2 janvier 2000 – Épiphanie

 

H O M É L I E

 

Malgré toutes les craintes souvent puériles du "bug" de l'année 2000, nous sommes entrés dans l'année jubilaire sans aucun problème spécial, et la vie continue comme auparavant.  Cependant le fait qu'on ait pu suivre fuseau horaire après fuseau horaire le passage des divers pays au troisième millénaire, est significatif d'une nouvelle réalité internationale.  Dans cette perspective,  la prophétie d'Isaïe prend un sens nouveau:  "Debout, Jérusalem! Resplendis... les nations marcheront vers ta lumière."  En effet, même pour les nations où la foi chrétienne est minoritaire ou même quasi inexistante, les grandes célébrations d'hier se référaient toutes à la date (approximative) de la naissance de Jésus-Christ.

 

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            D'Abraham, le Père des croyants, il est dit qu'il quitta son pays et la maison de ses pères pour aller vers un lieu qu'il ne connaissait pas, se laissant guider par Dieu.  De lui naquit un peuple qui, après bien des cheminements souvent tortueux s'établit en Palestine avec Jérusalem comme capitale religieuse aussi bien que politique, et où il revint s'établir après chacun de ses exils.

 

            C'est d'ailleurs à un petit reste d'Israël décimé par l'exil et à peine réinstallé dans la Ville Sainte que le deuxième (ou troisième) Isaïe proclame que Jérusalem sera un point d'attraction pour les Nations.  Dans cette prophétie, les Juifs voyaient l'annonce d'une nouvelle croissance de Jérusalem qui la rendrait si fameuse et si glorieuse que tous les peuples viendraient la visiter. Or, lorsque cette prophétie se réalise, ce ne sont pas des rois puissants qui se présentent à Jérusalem, mais des mages, des "astrologues", d'humbles gens somme toute, même s'ils apportent des présents de valeur.

 

            Le roi des Juifs est né et ni les sages ni les chefs religieux d'Israël ne le savent, ni Hérode qui porte le titre de roi de Judée.  La grande joie de la naissance d'un sauveur a été annoncée d'abord à d'humbles bergers dans la montagne, par les anges.  Pour les mages, ce sera différent.           

 

            Alors que, de nos jours, nous poursuivons les planètes, les étoiles et même les galaxies avec nos vaisseaux spatiaux, les mages étaient des sages qui se laissaient guider par les étoiles.  Était-ce simplement une forme de naïveté quasi enfantine, ou une croyance primitive dans l'astrologie?  Non! c'était plutôt l'expression d'une conviction selon laquelle toute la nature est entre la main du créateur, qui s'en sert pour se révéler et révéler ses messages.

 

            L'étoile qui avait conduit les mages jusqu'à Jérusalem, disparaît lorsqu'ils s'informent auprès des habitants de cette ville.  La réponse qu'ils en reçoivent est juste – l'Enfant est né à Bethléhem – mais l'invitation d'Hérode à l'informer est un piège.  Dès qu'ils se remettent en route, l'étoile leur apparaît de nouveau et les guide jusqu'à la maison où ils trouvent Jésus avec Marie, sa mère.  Quand  ils revoient l'étoile ils sont remplis de joie et quand ils  trouvent l'enfant ils se prosternent et adorent, comme les bergers dans la nuit de Noël.

 

            Jérusalem ne perd pas facilement ses privilèges.  C'est non seulement Hérode, mais tout Jérusalem avec lui qui est saisie d'une grande inquiétude lorsque les mages annoncent l'objet de leur recherche.   Beaucoup à Jérusalem attendaient la venue du Messie.  Et lorsque les Mages disent qu'ils le cherchent, on consulte tout de suite les livres et on trouve la bonne réponse. Ce n'est pas à Jérusalem qu'il doit naître, mais dans la petite ville de Bethlehem. Mais c'est là une perspective trop dérangeante pour l'accepter comme un fait.  La  tension entre Jésus et les chefs religieux du peuple – tension qui le conduira à la mort – est déjà commencée.

 

            Ce récit, très riche en symboles, nous enseigne beaucoup de choses.  D'abord, nous devons, comme les Mages, apprendre à discerner tout ce que Dieu nous dit de Lui-même à travers la nature et les événements naturels. L'histoire des Rois Mages a nourri l'imagination toute naïve de notre enfance.  Il nous faut, à l'âge adulte, développer une seconde naïveté qui nous permette de discerner de temps à autre une étoile qui nous indique la volonté de Dieu sur nous et d'avoir le courage de la suivre, même sans savoir où elle nous conduit.  Se laisser emporter dans une recherche spirituelle, au-delà des supports de la culture humaine et religieuse environnante a d'ailleurs été la caractéristique commune du monachisme de tous les âges.  De fait, les mages de notre évangile apparaissent étrangement proches de ces moines itinérants qu'on trouve à l'époque de Jésus à travers l'Asie et qu'on trouvera dans le christianisme syriaque de la première génération.

 

            Une autre leçon est que le chemin sacré que Dieu nous fait parcourir dans la vie est souvent un chemin plein d'embûches sur lequel il nous guide, sans que nous puissions jamais revenir en arrière.  S'il nous devons revenir au point de départ il faut toujours le faire par un autre chemin, qui est toujours un autre au-delà.

 

            En regardant les événements quotidiens aussi bien de l'Église que de la société civile, il est facile de nos jours d'être pessimistes et même de se laisser déprimer.  La vocation de tout chrétien et encore plus celle des personnes qui ont été appelées à une forme de vie contemplative, est de savoir contempler les étoiles dans la nuit du monde contemporain, et d'y discerner toutes les manifestations, toutes les Épiphanies de Dieu.