CHAPITRE   VIII

 

VISITES   PLUS   RÉCENTES

 

 

UN   GRAND   ÉCHANGE   SPIRITUEL :

MOINES   CHRÉTIENS   ET   MOINES   BOUDDHISTES

SE   RENCONTRENT   EN   INDE

DHARAMSALA – ASIRVANAM  :  15 – 29  NOVEMBRE   1992

 

 

Il a pour toi donné ordre à ses anges

de te garder en toutes tes voies.

Psaume 90, 11.

 

            On peut dire que l’expérience que nous décrirons ci-dessous est une première dans l’histoire du dialogue intermonastique. Il ne s’agissait plus de simples visites, mais d’un dialogue officiellement organisé entre des représentants des diverses branches du monachisme tibétain masculin et féminin et des moines et moniales catholiques de l’Inde et de l’Europe. C’était aussi la première fois que les monastères de l’Inde s’engageaient ainsi en corps dans ce dialogue, et l’accueil extrêmement généreux de nos frères et sœurs du monachisme tibétain permit des échanges d’une rare qualité. Cette rencontre a été fortement encouragée par le Conseil Pontifical pour le Dialogue entre les religions et par Monseigneur Patrick D’Souza, évêque de Vārānasī et président pour le dialogue interreligieux de la Conférence épiscopale de l’Inde. L’Union des Supérieurs bénédictins de l’Inde a pris en mains et confié au Père Cletus, moine d’Asirvanam, l’organisation pratique de la rencontre ; elle fut assumée, du côté européen, par le Père Mayeul de Dreuille, assistant de l’Abbé Président de la congrégation de Subiaco.

            Il y a trois ans, Tai Sitou Rinpoché, un des quatre régents de l’Ordre Karma – Kagyu, abbé de Palpoung au Tibet oriental, faisait en Italie un pèlerinage pour une paix active. À la tête d’une dizaine de lamas, il fut reçu plusieurs jours à Camaldoli, visita Assise et fut accueilli à Rome par Sa Sainteté Jean-Paul II[1]. À l’issue de cette rencontre, il invita les moines chrétiens à venir, à leur tour, le visiter en Inde. C’est l’origine de notre session en novembre 1992. Nous étions cinq à venir d’Europe : le Père Francis Baird, de Prinknash ;  le frère Maximilien , de La Pierre-qui-Vire, suédois, docteur en médecine, qui aida plusieurs mois Mère Teresa à Calcutta ; l’abbé Henry Eikhlein, de Birmanie, séjournant à l’abbaye de Bellefontaine ; Sœur Marie-André Houdart, du monastère Sainte-Gertrude de Louvain-la-Neuve ; et le Père Bernard de Give, de l’abbaye de Scourmont. De Rome partaient dom Mayeul de Dreuille et le chanoine Francis Tiso, américain de naissance, se consacrant à un ministère à Isernia, en Italie ; c’est un des bons connaisseurs du bouddhisme tibétain : il a défendu une thèse à Columbia University sur la biographie de Milarepa. De l’Inde elle-même venaient sept moines et six moniales de la Fédération bénédictine.

 

Des débuts mouvementés

 

            Le voyage d’arrivée fut fertile en événements, dont ceux qui ont l’expérience des déplacements dans ces pays ont quelque idée. Suppression de l’avion qui devait partir de Paris le 13 novembre ; perte d’une valise qu’on ne retrouvait pas à la descente d’avion (elle fut retrouvée le lendemain) ; personne pour nous attendre à l’aéroport de Delhi, car nous arrivions un jour trop tard ; les multiples risques d’un accident, vu la circulation effrénée sur les routes de l’Inde et le côtoiement de précipices en montagne la nuit. Et j’en passe…

            Mais chaque fois que notre petit groupe se trouvait dans un grand embarras, ou qu’un ennui de taille aurait pu nous angoisser, un ange du Seigneur venait nous délivrer! Un exemple entre beaucoup d’autres. Nous avions pris le bus de nuit pour nous rendre de Delhi à Dharamsala par Jullundur et Hoshiārpur. Le bus arrivait à la première de ces localités à 5 heures du matin. Il nous laissa tomber sur la route avec armes et bagages en pays inconnu, sans savoir le chemin de la prochaine station, dans la nuit noire. Et nous progressions à grand-peine sur un accotement pierreux. Et voici que nous discernons sur la gauche les murs blancs d’une caserne ; devant le portail, une sentinelle ; à ses côtés une mitrailleuse braquée pour accueillir les visiteurs éventuels. La sentinelle quitte son poste, ce qu’elle n’aurait pas dû faire, vient vers nous avec un sourire et remarquant la croix sur notre pardessus : « Je suis un chrétien du Kerala » ; et aussitôt il s’empresse, arrête un rickshaw qui vient à passer, décide du prix, précise la direction et  s’en retourne à son poste de garde. Nous arrivions cinq minutes avant le départ du bus gagnant les contreforts de l’Himālaya. De son côté le Père Mayeul, avec les Frères et Sœurs de l’Inde, fit des expériences du même genre. Plus d’une fois, au cours du voyage, nos plans assez bien arrangés furent bouleversés, la réalité s’avérant tout autre et bien meilleure. Nous avons touché du doigt les interventions de la Providence.

 

Le jour du Seigneur à Delhi

 

            Mais revenons aux débuts de l’aventure. Les ignorants devraient savoir que l’aéroport Charles de Gaulle se répartit en deux tentacules qu’il ne faut point confondre : terminal A et terminal B. Or il arriva ce qui devait arriver : tandis que les deux Belges attendaient leurs compagnons au terminal B, les deux « Français » (un Suédois et un Birman) les attendaient au terminal A. La conséquence de ce « péché originel » fut bientôt claire. Notre petit Père Henry, après des adieux déchirants à ses amis de Birmanie, dut s’engouffrer seul dans un bel avion de la Lufthansa qui partait sans tarder pour Francfort, d’où un avion d’Air India l’amènera sans encombre, mais non sans inquiétude, à l’aéroport de Delhi. Là, il eut bien quelque peine à retrouver les Pères Mayeul de Dreuille et Francis Baird. Pour bien faire, il y faudrait une pancarte qu’on brandirait au bénéfice des débarquants: « Je suis le Père Mayeul ». Ce trio devait arriver à temps à Sherab Ling et participer seul à la séance d’ouverture, au jour et à l’heure prévus, mais sans leurs compagnons retardataires, absente corpore.

            Quant à nous, c’est un avion d’Air France qui nous transporta sans escale de Paris à Delhi (6 600 km) durant la journée du samedi 14 novembre, à l’altitude assez constante de 11 280 mètres et la vitesse de 1 020 km/h. Débarqués à Delhi vers 22h30, nous y attendîmes en vain le Père Mayeul et allâmes passer la nuit dans un petit hôtel assez bon, au nom glorieux : Ashoka Palace. Puis nous fîmes des efforts, le matin du dimanche 15 novembre, pour entrer en contact téléphonique avec les autres. Nous nous habituons au climat de l’Inde, estival dans la plaine, sans chaleur excessive en cette saison. New Delhi donne une idée fausse de l’Inde profonde, avec ses larges artères asphaltées et ses constructions occidentales. Nous décidons de quitter Delhi pour Jullundur ce dimanche dans la soirée. Peu désireux de traîner des heures dans l’immense station des bus, impersonnelle et bruyante, nous repérons une église voisine : St James’s Church, de la Church of North India ; il s’agit d’une union déjà réalisée de plusieurs églises chrétiennes. La paroisse est l’une des plus anciennes de la cité, de tradition anglicane, d’ouverture œcuménique. Elle eut à subir tous les heurts de la communauté britannique au siècle dernier, souvent des épreuves sanglantes. L’église est faite de silence, propice à la méditation. L’occasion nous est donnée de parler un peu avec deux des paroissiens, hommes cultivés qui nous font rencontrer leur curé, pasteur bienveillant en sa soutane blanche. La cour de l’école au-delà de l’église s’emplit de groupes endimanchés. Musique d’une fête foraine et tirage au sort des gagnants d’une tombola pour les œuvres de la paroisse.

 

La montée vers Sherab Ling

 

            Trois bus différents nous mèneront, à travers le Nord du Punjab et l’Himāchal Pradesh, au monastère de Sherab Ling, au-delà de Baijnāth. Partis de Delhi le dimanche soir vers 19h15, ce n’est que le lundi 16 vers 16h que nous arrivions à destination. On avait donc passé près de 19 heures en bus, les routes n’étant pas trop mauvaises, ni les bus trop inconfortables. C’est le lundi matin, vers 5 heures, que se déroula l’épisode raconté au début. Qui voudrait suivre l’itinéraire sur une carte aurait ces points de repère : Jullundur, Hoshiārpur, Chintpurni, Dera, Kāngra, Pālampur, Baijnāth. L’Himāchal Pradesh est tout au nord de l’Inde. Seul l’État de Jammu-Cachemire est plus septentrional. Sherab Ling se trouve à 65 kilomètres au sud-est de Dharamsala. Un taxi nous y mena depuis Baijnāth, célèbre par un temple ancien de Shiva. Arrivés presque au sommet de la colline, le Père Cletus, qui en descend dans un autre taxi, nous rencontre et aussitôt emmène avec lui Sœur Marie-André, de Louvain-la-Neuve, qui doit aller loger à Dharamsala. Nous serons séparés jusqu’au vendredi 20, faisant des expériences fort instructives, mais chacun de son côté. C’est ici qu’il convient de laisser la parole à la Sœur. Je me permettrai seulement de donner les coordonnées de l’endroit et d’ajouter en note quelques compléments.

