L’ORDRE AU SEUIL DU TROISIÈME MILLÉNAIRE
 

(Conférences aux Chapitres Généraux, Octobre-Novembre 1999)

 

 

II

 

RENOUVEAU AU SEUIL DU NOUVEAU MILLÉNAIRE

 

          Comme cisterciens nous avons une longue histoire à raconter, et nous voulons penser qu’il y a devant nous une histoire à bâtir. Nous sommes invités à être fidèles à notre passé et créateurs de notre avenir. Sans fidélité créatrice notre demain sera réduit à un simple hier. Et par ailleurs, sans sainteté ni audace, il n’y aura ni fidélité, ni créativité. (Cf.  Vita consecrata 37)

 

          Il y a six ans, au Chapitre Général de 1993 j’ai partagé mes convictions sur la nécessité du renouveau spirituel inculturé. A cette occasion j’ai présenté les causes, le contexte, les lignes inspiratrices, les instruments et les agents de la nouvelle étape de renouveau. En résumé, il s’agissait d’une invitation pressante pour centrer notre vie sur la personne de Jésus, suivre tous ensemble ses pas, vers le Mystère du Père. Le programme était, et est donc christocentrique, évangélique, cénobitique et mystique. Je reviens aujourd’hui sur le même thème en relevant d’autres aspects.

 

1. Urgence inévitable

 

          Au cours des dernières années de renouveau toutes les formes de vie consacrée ont traversé une période délicate et difficile (..) Les difficultés, toutefois, ne doivent pas pousser au découragement. Il faut plutôt s’engager avec un nouvel élan, car l’Eglise a besoin de l’apport spirituel et apostolique d’une vie consacrée renouvelée et renforcée.(...).  Par conséquent le Saint Père désire que se poursuive la réflexion pour permettre l’approfondissement du grand don de la vie consacrée (...) Et que les personnes consacrées, hommes et femmes, en plein accord avec l’Eglise et avec son Magistère, trouvent ainsi une ardeur nouvelle pour faire face spirituellement et apostoliquement aux défis qui se présentent (Vita consecrata 13).

 

          En relation avec ce qui précède, je ne mets aucunement en doute la richesse que le renouveau post-conciliaire a apporté à notre vie monastique, aussi bien au niveau de l’institut que de la vie quotidienne. Mais en même temps je ne peux pas ignorer le prix payé. Je pense à un certain appauvrissement de quelques aspects de notre “culture monastique”. En effet certaines valeurs, comme par exemple la correction fraternelle, et le jeûne ont quasi disparu. Nous éprouvons de la même manière une certaine pénurie au niveau des lois (code pénal), des rites (mandatum), des symboles (ornements, attitudes), des coutumes (prière au début du travail). En même temps, il est vrai qu’il y avait beaucoup de superflu qui faisait perdre de vue l’essentiel. Il est aussi vrai que la créativité nous a manqué au moment des changements: il est plus facile de supprimer que de remplacer. L’appauvrissement de notre culture monastique peut être la cause d’un affaiblissement de l’unité fraternelle et des structures de la vie commune. Le rôle de la culture monastique est essentiel au niveau de la formation; sinon il est quasiment impossible de donner “une forme monastique” à notre existence propre comme moines et moniales.

 

          La sincérité nous fait confesser une autre limite importante dans notre recherche de renouveau. Il s’agit des équivoques non encore dissipées entre: pauvreté et économie, personnalisme et individualisme, travail et activisme, liberté et indépendance, unité et uniformité, pluralisme et individualisme, charité et tolérance, fidélité et coutume, authenticité et spontanéité, incarnation et sécularisme, dialogue et discussion, ascèse et gymnastique, jeûne et diète, oraison et vide, inculturation et folklore, charisme et hobby, autonomie et autosuffisance, transformation et changement, persévérance et survie...

 

          Ces confusions sont certainement  autres que celles que mentionne saint Bernard avec quelque malice dans son Apologie à Guillaume: on y traite l’économie d’avarice, la sobriété d’austérité, et le silence de tristesse, tandis qu’on appelle le relâchement discrétion, la profusion libéralité, la loquacité affabilité, la dissipation et les rires gaieté, la délicatesse des vêtements dignité, le soin excessif du coucher propreté; et c’est faire preuve de charité que d’entrer dans cette voie. Mais cette charité-là   est destructive de toute charité (Apologia 17).  Aussi si la confusion est différente, il reste toujours vrai qu’un désordre dans la  manière de s’exprimer alimente un désordre dans l’esprit.

