10 décembre 2007 – Lundi de la deuxième semaine de l’Avent

Isaïe 35, 1-10 ; Luc 5, 17-26

Abbaye de La Clarté-Dieu, Rép. Dém. du Congo

 

Homélie

            Durant la plus grande partie de l’Année liturgique, nous avons une lecture à peu près suivie d’un des trois évangiles synoptiques, et la première lecture est choisie en fonction de cet Évangile.  Or, durant durant le Temps de l’Avent (au moins la majeure partie) le lectionnaire nous fait parcourir rapidement le Livre d’Isaïe, choisissant au passage les plus belles prophéties messianiques ; et les évangiles de chaque jour sont choisis pour s’harmoniser avec cette lecture d’Isaïe.

            Nous avons aujourd’hui l’une de ces belles prophéties d’Isaïe annonçant un Messie qui soulagera les malades et les miséreux : « Rendez fortes les mains fatiguées, rendez fermes les genoux chancelants... alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie... ». Pour exprimer comment cette prophétie a été réalisée en Jésus, nous avons le récit de la guérison du paralytique, dans la version de Luc.

On amène à Jésus un paralysé, quelqu’un qui, selon l’interprétation des docteurs de la loi et des scribes, est considéré comme un pécheur et est donc impur. Il est exclu de « la maison ».  La porte lui est fermée par la foule des « gens bien » qui constituent le « peuple ».  Il ne peut entrer ni par la porte ni par la fenêtre.  Qu’à cela ne tienne.  Les personnes qui l’ont amené, et qui n’ont donc pas craint de se rendre « impures » elles-mêmes en le transportant, le déposent devant Jésus en le faisant passer par un trou du toit.

            Et puisque, aux yeux du judaïsme officiel, ce paralysé est nécessairement un pécheur, Jésus lui dit simplement « Tes péchés te sont remis » ; et, répondant aux réactions scandalisées des scribes, il ajoute que cela est aussi simple que de dire « prends ton brancard et marche».  Après cette guérison et cette libération, Jésus ne l’invite pas à le suivre, à devenir un de ses disciples.  Il lui dit simplement « rentre chez-toi » ou mieux, littéralement, rentre « dans ta maison ». (N’oublions pas que ce miracle se produit aux confins d’Israël, dans la région de Capharnaüm, dans la « Galilée des Nations ».

            J’attire votre attention sur deux mots de ce récit évangélique.  Au début il est dit que les Scribes et les Pharisiens, venus de tous les villages de Galilée ainsi que de la Judé et Jérusalem, sont là assis, raisonnant dans leur coeur.  et à la fin nous voyons le paralytique, guéri, se tenant debout devant eux.  Ces Scribes, bien assis, représentent la partie bien installée de la Maison d’Israël, fermée au Prophète qui se manifeste en son sein, tout comme elle est fermée à tout ce qui est extérieur au peuple d’Israël.           

            Le paralytique guéri représente tous les pécheurs et aussi tous les payens que Jésus, après les avoir paardonnés, n’incorpore pas à la maison d’Israël, mais les renvoie chez-eux, dans « leur maison ».  Alors que les Scribes restent bien assis dans leur conviction arrogante d’être les bons, les sauvés, jugeant et excluant tous les autres, ce paralytique se tient debout dans toute la dignité humble du pécheur qui se reconnaît « pécheur pardonné » ou « malade guéri ».

            Nous avons tous, constamment, la tentation de nous tenir bien assis, jugeant facilement les autres.  Cet Évangile nous invite à nous tenir debout, devant Dieu et devant les hommes, avec à la fois la dignité et l’humilité de la personne qui se sait à la fois pécheur et pardonné, malade et guéri par Dieu.

 

Armand Veilleux


11 décembre 2007 – Mardi de la 2ème semaine de l’Avent

Isaïe 40, 1-11 ; Matt. 18, 12-14.

 

Homélie

 

            La première lecture d’aujourd’hui, tirée comme les jours précédents du Livre d’Isaïe est le début de la deuxième partie de ce Livre, ou de ce qui est appelé le Deuxième Isaïe, et donc aussi le début de ce qui est connu sous le beau nom du Livre de la Consolation d’Israël. C’est en même temps le récit de la vocation du prophète. 

            C’est un des plus beaux textes poétiques de l’Ancien Testament.   C’est un texte rempli de tendresse et de joie annonçant la fin de l’exil.  Les versets « Une voix crie : ‘Préparez dans le désert une route pour Yahvé’ . Tracez droit dans la steppe un chemin pour notre Dieu.  Que toute vallée soit comblée, toute montagne et toute colline abaissée » seront cités par Jean-Baptiste. C`est d’ailleurs pourquoi celui-ci sera comparé au second Isaïe.

            À la fin de beau texte, Yahvé est comparé à un berger paissant son troupeau, recueillant dans ses bras ses agneaux, les serrant sur sa poitrine et les conduisant au repos.  Il n’est donc pas surprenant qu’on ait choisi comme Évangile le passage de l’Évangile de Matthieu sur la brebis égarée que le bon pasteur va chercher, laissant dans la montagne les quatre-vingt-dix-neuf autres.  Et la conclusion est que ce berger tire plus de joie de cette brebis retrouvée que de toutes les autres. 