 

L’hospitalité des nonnes tibétaines et la Nunnery de McLeod Ganj

 

            Ayant quitté mes compagnons à proximité de Sherab Ling, je fus emmenée à quelque soixante kilomètres de là, à la Nunnery de Dharamsala[2]. J’y fus accueillie avec chaleur et un soulagement (partagé!) par les cinq bénédictines indiennes qui se demandaient avec inquiétude ce qui avait pu nous advenir ; car la suppression du vol Paris – New Delhi, le samedi 14, avait entraîné des aventures en cascade qui nous amenèrent au terme de notre voyage avec vingt-quatre heures de retard.

            Fondé au Tibet au début du XVe  siècle, le monastère, appelé alors Nechung Ri, fut complètement rasé par les Chinois en 1959. Trois nonnes réussirent, au prix d’incroyables aventures, à fuir en Inde. Les deux survivantes (et l’une d’elles participa à toute la rencontre) décidèrent dès 1973 de reprendre la vie monastique dans quelques chambres louées près de McLeod Ganj. La nouvelle se répandit bien vite parmi les réfugiés tibétains et plusieurs anciennes nonnes vinrent se joindre à elles. Comme elles provenaient de différents monastères au Tibet, elles ne reprirent pas le nom de Nechung Ri (alors que les monastères refondés en Inde reprennent habituellement le nom ancien pour bien marquer la continuité de la vie monastique), mais adoptèrent celui de Geden Chöling, ce qui veut dire : « Maison des femmes vertueuses qui consacrent leur vie à la Doctrine du Bouddha (Buddha Dharma) ». Il fallut bientôt envisager la construction d’un monastère plus vaste, car les vocations affluaient. Participant aux travaux en portant de lourdes pierres et en collaborant de toutes manières avec les ouvriers, les nonnes eurent en 1975 la joie d’inaugurer leur nouveau monastère. Des séries de quelques cellules sont accrochées au flanc de la montagne à une altitude approximative de 1 700 mètres, si bien que le moindre déplacement oblige à monter ou à descendre de très hautes marches.

            Après quelque 23 heures de voyage épique, je me sentais absolument disloquée… Il était 18h30, et les bénédictines m’entraînèrent pour le souper dans le chalet (qui sert habituellement de salle  de classe) mis à notre disposition. Tous les repas furent très copieux et les nonnes eurent la délicate attention d’agrémenter le menu ordinaire par des soupes, des salades de légumes, des sauces piquantes qui relevaient la monotonie du riz et des bananes. Une nonne âgée avait cédé la chambre, qu’elle partage habituellement avec une plus jeune, à Sœur  Sarānanda (moniale de Pradines, vivant en ermite près de l’ashram du Père Bède Griffiths depuis de nombreuses années) et à moi-même. Chaque matin elle attendait que nous soyons habillées pour venir renouveler les fleurs et les coupelles d’eau fraîche disposées sur son petit autel personnel, devant lequel une lampe brûlait en permanence. Les nuits sont assez fraîches à pareille altitude ; il n’est évidemment pas question de chauffage, même en hiver, et la toilette matinale requiert un certain héroïsme.

            Levées dès 5h30, nous sommes allées prendre place dans le lhakhang (salle de prière) où les nonnes se hâtèrent de nous couvrir de couvertures. Elles déposèrent aussi devant nous des tables basses garnies de bols, assiettes, beurre, confiture, œufs  durs, ce qui n’était guère l’ordinaire des Tibétaines… La célébration commença par une action de grâces pour les dons reçus de bienfaiteurs ; ensuite, longues répétitions des mêmes phrases ; après un moment, toutes se mirent à agiter sonnettes, gongs, cymbales. Une pause permit à chacune de manger quelques bouchées de tsampa [3], de boire quelques gorgées de thé (une Sœur de service circule sans cesse entre les rangs pour remplir les bols) ; puis tout recommença sur une autre phrase. La célébration dura jusque vers 8h30. À un certain moment une Sœur circula avec une immense coupe de riz au milieu de laquelle brûlait un bâton d’encens. Chacune en prit une pincée, puis au signal donné par la maîtresse de discipline, la lança en l’air. J’ignore le sens de ce rite[4].

            Le lendemain, l’Arya Tara fut célébrée. C’est une pūjā spéciale qui est exécutée le 10 et le 25 de chaque mois tibétain. Elle est précédée par la longue préparation de torma, cônes effilés d’une trentaine de centimètres, peints de différentes couleurs et ornés de diverses garnitures[5]. Des moines participaient à la préparation et à la célébration.

            Ani Tenzin Tselha, notre « ange gardien », nous fit visiter le monastère, dont les installations sont vraiment très rudimentaires. Elle nous conduisit aussi auprès de sa vieille maman dont le sourire accueillant suppléa aux problèmes de communication. Son mari ayant été torturé et tué par les Chinois, elle prit la fuite en portant plus de dix jours sa fille de deux ans (Tselha) et son fils d’un an…

            Nous avons été également reçues par le Lama Tashi Delek, que le Dalaï-Lama a désigné pour trois ans comme khenpo du monastère : il en est à la fois l’abbé et le maître spirituel. Visage d’un ascète souriant, il aborda avec nous diverses questions sur la vie monastique et nous fit servir du thé par Tashi, le moinillon de douze ans qui est à son service et à son école.

            Chaque jour, nous retrouvions pour la célébration eucharistique les six bénédictins indiens qui séjournaient dans deux monastères tibétains du village. Une vingtaine de jeunes nonnes assistèrent  à l’une de ces célébrations avec une grande attention. Le soir, Ani Tenzin nous demanda: « Qui est Jésus ? » et la réponse nous entraîna tard dans la nuit. Lors de nos déplacements pour visiter temples et lieux sacrés des environs, sans oublier les échoppes du village, nous avions l’occasion de poser des questions à Ani Tenzin et de répondre aux siennes. Mais la barrière de la langue ne nous permettait pas d’aller fort loin. Aussi avons-nous été ravies de rencontrer longuement deux nonnes bouddhistes provenant, l’une de Californie, l’autre de Nouvelle-Zélande. Avec elles, il nous fut possible d’aller plus loin dans la découverte mutuelle. L’une d’elles conclut notre rencontre par ces mots étonnants : « Si j’avais su que la vie monastique existait dans le christianisme, je serais sans doute moniale catholique maintenant… »

            Nous avons passé également une après-midi fort intéressante lorsque, avec les moines indiens, nous fûmes invitées à l’École de Dialectique, sorte de faculté de philosophie. Les échanges tournèrent surtout autour de la question de la renaissance.

            Inattendue fut la visite de deux compatriotes de Bruxelles, engagés dans la Tibetan Society of Europe, qui soutient diverses œuvres d’aide aux réfugiés tibétains. Leur familiarité avec la vie tibétaine leur permit de répondre à plusieurs de nos questions. Ils étaient auprès de nous lorsque le Lama Tashi Delek vint offrir à chacune de nous une khata, écharpe de soie présentée traditionnellement aux visiteurs de marque. Lors de notre départ, le vendredi soir, le Lama tint également à nous accompagner jusqu’au bus, prenant part aux effusions des adieux. Trois Tibétaines allaient nous accompagner pour participer avec nous à la deuxième phase de la rencontre intermonastique et trois nonnes du monastère de Tilokpur, près de Kāngra, se joignirent au groupe.

            Il serait prétentieux de vouloir porter un jugement sur la vie monastique des nonnes tibétaines après une expérience de quelques jours. Je voudrais toutefois livrer quelques constatations qui se sont imposées à moi :

-         Les nonnes tibétaines manifestent un grand attachement à leur vie monastique et les difficultés surmontées par la plupart d’entre elles pour y accéder en témoignent éloquemment.

-         Elles sont animées d’un grand zèle pour leurs textes sacrés et passent beaucoup de temps chaque jour à les mémoriser, à les réciter dans le cadre de leurs célébrations[6].

-         Elles vivent dans un austère dénuement, mais une fois leur vie quotidienne assurée, elles consacrent leurs ressources à l’acquisition de livres sacrés et à l’aménagement de leur temple, afin d’y restaurer quelque chose de la splendeur du passé.

-         Leur paix et leur joie sont frappantes, alors que nous savons combien leur pèse l’esclavage de leur patrie. Espérant contre toute espérance, elles partagent et soutiennent l’attente de leur peuple. Que le Tibet soit à nouveau libre, un jour…

 

Un monastère Kagyupa en pleine expansion: Sherab Ling

 

Que jubile la campagne et tout son fruit,

que les arbres des forêts crient de joie!

Psaume 95,2

 

            Après ce beau témoignage de Sœur Marie-André, reprenons notre récit au moment où notre compagne nous était enlevée, juste avant d’arriver au sommet de la colline, le lundi 16 novembre peu après 16 heures.

            Pour élargir l’expérience du groupe, les moines chrétiens devaient se répartir entre trois monastères tibétains. Les imprévus du voyage ont fait que tous les Européens et le Père Varkey Vithayathil, supérieur d’Asirvanam, furent les hôtes de Tai Sitou en son monastère de Sherab Ling, en Himāchal Pradesh, belle région montagneuse, au climat plutôt froid les nuits de novembre ; mais la journée est printanière. Les moines bénédictins venus de diverses régions de l’Inde étaient, comme on vient de le voir, hébergés à Dharamsala même, ainsi que les moniales. Ici nous retrouvons nos compagnons d’Europe venus par des avions différents.

