23 mai 1999 - Pentecôte
Actes 2,1-11; 1 Cor 12,3...13; Jean 20,19-23

 

H O M É L I E

pentecost.jpg (32725 bytes)L'Évangile de Jean nous décrit la naissance de la communauté ecclésiale comme une nouvelle création, utilisant la typologie du livre de la Genèse.

Au début de la Genèse, après avoir créé le ciel et la terre, puis les plantes et les animaux, Dieu façonna l'homme de l'argile et insuffla dans ses narines son propre souffle de vie. Dans l'Évangile d'aujourd'hui, au soir même de Pâque, nous voyons les disciples réunis dans la chambre haute, enveloppés de la peur et de la confusion qui rappellent le chaos de la première création. Jésus se manifeste à eux et, en soufflant sur eux, il leur insuffle son Esprit, comme l'avait fait Dieu au matin de la Genèse. Il les transforme ainsi en communauté ecclésiale. C'est la naissance de l'Église telle que vue par les yeux mystiques de Jean.

Ce don de l'Esprit ne peut être séparé de la Passion, ni de l'eau et du sang sortis du côté transpercé de Jésus. L'Église naît de l'eau et de l'Esprit. Jésus, apparaissant à ses disciples, leur montre son côté transpercé, avant de souffler sur eux. Jean voit en Jésus ressuscité le nouvel Adam faisant toutes choses nouvelles et, se référant au récit mythique de la Genèse, il voit aussi l'Église comme la nouvelle Ève, sortant du côté transpercé de Jésus.

Lors de la première création, les hommes n'avaient pas tardé à se laisser prendre par les désirs de grandeur, l'ambition et l'orgueil. Cela avait culminé dans l'érection de la tour de Babel, symbole d'un projet commun qui ne pouvait conduire qu'à la division et à l'incompréhension puisqu'il était conçu comme une recherche de grandeur et de pouvoir.

À cette tour de Babel s'oppose, en Jean, la chambre haute où les disciples sont réunis; et, dans le récit des Actes des Apôtres, nous voyons se produire l'inverse de ce qui s'était produit à Babel. Avec le don de l'Esprit commence le long processus de "débabélisation" de l'humanité.

Le récit de Babel, au livre de la Genèse, était la réaction de l'auteur sacré contre le premier phénomène d'urbanisation dans l'histoire. L'unité de langue et de culture, l'union de tous dans un projet commun qui a pour but de conquérir le ciel, est vu par l'auteur comme une négation de la différence et comme un début d'oppression. Jésus tout au long de son ministère a affirmé au contraire le droit à la différence et la nécessité d'accepter et d'aimer chacun dans son caractère unique. À la Pentecôte, ce qui se passe est précisément l'inverse de Babel. Les Apôtres ne reçoivent pas le don d'une langue universelle que tous devront ensuite apprendre. Le don de l'Esprit leur permet de parler les langues de tous, et chacun les entend dans sa propre langue.

De nos jours, Babel est le symbole d'une forme de mondialisation qui, malgré les beaux discours sur le respect des cultures, impose au niveau mondial -- manu militari si nécessaire -- un système économique unique qui implique inéluctablement le nivellement des cultures fortes et la disparition à plus ou moins brèves échéances de toutes les autres. À Babel en effet tous parlaient la même langue et étaient réunis dans un même projet -- un projet qui portait en lui-même la source de leurs discordes et de leurs divisions. La Pentecôte est au contraire le symbole d'un idéal de rencontre de toutes les cultures et de toutes les religions, dans le respect mutuel des différences dont la grande diversité constitue la richesse même du monde créé représentant ainsi diverses facettes de la beauté de Dieu.

L'Agneau de l'Apocalypse (21,5) siégeant sur le trône de la Jérusalem céleste dira: "Voici que je fais toute chose nouvelle". Entre Babylone et cette Jérusalem eschatologique, il y a la chambre haute où Jésus, en insufflant son Esprit dans ses disciples leur dit: "Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus" (Jean 19,23). Le chemin vers la reconquête définitive de l'unité perdue est celui du pardon mutuel. Quel risque terrible Dieu n'a-t-il pas pris en donnant aux hommes le pouvoir de retenir le pardon!