            En Luc, cette parabole fait partie d’un groupe de trois, qui ont toutes le même thème : celui de la joie – joie de la femme qui retrouve sa pièce de monnaie perdue, joie du pasteur ayant retrouvé sa brebis perdue et joie de père retrouvant son fils. La conclusion de ces trois paraboles était : « Il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence.

            Ici, en Matthieu, la conclusion est différente.  Ce texte faisant suite à la mise en garde contre le scandale des petits, on comprend mieux que le récit se termine ici par la phrase : « Votre Père qui est aux cieux ne veut pas qu’un seul de ces « petits » se perde.

            Demandons à Dieu la grâce de savoir nous réjouir du salut et de toutes les grâces de nos frères et de nos sœurs, et aussi celle de ne jamais scandaliser les petits de son royaume.

 

Armand Veilleux

 

 


12 décembre 2007 – Mercredi de la 2ème semaine de l’Avent

Isaïe 40, 25-31 ; Matt 11, 28-30

Abbaye de la Clarté-Dieu, Rép. Dém. du Congo

 

H O M É L I E

 

L'Évangile que nous venons de lire comprend quelques points de contact avec le Magnificat de la Vierge Marie, qui sont très intéressants et extrêmement révélateurs.

 

Jésus invite chacun à prendre son joug sur ses épaules et à devenir son disciple car, dit-il, "Je suis doux et humble de coeur".

 

Les petits, les humbles, ont une place toute spéciale dans l'Évangile.  Le Père a pour eux un amour préférentiel.  Marie est l'une d'entre eux, et elle le proclame au début du Magnificat:  "Mon âme exalte le Seigneur... car il s'est penché sur la petitesse de sa servante."  Le mot grec utilisé ici (tapeinôsin) est traduit différemment dans les diverses traductions de la Bible: humilité, petitesse, humble condition.  Or, c'est l'adjectif correspondant que Jésus utilise dans l'Évangile d'aujourd'hui lorsqu'il dit qu'il est doux et "humble" (tapeinos) de coeur.  Et c'est encore le même mot que Marie utilise plus loin dans son Magnificat, lorsqu'elle dit que le Seigneur a renversé les puissants de leurs trônes et exalté les "petits", les humbles (tapeinous).

 

Lorsque Jésus rend gloire à son Père pour avoir révélé aux petits les choses cachées aux sages, les petits dont il parle sont ses disciples.  Et ils n'étaient pas de naïfs enfants.  Ils étaient des homme adultes qui connaissaient les façons de faire du monde:  Matthieu, le collecteur d'impôts, savait faire de l'argent;  Jude, le Zélote, connaissait l'art de la guérilla;  Pierre, Jacques et Jean étaient des pêcheurs qui savaient guider leur barque sur le lac et jeter le filet.  Ils avaient tout abandonné pour devenir des disciples de Jésus.  Lorsque celui-ci les invite -- et nous invite -- à la simplicité du coeur, il ne nous invite pas à une attitude enfantine ou à un type enfantin de spiritualité.  Il nous invite à une forme très exigeante de pauvreté du coeur.  Il nous invite à le suivre comme disciples et donc à abandonner toutes nos sources de sécurité, et spécialement notre soif de pouvoir, de la même façon que ses disciples avaient tout abandonné pour le suivre.

 

La grande caractéristique de l'enfant est son impuissance.  L'enfant peut être, à sa façon, aussi intelligent, aimant, etc. qu'un adulte.  Mais parce qu'il n'a pas encore accumulé de connaissances, de possessions matérielles et de relations sociales, il est dépourvu de pouvoir.  Dès que nous devenons adultes, nous voulons exercer pouvoir et contrôle: sur nos propres vies, sur les autres personnes, sur les choses matérielles, et parfois même sur Dieu.  C'est à cela que Jésus nous demande de renoncer lorsqu'il nous demande d'être comme de petits enfants.

 

Un exercice utile de connaissance de soi pourrait être d'examiner les diverses formes  sous lesquelles s'exprime, dans les divers aspects de notre vie, notre soif de pouvoir, et comment nous défendons ce pouvoir.  Contemplons alors notre Seigneur qui est venu non pas comme un roi puissant sur son trône, mais comme un prophète humble et sans pouvoir, sur un âne.

 

Regardons aussi la petitesse de sa très sainte servante, sa mère, et avec elle, chantons avec une joie et un espoir renouvelés:  "Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles".  Et puissions-nous, un jour, chanter tous ensemble durant les siècles des siècles:  "Béni soit le Dieu d'Israël, car il a regardé la petitesse de ses serviteurs."