            Tout d’abord le Chanoine Francis Tiso. Puis, à l’occasion d’une visite dans le temple où se déroule une pūjā, nous revoyons, avec un plaisir et un soulagement mutuels, le petit Père Henry Eikhlein, le Père Francis Baird, Dom Mayeul de Dreuille. Et nous faisons la connaissance du Père Varkey Vithayathil, rédemptoriste, actuel supérieur d’Asirvanam. Nous sommes hébergés, non dans les bâtiments du monastère, mais à quelque distance. On sait que les Kagyupa ont l’austère tradition d’une retraite de trois ans et trois mois en clôture stricte, pour s’y livrer aux pratiques du Tantrayāna. Une maison isolée est réservée à ces exercices. Mais comme, pour le moment, c’est un temps libre entre deux retraites, la maison est inoccupée et mise à notre disposition. Les chambrettes y sont simples et pratiques ; la nourriture, de style indien, nettement suffisante. Un jeune moine Kagyupa d’origine britannique, Tsultrim, veille avec efficacité à tous nos besoins. Il se fera notre cicérone sur place et en tous nos déplacements. C’est aussi une âme ouverte. Non seulement il répondra à nos questions, mais il sera désireux de mieux connaître ce christianisme que son adolescence avait en somme négligé. J’avais séjourné à Sherab Ling en 1983 et pourrais renvoyer le lecteur à mes descriptions d’alors[7], mais il faut dire tout de suite que les choses ont bien changé.

            Quand je rencontrai pour la première fois Tai Sitou Rinpoché, c’était à Dhagpo Kagyu Ling (Saint-Léon-sur-Vézère) le 10 juin 1981. Je pus lui parler seul à seul durant une heure et demie. Il semblait avoir bien le temps. Ce fut le coup de foudre. Il avait vingt-sept ans, une figure enfantine et je ne sais quel mélange de sagesse et de grâce, de profondeur et d’aisance, qu’on ne peut que souhaiter à tout homme spirituel : comme s’il n’avait qu’à puiser à quelque source vive qui jaillissait en lui. Or, à la fin d’un échange sur des points essentiels de la religion, il exhiba d’un tiroir une vue cavalière d’un ensemble d’édifices qui n’existaient alors que sur le papier. On pouvait y voir un grand temple et ses dépendances, hall de prières et salles de cours, logements de moines et même, au bas de la colline, une boutique et un dispensaire. Il faut savoir que ce maître spirituel est de plus un poète qui se double d’un architecte et d’un entrepreneur. J’admirais l’épure, non sans me dire en mon for intérieur : « Tout cela est bien beau, mais où trouvera-t-il les moyens de le réaliser ? » Ainsi pensais-je en 1981. Or l’utopie, la voici en voie de réalisation sous nos yeux. La colline se couvre d’immenses structures en béton. En veillant à ne pas mettre les pieds dans des flaques d’eau, nous arpentons à la nuit tombante ces volées d’escaliers, ces salles spacieuses, et les hauts murs nous parlent déjà de la destinée des bâtiments : un monastère – université, tel qu’on pouvait en voir dans son Tibet natal avant leur destruction sauvage par les Chinois envahisseurs. Le jeune moine britannique Tsultrim a du plaisir, mêlé d’un brin d’orgueil, à nous faire escalader ces audacieuses constructions. On ne peut toutefois dire qu’elles offusqueraient les petits paysans des alentours, ces humbles Indiens du village de Bhattu qui, en bas, retournent leur maigre lopin de terre.  Car le douzième Tai Sitoupa fut assez éclairé pour confier les travaux du futur monastère à de la main-d’œuvre locale.

Il y a en construction, sur la droite du chemin qui monte à Sherab Ling, huit chortens (ou stūpas). Est-ce pour protéger l’endroit de toute influence maléfique ? On fit récemment une battue aux léopards qui fréquentent ces fourrés. En revanche, face au Retreat Centre, un arbre aux fleurs roses ressemble aux cerisiers du Japon, le jacaranda, tandis que la région s’égaie de bougainvillées. On y voit aussi quelques plantations de thé, des rizières.

            Bien qu’arrivés un jour trop tard, nous n’avons pas perdu la première journée. On avait en effet enregistré la séance d’ouverture : discours d’accueil de Tai Sitou, exposé du Père Mayeul rappelant l’idéal du Dialogue Interreligieux Monastique et les approbations reçues en haut lieu, allocution du Père Varkey au nom de la Fédération Bénédictine Indienne. Tout ceci au bénéfice de l’auditoire, composé d’une vingtaine de moines bouddhistes plus jeunes, en âge d’enseignement supérieur. La communauté n’était pas au complet, un certain nombre de moines étant partis pour des rites funéraires. Car ils viennent de perdre deux importants lamas : Dilgo Khyentsé Rinpoché, maître Nyingmapa de grande envergure[8], et le jeune et si sympathique Djamgoeun Kongtrul, tué dans un accident de voiture à Siliguri (Bengale) alors qu’il allait se rendre au Tibet comme membre d’une commission d’enquête pour découvrir la réincarnation du XVIe Karmapa. Une vidéocassette nous fit revivre aussi le premier retour de Tai Sitou Rinpoché au Tibet oriental, en 1984, revoyant les monastères de son obédience dans le rayonnement de Palpung.

 

 

Pèlerinage à Rewālsar

 

            Mardi 17 novembre. Malgré le pittoresque des sous-bois, si vous avez le squelette délicat, point ne vous conseille les environs immédiats de Sherab Ling : les chemins de terre vous réservent chocs et secousses durant un bon quart d’heure. Seule l’arrivée à la grand-route vous apportera le soulagement d’une circulation « normale ». Par monts et par vaux, virage à droite, virage à gauche, la route de montagne, sans cesse en montées et descentes, est à maints endroits vraiment dangereuse. En revanche, les paysages sont souvent merveilleux, plongeant sur des collines et des vallées verdoyantes. La température, tous ces jours, est printanière, très agréable. L’itinéraire nous mène vers le sud : Baijnāth, Jogindarnagar, Mandi, Rewālsar. Partis de Sherab Ling en trois voitures vers 8 heures du matin, nous arrivons au portique de Rewālsar sur le coup de midi. C’est ici qu’il convient de replacer dans son contexte historique ou mythologique ce lieu de pèlerinage. Rewālsar est le nom hindi, les Tibétains l’appellent Tsok Pema.

            Selon la tradition, Guru Rinpoché, premier initiateur du bouddhisme tibétain, était miraculeusement né d’un lotus, d’où le nom sanskrit de Padmasambhava. Il avait comme disciple fervente une princesse indienne, Mandarava. Le roi son père en fut furieux et décida de le brûler ; mais l’ascète survécut sain et sauf, et du bûcher émergea ce lac. Objet de la vénération des écoles monastiques plus anciennes, l’endroit est donc sacré et attire les pèlerinages. Autour du lac, de dimensions plutôt modestes, s’élèvent différents temples de ces Ordres, que j’avais visités avec deux compagnons en 1983[9]. À l’époque nous y avions vécu deux jours, nous essoufflant à gravir la colline très escarpée, aux marches innombrables et irrégulières. Mon ami péruvien fut tellement impressionné par les ermites du sommet, qu’il fut envoûté par l’endroit et revint y passer toute une année dans une grotte de la montagne, en un climat des Pères du désert. Je ne sais si la route circulaire existait il y a neuf ans; toujours est-il que nous y montâmes en voiture aujourd’hui, assez bourgeoisement.

            Dès l’arrivée nous fûmes accueillis par Franco, un Italien vivant près du lac en solitaire avec son épouse ; retrouvailles à l’italienne avec notre Père Tiso. Nous avons pour guide une Flamande de Courtrai, pouvant parler le tibétain et nous expliquant l’iconographie du temple Nyingmapa. Après un agréable déjeuner, sans épices brûlantes, au Tourist Inn, on alla visiter les grottes du sommet, sortes de cavernes où vivent les ermites. L’intérieur contient ça et là statues et représentations de Guru Rinpoché et de diverses déités. Pénétrer dans ces antres est parfois difficile. Mais l’humour tibétain garde ses droits et l’ésotérisme peut avoir des sourires. Ainsi  cette pancarte aux lettres bien visibles adossée au rocher : « Welcome to the secret cave of Guru Rinpoché ! » L’austérité a aussi un autre visage : celui de cette petite vieille, surgie de je ne sais quel trou comme dans un conte de fées, tête rasée et robe de nonne, qui s’empresse à nous servir des tasses de thé, bienvenues à cette altitude, en face d’un tel paysage. L’incarnation même de la bienveillance bouddhique.

 

Tashi Jong et ses danses rituelles

 

            Mercredi 18 novembre. La journée devant être beaucoup moins chargée, Tai Sitou en profite pour nous faire une conférence le matin, ceci en présence de ses moines. Il expose la façon de vivre au Tibet avant l’invasion communiste, la situation plus difficile en Inde. Ici, pas de soutien de la population environnante, ni de l’organisation indienne. Au Tibet, les lois du pays exigeaient une bonne discipline des moines. Il nous dit ce que leur Règle prévoit pour la correction ou le renvoi des religieux. Tai Sitou a lu les évangiles en tibétain. Il exprime des vues profondes sur la « nature du Bouddha » (nous dirions : l’image de Dieu) en chacun de nous. Au Tibet, les familles offraient le plus doué de leurs fils ; maintenant, en Inde et dans les pays voisins, c’est l’inverse : on se presse pour entrer, mais ce sont les moins bons.

