principe.

 

            Il faut se demander avec esprit de Foi si – oui ou non – il est conforme à la volonté de Dieu de faire disparaître la distinction entre moines et convers.  Si nous répondons affirmativement, alors, et alors seulement, il faudra examiner soigneusement toutes les difficultés.  La considération des difficultés inhérentes à l’application du principe doit conditionner cette application ; mais ne doit en aucune façon conditionner notre jugement du principe.

 

            L’Esprit de Foi doit nous convaincre que si une chose est conforme à la volonté de Dieu, son exécution est certainement possible.

 

 

Communautés contemplatives et communautés actives

 

            Dans tout ce travail, nous avons considéré le problème des Convers uniquement tel qu’il se présente dans notre Ordre.

 

            Avant de tirer des applications pratiques plus précises de nos principes, voyons un peu comment le problème se présente très différemment pour un Ordre contemplatif, comme le nôtre, et pour les communautés actives.

 

            Les membres des communautés actives ont à remplir un apostolat déterminé, qui constitue la fin particulière de leur institut.  Parce que cet apostolat est la raison d’être de l’institut et des membres, ceux qui y sont destinés doivent y consacrer toutes leurs forces et tout leur temps.  C’est pourquoi il est plus admissible que, dans ces communautés, il y ait une catégorie spéciale de religieux qui sont destinés ad corporalia et qui concourent ainsi indirectement à la fin propre de l’institut.

 

            Mais une communauté contemplative n’a pas de fin particulière.  Sa fin à elle, n’est pas autre que la fin même de toute vie chrétienne, qu’elle veut réaliser en plénitude :  i.e. l’union à Dieu.  Toute la vie du contemplatif, qu’il soit choriste ou convers, consiste à rechercher Dieu, par la prière, le travail et la lectio divina. Dès lors, la seconde catégorie de religieux n’est pas au service de la fin particulière de la communauté, mais bine... au service de la première catégorie.  Et cela est-il bien chrétien ?

 

            Que dans une même communauté contemplative, les uns aient comme grâce particulière de chercher Dieu surtout dans l’étude, et d’autres de le chercher surtout dans le travail, c’est très admissible. Mais POURQUOI deux catégories distinctes, et deux états juridiques distincts ?

 

 

L’histoire est irréversible, mais elle est perfectible

 

            Ces considérations ne sont aucunement une critique de l’œuvre de nos Pères ; car l’état de convers, tel qu’il existe aujourd’hui n’est pas celui qu’ont institué nos Pères.

 

            Les convers étaient, au début, des laïcs, sorte de familiers, à qui nos Pères voulurent faire partager certains avantages de l’état religieux.  Peu à peu, ils sont devenus de véritables religieux, avec toutes les obligations que cela comporte.  Mais, ils sont demeuré des religieux de second ordre.

 

            L’histoire est irréversible ;  mais elle est perfectible.  Et la perfection de cette évolution ne consisterait-elle pas à établir l’égalité entière d’état et de droits entre les choristes et les convers actuels, en les fusionnant dans une seule catégorie ?

 

Tous moines et choristes

 

            Donc tous seraient moines.  Conserver la distinction entre moines choristes et non-choristes serait garder la vieille inégalité juridique sous l’apparente égalité de nom et de costume.  Donc tous seraient moines et choristes.

 

            Ce serait un retour aux Sources.  Le nouvel état de choses ne serait autre que celui prévu par la Règle de saint Benoît.  L’Abbé appellerait aux Ordres qui il voudrait, et quand il le voudrait.  De même, il répartirait les emplois spirituels et matériels, selon les aptitudes de chacun.

 

            Conformément aux désirs du Saint-Siège, tous feraient des études assez poussées, selon leurs aptitudes.  Il n’y aurait aucune objection à ce qu’un moine fasse des études théologiques très complètes, alors même que, pour une raison ou une autre, il ne serait pas appelé au sacerdoce.  Il ne faut pas oublier, en effet, que si les études théologiques conduisent normalement au sacerdoce, pour lequel elles sont requises, elles n’ont pas le sacerdoce comme fin propre.  Elles ont comme but la contemplation des mystères divins – actuation suprême de la Foi, en même temps que préparation immédiate et prélude normal à la vision béatifique.

 

 

Le mode de transition

 

            On pourrait inviter tous les convers qui le désirent à devenir choristes.  Dès lors, on n’admettrait que des novices choristes, destinés ou non aux Ordres sacrés.

