VIème
Partie : Le Code
pénitentiel et le Traité de la satisfaction
Le
code pénitentiel (RB
23-30)
-
Le titre
du Ch.23 : « L’excommunication pour les fautes » (De
excommunicatione culparum), embrasse en fait l’ensemble des ch. 23-25. Le
ch. 26 n’est qu’une note additionnelle. A preuve, le « Is autem »
du début du ch. 25 qui fait suit au précédent. L’ensemble 23-25 doit être
antérieur à la rédaction de la Règle.
-
Les ch.
27-29 sont intimement liès entre eux. Ils constituent un « drame en trois
actes ».
-
Le ch. 30
a une identité propre. Puisqu’il n’était question que des moines adultes dans
les ch. 23 à 29, il convenait de légiférer pour les enfants ; d’où ce ch.
30.
-
Ce Code
pénal (codex poenalis) constitue un système clair, cohérent,ordonné,
harmonieux. Il contraste avec celui de la RM qui est désordonné et souvent
imprécis. L’esprit qui anime ces deux législateurs (RM et RB) est fort
différent. Dans la RM, la « vindicte » est dominante. Dans la RB, l’esprit
de justice prédomine et la sollicitude pour le Frère rebelle est bien présente.
-
Le noyau
27-29 ou « drame en trois actes », constitue une vraie
« pastorale des pécheurs endurcis » : les
« impénitents » (RB 27), les « récidivistes » (RB 28, les
« apostats » (RB 29). Pour S. Benoît, toute sanction, grande ou
petite, a un caractère médicinal. Elle vise l’extirpation des vices et le salut
des âmes. Les procédés pénaux sont relatifs à cette fin ; ils se
présentent sous forme sobre et discrète, même si cette forme antique
heurte pour une part notre sensibilité excessivement défiante devant la
correction. Il convient donc de lire ces chapitres en les remettant dans leur
contexe historique, celui du VIème s.
II. Fautes et châtiments (RB 23)
Le Code
pénal commence par énumérer une série de fautes plus ou moins graves, mais dont
aucune ne peut être considérée comme légère si l’on considère l’environnement
cénobitique dans lequel elles se situent. Celui qui commet de telles fautes
dans cette « société » hyper-relationnelle, ne peut pas ne pas être
coupable. Il ne s’agit pas de quelques infractions sporadiques, mais de fautes
habituelles et de vices. La contumace, la désobéissance systématique,
l’orgueil, le murmure et en général le mépris de la Règle et des supérieurs, sont
des vices qui nuisent non seulement à ceux qui s’y adonnent, mais à la vie même
de la communauté. Avec de tels fauteurs de troubless, on ne peut pas
temporiser. On leur appliquera la Loi du Christ : « Si ton Frère
t’offense »...(cf. Mt 18, 15-16), avec cette modalité propre au
monastère : deux admonestations privées d’abord à la charge des anciens
(v. 2), une 3ème admonestation au cas où les deux premières ne
suffisent pas, et celle-là devant tous (publice) v.3 ; et en cas
d’obstination, l’excommunication v .4, ou le châtiment corporel (comme
cela se pratiquait à l’époque), si l’obstiné ne comprenait pas le sens de
l’excommunication. Benoît explique ensuite en quoi consiste l’excommunication
(le modus excommunicationis).
III. Châtiment
des fautes légères (RB 24)
Un
principe général est clairement posé : l’excommunication ou le châtiment
corporel équivalent doit correspondre à la gravité de la faute (v. 1) ; il
appartient à l’Abbé d’en apprécier le degré de gravité (v. 2). Rien de plus
juste et de raisonnable : on ne peut appliquer la même peine à des délits
de gravité différente. D’où la distinction entre une excommunication de moindre
importance et celle de plus grande importance. Benoît établit donc une
gradation qui vise semble-t-il à l’éducation (païdeia) des Frères à
l’esprit communautaire, au sens cénobitique et ecclésial :
Ø
Pour des
fautes légères = privation de la participation à la table commune (le lien est
marqué entre la participation à la table et la participation à l’office :
« il n’imposera à l’oratoire ni psaume, ni antienne ; il ne récitera
pas de leçon jusqu’à réparation » v. 4). Pratiquement, le Frère coupable
prendra seul sa nourriture, après le repas des Frères ; le repas est en
effet une des expressions majeures de la communion pleinement réalisée dans
l’eucharistie.