            Quand nous demandons à Tsultrim d’où viennent les recrues de Sherab Ling, il répond : « C’est le plus souvent du Konnor », région à l’est de l’Himāchal Pradesh, au sud du Spiti.

            Au programme : la visite de Tashi Jong, à ¾ d’heure de Sherab Ling, en direction du nord-ouest, entre Baijnāth et Pālampur. Il s’agit d’un monastère de l’Ordre Droukpa Kagyu. Le  temple est célèbre pour les danses traditionnelles qui s’y déroulent. J’y avais assisté durant quatre journées en mars 1983[10]. Aujourd’hui on se contentera d’une heure. J’avais, outre ces danses liturgiques, fait la connaissance du petit Kamtrul Rinpoché, le IXe  du nom, qui avait alors un peu plus de deux ans, mais se comportait déjà d’une manière très digne. Maintenant, dans sa douzième année, c’est du haut d’une tribune qu’il assiste, dans le lhakhang, aux performances dramatiques de ses moines masqués. Ceux-ci, avec des têtes d’animaux, s’avancent sur un rythme très lent ; ils jouent le rôle de Mahākāla et de sept ou huit « protecteurs ».

            En attendant un repas qui vraiment tarde à venir, de 12h30 à 15h, devant nos tasses de thé, s’engage une conversation animée entre nous, avec Tsultrim et le Khenpo Losel, sur des sujets de religion comparée : Shankara, anattā, Dieu créateur, śūnyatā, réincarnation, avec un effort pour chercher les rapprochements. Ce fut un temps de recherche très dense, un des meilleurs de toute la session.

 

Floraison de gonpas au Settlement de Bīr

 

            Jeudi 19 novembre. Il y eut un orage la nuit ; d’où moins de poussière sur les routes, ciel dégagé, journée ensoleillée. En une demi-heure on est au Bīr Settlement visité en 1983 [11]; il compte 3 000 Tibétains, qui se groupent autour du monastère de leur Ordre respectif. J’avais alors été fortement impressionné par les longues prières et cérémonies incessantes, non seulement des moines, mais aussi du peuple. Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est le développement considérable des constructions monastiques. Disons seulement l’essentiel des quatre monastères visités.

 

1.      Dzongskar Institute, des Sakyapa. On voit leur hall de prières. C’est ici un Institut d’études philosophiques. Ceux qui vont jusqu’au bout y ont le grade de géshé. Le jeune moine qui nous guide est un ancien de St Joseph’s College de Darjeeling. Il y a ici soixante-dix moines étudiants en philosophie, dont environ cinquante du Tibet. On nous montre leur temple, avec sa Tara verte. Le Khenpo de l’Institut, Soskar Khyentsé Rinpoché, moine plutôt âgé, nous accueille aimablement mais ne connaît pas l’anglais. Ce bâtiment était en construction en 1988.

2.      Nyingma Temple, le plus ancien : Chöling, que je vis presque achevé en 1983. Chöling est aussi le nom de leur fondateur, dont on remarque le portrait dans le salon d’accueil ; on y voit aussi le portrait d’un grand propagateur du mouvement Rimé. Dans le temple, portrait du Karmapa.

3.      Un centre plus petit des Sakyapa est une école : Sakya Peru. La statue centrale de leur temple : le Bouddha « as a prince », très ornementée, porte une coiffe prestigieuse.

4.      Encore en construction, un assez grand temple ayant au centre une fort belle statue du Bouddha. C’est Biyul Chöling : « higher school, college ». À la façade, belles et grandes peintures : les gardiens des quatre directions.

 

Au cours de la soirée, un dîner aux chandelles. Tai Sitou nous explique davantage le contraste entre la situation des monastères dans le Tibet d’avant l’invasion et celle d’aujourd’hui. Il nous parle aussi de ses disciples occidentaux. Il les trouve intelligents mais radicaux, étroits dans leur manière de prendre à la lettre tout ce qu’a dit le Rinpoché. Ils n’ont pas le bon sens des Tibétains, ni des Orientaux en général.

            Et notre séjour s’acheva par un échange de cadeaux. C’est à regret qu’on prit congé dans la soirée d’un hôte si bienveillant.

 

Une grande journée à Dharamsala

 

            Vendredi 20 novembre. Départ de Sherab Ling à 6h30, pour Dharamsala, en passant par Pālampur. Je revois avec émotion paysages et endroits bien connus[12] : Yol Camp, Sidhpur, le marché, cette route tant de fois empruntée. Reviennent à la mémoire du cœur tant de rencontres, de menus événements… Arrivés vers 9h45, nous descendons de voiture en face de l’École de Dialectique. Cette journée sera la conjonction de deux projets: permettre à nos « Européens » de voir la capitale du gouvernement tibétain en exil, et faire la connaissance des bénédictins et des bénédictines de l’Inde qui nous accompagneront désormais jusqu’au  terme de la session d’Asirvanam. En réalité, le premier point dut se faire assez vite. C’est en coup de vent qu’on traversa la Bibliothèque, qu’on jeta un regard rapide sur les innombrables statuettes du Musée à l’étage, qu’on visita au pas de course le modeste temple de l’Oracle, Nechung [13]. On avait eu un peu plus de loisir pour celui du Namgyal Monastery, aux statues prestigieuses, que nous visitâmes avec respect tandis que se déroulait une pūjā. C’est le monastère du Dalaï-Lama, mais Sa Sainteté est absente.

            Replongé dans mon passé, je m’informe. Où est Gokey, le bibliothécaire? Décédé de la tuberculose, il n’avait pas quarante ans. Et mon professeur de tibétain, Monsieur Thonden? Muté à New Delhi. Quant aux boys indiens, qui doivent avoir grandi ? Dispersés dans la nature. C’est le samsāra  Restent les lieux :

            Objets inanimés, avez-vous donc une âme

            Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?…

            Je fausse compagnie au groupe pour retrouver, ne fût-ce que quelques minutes, la petite maison que j’habitais seul en 1983, bien d’aplomb sur une pente à deux pas de la Library. J’y avais vécu une retraite studieuse mais parfois agitée, entouré d’amitiés tibétaines et indiennes. Elle n’a pas changé, la maisonnette, depuis neuf ans ; la porte était cadenassée et les rideaux tirés.

            Nous rencontrons ici nos Sœurs et nos Frères de l’Inde. À vrai dire, la première est une Française, Sœur Sarānanda, moniale de Pradines, vivant en ermite depuis des années à l’ombre de Shāntivanam, l’ashram du Père Bède Griffiths. Puis Sœur Teresita D’Silva, prieure du monastère de Shānti Nilayam, Bangalore, longtemps présidente de la Fédération Bénédictine Indienne. Elle connut les débuts héroïques de l’implantation en Inde et sut les raconter avec franchise[14]. Le Père Paul, d’Asirvanam, vécut les péripéties plus mouvementées des pionniers du côté masculin. Nous faisons la connaissance des autres religieuses qui séjournèrent avec Sœur Marie-André à Geden Chöling. Les sylvestrins de Makkiyad au Kerala me parlent volontiers des trappistines de Soleilmont (Belgique) qui ont une fondation non loin de leur monastère. Ils me montrèrent en vue plongeante, à flanc de coteau, le gonpa où ils venaient de passer quatre jours, Tse-chok Ling, à McLeod Ganj, admirablement reçus par les moines.

            L’après-midi, séance académique. Outre notre monachisme au complet, viennent s’asseoir en lotus sur des coussins, tête rasée et robe bordeaux, une trentaine de jeunes nonnes, tout attention et tout sourire. On remarquait dans l’auditoire un groupe d’Occidentaux et d’Occidentales, sympathisants du bouddhisme. Les conférenciers alternèrent, lamas tibétains et moines catholiques. Dom Mayeul dit l’importance du Dialogue intermonastique. Le Père Varkey souligne les similitudes entre nos deux religions, allant à l’essentiel. Le Père Thomas, sylvestrin, supérieur de leur fondation aux environs de Jhansi, actuel président de la Fédération Bénédictine Indienne, retrace le développement des bénédictins en Inde[15]. Tout avait été organisé par lui, avec la collaboration du Secrétaire du Department of Religion and Culture, qui présidait la réunion. Un lama fournit des statistiques sur les monastères et centres tibétains en Inde et dans les pays voisins. Un professeur de l’École de Dialectique apprécie les œuvres d’éducation et de charité du christianisme ; quant au bouddhisme, il peut apporter aux Occidentaux l’aide des méthodes de méditation dont ils éprouvent le besoin. Il retrace l’histoire du bouddhisme tibétain. Le Rinpoché parle des différences entre les deux religions : « Si on y insiste, cela bloque le dialogue. Nous avons besoin de ces différences, parce que les êtres ont des dispositions différentes. Ces différences, fondamentalement, sont la même réalité et n’ont qu’un but : l’aide mutuelle. »

            Ensuite on nous fit assister à un fort beau spectacle. Le Tibet Institute of Performing Arts (TIPA) est une école d’art, notamment pour ce qui concerne théâtre, musique et danse. Il réalise des scènes de danse et de mouvements rythmiques d’une admirable harmonie. Les acteurs, qui ont environ vingt ans, jeunes hommes et jeunes filles, ont des costumes et des robes traditionnels du Tibet : variété des couleurs, dignité des attitudes, perfection des gestes. Quelques épisodes, vers la fin, étaient du genre comique, les yaks faisant partie de l’histoire. Spectacle d’une rare harmonie, d’une pure beauté, qui donne une haute idée de leur culture.