 

          Il y a encore un autre motif qui nous oblige à nous occuper du renouveau comme d’un processus permanent. Les jeunes moines et moniales n’étaient pas les agents du renouveau d’hier, mais ils sont appelés à l’être pour le renouveau d’aujourd’hui. Eux  aussi ont quelque chose à apporter, parce que l’Esprit créateur qui renouvelle habite aussi en eux. Ce serait faire preuve d’un orgueil absolu que de considérer le renouveau comme une chose déjà conclue qui n’admet aucune nouveauté ultérieure.

 

          Dans la littérature d’aujourd’hui sur la vie religieuse une réflexion toujours plus urgente sur la “re-fondation” des instituts ne fait pas défaut. Le terme peut être ambigu, mais il garde toute sa valeur quand il signifie être fidèle au Seigneur qui parle à travers chaque nouvelle situation historique. Pour quelques instituts le défi est grand et se réduit à l’alternative : la vie ou la mort.  La situation des instituts de vie monastique n’est peut-être pas aussi urgente. Cependant, si nous ne re-évangélisons pas  nos structures et nos formes concrètes de vivre le charisme qui nous anime, nous tomberons dans l’anonymat ecclésial, nous serons “un mauvais évangile” pour l’homme et la femme d’aujourd’hui et nous finirons dans la poubelle de l’histoire.

 

2.Triple sens

          Il me semble maintenant important d’expliquer brièvement le sens du programme de l’expression “renouveau spirituel inculturé”. Nous prenons les trois mots l’un après l’autre, et  nous nous rendrons ensuite compte qu’ils forment une unité inséparable.

 

 Renouveau

          Il est évident que le renouveau est lié à la “nouveauté”. Pas à n’importe quelle nouveauté, mais à celle qui s’oppose au “vétuste” et à la “dernière nouveauté”. L’Apôtre saint Paul nous dit: parce que le Christ est ressuscité d’entre les morts, nous vivons une vie nouvelle (Rom 6,4). Et l’Exordium Parvum défend la nouveauté du Cîteaux primitif avec quelques paroles de saint Paul: se dépouillant  du vieil homme, ils se sont réjouis de revêtir le nouveau (XV,2; Cf Eph 4,22-24; Col 3,9-10). Par conséquent, la nouveauté du renouveau s’oppose à la simple “innovation” et à la nouveauté de la mode. Cette dernière est essentiellement passagère: si elle durait elle ne serait plus de mode, et le fait qu’elle passe et change montre comme elle est folle.

 

          Notre vie nouvelle implique avant tout un retour à la personne de Jésus, et à sa bonne nouvelle de l’Evangile. En plus, pour nous cisterciens, notre “nouveauté” demande un retour à l’origine, car le charisme de la fondation de Cîteaux est toujours source de vie nouvelle et sans cette source il n’y a pas d’originalité possible.

 

          Disons aussi que l’originalité est une réalité  d’une actualité permanente, de la même manière que l’essentiel et le vrai traditionnel sont toujours actuels. On peut juger de l’actualité d’un institut  par sa capacité d’incarner et de manifester des valeurs dans une forme  adaptée à une réalité présente. Pour cela il est important de pouvoir éviter l’”actualisme” de l’accidentel et  l’actualité qui n’a pas d’histoire. Ce pèlerinage vers l’origine demande une capacité de mobilité, de cette mobilité  propre au cercle autour d’un centre immobile, une mobilité opposée à l’installation et à l’immobilité. Le retour à l’origine ne consiste pas tant à re-créer les événements, qu’à faire re-vivre leur inspiration interne.

 

          L’histoire des instituts de vie consacrée nous montre que toute démarche de renouveau est cause de conflits. Il est clair qu’il ne s’agit pas d’antagonismes inutiles causés par des protagonismes vicieux, mais du conflit à cause de la fidélité à Jésus et à son Evangile. On reconnaît l’authenticité du conflit aux fruits ou à la régénération des personnes, des communautés et des structures, une régénération qui part de la personne et arrive à l’organisation en passant par le communautaire.