Ø
Remarquons
aussi le long décalage entre le repas commun des Frères et le reoas solitaire
de l’excommunié : 3 heures !. L’aspect de « châtiment
corporel » s’y trouve inclus, la pédagogie de Benoît se basant sur le fait
que pour inculquer un principe moral, rien n’est plus expédient que de passer
par une pratique corporelle : le corps doit toujours se soumettre à
l’esprit. Et l’esprit est d’autant plus libre qu’il possède l’hégèmonikon sur
le corps
Ø
Notons
enfin la structure de la démarche pénitentielle : le châtiment n’est
qu’une peine médicinale qui doit permettre à l’excommunié de s’amender
(satisfaire, satis facere = faite autant qu’il convient) ; alors il
pourra être pardonné (ueniam consequatur).
Faute – excommunication – peine |
Satisfaction (amendement) |
Pardon – Communion rétablie et renouvelée |
IV. Le châtiment des fautes graves (RB 25)
La
sobriété avec laquelle Benoît décrit les conditions concrètes et
l’environnement dans lesquels le moine privé à la fois de la table commune et
de la participation à l’Office divin est remarquable ; elle impressionne
même profondément. La grande solitude à laquelle le coupable de fautes
graves est condamné est particulièrement mise en évidence. Plus que de
solitude, il s’agit d’isolement : le Frère coupable s’isole, sort
de la communion ; personne ne se joint à lui. Il travaille seul, mange
seul, prie seul, méditantla sentence biblique : « un tel homme est
livré à la mort de la chair pour que l’esprit soit sauvé au jour du Jugement »
(1 Co 5, 5). Pour atténuer la rigueur de la situation, Benoît, à la différence
de Cassien (cf. Inst. 2, 16) omet le mot « Satan » qui est présent
dans le texte paulinien : « Que cet individu – qui n’est plus un
Frère – soit livré à Satan pour la perte de sa chair (sarx, caro), afin
que son esprit (pneuma, spiritus) soit sauvé au Jour du Seigneur »
(1, Co 5, 5). A l’évidence, Benoît reprend l’anthropologie paulinienne.
Par
rapport à l’effet psychologique et moral provoqué par ce phénomène de
l’isolement, la restriction alimentaire paraît peu de chose...
Benoît
vise à mettre en évidence le principe cénobitique de la communion d’âme, telle
que la vivait la première communauté de Jérusalem (cf. Ac 2, 42 et 4, 32).
Vbi
caritas et amor, Deus ibi est, disait la
séquence ancienne. Et S. Augustin commentait : Vbi caritas ibi
pax ; ubi humilitas ibi caritas.
V. De
ceux qui, sans autorisation se mêlent aux excommuniés (RB 26)
Mention
extrêmement brève et d’autant plus significative. Tous les membres de la
communauté sont responsables de l’application de la peine curative qui doit
assurer le salut spirituel du « délinquant ». Pas de complicité
possible ; sinon, le contrevenant subira la même peine.
« Sans
ordre de l’Abbé »... L’Abbé reste juge des modalités de l’application de la
peine, qu’il peut tempérer ou interrimpre ou faire cesser : cette
expression indique encore là la visée thérapeutique de la sanction
d’excommunication.
VI. L’abbé
et l’excommunié impénitent (RB 27)
Ce ch. 27
est l’un des plus beau de la RB.
-
A noter
d’abord que le mot « frères » est réemployé dans ce ch. rempli de
miséricordieuse compassion : « delinquentes fratres »...
-
C’est un
« directoire abbatial » (Colombas/Aranguren) pour ce cas concret
auquel la RB accorde le maximum d’importance. Il y va de l’essence même de la
vie cénobitique.
-
Remarquons
le vocabulaire spécifique : « en toute sollicitude » (v.