            Durant le repas du soir, on voit alterner la robe rouge des lamas et la blanche des moines chrétiens, tandis que mes voisins continuent des échanges doctrinaux sur des points de philosophie : l’âme humaine, celle des animaux…

 

Dharamsala – Delhi

 

            Nous quittons Dharamsala vers 10h du soir, prenant le bus qui nous amène à Delhi vers 11h du matin le samedi 21 novembre. Nous passons, je crois, par Pālampur, Mandi, Sundarnagar, Bilāspur, Chandigarh, Ambāla. Dans la plaine, paysage de rizières, ensuite ressemblant au Chota Nagpore, puis des eucalyptus. En approchant de Delhi, des sites assez industriels : fabriques, produits chimiques, briqueteries. Notre port d’attache est le CBCI (Catholic Bishops’ Conference of India) où nous disons le soir la messe du Christ-Roi.

 

Delhi – Bangalore – Asirvanam

 

            Dimanche 22 novembre. Ayant quitté Delhi à 11h30, l’avion arrive à Bangalore vers 14h. La température y est de 27º. Le Père Cletus nous attendait. Asirvanam se trouve à une vingtaine de kilomètres de la ville. Nous déposons Sœur Marie-André à Sneha-Jyoti (Love and Light). C’est là que nos moniales seront hébergées durant la session. Il s’agit d’une congrégation assez récente : Grace and Compassion, unissant à la vie contemplative des œuvres de charité ; ici un home pour personnes âgées.

            Arrivés à Asirvanam vers 16h, nous sommes bien accueillis par les deux guest-masters, qui nous font visiter la chapelle, vaste et claire, le cloître harmonieux, la bibliothèque, la crypte. Mais on nous montre aussi la ferme, très importante avec toutes ses chèvres et ses six cents vaches qui rentrent à l’étable. La maison de retraite est bien isolée, ses alentours respirent la paix et le recueillement; c’est là que logeront les moines tibétains. Cette communauté fut très éprouvée par de nombreux départs, mais maintenant on assiste à un renouveau. Il y a actuellement 14 profès solennels (la plupart âgés), 2 profès temporaires, 2 novices et 14 postulants. Pourvu que ces derniers persévèrent! Ils font bonne impression.

 

Excursion à Mysore

 

            Lundi 23 novembre. L’avion nous faisant gagner vingt-quatre heures par rapport à nos frères de l’Inde et du Tibet venus de Delhi par le train, nous allons visiter Mysore, grande cité d’un demi-million d’habitants, ancienne capitale d’un petit royaume. Au palais d’été de Srirangapatna, on admire les fresques rappelant les batailles du sultan Tippou Sahib (1749 – 1799) contre les Britanniques. Au temple de Sri Ranganathaswāmy, les statues de Vishnou et les offrandes des dévots que le brahmine présente au dieu. Le bus quitte alors la ville pour gagner les Chamundi Hills (altitude 3 500 pieds), avec de belles vues sur Mysore. Ici se dresse le temple de la déesse Chamundeswari au gopuram solennel et aux fines sculptures. Trois jours par semaine, il y a ici, le soir, illumination du parc, des fontaines. Je l’avais vue lors de ma visite à Bylakuppe en 1979 : c’est une pure merveille. Quant à l’église Sainte Philomène, en soi d’une architecture valable, c’est du pseudo-gothique, déplacé en Inde. Un magasin est bien fourni en objets d’art ou de fantaisie les plus divers, le Kaveri Emporium. Mysore est surtout connue pour ses soieries (grande variété de saris) et le bois de santal, qu’on utilise aussi bien pour des œuvres artistiques que pour de menus objets. Le clou de la journée, c’est la visite  au palais du Mahārājah. Construction imposante où s’allient l’architecture hindoue et l’architecture musulmane. Tout respire la magnificence : ampleur des salles, élégance des arcades, soin des multiples sculptures dans le bois et la pierre. Une très longue fresque représente l’inauguration de ce palais, avec une procession de toutes les catégories  de militaires. Le palais est illuminé dans la soirée. Il reçoit cinq mille visiteurs les jours ordinaires, de toutes les classes sociales ; les plus pauvres ne sont pas les moins admiratifs.

 

Un jour d’arrivée

 

            Mardi 24 novembre. La température est estivale, il fait assez chaud l’après-midi. Il y a des renards dans les environs et des chacals qu’on entend parfois crier la nuit. L’Inde a des fruits succulents. Nous sommes allés voir, à quelques kilomètres d’ici, le banyan-tree qui est le second de l’Inde, le premier se trouvant à Calcutta. Celui-ci couvre de ses rejetons 3 acres (=1,2 hectare), l’arbre-mère étant mort. Il constitue maintenant tout un bois, avec ses troncs, ses branches verticales rejoignant la terre. C’est le séjour d’une colonie de petits singes, gracieux et plutôt timides.

            Vers midi est arrivé le Père Bède Griffiths. Tous les autres participants sont là dans la soirée et soupent avec nous au monastère, les Sœurs et les moniales dans un réfectoire de l’hôtellerie. Le Père Tiso vient de Vrindāvan, sur la Yamunā, aux environs de Mathurā, lieu par excellence des souvenirs du jeune Krishna. Vient participer à la réunion une jeune Flamande, Ria Weyens, qui, étant oblate du monastère de Soleilmont, collabora avec Sœur Isabelle à l’implantation des trappistines au Kerala. Nous sommes heureux de voir parmi nous le Père Albert Nambiaparambil, secrétaire pour le Dialogue Interreligieux à la Conférence Épiscopale de l’Inde. Il fut mon élève au Séminaire Pontifical de Kandy. On fait connaissance avec les moines tibétains qui arrivent.

            Outre les huit personnes venues d’Europe par divers aéroports (Fiumicino, Gatwick, Roissy), onze moines et six moniales catholiques participèrent à la session, représentant les communautés bénédictines de l’Inde. Quatre moines d’Asirvanam prenaient part à tous nos échanges ; pour la liturgie, évidemment, la communauté au complet.

            Du côté tibétain, neuf moines et sept nonnes de diverses traditions : Gelugpa, Sakyapa, Kagyupa, Nyingmapa, et même Bönpo. Parmi eux, de véritables érudits. Mais la plupart ont de la peine à s’exprimer en anglais. La même remarque vaut pour les nonnes, sauf deux brillantes exceptions.

 

 

TROIS   JOURS   DE   SESSION   À   ASIRVANAM

 

 

Premier jour : Mercredi 25 novembre

 

Grand-messe

 

            La grand-messe solennelle est présidée par Monseigneur Alphonse Mathias, archevêque de Bangalore et président de la Conférence Épiscopale Indienne. Il a soin d’expliquer brièvement, à l’intention des moines et moniales bouddhistes, le sens de chacune des parties de la messe. Cela est fait avec des termes simples et prenants, un modèle du genre. À l’offertoire, la procession apportant les offrandes de fleurs et de fruits est émouvante, moines et nonnes du Tibet étant dans le cortège et apportant leurs dons, symbole d’un avenir de confluence parfaite: Reges Tharsis et insulae munera offerent. Regent Arabum et Saba dona adducent. Omnes gentes servient ei! [16] En revanche, lors du thé qui suivit, l’archevêque de haute stature, assis au milieu des robes brunes, répondit aux nombreuses questions posées avec intérêt sur la messe. Il dut s’employer à leur faire comprendre pourquoi ils n’avaient pas été admis à recevoir la communion avec les autres. Monseigneur a le tact de ne point brandir des interdictions canoniques, mais de se tourner vers des comparaisons tirées de la psychologie sociale : « De même que des personnes vont recevoir avec courtoisie des hôtes d’un jour, mais qu’on ne peut les introduire au cœur même du foyer comme on fait pour des amis intimes ou des membres de la famille… »

            Tout ceci ne semble pas convaincre ses auditeurs. Il me paraît qu’on aurait pu, sans heurter personne, les renvoyer à leurs propres usages. Va-t-on dans le Vajrayāna admettre d’emblée à telle haute initiation n’importe quel amateur, sans l’avoir fait passer par la prise de refuge, les pratiques préliminaires et une initiation (ouang) appropriée ? On retrouve d’ailleurs des exigences du même ordre dans toutes les grandes Voies traditionnelles.

 

Séance d’ouverture

 

            Le Père Varkey, supérieur d’Asirvanam, remercie les Tibétains pour leur accueil généreux à Dharamsala. Le Père Mayeul, qui a organisé la session, en annonce le programme. Le premier conférencier est le Père Bède Griffiths. On sait que le Dzogchen est la visée finale, l’expérience ultime selon les Nyingmapa. Il se réclame de Guru Rinpoché. Loin d’en faire l’apanage de leur école, les Nyingmapa eux-mêmes le considèrent comme une expérience profonde qui déborde le cadre des sectes particulières. Thomas Merton avait déjà remarqué, selon Lobsang Yéshi, « la coïncidence entre ce Dzogchen et la contemplation chrétienne ». Le Père Bède se situe dans la même ligne. Il y voit « a direct transmission of Supreme Wisdom » et s’emploie à en montrer l’accord avec la tradition mystique du christianisme. Mais aussi, comme on le découvre actuellement, avec les perspectives de la science moderne qui voit dans l’univers et dans le corps humain, non une fragmentation d’êtres matériels séparés, mais un complexe d’énergies[17].

            Lobsang Yéshi Rinpoché nous parla à 16h30 et assumera désormais le rôle de modérateur des débats, ce qu’il fera avec beaucoup d’intelligence et de tact. Ayant été à l’école chez des prêtres catholiques à Calcutta, il manifeste une réelle ouverture à nos doctrines.