 

2.2. Spirituel

          Le mot “spirituel”, dans le contexte de renouveau, se rapporte avant tout à l’action du Saint Esprit. En effet, grâce à Lui nous pouvons vivre par l’Esprit et suivre l’Esprit, nous pouvons renouveler l’esprit de notre jugement et revêtir l’homme nouveau. (Gal 5,25; Eph 4,23-24). Par conséquent, spirituel est avant tout l’opposé de “charnel” et pas de corporel ou de temporel. Et il s’agit en plus de la “metanoia”, ou conversion intérieure du coeur.

 

          L’intériorité dont je parle maintenant implique simultanément ceci: la personne humaine en tant que consciente, libre, responsable et sociable; vivre pour aimer et être aimé;  la vie théologale qui réside dans la “grâce” sanctifiante et s’exprime par la foi, l’espérance et la charité. Cette intériorité spirituelle ne peut jamais faire oublier que l’être humain est un être corporel, c’est-à-dire un esprit dans un  corps.


 

          Vivre dans l’Esprit est un don et une tâche, qui impliquent accueil et effort. S’il faut continuer dans le temps, il sera nécessaire que la persévérance couronne la grâce initiale

 

2.3. Inculturé

          La culture est quelque chose de propre à l’être humain:  seul l’être humain  “cultive” sa relation avec Dieu (religion, culte), avec les autres hommes (langue, sociabilité, politique),  avec la création (économie, travail, technique, art). Chaque peuple a sa propre culture, et ainsi on peut parler de cultures (au pluriel). Chacun de nous est en même temps fils et père de la culture dans laquelle il vit. Grâce à notre propre culture nous vivons humainement et, à cause d’elle, nous vivons avec des limites. Chacun vit dans une culture concrète, mais la culture ne nous épuise pas, il y a quelque chose qui, en nous,  transcende la culture  (Cf. Conseil Pontifical pour la Culture, Pour une pastorale de la culture, 1999).

 

          Il est aussi possible de parler de “sous-cultures” en référence à des groupes qui sont différents selon le sexe (culture masculine et culture féminine), la génération (culture d’anciens, culture de jeunes), la vocation (culture monastique, culture militaire), le lieu (culture de la ville, de la campagne), etc.

 

          L’inculturation de notre charisme cistercien est un aspect de l’inculturation de l’Evangile. L’inculturation de l’Evangile est conséquence et prolongation du mystère de l’Incarnation. L’inculturation de notre charisme est le processus de l’Incarnation dans une culture déterminée et l’enrichissement conséquent des deux. Il s’agit d’un processus naturel qui ne peut pas être conduit artificiellement, mais qui peut être orienté.

 

          Notre charisme va au-delà de toutes les cultures, mais il est dans les cultures et part d’elles. C’est dire que le charisme cistercien est transculturel, car il se réfère au spécifique de l’être humain et chrétien, mais il existe seulement dans des formes culturelles déterminées.

 

          Tout processus de renouveau implique une inculturation qui donne lieu à de nouvelles formes. Le Cîteaux de la première heure se déracinait des formes culturelles féodales pour s’inculturer dans des formes culturelles qui naissaient alors. Toute l’histoire cistercienne peut être lue avec la clé des inculturations successives.

 

          L’inculturation présente doit tenir compte de la réalité pluri-culturelle de l’Ordre et on ne peut donc pas donner des prescriptions ou orientations qui soient valides pour tout nouveau lieu ou toute nouvelle situation. Certaines formes monastiques culturelles peuvent être actuelles dans un contexte et caduques dans d’autres. Et nous savons tous qu’il n’est pas facile de vivre l’unanimité dans la pluriformité, mais difficile ne veut pas dire  impossible.

 

          La finalité de l’inculturation dans chaque processus de renouveau est la suivante: exprimer plus pleinement  le charisme et enrichir les cultures; rendre notre vie cistercienne plus viable, crédible et universelle; communiquer plus profondément la vie monastique aux Eglises locales; permettre la création d’autres formes ou d’autres modèles de vie cistercienne.

 

          L’inculturation est un processus qui commence  mais il n’est jamais terminé car les cultures changent et sont interactives. Et variable est aussi  le degré d’”inculturation” (“intériorisation’ de la propre culture) des membres d’une culture déterminée.

 


          Le renouveau et l’inculturation d’un charisme, comme le nôtre, sont un processus sans fin. Chaque génération, à partir de la précédente, est appelée à  faire progresser l’expérience et l’interprétation de ce charisme. Ainsi le charisme croît en profondeur et en expression, ensemble avec le Corps du Christ, incarné dans l’histoire.