1) ; « de toute manière » (v. 2) ; « tout
pariculièrement » (v. 5) ; « de toute son adresse et de toute
son habileté » (v. 5). L’Abbé est considéré comme un « sage médecin (sapiens
medicus) : c’est ainsi qu’il devra se comporter (cf. Mt 9, 12), usant
de tous les soins possibles pour amener le réfractaire à récipiscence. L’Abbé
doit reproduire, parce qu’il en tient la place dans le monastère (RB 2, 2),
l’attitude du Bon Pasteur. Médecin, il sera aussi Pasteur d’âmes (cf. VV.1-5 et
5-9). Il y a beaucoup d’humanité en tout cela. L’Abbé est aussi mis en garde
contre la tyrannie exercée sur des âmes saines, et invité à soigner « les
esprits affaiblis ». Le monastère n’est pas un enclos de chrétiens
parfaits. Que l’Abbé se garde de le croire, au risque de s’exposer au
redoutable jugement de Dieu fondant sur les « mauvais bergers
d’Israël » (cf. Ez 34, 3-4).
-
La RB
prend toujours le parti des faibles, de ceux qui ont besoin d’aide et de
compréhension. Il y a toujours un salut possible pour qui persévère dans
l’humilité à l’intérieur du cenobium, même lorsque momentanément le
contrevenant doit faire l’expérience curative de l’excommunication.
-
La
patience et la miséricorde de Benoît contraste avec la rigidité du Maître (cf.
RM 13, 68-73). Avant de se résoudre à une expulsion, Benoît met tout en œuvre,
particulièrement la prière de l’Abbé et des Frères (RB 28), car il espère
jusqu’au bout la conversion du pécheur, vaincu par la grâce, par la sollicitude
de l’Abbé et pat la prière des Frères. M’image du Bon Pasteur confirme cette
impression d’espérance invincible en une heureuse issue.
VII. L’Abbé et l’excommunié qui ne veut pas s’amender
(RB 28)
C’est le
secon acte du drame !
Il se
peut qu’il y ait des moines qui ne veulent pas se corriger : des
récidivistes. Il se peut que corrigé, châtié par l’excommunication, le moine
délinquant et fautif, retourne à son bourbier, par faiblesse humaine. Il ne
fait pas de doute pour Benoît, dans ce cas de récidive, que ceux qui retombent,
n’ont pas compris – le peuvent-ils ? – ce que signifie l’excommunication.
Il requiert pour eux le fouet (la fessée !), le châtiment corporel étant
réservé aux têtes dures et aux cœurs endurcis auxquels les peines spirituelles
ne font aucun effet (cf. RB 30, 23). Ainsi en va-t-il des moines
« infantiles ».
Alors,
selon la métaphore de Galien – le grand médecin de l’antiquité (cf. « De
la résurrection » d’Athénagore, qui cite Galien) -, ayant usé, en sage médecin,
de toutes les médications en usage – cataplasmes et onguent des exhortations,
potions des Ecritures, cautère de l’excommunication et des fouets -, l’Abbé
usera d’un remède jugé d’expérience « plus efficace » (quod maius
est) : sa prière et celle de ses Frères pour le récidiviste
(vv. 4-5).
Quelle
sollicitude extrême dans l’adaptation de la peine qui convient à chaque étape
de la délinquance et à chaque cas particulier ! Remarquons toujours cette
pédagogie de la gradation de la peine pour amener le dévoyé au
« retour ».
Ayant
recouru à tous les moyens naturels et surnaturels, on en arrive au dénouement
de ce second acte : le malade résiste au traitement. Le médecin cède alors
la place au ...chirurgien. Avec la vigueur et le zèle de S. Paul, père de la communauté
de Corinthe, S. Benoît, père d’une communauté monastique, ordonne l’amputation,
selon le précepte de l’Apôtre : « Otez le mal du milieu de
vous » (1 Co 5, 13). Pour justifier cette conduite extrême, le Législateur
appuiera sa décision sur une autre parole de Paul : « Si l’infidèle
s’en va, qu’il s’en aille ! » (1 Co 7, 15), montrant par là qu’il
s’agit moins d’une expulsion que d’un consentement à regret à laisser partir
celui qui veut s’exclure lui-même de la communauté. Cette attitude est une lumière
sur ce que pourra être le Jugement de Dieu sur nous : le dmné se dmnera
lui-même. Dieu ne jette personne en enfer. Il ne peut vis à vis de celui qui
refuserait jusqu’au bout Son Amour, de le laisser aller à sa
perte... « Que ta volonté soit faite »...
Nous
avons-là aussi la démonstration de l’effet pernicieux de la « volonté
propre », cause de tous nos déboires.