            Le directeur du Sakya Centre à Dehra Dūn est Jamyang Lekshé. Il montre que la pauvreté, radicale chez Milarepa, ne se trouve pas dans les monastères. La chasteté, comme partie de la moralité, est « la prunelle de l’œil » de Bouddha. On doit obéissance aux règles, leur infraction étant punie par des coups. Pas de purgatoire en bouddhisme tibétain ; le bardo est une attente, pour le choix d’une autre route. L’enfer est simplement a mental experience.

 

Deuxième jour : Jeudi 26 novembre

 

Conférence d’exégèse

 

            Le Père John Kurichianil, ancien supérieur d’Asirvanam, est à la tête d’une fondation florissante de rite syro-malabar au Kerala : St Thomas Benedictine Monastery [18]. C’est un bon exégète. Il nous fait un exposé sur le thème : « La compassion de Dieu dans l’Ancien Testament. La révélation du Dieu de compassion dans le ministère de Jésus ». Nous ne songeons pas à mettre en doute la compétence du conférencier, citant avec soin chapitres et versets, mais quelque chose nous mettait mal à l’aise. Supposez qu’un bouddhiste tombe sur certaines pages de la Bible, il se peut qu’il remarque des récits qui le choquent. Lui qui se ferait un scrupule de tuer un moustique, le voilà dans un épisode où, sur l’ordre de Yahvé, Israël se livre au massacre de populations cananéennes. Aussi le Père Griffiths eut-il la franchise de faire remarquer que le Dieu de l’Ancien Testament n’était pas seulement compassion, mais qu’il revêtait souvent un aspect opposé qui pour nous, les chrétiens, faisait aussi problème. Quant à la seconde partie, que Jésus apparaisse comme un modèle de compassion, ne peut faire difficulté pour aucun observateur du dehors. Cette conférence n’en suscita pas moins de multiples questions : Dieu créateur, salut des animaux, Dieu créant la souffrance et le mal…

 

Installation de sériculture

 

            Après le lunch, on nous fit visiter l’installation de sériculture du monastère, avec tous les stades du développement (et de l’enveloppement en cocon) des vers à soie.

 

 

Exposés des moines tibétains

 

            Nyima Tapa, moine de Dolanji [19], nous décrit les traits principaux de la tradition Bön. Bhikshu Karma fait de même pour les doctrines de l’école Nyingmapa.

 

Troisième jour : Vendredi 27 novembre

 

Sur la Règle de saint Benoît

 

            Le matin, conférence du Père Thomas T.T., sylvestrin, sur « L’humilité dans la Règle de saint Benoît », sujet qui donne lieu à bien des interventions dans les deux sens, moines bouddhistes et moines chrétiens aimant à faire des interventions sur ce thème.

 

Témoignages des moniales

 

            Cette journée donnera une grande part aux religieuses. D’abord les Tibétaines. Une nonne âgée, de Geden Chöling, retrace l’histoire héroïque de son monastère[20]. Une jeune nonne de Tilokpur [21], parlant bien l’anglais, décrit la situation actuelle de son couvent et leurs usages monastiques. Puis, à la requête des nonnes bouddhistes, Sœur Iona fait, dans un langage simple et émouvant, le récit de la vie de Marie, mère de Jésus, en suivant pas à pas les évangiles.

 

Célébration de la lumière

 

            Enfin, à la tombée du jour, dans une clairière, célébration de la lumière, chacun et chacune ayant son cierge allumé, avec citations de poètes de l’Orient, chants et prières. La cérémonie était animée par le Père Albert Nambiaparambil et le Père Francis Tiso.

 

 

 

Aux monastères de Bylakuppe

 

            Samedi 28 novembre. Excursion au Settlement  de Bylakuppe. Le trajet en bus, par Mysore et Hunsur, prend plus de quatre heures. Le Settlement, que j’avais visité en 1979 et en 1983[22], compte actuellement quinze mille réfugiés tibétains. Depuis une dizaine d’années ils ont bien développé cet endroit qui était désertique. On voit les champs de maïs, les nouvelles constructions. Reçus d’abord à l’Office du Dalaï-Lama, nous aurons le repas de midi dans le lhakhang de Sera-jé qui compte maintenant 1 400 moines, dont 400 boys en âge scolaire. L’autre collège, Sera-mé, en a 600. Toute cette population monastique vit dans un bourg entourant les deux temples, chaque maison abritant quelques dizaines de moines. L’abbé de Sera-jé est Lobsang Tsering; celui de Sera-mé, plus jeune, Gosok Rinpoché, vient de passer en France. Nous avons parlé plus haut d’un grand lama tibétain, Lama Thubten Yéshé, décédé en 1984[23]. Il est censé être réincarné en un petit Espagnol, Ösel, dont les médias ont parlé et qui fit même l’objet d’un livre[24]. Ayant connu de près Lama Yéshé, je souhaitais voir sa réincarnation. Je le savais à Sera depuis quelque temps. À ma demande, on le fit venir. Il arriva avec son tuteur espagnol, que j’avais rencontré à Nālandā Monastery, près de Lavaur[25]. J’ai pu avoir un entretien avec ce petit garçon de sept ans à la tête rasée et la robe bordeaux, qui est destiné à un rôle important. Pour l’heure, avec la fraîcheur de l’enfance, il est séduisant, réservé, presque timide.

            À quelque distance de Sera (Gelugpa), les Nyingmapa ont leur monastère de Nambu Ling (600 moines) et le Nyingmapa Institute, école de philosophie pour 160 étudiants.

 

Les monastères bénédictins de Bangalore

 

            La session s’est terminée le matin du dimanche 29 novembre par une séance de clôture où chrétiens et Tibétains ont manifesté leur désir de voir leur dialogue en Inde se poursuivre et s’organiser. Mais comme le point de départ obligé est pour la plupart Bangalore, nous resterons ensemble pour une traversée rapide du jardin botanique de la grande cité. Et surtout pour la visite de deux monastères bénédictins en ses faubourgs. On nous accueille pour le déjeuner à Vanashram. Ce n’est qu’un pied-à-terre pour les sylvestrins qui suivent les cours de théologie chez les salésiens, mais l’atmosphère monastique est évidente : art des bâtiments et climat de leur chapelle. Ils ont aussi des plantations et un poulailler bien fourni.

            Le thé sera pris chez les moniales de Shānti Nilayam, après une réception à l’indienne d’une communauté joviale de religieuses en saris de safran.

            Le lundi 30 novembre, à Asirvanam, notre groupe des cinq « Européens », plus le Père Tiso, se réunit autour du Père Mayeul pour organiser la communication des photos après la rencontre et donner nos suggestions en vue de la réunion des supérieurs indiens, qui doit tirer les conclusions de ce temps de dialogue. Dans la soirée nous prenons le bus pour Madurai, au Tamil Nadu. On a, en effet, jugé bon de réserver trois jours à un contact plus explicite avec l’hindouisme, car il eût été regrettable que plusieurs soient venus de si loin sans avoir rien vu de la principale religion de l’Inde.

 

 

MADURAI

 

 

Minakshi Temple

 

            Mardi 1er décembre. Notre port d’attache sera l’Archbishop’s House de Madurai, maison hospitalière où nous serons nourris et logés. Avec la chapelle où nous célébrons l’eucharistie, profitant des rencontres avec l’archevêque, Monseigneur Arokiaswamy, qui nous donne une vue sur la situation de l’Église en ce pays. Visite du magnifique temple de Minakshi, l’épouse de Shiva. Ce temple est le plus grand de l’Inde et l’un des plus beaux, avec ses colonnades, ses statues, ses sculptures et la dévotion des fidèles. Aux quatre points cardinaux, il dresse vers le ciel ses imposants gopurams, tours aux multiples étages où sont sculptées des scènes de la mythologie hindoue dans un foisonnement de dieux et de déesses. Bien que ce temple ait une structure géométrique, l’intérieur vous promène en des recoins d’ombre où sont des sanctuaires réservés. L’espace est en partie occupé par des magasins, des ateliers de coupe ou de tapis de luxe. À l’entrée gambade une bande de petits singes aux traits gracieux, d’une grande finesse. Un lourd éléphant qui, si vous lui faites une offrande, la saisit et la passe à son cornac, puis vous descend lentement le bout de sa trompe, en geste de bénédiction, sur votre tête. Un touriste a de quoi se divertir ! Mais allons à l’essentiel de cette foisonnante œuvre d’art. On a beau faire le malin, l’érudit qui sait tout en religion comparée, et regarder de haut les exubérances de la dévotion populaire, qui pourrait rester insensible à la bhakti profonde de ce noble vieillard, de cette pauvre femme qui, après avoir caressé les pieds de leur dieu, le somptueux Vishnou ou ce petit drôle de Ganesha à la trompe d’élephant, s’abîment devant lui, le front dans la poussière ?