 

3. Utopies réalistes

          Il n’y aura jamais un vrai “renouveau” sans une ouverture inconditionnelle à Celui qui nous dit: Vois, je fais l’univers nouveau. Cela signifie, entre autres, que nous devons apprendre à penser ou concevoir notre vie monastique dans sa totalité, ou  les éléments qui la composent, avec de nouvelles catégories ou nouveaux cadres de pensées. Sans un minimum de liberté intellectuelle et effective on ne pourra jamais créer l’inexistant de l’existant.

 

          J’ai déjà expliqué ailleurs le sens du terme “utopique”. Dans sa Lettre Apostolique Octogesimo adveniens, le Pape Paul VI nous parle de l’utopie en ces termes: cette forme de critique de la société existante provoque souvent l’imagination prospective, à la fois pour percevoir dans le présent le possible ignoré qui s’y trouve inscrit et pour orienter vers un avenir neuf; elle soutient aussi la dynamique sociale par la confiance qu’elle donne aux forces inventives de l’esprit et du coeur humains; et si elle ne refuse aucune ouverture, elle peut aussi rencontrer l’appel chrétien (37).

 

           Par conséquent, je ne considère pas l’utopique comme synonyme de l’irréalisable. L’utopique n’est pas quelque chose d’irréalisable mais de prématuré. Mais dans l’ordre des réalités humaines: qu’est-ce que qui est vraiment irréalisable? Qu’est-ce qu’une “utopie”? (entre guillemets pour indiquer le sens de irréel) et qu’est-ce qu’une possibilité réelle? Beaucoup de réalités qui étaient considérées comme irréalisables (ou “utopiques”), comme par exemple l’abolition de l’esclavage, ou  l’extermination de la faim dans le monde, étaient ou sont considérées comme irréalisables simplement parce qu’on ne les voulait pas ou parce qu’on ne les veut pas. Et c’est vrai aussi au niveau de notre Ordre: les Conférences Régionales mixtes, le droit de vote des Abbesses pour l’élection de l’Abbé Général et son Conseil... étaient considérés comme irréalisables, mais ...

 

          Dans l’ordre de la grâce divine, de la vie nouvelle dans le Christ, où se trouvent les limites du possible et de l’irréalisable? Même les Apôtres pensaient que le mariage monogame et indissoluble  était impossible (Mt 19,3-12). Mais la Mère de Jésus savait très bien que rien n’est impossible à Dieu (Lc 1,37;18,27). Il n’y a rien de plus utopique que l’Evangile: il suffit de lire le Sermon sur la Montagne et le Notre Père! Du vin nouveau dans des outres neuves! (Mt 9,17). Ainsi l’ont compris la communauté chrétienne primitive de Jérusalem et les fondateurs du Nouveau Monastère.

 

          Il est impossible qu’un monde utopique (qui n’existe pas encore) remplace le monde actuel (qui existe) sans une liberté mentale et effective par rapport à ce dernier. Cette attitude signifie vaincre l’acceptation passive du monde actuel et en même temps éviter une condamnation globale de tout ce qui existe. Le non-conformiste radical est aussi imprudent que le conformiste qui accepte le système sans critique. Il n’est pas toujours facile de trouver la place exacte entre passivité et refus, intimité et distance, identification et séparation.

 

          La tradition vivante est la source même du progrès constant et un avenir ouvert est la condition nécessaire pour sauver la tradition qui progresse. Le traditionalisme, au contraire, est crispé par la matière de la tradition, comme le progressisme est une mise en avant de nouveautés sans continuité, ni racines ni cohérence.

 

          La tradition et le progrès doivent apprendre à se donner la main sans devenir des “...ismes”: traditionalisme, progressisme.. Et le pire arrive quand ces “ismes” deviennent des idéologies, c’est-à-dire un système de pensée cohérent, clarifiant et effectif, qui donne une évidence et une motivation pour tout résoudre. L’idéologie, qui simplifie la réalité, souvent la remplace, et modifie les personnes selon des schémas pré-établis. L’idéologie peut devenir un corset mental qui durcit, courbe et dresse afin de justifier l’injustifiable.

 

          Pour l’idéologie progressiste le passé est le mal et l’avenir est le bien; l’inverse, pour l’idéologie traditionaliste. L’histoire cistercienne abonde en exemples de tensions entre progressistes et traditionalistes. Et il n’a pas manqué non plus, mais c’est plus subtil , le démon de l’idéologisme, c’est-à-dire de la conversion de la spiritualité en idéologie.