Au ch.
27, le projecteur est braqué sur la brebis égarée à laquelle l’Abbé doit toute
sa sollicitude. Au ch. 28, l’attention est attirée sur le troupeau tout entier
dont l’Abbé est le berger. L’esprit qui a commandé la rédaction de ces deux
chapitres est le même : l’intention est de tout faire « pour en
sauver à tout prix quelque uns » (Rm 11, 14).
VIII. La
réadmission dans la communauté de l’apostat repenti (RB 29)
Et voici
le troisième acte !
Le Frère
impénitent et infidèle n’est pas pour autant perdu de vue par le RB ;
l’espérance en son retour demeure (cf. Lc 15 : le Père miséricordieux et
le fils prodigue). S’il sollicite sa réadmission, on lui ouvrira les portes du
monastère à nouveau, à deux conditions cependant :
-
qu’il
promette de se corriger totalement de la faute qui a motivé sa sortie.
-
Qu’il
accepte de prendre le dernier rang dans la communauté pour tester son humilité
et l’authenticité de sa conversion.
Au cas où
il sortirai de nouveau, on le réadlettra jusqu’à 3 fois (cf. Mt 18, 15.17).
Cette notation est très importante et est à lire en lien avec la doctrine
pénitentielle en vigueur au VIème s. Elle témoigne de la magnanimité du Législateur.
Rien ne sera ménager pour donner le maximum de chance à l’apostat de revenir de
sa délinquance pour renouer avec la communion fraternelle. Car c’est ensemble
(pariter) que l’on parvient à la vie éternelle (RB 72, 12). Le Frère
« sorti » qui abuserait de cette triple possibilité de se réhabiliter
s’exclurait peut être définitivement du cenobium icône de l’Ecclesia...
Extra Ecclesia non est salus écrivait Cyprien de Carthage. Il est évident
que Ecclesia est à entendre ici dans son sens mystérique et plénier.
IX. Correction
des enfants, des adolescents et des adultes peu éveillés (RB 30)
Un bref
chapitre marque un terme au Code Pénitentiel.
Les
catégories de personnes évoquées dans le titre, et qui fond partie en un
certain sens de la communauté, sont particulièrement peu aptes à comprendre le
sens de la peine de l’excommunication. C’est pourquoi, il est statué à leur
égard.
Une
sentence initiale et générale de grand bon sens introduit le chapitre :
« Chaque âge et chaque stade de développement de l’intelligence possède
ses mesures propres » v. 1. En RB 40, 1 Benoît dira, qu’en matière de
nourriture et de boisson, chacun à « sa mesure » : alius sic,
alius uero sic : « A l’un ceci, à l’autre cela ».
Deux
traits caractéristiques sont ici soulignés :
-
1. Toutes
les peines infligées ont une portée médicinale : il s’agit de guérir,
d’éduquer et finalement de sauver.
-
2. La
sanction typiquement cénobitique est l’excommunication, c’est à dire la
mise à l’écart du Frère qui s’est rendu coupable. Les peines corporelles ne
sont qu’un succédané de l’excommunication dévolu à ceux qui ne peuvent pas en
comprendre la portée.
Nous
avons remarqué la discrétion, la patience, la sollicitude, l’amour et la
compassion avec lesquelles ces « peines » curatives étaient appliquées.
La RB est
bien une législation évangélique, c’est à dire qu’elle est pour nous
l’interprétation de l’Evangile, et de tout l’Evangile. Comme et à l’image de
l’Eglise, elle est Mater et Magistra (cf. RB 3, 7 : magistram...regulam).
¸
Le Traité de la satisfaction (RB 43-46)
Considérations
générales
L’ensemble
des chapitres 43-46 constituent ce qui fut appelé par C. Gindele, un
« traité de la satisfation » (cf. Rbén 69, 1959, pp. 32-48 : Die
Satisfaktionsordnung von Caesarius und Benedikt bis Donatus).
L’idée
fondamentale exprimée ici est que le propre du moine consiste à reconnaître
humblement ses manquements et erreurs devant Dieu et ses Frères afin de réparer
publiquement les fautes graves ou légères (et même simplement
matérielles) commises publiquement, puisqu’elles ont perturbées la Paix,
la Concorde ou le Bon Ordre de la communauté.