 

Mission du Maduré

 

            Une voiture est mise à notre disposition pour deux jours. Elle nous conduit ce mercredi 2 décembre à Dindigul. Quoique non annoncés, nous sommes reçus avec beaucoup de bienveillance par les Pères jésuites du Beschi College. C’est leur grande maison de formation pour quatre Provinces parlant quatre langues. Ils ont ici noviciat, juvénat, troisième an et maison de retraite pour religieux âgés. On se rappelle que cette mission du Maduré écrivit une page glorieuse dans l’histoire de l’Église. C’est ici que vécurent les Pères De Nobili et Beschi, ces courageux pionniers de la méthode d’adaptation. Ancien jésuite, je me retrouve fort à l’aise, mais, visiblement, ils sont heureux de recevoir des moines et ne lésinent pas sur le temps pour tout nous montrer. Au cimetière, je vois avec émotion les tombes des Pères qui furent mes collègues à Kandy et à Shembaganur. Nous nous rendons ensuite à l’hôpital tout proche, St Joseph’s Hospital, tenu par les Sœurs d’une congrégation fondée en Belgique [26]; nous y retrouvons encore cinq Sœurs belges. Hôpital fort bien organisé, ayant une douzaine de docteurs, école d’infirmières, presque tous les secteurs, des constructions solides et fonctionnelles.

            Sur le chemin du retour, on nous permet d’entrer dans la cour d’une mosquée. À gauche, le long bâtiment de l’école islamique. À droite, un « temple » surmonté d’une belle coupole (tout est bleu) qui sert aux enseignements chaque soir ; la mosquée est au fond. Dindigul, près de 500 000 habitants, a une population aussi musulmane qu’hindoue ; ce sont des fabricants, au travail du cuir. L’énorme rocher qui la domine porte le palais du rājah, qui était un souverain musulman. On sait que l’Inde fut secouée ces jours-ci par un événement qui aurait pu déclencher une guerre civile : la destruction de la mosquée d’Ayodhya par des extrémistes hindous[27]. En réalité, la chose se produisit le 6 décembre, alors que l’avion nous ramenait de Bombay à Paris. Auparavant les journaux, en manchette, faisaient présager l’événement.

 

Temples hindous aux environs de Madurai

 

            Le jeudi 3 décembre, c’est la fête de saint François Xavier. Il est émouvant de dire la messe en son honneur si près de la région qu’il a évangélisée, la côte de la Pêcherie, où il fit tant de conversions. Il a beaucoup plu durant la nuit, et de grandes flaques d’eau couvrent la route. Le matin, nous visitons le temple de Thirupparankuntram, à 10 km au sud de Madurai, l’un des six fameux temples dédiés au dieu Murga. C’est un cave-temple très ancien, et dont les quarante-huit piliers ont de belles sculptures. Quelque honnête bakchich nous permet de pénétrer dans une enceinte habituellement réservée aux hindous. N’empêche que cela n’a  pas l’air de surprendre le gros brahmane de service, au torse nu, le cordon de sa caste bien en évidence, car il proclame avec majesté, à l’intention des profanes qui auraient quelque peine à identifier l’idole : « Shiva !… Vishnou !… »

            L’après-midi, Alagar Koil, à 19km à l’est de Madurai. Temple du dieu Sundararajan, très aéré, précédé et entouré de cours. D’abord un mandapam pour que les pèlerins puissent y manger et dormir. C’est un portique ouvert dans toutes les directions, avec des bancs; on y fait des prières. Le temple, où nous ne pouvons entrer, a un toit entièrement en or qui brille au soleil. De jolis petits singes profitent (ou abusent) de la dévotion des fidèles qui les régalent d’arachides. À 3 km de là, plus haut sur la colline, se trouve une source sacrée; on y a un puits où les pèlerins viennent faire leurs ablutions rituelles, au pied d’un petit sanctuaire. Nous y arrivons en même temps que les classes d’une école de filles. Toutes joyeuses, elles s’y baignent en gardant leurs robes et s’aspergent mutuellement avec de grands éclats de rire. Ne pas dire que l’hindouisme est triste et renfermé.

 

 

Un trajet pénible

 

            Vendredi 4 décembre. Long trajet de retour en bus de Madurai à Bangalore. Puis, à 10h30 du soir, de Bangalore à Kengeri dans un bus surchargé. Il fallut ensuite faire à pied 3 km et demi sur un accotement peu sûr, le long d’une route au trafic dangereux, dans l’aveuglement des phares. Ce furent les heures les plus éprouvantes de ces trois semaines. On parvint enfin au cloître d’Asirvanam, sur le coup de minuit, éreintés.

 

Le chemin du retour

 

            Samedi 5 décembre. Nous devons beaucoup de reconnaissance à la communauté d’Asirvanam, en particulier au Père Cletus, qui veilla à prendre toutes nos réservations de bus et d’avion et nous accompagna toujours aux moments difficiles.

            On regrette de ne pas mieux connaître la botanique pour identifier arbres, plantes et fleurs, la végétation étant d’ailleurs diversifiée, des contreforts de l’Himālaya aux plaines chaudes du sud.

            Ayant voyagé si souvent en bus à toutes les heures du jour et de la nuit, nos yeux ont pu observer tant d’aspects quotidiens de la vie indienne, le va-et-vient de l’humble population des villages, la tenue si noble des femmes, la plupart en sari, pauvres mais dignes comme des reines, la vision joyeuse des garçons et des filles s’en allant à l’école en leurs uniformes et robes colorées, d’une allure impeccable. Oui, c’est un très grand peuple…

            Tout s’achève dans un sentiment de gratitude pour ces contacts avec le monachisme tibétain, que nous connaissions si peu et dont le cœur nous semble si proche.

            Ce samedi 5, ayant quitté Asirvanam vers 19h, nous prenions l’avion à Bangalore à 21h50. Il arrive à Bombay à 23h10. Un coach nous conduit à l’aéroport international. Les formalités de change y sont tatillonnes, bien plus lentes que prévu. Nuit blanche à l’aéroport. Ce n’est que le dimanche 6 décembre à 6h15 que l’avion d’Air India s’envole pour l’Europe, via Delhi. On y éprouve à plusieurs reprises d’assez violentes secousses, les trous d’air… Alors qu’à Bombay la température était de 27º, elle n’est que de 4º à Paris, où nous débarquons à 14h15. Nous rentrons dans un autre monde. Celui que nous avons quitté restera dans nos rêves…

 

 

UN   PÈLERINAGE   MONASTIQUE   AU   TIBET   (1994)

 

 

Les participants

 

            Qui n’aurait rêvé de se rendre un jour au Tibet ? Pour parcourir les beautés du pays, y voir vivre ses habitants et en vénérer les lieux saints. C’était en tout cas l’objet de nos désirs. Engagé depuis des années dans la rencontre de cette religion, il nous semblait anormal d’avoir dépensé tant d’efforts pour la connaître sans avoir pu nous rendre compte du milieu originel où elle est vécue. Par souci de pauvreté, nous avions d’abord renoncé à nous joindre à un groupe d’œcuménistes  qui s’y rendit en septembre 1987[28]. On eut la largesse de vues de nous autoriser à ne point manquer de saisir la prochaine occasion. Celle-ci vient de s’offrir, dans les conditions les plus favorables. On ne dépendrait pas d’une agence touristique banale. Ce serait un pèlerinage aux lieux saints et aux principaux monastères du Tibet, les organisateurs étant les Lamas du centre tibétain de Kagyu-Ling en Bourgogne. Le voyage durerait trois semaines, du 8 au 29 juillet 1994. Les trois premiers jours comporteraient un séjour à Kathmandu ; de même les cinq derniers, au retour de Lhasa. Je m’y préparai par deux semaines de tibétain à Kagyu-Ling, communauté où j’ai souvent séjourné pour l’étude de la langue[29] et qui m’accueille avec une grande gentillesse ; j’y ai beaucoup d’amis.

            Notre groupe compte 39 personnes. Notre guide est Lama Seunam, directeur de l’Institut Marpa. Il est accompagné de Lama Orgyen, un des fondateurs de Plaige. À leur côté, Françoise Croizier, la traductrice, joignant à sa connaissance du tibétain une serviabilité à toute épreuve, un perpétuel sourire. La majorité des participants à ce pèlerinage viennent de France, sept personnes de Belgique. Le monachisme catholique est bien représenté : trois moines, le Père Maxime Gimenez de Chevetogne, le Père Maximilien Amilon de La Pierre-qui-Vire, le Père Bernard de Give de Scourmont; et deux moniales bénédictines : Sœur Marie-André Houdart de l’abbaye de Sainte-Gertrude à Louvain-la-Neuve et Sœur Bruno Marie Colin de l’abbaye de la Paix Notre-Dame à Liège. Le Père Maxime est accompagné de quatre dames qu’on peut appeler ses disciples, car elles le retrouvent périodiquement pour une direction spirituelle à Chevetogne. Plusieurs des personnes qu’on vient de citer n’en sont pas à leur premier contact avec le bouddhisme, car elles avaient participé à des échanges spirituels qui leur permirent de séjourner en des monastères Zen du Japon [30]. D’autres firent partie du groupe qui fit en Inde, en novembre 1992, l’expérience d’une rencontre fructueuse avec le monachisme tibétain[31].

            Que dire de nos autres compagnons de voyage ? On ne s’inscrit pas à un tel pèlerinage par pure curiosité. Bien que leur engagement dans le Dharma bouddhique et leur connaissance du bouddhisme tibétain soient très diversifiés, tous se considéraient comme bouddhistes ou comme sympathisants, chacun ayant par ailleurs des restes d’une origine chrétienne et de l’ouverture d’esprit. Sauf Lama Orgyen[32], aucun des participants n’avait encore vu le Tibet.