 


 

13 décembre 2007 – Jeudi de la deuxième semaine de l’Avent

Isaïe 41, 13-20 ; Matt. 11, 11-15

Abbaye de La Clarté-Dieu, Rép. Dém. du Congo

 

Homélie

 

            Jean-Baptiste, de sa prison, avait envoyé ses disciples à Jésus pour lui demander s’il était celui qui devait venir ou s’il fallait en attendre au autre.  Jésus avait répondu en disant : « allez raconter à Jean ce que vous avez vu – les boiteux marchent, les sources entendent, etc. », se référant explicitement à plusieurs des prophéties d’Isaïe que nous avons entendu à la première lecture de la Messe ces derniers jours.

 

            Une fois les disciples de gens partis, Jésus avait alors dit à la foule : « Qu’êtes-vous allez voir au désert ?... un roseau secoué par le vent ? un homme en habit délicats ? Non, mais un prophète et plus qu’un prophète ».  Et c’est alors qu’il ajouta les paroles de l’Évangile d’aujourd’hui : « Parmi les hommes (littéralement : parmi les enfants de la femme) il n’en a pas existé de plus grand que lui ».  Et faisant allusion à une prophétie de Malachie, à laquelle il fera allusion de nouveau un peu plus tard, il leur avait dit que Jean était cet Élie qui devait revenir avant la venue du Messie. 

 

            Dans cette dernière déclaration de Jésus, il y a une incise assez mystérieuse. « Depuis le temps de Jean Baptiste jusqu’à présent, le Royaume des cieux subit la violence, et des violents cherchent à s’en emparer. » Je viens de citer cette phrase dans la version de notre lectionnaire liturgique qui n’est pas une véritable traduction mais bien une interprétation.  Le texte original dit : « Le royaume des cieux souffre violence et les violents s’en emparent ». Ce texte mystérieux a connu plusieurs interprétation aussi bien à l’époque patristique que chez les exégètes modernes.  La traduction de notre lectionnaire est une de ces interprétations.  Une autre verrait dans le texte une affirmation de la puissance du royaume vainquant toutes les oppositions et les persécutions.  Mais il y a aussi une troisième interprétation – celle que je préfère – selon laquelle la violence dont il est question ici est la violence que l’on doit se faire à soi-même, à travers la conversion, pour atteindre le royaume des cieux. 

 

            Quoi qu’il en soit de ces interprétations, efforçons-nous de nous faire violence à nous-mêmes, à travers une saine pénitence et un authentique effort de conversion, en ce saint temps de l’Avent, pour nous préparer à la joie de la Nativité.

 

Armand Veilleux


15 décembre 2007 - samedi de la 2ème semaine de l’Avent

Si 48,1-4.9-11 ; Mt 17, 10-13

Monastère de Kibungo, Rwanda

 

H o m é l i e

 

            Depuis le début de l’Avent, la première lecture à la Messe était tirée du livre d’Isaïe. Nous avons ainsi parcouru rapidement, à travers des textes bien choisis à saveur messianique, tout ce beau Livre et spécialement, au cours de la dernière semaine, la seconde partie du Livre appelée « Le Livre de la Consolation d’Israël ».

 

            À partir d’aujourd’hui, la première lecture nous fera entendre, l’un après l’autre, divers autres prophètes ou sages d’Israël.  Aujourd’hui ce sera Ben Sirac le Sage, dans un texte qui parle du prophète Élie et qui, comme l’avait fait aussi le prophète Malachie, annonce le retour d’Élie à la fin des temps. Vous vous souviendrez que dans l’Évangile d’avant-hier (jeudi) Jésus, dans son témoignage sur Jean-Baptiste, disait que « le prophète qui doit venir, c’est lui ».

 

            On retrouve cette affirmation de Jésus deux fois dans l’Évangile de Matthieu, et nous avons justement la deuxième dans l’Évangile d’aujourd’hui. La première affirmation de Jésus avait été faite aux disciples de Jean qui étaient venu lui demander : « es-tu bien celui qui dois venir ? ».  Aujourd’hui, Jésus répond à une question explicite de ses propres disciples qui lui demandent pourquoi les scribes disent qu’élie doit d’abord venir avant que n’apparaisse le Messie.  Les scribes s’appuyaient évidemment sur la prophétie de Malachie.  C’est alors que Jésus leur répond qu’Elie est effectivement revenu, mais en la personne de Jean.

 

            L’importance que donne la liturgie à la figure de Jean-Baptiste dont nous parlait l’Évangile de dimanche dernier et dont nous parlera encore celui de demain, repose sur le fait que sa mission a été de préparer ultimement le peuple à recevoir le Messie.  Son message en fut un de conversion.

 

            Ce message nous est aussi adressé.  Alors que nous nous préparons à célébrer l’Incarnation du Fils de Dieu, nous devons préparer nos cœurs à cette célébration.  Mais ce que nous célébrons à Noël n’est pas simplement le fait que Dieu est venu une fois, il y a deux mille ans, mais aussi le fait qu’il vient sans cesse dans nos vies.  Et c’est pourquoi notre vœu monastique de « conversion » est un engagement à nous convertir sans cesse afin de nous préparer sans cesse à cette venue de Dieu dans notre vie. 

 

            Il n’est pas celui qui est venu, ou qui viendra.  Il est celui qui vient.

 

 

Armand Veilleux