Epilogue (RB 73)
“Toute
la pratique de la justice n’est pas contenue dans cette Règle”
Benoît
a vraiment cultivé l’humilité. Il aurait pu, satisfait, refermer sa Règle. Il
l’ouvre au contraire toute grande !
RB
73 en est l’épilogue qui fait pendant au Prologue.
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Au v. 1,
Benoît commence par présenter son œuvre en en indiquant le caractère et la
finalité.
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Il
reconnaît ses propres limites, recommande de continuer à lire la Bible et les
Pères, spécialement les auteurs monastiques que la tradition reconnaît comme
les plus importants ; ce sont là, en effet, un très sûr myen d’élargir ses horizons spirituels et d’avancer en
sécurité vers « les cîmes de la
perfection » (cf. vv. 2-7).
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Il
termine par une exhortation à considérer la RB comme une base nécessaire pour
atteindre, en l’observant, « les hauts sommets de doctrine et de
vertu » (cf. vv. 8-9).
A. Du point de vue de la critique littéraire, qu’en
est-il ?
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Le
vocabulaire et le style s’avèrent être d’une teneur particulière : la
question de l’authenticité se pose donc. On y a vu un morceau de Prologue (sic),
de sa finale (vv. 46-49) ; ce serait l’œuvre
d’un copiste épris de vie contemplative (E. Manning, « Le ch. 73 de la RB
est-il de S. Benoît ? », in Archiuum Latinitatis Medii Aeui 30 – 1960 -, pp. 129-141. Les arguments ne sont
pas décisifs. Le vocabulaire de la perfectio
dérive de Cassien que Benoît connaît bien (voir
l’index de R. Hanslik).
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La thèse
qui tient RB 73 pour une rédaction antérieure à l’ensemble de la Règle, faisant
immédiatement suite à RB 66, est parfaitement admissible ; il aurait été
séparé du ch. 66 pour insérer les ch. 67-72 (voir G. Penco,
Ricerche sul capitolo finale della Regola di San Benedetto,
Benedictina 8 – 1954 -, pp. 25-42).
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RB 73
viserait-il à orienter les cénobites éprouvés par une longue probation vers la
vie érémitique ? Les
arguments apportés par S. Marsili sont peu convainquants (voir S. Marsili, L’ultimo
capitolo della Regola di S. Benedetto alla luce di Cassiano, Pax – Sorrento –
3, 1934, pp. 17-21).
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D’autres,
plus modestement, pensent qu’il convient de lire ces pages ultimes dans leur
littéralité comme une entité : il s’agit d’une exhortation finale à vivre
une vie religieuse toujours plus parfaite (voir G. Da Vigolo,
Vita Christiana 17, - 1948
-, pp. 161-173).
B. Une Règle pour débutants (RB 73, 1-8)
Par
rapport au Maître (RM), une différence notable est à souligner : la
modestie de Benoît.
Le Maître
de la RM se dit mandaté par le Seigneur Lui-même. A
preuve la phrase refrain : Respondit Dominus per magistrum...
La RM est donc, selon le Maître « dictée par le Seigneur » (cf. RM 11
T ; 13, 65 ; 22, 12...).
Benoît
n’a d’autre prétention que de présenter par sa Règle un minimum d’initiation à
la vie monastique (cf. vv. 1 et 8). A. de Vogüé a étudié « le thème de la modestie au VIème et VIIème s. ». Benoît
se trouve en compagnie de Cassien et dans la tonalité
de ses écrits, dans la lignée aussi de la « Vie des Pères du Jura »,
de la Règle de Paul et Estèphe. Il convient de
reconnaître que Benoît s’exprime avec une incomparable sévérité...vis à vis de
lui-même que ses collègues !... (voir A. de V.,
Commentaire, pp. 103-107). « Honnêteté de mœurs », « début de
conversion » (honestas morum, initium conuersationis) : tels sont les maigres résultats
de l’observance de la Règle, selon Benoît. Pas de quoi s’exhalter
(cf. v.1).