La
théologie sous-jacente semble être que toute faute impliquant une peine, il
convient, par la satisfaction, d’éviter la peine encourue en se soumettant par
un acte d’humilité.
Les
satisfactions de ceux qui arrivent en retard
(RB 43)
La
ponctualité constitue un élément capital pour le maintien de l’ordre. Pas
d’ordre sans ponctualité :
1.
Une
introduction insiste sur l’excellence de l’Office divin qui exige une absolue
ponctualité, marque de ceux qui « ne préfère rien à l’œuvre de Dieu »
(vv. 1-3).
2.
Il est
traité ensuite de la satisfaction que doivent accomplir ceux qui arrivent en
retard aux offices de nuit (vv. 4-9) et de jour (VV. 10-12).
3.
Vient
alors la satisfaction pour les fautes contre la ponctualité aux repas (vv.
13-17)
4.
Se trouve
inclus ici un excursus à l’adresse des présomptueux et des superbes,
soit qu’ils prennent quelque nourriture privativement, soit qu’ils refusent de
prendre celle que peut leur offrir l’Abbé. C’est peut être là une manière de
dénoncer le vice de l’absolutisation de l’observance du jeûne.
La
célèbre formule « Ne rien préférer à l’œuvre de Dieu » est en fait un
décalque de la Regula Patrum II, 31 (Regula Macarii 14) où on
lit : Nihil orationi praeponendum est. Et la formule orationi
nihil praeponas vient de l’Abbé lérinien Saint Porcaire (cf. Col./Arang.,
p.407).
Dès que
le signal de l’Office divin est donné, le moine doit se disposer à s’y rendre,
signifiant ainsi la dignitas de l’œuvre de Dieu et son excellence.
On
retrouve dans la formulation la discretio du Législateur qui demande
d’ « accourir », certes, mais « avec la gravité nécessaire
pour ne pas donner prise à la dissipation » (v. 2).
La RB se
montre pourtant indulgente envers les retardataires du début de l’Office de
nuit : le Ps 94 se récitera pour cette raison « en traînant » (subtrahendo)
et « lentement » (morose).
En ce qui
concerne le sort des grands retardataires, Benoît légifère en innovant. Chez
Cassien (cf. Inst. 3, 7), ceux qui arrivent très en retard doivent rester
dehors, à l’extérieur de l’oratoire. Benoît affirme, quant à lui, qu’il vaut
mieux qu’ils entrent ; sinon, ils risqueraient de perdre leur temps ou de
dormir, ou de se laisser aller à la dissipation en en entrainant d’autres avec
eux. Mais on les placera à un endroit tel qu’ils en éprouvent une réelle
contrition (toujours ce souci d’éduquer par la médiation corporelle : ici,
le lieu physique, la place inhabituelle).
Pour les
Offices du jour, Benoît est plus sévère ; il est vrai que les négligences
en matière de ponctualité sont alors moins excusables. Mais à qui fait
satisfaction et bénéficie de l’indulgence de l’Abbé, il sera permis de se
joindre au chœur.
Pour les
retards aux repas, par faute volontaire ou par vice, on reprendra le
contrevenant jusqu’à deux fois (voir la gradation des peines dans le
« Code pénal). Mais il reviendra au retardataire de s’amender. Sinon, il
sera privé de la participation à la table commune (voir Code pénitentiel et le
sens de l’excommunication) ; il sera privé de vin « jusqu’à
réparation et correction (usque ad satisfactionem et emendationem).
Satisfaction
des excommuniés (RB 44)
Cassien
décrit en Inst. 4, 16 le rituel très significatif de la réconciliation des
moines excommuniés : c’est un rituel de « pénitence publique ».
Le
Maître, lui, est très prolixe, comme à son habitude, et qui plus est
« dramatique » (cf. RM 14).
Dans la
RB , la satisfaction à laquelle sont invités les excommuniés de l’oratoire
et de la table (c’est à dire pour les fautes graves) est relatée de façon
beaucoup plus sobre. Elle diffère de celle rapportée par Cassien sur deux
points :
1.
vv. 1-3 =
l’action se déroule à la porte de l’oratoire, où l’excommunié se tient étendu
aux pieds de l’Abbé et des Frères lorsqu’ils sortent, cela jusqu’à ce que
l’Abbé juge que « çà suffit » (sufficit).
