21 février 1999 – 1er dimanche du Carême "A"
Gn 2,7-9.3,1-7a; Rm 5,12-19; Mt 4,1-11

H O M É L I E

C’est une coutume dans toutes les grandes traditions culturelles et religieuses de l’humanité que quelqu’un se retire dans la solitude pour y être soumis à diverses sortes d’épreuves et de tentations, lorsqu’il est appelé à remplir une mission spéciale comme celle prêtre ou de chaman. Après avoir passé à travers ces épreuves, il revient vers son peuple avec une nouvelle personnalité, ou en tout cas une nouvelle identification avec sa mission propre. Cet archétype humain, que l’on retrouve dans les traditions amérindiennes aussi bien que dans celles de l’Afrique ou de Papouasie, peut nous aider à comprendre ce qui est arrivé à Jésus.

Après son baptême dans le Jourdain et son investiture officielle comme Messie par le Saint-Esprit, Jésus fut conduit dans le désert par le même Esprit, pour y être tenté par le démon. Il est très difficile pour nous de comprendre, et même d’accepter telle qu’elle est, cette très simple phrase de l’Évangile de Matthieu. Celui-ci ne dit pas que lorsque Jésus fut arrivé dans le désert il fut tenté par le démon. Non! Matthieu dit explicitement que l’Esprit Saint le conduisit au désert afin qu’il y soit tenté par le démon. Comme il nous est difficile d’accepter que Jésus soit aussi totalement homme qu’il est totalement Dieu! Nous préférerions facilement un Christ qui soit simplement Dieu portant pour un certain temps un vêtement humain. Il était totalement humain. Il a grandi, il a souffert et il a appris. Il a été tenté et il a résisté à la tentation. Il a dû choisir de faire la volonté de son Père.

Lorsqu’il se retira dans le désert, Jésus était à un point tournant de sa vie. Il venait tout juste de recevoir dans sa conscience humaine une lumière nouvelle sur sa relation avec Dieu, son Père. Au moment de son baptême il avait entendu la voix du Père lui dire: "Tu es mon fils bien-aimé". Parce que le Verbe de Dieu fait homme avait assumé totalement la condition humaine, il vécut ce passage à une nouvelle phase de sa maturité humaine, cette entrée dans sa mission personnelle – il vécut cette découverte de sa mission personnelle, exactement comme toute autre personnes humaine l’aurait fait: à travers une crise profonde et la tentation.

Comme toute personne confrontée à un appel personnel à la Vie, il fut confronté aussi à la présence du mal et du péché. Dieu est Vie; le péché est toujours fondamentalement un refus de la vie – un refus de croître à une vie nouvelle. La tentation d’un tel refus se manifeste toujours avec une intensité particulière lorsqu’un nouvelle étape de vie ou une nouvelle période de croissance nous est offerte.

Ce fut la tentation que rencontrèrent le premier homme et la première femme au début de l’évolution de l’espèce humaine (voir la première lecture). Ce fut la tentation rencontrée par le Peuple d’Israël au début de sa naissance comme nation. Le Christ passa par la même tentation au début de sa mission comme Messie. Nous sommes nous aussi confrontés à la même tentation comme individus et comme communautés. Chaque fois que notre développement humain et spirituel nous amène au seuil d’une nouvelle croissance, nous faisons l’expérience d’un nouveau désert, d’une nouvelle solitude, et nous rencontrons la tentation. Superficiellement il peut s’agir d’une tentation de vanité ou de désobéissance, ou encore de dispersion dans les bagatelles, ou de sensualité, etc. Mais, fondamentalement, toutes ces tentations ne sont que des manifestations secondaires de la grande tentation: le refus de la vie.

L’existence ou la nature du mal est un profond mystère. Sa personnification en Satan en est un plus profond encore. Mais la première , et en réalité la seule vérité révélée concernant le mal c’est que le Christ l’a vaincu. Pour cette raison, nous ne devons pas craindre de reconnaître en nous et autour de nous la présence des forces du mal. Lorsque nous les identifions, nous pouvons facilement les vaincre avec le Christ. Elles nous dominent seulement lorsque nous ne pouvons pas ou ne voulons pas les reconnaître pour ce qu’elles sont. Reconnaître la présence d’une grande tentation en nous ou autour de nous c’est reconnaître que nous sommes au seuil d’une nouvelle naissance ou d’une nouvelle croissance.

Au début de cette période de Carême, nous sommes invités à discerner quelles forces dirigent notre vie; nous sommes appelés à réévaluer notre perception des desseins de Dieu sur nous et à devenir également plus conscients du danger de dégradation à laquelle l’action du tentateur peut nous conduire. Durant cette semaine méditons sur les réponses de Jésus au tentateur et faisons-les nôtres.