Les normes supérieures (RB 73, 2-7)
Les
diverses règles et enseignements sur la « perfection », il faut aller
les boire à d’autres sources, indique modestement Benoît. Les « Doctrines
des Saints Pères » (v. 2) en parlent surabondamment ; par
« Saints Pères », il faut entendre les Pères de l’Eglise qui ont tiré
de l’Ecriture « une parole d’autorité divine » (v. 3) ; ce
furent en effet des écrivains ecclésiastiques de doctrine solide et d’une
éminente sainteté de vie. Cependant, Benoît recommande avec eux, la lecture de
l’Ecriture reconnue comme la source de tous les autres livres
d’édification, l’A.T. étant lié au N.T. sans que ce dernier soit préféré au premier. Tous deux
offrent une norme très sûre pour la vie humaine (v. 3). Les « Saints Pères
catholiques » du v. 4, ce sont les Pères de l’Eglise et du monachisme
universellement reconnus : à savoir Jean Cassien
– implicitement nommé avec la mention des « Conférences » et des
« Institutions » ; les « Pères du désert » et leurs
vies (Vitae Patrum) ; S. Basile,
« notre père », et « sa Règle » (il s’agit là de son
« Petit Ascétikon », dont nous avons une
traduction latine par Rufin (v. 5).
Ainsi,
les œuvres recommandées pour la lectio diuina
appartiennent à trois catégories : (1) l’Ecriture Sainte ; (2) les
écrits des Pères de l’Eglise ; (3) et les écrits des Pères de la tradition
monastique. Certains avaient déjà été mentionnés précédemment dans la RB (cf.
RB 9, 8 ; 42, 3).
La lectio
diuina est donc mise à l’honneur et reconnue
comme « l’affaire des moines », leur opus. Toutes les dérives
dans la vie monastique ne procèdent-elles pas d’une désaffection de la lectio
diuina ? Dom Denis Huerre,
Abbé émérite de la PQV, le pensait.
C. « Accomplis...et
tu parviendras » (RB 73, 8-9)
Benoît
n’est pas un idéaliste, mais un latin pragmatiste, armé d’un solide bon
sens : « un homme pratique selon Jésus Christ », comme on l’a
dit. Quels en sont les critères ?
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D’abord,
il s’agit d’acquérir des « mœurs » correctes, dégrossies (honestas morum, initium conuersationis). La
vie commune en est un excellent moyen.
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Ce
commencement de bonne volonté manifestée laissera toute liberté à la grâce de
faire passer progressivement des principes de vie monastique à la
« perfection » réalisée dans l’amour : de l’un à l’autre
l’espace est infini... Mais ‘rien est impossible à Dieu’.
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Encore
faut-il « se mettre en route » et avancer puisque « s’arrêter
c’est reculer » (S. Bernard).
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La
« perfection » réalisée dans la plénitude de la charité est eschatologique.
Elle est exprimée par la notion de « désir » chez Augustin d’Hippone,
et chez S. Paul par la « tension » (epectasis)
vers les réalités d’en haut (cf. Ph 3). La RB est
animée d’un dynamisme vital qui invite fortement à effectuer un « retour à
Dieu », moyennant le secours de la grâce. Benoît n’est pas pélagien. Et
l’anticipation des réalités eschatologiques se réalise déjà au monastère
et ne fait que plus ardemment désirer la possession du « pas encore »
dont nous jouirons dans la Patrie si nous persévérons à suivre la Voie qui est
le Christ
(voir G. Madec, « La Patrie et la Voie », Le Christ dans
la vie et la pensée de S. Augustin, coll. « Jésus et Jésus-Christ », Desclée, 1989).
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Deux
verbes sont particulièrment prégnant dans cet
épilogue :
1.
Perfice :
« accomplis » ! (le verbe est à l’impératif).
2.
Peruenies :
« tu parviendras » (le temps employé ici est le futur).
Peruenies, « tu parviendras » : c’est le dernier mot
de la Règle, même si un « Amen ! » vient ratifier l’ensemble.
Ainsi ce
véritable « Législateur des moines d’occident » qu’est Benoît de Nursie, ferme-t-il sa Règle en l’ouvrant toute grande à
ceux et celles qui veulent bien le suivre vers « la Patrie céleste »
(v. 8).
F. Irénée Rigolot (ocso)
Abbaye de Scourmont
En la fête de la
Présentation du Seigneur,
le 2 février 2003.