 

            Quant à ceux qui auront voulu demeurer convers, ils s’éteindront lentement...  Ce sera sans doute douloureux pour certains de voir disparaître un état humble qu’ils auront aimé et où ils se seront sanctifiés ;  mais c’est ainsi que, par leur souffrance, ils achèteront pour leurs successeurs un état encore plus favorable.

 

 

 

APPENDICE

 

 

Pain quotidien et travail manuel

 

            La « monacalisation » des Frères Convers, si elle se réalise, accroîtra le problème de la subsistance matérielle, qui existe déjà dans bien des monastères.

 

            Actuellement, chaque monastère se débrouille comme il peut.  Ne pourrait-on pas coordonner les efforts et les idées ? Il y a, dans l’Ordre, plusieurs Commissions – Études, Chant, Liturgie, Architecture.  Pourquoi n’y aurait-il pas une Commission de la subsistance matérielle ou Commission du travail manuel, qui étudierait les problèmes que rencontrent nos communautés, dans ce domaine ?

 

            Voici quelques questions que pourrait se poser cette Commission :  Quels sont les genres de travaux qui sont le plus compatibles avec notre vie contemplative et solitaire, de même qu’avec notre horaire : alternance de travail, prière, et lectio divina (cette alternance semble assez importante pour le « cachet » monastique de notre vie).

 

            La culture du sol répond-elle encore à ces conditions ?  Elle y répondait autrefois ; mais, dans les conditions où nous devons l’exécuter de nos jours, avec grand renfort de machinerie, y répond-telle encore ?  Surtout, fournit-elle les rendements voulus ?

 

            Autrefois, on avait peu besoin de rendement monétaire, ayant peu de dépenses à faire.  Il suffisait de récolter les substances dont on avait besoin.  Les conditions de la vie moderne exigent beaucoup de dépenses monétaires (assurances, hôpitaux, aumônes, etc.) donc, beaucoup de revenus monétaires. La culture procure-t-elle ces revenus ?

 

            L’industrie est peut-être plus payante.  mais elle est instable ;  et cela, dans la mesure où elle est petite.  Pour parer à cette instabilité, plusieurs monastères d’une même contrée ne pourraient-ils pas s’unir dans une même industrie ?

 

            Il y aurait lieu aussi de considérer les conditions subjectives nécessaires pour un rendement valable du travail :  organisation rationnelle, de manière à éviter les pertes de temps, surtout dans les travaux communs – exploitation des aptitudes particulières de chacune – surtout concentration des formes, par le petit nombre d’emplois, et si, possible, par l’unité de moyen de subsistance.

 

 

Temps consacré au travail

 

            Actuellement, les moines travaillent de quatre à six heures par jour (sauf les étudiants).  Les futurs moines, prêtres ou non, seront, en principe, soumis à cet horaire.  Une comparaison avec les industries séculières prouve que cette quantité de travail bien employée serait amplement suffisante à notre subsistance, à la condition d’avoir une industrie payante.

 

            D’ailleurs, même s’il faut travailler un peu plus, ce ne sera pas pire de le faire « comme moine » que « comme convers ».  L’avantage sera que, tous étant moines, l’Abbé pourra périodiquement remplacer les officiers chargés d’emplois plus accaparants.

 

            Enfin, une dernière suggestion, présentée avec beaucoup de réserve :  N’y aurait-il pas moyen de faire « rapporter » notre travail intellectuel, sans aucunement abandonner le travail manuel, ni léser en rien notre esprit cistercien ?  Simple question.

 

 

            Deus providebit

 

 

                                    in tempore opportuno.



[1] Dans une lettre du 19 août 1960 Dom Gabriel Sortais consultait les Supérieurs de l’Ordre concernant la question des Frères convers dans l’Ordre et de la possible “unification” de nos Communautés.  Mon Père Abbé, dont j’étais alors le secrétaire, me demanda de rédiger un réponse, qu’il envoya à la Maison Généralice.  Ce fut ma première participation au travail de renouveau des structures de l’Ordre.  J’avais 22 ans et je n’étais pas encore profès solennel.  Le texte de ma réponse a été retrouvé récemment par l’archiviste de la Maison Généralice, Dom Santiago Fidel Ordoñez Fernández.  AV


Voir aussi mon étude de 1991 sur toute la question des frères convers : Apologia de barbis.

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