2.
vv. 4-8 =
la réadmission à l’oratoire se fera progressivement au jugement de l’Abbé.
Notons
qu’il dépend de l’Abbé de déterminer le temps que doit durer chaque phase du
processus de satisfaction. Celle-ci revêt, pour Benoît, un caractère
psychologique et pédagogique qui dénote une grande connaissance de l’âme
humaine (cf. A. de Vogüe, « Commentaire »..., p. 760).
Excommunication
et satisfaction ne sont pas, pour notre Législateur, des « formalités
inefficaces ». On notera de plus la même charité qui inspire les ch.
27-29.
La finale
du ch. 44 traite de la satisfaction pour les fautes moins graves : on
satisfera à l’oratoire seulement, jusqu’à ce que l’Abbé le juge opportun.
Satisfaction
pour ceux qui se trompent à l’oratoire
(RB 45)
Se
tromper à l’Office, surtout si l’on est chantre ou soliste, perturbe la prière
de la communauté. Cela constitue, selon Pachôme, une « négligence » (Regula
14). Selon Cassien, c’est une « faute légère » qui doit se
réparer par le moyen de la pénitence publique (Inst. 4, 16). La RB exige aussi
une satisfaction « immédiate » et « publique » pour les
fautesdues à la « négligence ». Si le coupable refuse de s’humilier,
il sera soumis à un « plus rude châtiment »... Mais la RB se garde de
préciser, et le genre de châtiment requis, et le genre de satisfaction...
Benoît sait aussi manier l’argument de la crainte dans sa manière d’éduquer.
Satisfaction
pour d’autres fautes (RB 46,
1-4)
Le ch. 46
clôt la section relative à la satisfaction occasionnée par les fautes commises.
A-
Toute
faute commise, quelle qu’en soit la nature, doit être reconnue, confessée
devant l’Abbé et la communauté, immédiatement (continuo). Dans tous les
cas, satisfaction doit être faite. Si cela ne l’était pas et que la faute
vienne à être connue de l’Abbé par un autre Frère que le coupable, celui qui a
failli sera soumis « à une pénitence plus sévère ».
Voilà une
disposition très remarquable et qui n’est pas nouvelle dans la législation
monastique. Pachôme et Cassien en font mention (cf. Regula 14 ;
Inst. 4, 16). Mais ce qui est neuf, c’est l’invitation pressante à la
spontanéité de l’aveu personnel, signe d’humilité. S. Augustin aborde aussi
ce point dans sa Règle (n°11). La confession immédiate de la faute appele
d’elle-même le pardon immédiat et un regain de miséricorde.
RB innove
en imposant la confession et la satisfaction spontanées. Nous ignorons si S.
Benoît s’appuie là sur d’autres tradition – mais n’est ce pas tout
l’Evangile ! -, ou s’il fait œuvre de novateur...
B-
Pour ce
qui est des fautes secrètes (animae peccati causa), voir 46, 5-6.
Toute
faute doit être reconnue et avouée parce que le moine s’avance humblement vers
la lumière : le perfection dans l’amour du service pour Dieu (cf. Mt 5,
48). Les fautes secrètes ne doivent pas être révélées publiquement à cause du
trouble et du scandale possibles. L’abbé ou les « pères spirituels »
ou « anciens », sont habilités pour recevoir cette confession du
Frère pénitent.
Qui sont ces « anciens » ?
RB ne le précise pas. Sans doute s’agit-il des « doyens » (decani).
Cassien parle des « anciens », spirituellement compétents en Conf. 2,
13. Benoît s’en inspire probablement. L’Ancien « spirituel » (senior
spiritalis), c’est le moine parvenu à la « vie pratique » ou
ascétique, et qui tend au faîte de l’échelle de l’humilité. Ce n’est donc pas
aux prêtres du monastère que Benoît pense d’abord (cf. RB 4, 50) ; son bon
sens et son expérience le portent plutôt à inviter le pénitent à « découvrir
à l’Ancien spirituel les mauvaises pensées » de son cœur (cf. aussi RB 7,
44-45).
La direction spirituelle n’est donc pas
pour S. Benoît un monopole abbatial ou clérical. L’humble de cœur, s’il en
reçoit la mission, y est apte.. Il faut pour cela une longue probation.