13 octobre 2007
Dédicace de l'église de l'abbaye N.-D. de la Paix à Chimay
800ème anniversaire de la fondation de Gomerfontaine


H O M É L I E

 

Chère Soeurs,

Notre célébration liturgique d'aujourd'hui est celle de l'anniversaire de la consécration de cette église de Chimay le 13 octobre 1925. Mais c'est aussi et d'abord la célébration d'une communauté qui a une existence beaucoup plus longue.

Je relisais il y a quelque temps les six sermons de saint Bernard pour la fête de la dédicace de l'église de Clairvaux. Même si ces sermons sont différents les uns des autres, reflétant chacun un moment différent de la vie de Bernard et de sa communauté, ils ont un thème commun.

Ce thème commun, qui revient tout au long de ces six sermons est que ce que l'on célèbre lors de l'anniversaire de la dédicace d'une église ce ne sont pas les pierres qui constituent l'édifice matériel mais c'est essentiellement la communauté qui y célèbre la liturgie tous les jours. Il le dit tout carrément : " Dieu n'a cure des pierres ! En effet ce ne sont pas les murs mais les hommes qui disent : il prend soin de nous. " (VI, 1a)

Dès le début du premier sermon Bernard dit à ses frères ces paroles (qui nous sont aussi adressées aujourd'hui) : " Cette fête est vôtre, tout à fait vôtre. Vous êtes consacrés à Dieu qui vous a choisis et vous a fait siens... Lorsque l'évêque a consacré cette maison, il l'a fait à cause de nous : non seulement ceux qui étaient alors présents, mais tous ceux qui serviront le Seigneur en ce lieu durant les siècles à venir "

Sous-jacente à cette vision, il y a évidemment la conception proprement chrétienne de l'église comme étant d'abord la maison du peuple de Dieu, de la communauté chrétienne et qui devient maison de Dieu parce que Dieu vient habiter au milieu de son peuple.

Il y a en effet une distinction essentielle entre une église chrétienne et le temple d'une des grandes traditions religieuses, par exemple celles de l'hindouisme ou du bouddhisme. Dans ces traditions, le temple est essentiellement la résidence soit d'un dieu soit de bouddha. La statue ou les très nombreuses statues de la divinité ou du bouddha occupent la place centrale ou même presque toute la place. Des individus peuvent circuler mais il y a très peu de place pour le peuple. Il en était de même pour le Temple de Jérusalem qui était conçu comme la maison de Dieu, avec en son cœur le saint et le saint des saints.

Une église chrétienne est tout autre chose. C'est d'abord le lieu où se réunit une communauté chrétienne pour exprimer sa communion dans la foi, l'espérance et la charité, à travers la prière et la célébration des sacrements, en particulier celle de l'Eucharistie. Elle est évidemment aussi la maison de Dieu. Comment ? Tout simplement parce que Jésus a promis que là où deux ou trois serait réunis en son nom il serait au milieu d'eux.

Cette vision est également sous-jacente à la pensée de saint Benoît dans son beau chapitre 52 sur l'oratoire du monastère. Pour lui, l'oratoire est essentiellement le lieu de la prière commune. Ce qui fait que dès qu'on y entre on est psychologiquement dans l'attente de la communauté. Lorsque la célébration de l'office est terminée, tous sortent "dans le plus profond silence". Ce silence n'a pas simplement pour but, comme on pourrait facilement le penser, de permettre à ceux qui veulent rester à l'oratoire, de ne pas être dérangés. Ce silence est lui-même prière. Les frères se sont réunis à l'oratoire pour mettre en commun leur prière et ils en ressortent plus enracinés dans la prière continuelle qu'ils doivent poursuivre à travers toutes les occupations de la journée. Ce silence est la prière qu'ils portent avec eux en retournant à leurs occupations.

La communauté constituée par les pierres vivantes qui vivent en ces murs et prient en cette église a une longue histoire et a passé par plusieurs phases. Cette communauté existe depuis huit siècle, fondée à Gomerfontaine en 1207 par Hugues de Chaumont et son épouse, et placée sous la dépendance des moines de Lieu-Dieu. Au moment de la Révolution française, la communauté qui comptait une vingtaine de moniales fut supprimée 1792. Mais une des survivantes de Gomerfontaine réunit quelques soeurs et rétablit la communauté en 1802, peu après la signature du concordat, d'abord à Nesle, puis à S. Paul aux Bois. De nouveau expulsée, la communauté se réfugia à Fourbechie avant d'arriver en 1919, ici à Chimay d'où repartirent presqu'une cinquantaine de soeurs en 1937 pour fonder Berkel

Donc, même si l'occasion de la fête liturgique d'aujourd'hui est la consécration de cette église de pierres, ici à Chimay, en 1925, la réalité spirituelle que nous célébrons aujourd'hui c'est la présence continue de Dieu dans cette communauté depuis 800 ans, à travers toutes ses vicissitudes. Cette communauté fut toujours présence de Dieu - la même présence de Dieu aussi bien lorsqu'elle fut réduite à une seule personne entreprenant de reconstituer, en 1802, la communauté dispersée dix ans plus tôt qu'au moment où elle était redevenue assez nombreuse pour envoyer une cinquantaine de fondatrices en Hollande. La même présence de Dieu se retrouve dans la toute petite communauté qui continue aujourd'hui en ces lieux une tradition cistercienne de 800 ans. L'avenir est entre les mains de Dieu qui sait faire des merveilles que nous ne saurions imaginer.

C'est de cette présence divine en cette communauté que nous rendons grâce dans cette célébration.


Armand Veilleux

 


 

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