 

          L’étape actuelle de renouveau nous demande de libérer la créativité de nos pensées et de notre praxis utopique. Ce sera peut-être le chemin le plus approprié pour donner une réponse à quelques défis que nous devons affronter. Je pense concrètement à la Famille Cistercienne et à la révision des structures de l’économie et du travail pour les adapter à la réalité locale. Si c’est possible,  il faudra aussi un peu d’utopie pour trouver un sens renouvelé et de nouvelles réalisations pour quelques valeurs monastiques, comme le silence, la séparation du monde, la pauvreté évangélique et le jeûne.

 

4.Présence significative

          Je voudrais parler enfin d’une autre réalité qui, d’une certaine manière, englobe tout ce qui précède. Il s’agit du témoignage évangélique et attractif que nous devons donner par notre simple présence. Notre vie monastique doit être un signe élevé du Règne dans les conditions changeantes des temps (Perfectae Caritatis 1,2): la “signification” est une exigence de notre propre identité.

 

          Notre identité et sa vitalité se montrent par une présence signifiante: la présence est la manifestation visible de notre identité. Notre charisme monastique exerce une attraction précisément à cause de sa forme particulière de présence. Sociologiquement parlant, nous existons, puisque nous sommes présents et que nous sommes vus.

 

          Notre présence comprend beaucoup de réalités différentes. En elle s’unifient tous les aspects fondamentaux de notre vie. Les réalités les plus marquantes de notre présence sont:

 

- Chacun de nous, moines et moniales de l’Ordre: le dévouement de notre vie, notre persévérance, notre goût de l’absolu, notre radicalité quotidienne, notre joie, ... ou au contraire, notre médiocrité, notre découragement, notre jalousie, notre égoïsme...

 

- Chacune de nos communautés: le type de relations entre les membres, la capacité d’accueil, le partage et la communion, l’insertion dans le milieu local, le témoignage de prière...

 

- Le type de travail et la participation à l’économie: exploitation agricole, élevage,  différents types d’industrie, magasins pour vendre nos propres produits ou d’autres, ouvriers du monastère..

 

- Bâtiments et propriétés: situation, type de construction, dimension des terres...

 

- Autres signes visibles qui renvoient à d’autres réalités: cléricalisme, médiévalisme, mystère, accueil, séparation...

 


          Nos différentes formes de présence manifestent donc notre identité et notre charisme à un plus ou moins grand degré. Dans ce contexte il faut tenir compte du fait que la culture sécularisée de certaines régions du monde est peu incline à reconnaître des signes de valeurs transcendantes. Nous pouvons nous demander cependant si notre présence est:

 

- Productive: nous sommes présents par ce que nous faisons ou fabriquons (fromage, bière, chocolat..)

 

- Promotrice: présents parce que beaucoup d’autres dépendent de nous ou sont à notre service (aide à des personnes dans le besoin, embauches d’ouvriers, privilèges de divers monopoles...)

 

- Provocante: notre simple vie suscite des questions, fait réfléchir (qu’est-ce qu’ils cherchent, ils sont comme les autres, mais il y a quelque chose de plus... )

 

- Contradictoire: les signes parlent une langue incompréhensible ou contradictoire (riches et pauvres en même temps, déguisés ou habillés selon une mode passagère...)

 

- Prophétique: le Seigneur emploie notre présence pour parler aux croyants et aux non-croyants (Le Règne des cieux est déjà parmi vous)

 

- Mystique: l’offrande de la propre vie et la primauté du dialogue personnel et communautaire avec Dieu sont évidents pour tous (Le mystère est révélé aux simples et purs de coeur...)

 

          Il est clair que notre présence communiquera plus d’un message et aura plus d’un sens. Je pense qu’il est urgent, en ce moment (l’époque des communications sociales), d’évaluer la visibilité  de notre charisme et de notre identité, car notre témoignage en dépend. Cela impliquera au moins:

 

- Discerner tout ce qui rend notre témoignage de vie obscur et ambigu.

 

- Rendre les distances plus grandes ou plus petites pour éviter la confusion ou l’étrangeté.

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- Etre attentif aux signes des temps et savoir dessiner d’autres signes dans le temps.

 

- Apprendre l’art difficile de la communication publique et sociale.

