14 février 1999 --
6ème dimanche " A "
Sir 15,15-20; 1 Cor 2,6-10; Jean 5,17-37
H O M É L I E
Il y a une quinzaine dannées nous avons eu dans lÉglise une révision du Code de Droit Canon, puis nous avons eu dans notre Ordre une révision de nos Constitutions, il y a près de dix ans. De même il nest pas rare quun pays fasse des amendements à sa Constitution.
Eh bien ! Lorsque nous lisons lÉvangile daujourdhui dans lequel Jésus dit à plusieurs reprises : " Vous avez appris... ; moi, je vous dis... " il est possible que notre première impression soit que Jésus est simplement en train de faire quelques amendements à la Constitution dIsraël ou de réviser le Code de Droit Canon de lAncien Testament.
Or, si nous étudions attentivement les paroles de Jésus, nous nous rendons compte quil exige de ses auditeurs un changement beaucoup plus radical. Il ne sagit pas dun changement de la loi mais de la relation à la loi un changement qui requiert une conversion du cur et non celle de la loi. Jésus ninstaure pas un nouveau légalisme plus exigeant que celui des Pharisiens ; il remplace les exigences du légalisme par celles beaucoup plus grandes de lamour. Il nétablit pas une justice nouvelle et plus rigoureuse ; il enseigne les exigences de lamour, qui vont bien au-delà de ce que peut demander la stricte justice.
À notre époque nous nous sommes rendu compte que nous ne respections pas collectivement les droits de plusieurs secteurs de la société et nous avons donc publié diverses chartes affirmant les droits des femmes, par exemple, ou ceux des enfants, ou des handicapés, etc. Toute cela est important et même nécessaire. Mais aussi longtemps que nous respectons les nouveaux droits de la même façons que nous respections les anciens codes, nous vivons encore sous lAncien Testament, et nous risquons daboutir à beaucoup dinjustice.
La justice humaine consiste dans le respect des divers droits, tels quils ont été établis par les conventions dune société particulière. Ainsi, par exemple, dans une culture où lesclavage faisait partie de la structure de la société, comme cétait le cas dans lEmpire Romain au temps du Christ et de saint Paul, la justice consistait dans léquilibre entre les droits du propriétaire desclaves et ses obligations envers les esclaves quil possédait. Ceux-ci navaient aucun droit. Dans une société capitaliste, la justice consiste à respecter léquilibre établi entre les droit des propriétaires du capital et ceux des ouvriers qui font fructifier ce capital par leur travail. Dans une société socialiste, la justice consiste dans le respect de léquilibre établi dans cette société particulière entre les droits de létat et ceux des individus qui en sont les membres. Dans chaque cas, lon aboutit à des formes permanentes doppression, même lorsquaucun des droits juridiques na été lésé.
Jésus nessaye pas de préciser aucun de ces droits. Il nous dit plutôt : ne restez pas à ce niveau. Si la justice vous demande de donner votre manteau, donnez aussi votre chemise. Si la justice vous donne droit à exiger il pour il ou dent pour dent, pardonnez simplement à celui qui vous a offensé ou qui vous a nui. Si le code de comportement moral vous interdit un certain nombre de choses telles que, par exemple, de prendre la femme de votre voisin, je vous demande de surveiller même les désirs de votre cur.
Ce nouvel enseignement de Jésus concernant la loi est une source de grande insécurité une insécurité très salutaire. En effet, si être bon consiste à ne pas commettre dadultère, à ne pas tuer, à ne pas exiger plus quun il pour un il et une dent pour une dent, à ne pas manquer la messe le dimanche... je puis facilement me sentir sûr. Je puis en effet vérifier périodiquement si je suis bon ou non. Et si jai péché, je sais exactement quand, où et comment. Cela me donne un très grand sens de sécurité. Cest la sécurité des Pharisiens. Pourtant Jésus a dit : " Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous nentrerez pas dans le Royaume des cieux. "
Mais si être fidèle à lappel de Jésus consiste dans la pureté dintention, dans lamour de mon ennemi ; si cela consiste à donner toujours plus quon me demande, à réparer la relation entre moi et mes frères lorsquelle est brisée alors je vis dans cette bienheureuse et constante insécurité qui consiste dans la conscience dêtre toujours appelé à quelque chose de bien plus que ce que je suis actuellement et que je suis en train de faire. Insécurité est alors synonyme de pauvreté.
Cest avec cette pauvreté de cur, dans lattitude denfants titubants encore en train dapprendre à marcher, que nous nous approcherons maintenant de lautel, trouvant une sécurité très authentique, non dans notre propre justice, que nous sommes conscients de ne pas avoir, mais dans la justice de Dieu, sachant quil est riche en miséricorde et en compassion.