25 décembre 1998 – Messe de Minuit
Abbaye de Scourmont
H O M É L I E

" La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes " écrit Paul à Tite au début de la deuxième lecture de cette célébration eucharistique.

Que signifie le mot " grâce " ? – Lorsque nous lisons ce mot dans la Bible, ou dans nos livres de spiritualité, nous l’entendons spontanément dans son sens de " don " reçu de Dieu – qu’il s’agisse d’un don transitoire pour nous aider à faire quelque chose, ou d’une qualité permanente, comme lorsque nous parlons d’ " état de grâce ". Et nous considérons souvent cet " état de grâce " d’une façon négative, comme l’absence de péché mortel.

Lorsque saint Luc – aussi bien dans son Évangile que dans les Actes des Apôtres -- , ou encore saint Paul dans ses Lettres, utilisent la parole " grâce " (charis en grec), quelle signification ce mot a-t-il pour eux ? -- Le sens premier du mot charis en grec, en est un que nos langues modernes ont conservé. C’est le sens de " beauté ", comme lorsque nous parlons de la " grâce " d’une femme ou d’un enfant, de la grâce d’un danseur ou d’une ballerine. Le second sens est celui de bonté, de gentillesse, comme lorsque nous parlons des bonnes grâces de quelqu’un, ou d’une action gracieuse à notre égard. Et puis, évidemment, il y a le troisième sens, dérivé, celui de don, de grâce reçue de la part d’une personne gracieuse.

Eh bien, lorsque Paul écrivait à Tite que " la grâce de Dieu s’est manifestée " et que " se manifestera la gloire de Jésus Christ, notre grand Dieu et notre Sauveur ", il voulait dire avant tout que la beauté de Dieu, sa grâce, sa splendeur, s’est manifestée en Jésus, dans ce petit enfant dont nous célébrons la naissance cette nuit. Ailleurs (Col. 2,9) Paul dit que la plénitude de la gloire de Dieu s’est manifestée " physiquement " (corporaliter) en Jésus.

Tenant tout ceci présent à l’esprit, nous pouvons considérer quelques autres textes du Nouveau Testament où nous retrouvons la même parole. Par exemple, lorsque l’ange Gabriel salue Marie et lui dit : " Salue, Marie, pleine de grâce ", le sens n’est pas que Marie a reçu de " nombreuses grâces ", mais plutôt qu’elle a été faite par Dieu " gracieuse ", belle. Et cette grâce, cette beauté, affecte évidemment tout son être.

Après la Présentation au Temple, lorsque Jésus, Marie et Joseph retournent à Nazareth, Luc dit que la grâce, c’est-à-dire la splendeur, la beauté de Dieu étaient sur lui. Et après le voyage à Jérusalem, lorsque Jésus eut douze ans, et après son retour à Nazareth avec Marie et Joseph, Luc dit de nouveau que Jésus croissait en âge, en sagesse et en " grâce ". Cela ne signifie certainement pas qu’il recevait toujours de nouvelles " grâces " de Dieu. Cela signifie plutôt que la beauté de Dieu était toujours plus visible en lui.

Si nous retournons maintenant à la Lettre de Paul à Tite – notre deuxième lecture d’aujourd’hui – voyons en quel contexte Paul fait cette mention de la grâce de Dieu. Nous savons que Tite avait reçu la charge de l’Église de Crète et que Paul veut lui expliquer comment il doit enseigner les diverses catégories de personnes : femmes, hommes, jeunes, anciens... et il conclut son exhortation en appelant tout le monde à renoncer à l’impiété et aux désirs mondains pour vivre avec sobriété dans la justice et la piété, comme Dieu lui-même nous l’a enseigné en nous manifestant sa " grâce ". En d’autres mots, Paul invite les fidèles de Crète – et il nous invite aussi – à exprimer dans nos vies, aussi bien comme individus que comme communauté, rien de moins que la beauté même de Dieu.

Toujours dans les Actes des Apôtres, après la première persécution à Jérusalem, quelques-uns des diacres partirent pour Antioche où ils établirent une autre communauté de Chrétiens. Lorsque les Apôtres, à Jérusalem, en furent informés, ils envoyèrent Barnabé pour voir ce qui s’y passait. Barnabé vint à Antioche et vit la grâce de Dieu (c’est-à-dire, la beauté de Dieu) dans la communauté et en fut rempli de joie. Plus tard lorsque Barnabé quitta Antioche, avec Paul, il encouragea les fidèles à demeurer dans la grâce de Dieu.

Chers frères et soeurs, il y a beaucoup de façons d’exprimer dans notre langage humain – très limité, certes – la perfection absolue de Dieu. L’une de ces façons consiste à dire que Dieu est beauté, la Beauté par excellence; qu’il est parfaitement " grâce ". De même, il y beaucoup d’images que nous pouvons utiliser pour dire que le Christ, a incarné – personnifié – cette grâce et la bonté de Dieu. Par conséquent, nous pouvons dire, comme Paul le fait dans ses recommandations pastorales à Tite, que nous sommes appelés nous aussi, en tant que Chrétiens, à apporter de la grâce, de la beauté dans le monde, en exprimant, à travers la qualité de notre vie, la grâce, la beauté de Dieu, manifestée en plénitude en Jésus de Nazareth, dont nous célébrons cette nuit la naissance.