 

          Nos monastères se trouvent dans 44 pays différents. Les circonstances culturelles, religieuses, politiques, sociales et économiques sont très variées. Malgré tout il y a des demandes et des besoins communs. La réalité contemporaine nous invite à confronter notre présence et notre témoignage en relation avec:

 

- Les pauvres et la pauvreté sous toutes ses formes.

- Les jeunes qui désirent être les acteurs d’aujourd’hui et le seront sans doute demain.

- La soif de spiritualité de la part des hommes et des femmes d’aujourd’hui.

- Le désir de communion dans un monde déchiré par tant de divisions.

 

          Je ne crois pas me tromper quand je dis que la qualité de notre présence comme signe et témoignage dépend finalement d’une seule réalité: l’expérience profonde d’une spiritualité intégrale et riche en valeurs humaines et divines. C’est seulement ainsi que nous pourrons rendre visibles les merveilles opérées par Dieu dans la fragile humanité des personnes qu’il appelle ( Vita consecrata 20)

 

          Notre simple présence doit rendre visible notre charisme monastique et ce qui le distingue. Cette présence doit susciter dans notre entourage le désir de partager la vie que nous laissons transparaître. Il n’y pas de meilleur programme d’animation pour les vocations que le témoignage d’une présence significative.

 

          Il est vrai que toute présence a quelque chose d’ambigu, quelque chose d’inexprimable. Il est vrai aussi qu’il y a des signes qu’on peut lire seulement par la foi et en acceptant le mystère. Néanmoins il est urgent maintenant de nous demander si notre lumière brille devant les hommes afin qu’ils voient nos bonnes oeuvres et glorifient notre Père qui est dans les cieux (Mt 5,16)

 

5.  Condition fondamentale

          Le renouveau demande un effort, et de plus il est cause de conflit, de sorte qu’y persévèrent seulement ceux qui ont une bonne dose d’humour. En effet, quand on prend la vie avec humour, Dieu nous libère du tragique, et quand on sait distinguer entre un peu de poussière  et une montagne,  on évite beaucoup de soucis. Plus concrètement: réfléchir avant d’agir et rire avant de réfléchir fait éviter beaucoup de bêtises.

 

          Le sens de l’humour - expression de la joie cistercienne - permet dans le contexte du renouveau de ne pas rendre absolu ce qui est relatif, et de rendre relatif l’absolu en référence à l’unique Absolu. Ce don divin qui rend les hommes si plaisants, est :

 

- Quelque chose de plus sérieux que le comique, et l’humble le comprend mieux que le blagueur ou que celui qui est drôle.

 

- Un vaccin ou un antidote contre l’orgueil et la mégalomanie.

 

- La capacité de vibrer avec le sérieux du fou et avec la folie du sérieux.

 

- La source qui détend et rafraîchit quand nous sommes tendus et bouillants.

 

- Simplicité de l’enfant avec l’expérience de l’ancien.

 

          Un grand réformateur et rénovateur médiéval, saint Bernard de Clairvaux, nous rappelle  une vérité importante qu’on ne peut oublier: La charité est rire, car elle est joie (Sermones Varii 93; Lettres 87,12). L’Ecriture, pour  sa part, nous enseigne à invoquer Dieu en disant: Seigneur fais luire  ta face sur ton serviteur (souris-moi) (Ps 31,17; 119,35). Et elle nous conseille: Qui regarde vers le Seigneur resplendira et sur son visage point de honte (Ps 34,6)

 

          La tâche inévitable d’un nouveau pas de renouveau nous conduit à demander l’intercession  de cette Femme qui recevait dans la bonne terre la semence du bon humour de Dieu et a produit des fruits à cent pour un:

 

          O Mère, qui veux le renouveau spirituel et apostolique de tes fils et de tes filles, par une réponse d’amour et d’offrande totale au Christ, nous t’adressons notre prière avec confiance, Toi qui as fait la volonté du Père, empressée dans l’obéissance, courageuse dans la pauvreté, accueillante dans ta féconde virginité, obtiens de ton divin Fils que ceux qui ont reçu le don de le suivre dans la vie consacrée sachent lui rendre témoignage par une existence transfigurée, en avançant joyeusement, avec tous leurs autres frères et soeurs, vers la patrie céleste et la lumière sans crépuscule.

                   Nous te le demandons, pour que, en tous et en tout, soit glorifié, béni et aimé le Seigneur suprême de toutes choses, qui est Père, Fils et Esprit Saint (Vita consecrata 112).

 

 

D. Bernardo Olivera

Abbé Général