 

D’Europe au Népal

 

            Vendredi 8 juillet. Avec Sœur Marie-André nous retrouvons à l’aéroport de Zaventem, où nous arrivons vers 9 heures, Claudine Pirotte, mère de famille de six enfants, qui fut déjà au Japon, Sœur Bruno Colin de Liège et Jean-Paul Cantillon, Belge au service de la Communauté Européenne à Luxembourg. Départ de Bruxelles à 10h55. Arrivée à Francfort à 12h. Là, multiples incertitudes et démarches sans issue. N’ayant pas reçu nos billets de Francfort à Delhi, il ne nous semble pas possible de faire enregistrer nos bagages ni de pénétrer jusqu’au box d’embarquement de la compagnie Lufthansa. On s’y risque enfin, mais n’y arrivant qu’un quart d’heure avant le départ. Entre-temps  nos réservations ont été annulées (cancelled), d’autres ayant pris nos places. On nous met alors à des places restées vacantes à l’arrière. Nous sommes séparés les uns des autres. Quand on est à hauteur de Budapest, à 2h45, on fait  840 km à l’heure. On est à l’altitude de 10 000 mètres; température à l’extérieur : -49ºC. En passant au-dessus d’Istanbul, on a bien vu, par un hublot, la Corne d’Or et le Bosphore. Souper dans l’avion. Changement d’heure.

AU   NÉPAL

 

 

Kathmandu

 

            Samedi 9 juillet. On arrive à Delhi à minuit 45. Température 27º. On doit attendre longtemps pour récupérer les bagages. Par erreur, on avait négligé de nous considérer comme n’étant qu’en transit. Départ de Delhi vers 11h. Delhi- Lucknow- Kathmandu. Trajet dans un avion de la Royal Nepal Air Lines. Arrivée à Kathmandu vers 12h20. L’hôtel Marshyangdi à Kathmandu est luxueux. Grande propreté, soin des repas. À partir de cette nuit, je partage la chambre de Jean-Paul Cantillon. Informaticien au service de la Communauté Européenne à Luxembourg, c’est un bouddhiste pratiquant, animant un groupe du Dharma en cette ville. Esprit ouvert et bienveillant, il assista à tous les colloques chrétiens-bouddhistes de Karma-Ling, dont il a enregistré les conférences.

            La soirée, promenade en ville dans les artères principales. Il fait chaud à Delhi, au Népal et à Lhasa. Le samedi, la plupart des boutiques sont fermées. Celles qui sont ouvertes sont remplies d’objets d’art. Beaucoup de jolis enfants nous sollicitent, ou des Népalaises, pour nous vendre une variété d’œuvres d’art, colliers, statuettes, poignards ouvragés… Ils sont prêts à marchander, les prix descendant très bas. Gentillesse de tous ces Népalais, souriants et aimables. La beauté des visages est souvent remarquable, bruns aux yeux vifs… Les vieilles rues du centre ont des maisons où l’on admire les sculptures des portes, des poutres, des balcons. Par contre, il y a pas mal de saleté dans ces rues, où fruits et légumes sont proches des ordures. Au point de vue religieux, multiples petits temples, hindous ou bouddhistes, souvent imprégnés de syncrétisme. Le consul de Belgique, Keshab Regmi, vient gentiment nous saluer ; il est Népalais. On a pris le repas du soir dans un restaurant tibétain.

 

Kopan

 

            Dimanche 10 juillet. De la terrasse de l’hôtel et du restaurant au cinquième étage, on jouit d’une vue panoramique de la ville et des environs, entourés de montagnes. La matinée nous allons, à huit kilomètres de Kathmandu, visiter un important monastère des Gelugpa sur la colline de Kopan. C’est une fondation de Lama Thubten Yéshé, avec qui j’eus d’excellents rapports[33]. J’avais fait un séjour en cet endroit propice à la méditation en janvier 1980[34]. Une dame de Vincennes qui participe à ce pèlerinage garde un profond attachement à ce grand spirituel et à sa lignée. Elle nous accompagne aujourd’hui, ainsi que le Père Maximilien et les deux bénédictines. La montée vers Kopan est d’abord difficile pour les voitures. Car un orage la nuit précédente a rempli de larges flaques les caniveaux et les nids de poule des chemins de terre. C’est la mousson. On continue à pied, montée essoufflante. En haut, à la boutique, achat de khatas (ces jolies écharpes de soie), de boissons. Bien des choses ont changé depuis quatorze ans. L’ancien lha-khang (hall de prières), devenu trop étroit et d’un accès malaisé, a été abattu ; on en construit un plus grand. La série des chambrettes où j’avais logé n’existe plus, ni le pavillon primitif de la princesse russe Zina, ni la vaste tente où s’abritaient les Occidentaux venus des quatre coins du monde pour les semaines d’enseignements. Tout cela est remplacé par un beau bâtiment rouge à étages, plus fonctionnel. Dans le temple s’achève un rituel, on en voit sortir un bon nombre de petits moines. Ils gagnent l’allée bordée de tcheutens tout neufs. Je retrouve Lama Lodreu, avec qui j’avais eu un si bon échange. Il me reconnaît de suite et me serre les mains avec effusion. Chantal désirait surtout revoir Géshé Kongchok, qu’elle avait connu ici en 1989. Celui-ci est digne et paisible. On fait des présentations. Me sachant indisposé, il me donne des pilules bénites de sa composition.

 

Bodnath

 

            On descend ensuite à Bodnath, où l’on retrouve vers 3 heures les Lamas et tout le groupe des 39. Nous y faisons le tour du grand stoupa, que reproduisent tant d’albums et de livres d’art[35]. Les pèlerins entrent dans le courant de la circumambulation, faisant tourner les nombreux moulins à prières. Nous en faisons de même le tour sur le dôme. Là-haut les bouddhistes récitent tous ensemble la prière de notre brochure bleue. Puis, comme on nous demande une prière chrétienne, le Père Maxime en fait une qu’il connaît par cœur avec les dames ses disciples. Beaucoup vont alors faire des emplettes de souvenirs dans les boutiques encerclant le stoupa. La journée se termine par la visite, un peu rapide, de trois monastères proches de ce lieu saint :

1.      Celui de Bérou Khyentsé Rinpoché – Kagyupa

2.      Celui de Dilgo Khyentsé Rinpoché – Nyingmapa

3.      Celui de Dudjom Rinpoché – Nyingmapa. Son corps y est conservé, momifié.

 

Lundi 11 juillet. Le matin, liturgie chrétienne, animée par le Père Maxime Gimenez. Ce n’est pas l’eucharistie, mais un regroupement de textes et prières de l’office de Chevetogne. Un petit autel a été aménagé avec icônes. J’y assiste avec les disciples du Père Maxime. Bienfaisante immersion dans l’atmosphère de la liturgie orthodoxe.

 

Pulahari

 

            On va visiter, par une route malaisée à cause des trous de la route remplis d’eau, le stoupa de Djamgoeun Kongtrul Rinpoché à Pulahari. Décédé accidentellement en 1992 à l’âge de 37 ans[36]. Le monastère vient d’être construit d’après ses plans sur un plateau dominant la vallée. La vue s’étend au loin ; l’air y est frais, loin de la pollution de la ville. À l’entrée, des mangoustes attirent l’attention des visiteurs. Le mausolée est très haut, stoupa très ornementé, recouvert de feuilles d’or. Le corps momifié est un peu rétréci. On prie avec recueillement en sa présence. Trois statues au temple : Dorjé Chang au milieu, le Karmapa XVI, le premier Djamgoeun Kongtrul. Aussi un portrait du jeune Karmapa XVII.

 

 

SUR   LE   TOIT   DU   MONDE

 

 

            Mardi 12 juillet. À l’aéroport de Kathmandu, nous rencontrons le traducteur du Dalaï-Lama, Matthieu Letoumelin, qui a le nom tibétain de Lodreu Thayé. Nous le reverrons au retour. Un couple ayant deux fillettes nous accompagne en ce pèlerinage. Les petites s’appellent Audrey, 10 ans, et Mikaëla, 8 ans. Au moment de s’embarquer pour Lhasa, l’aînée dit à sa mère : « On va voir le yeti ! »

            La compagnie China Southwest Airlines nous conduit de Kathmandu à Lhasa en 45 minutes : de 11h15 à 12h. Un petit déjeuner très modeste nous est servi dans l’avion. Peu avant d’atterrir, je bois une demi-bouteille de vin, sur le conseil de Lama Shérab. J’ai donné une de mes trois bouteilles à Chantal, l’autre au Père Maximilien. Nous nous en trouvons bien.  J’avais redouté le moment de sortir brusquement en haute altitude (Lhasa est à 3 660 mètres). Or l’arrivée fut tout ce qu’il y a de simple : un petit vent frais balayait le plateau. Durant le trajet, on avait vu le mont Everest sur la gauche, s’élevant au-dessus des sommets voisins. Ciel bleu, petits lacs d’un bleu profond. Je ne ressentis pas le mal des altitudes, du moins durant ces premières heures au Tibet. Plus tard, et aussi les jours suivants, comme les autres de notre expédition, on a parfois un mal de tête, un essoufflement en gravissant des escaliers, un manque d’air, de la fatigue au cours d’une marche un peu rapide, manque d’appétit, besoin de dormir. D’autres ont eu migraine, vomissements, insomnie. Température vraiment estivale à Lhasa; certains jours 32º, 35º.

            Entre l’aéroport de Gongar et Lhasa, une route de 110 kilomètres, bordée d’un peu de végétation, le long du fleuve. On fait un arrêt devant des fresques du Bouddha sur une roche.

            Le Tibet a une superficie de 1 433 600 km². C’est donc presque la moitié de l’Inde ; 2,6 fois la France; 48 fois la Belgique. « La majorité des Tibétains vit au sud du pays, dans la région irriguée par le Tsangpo (qu’on appellera en Inde le Brahmapoutre) et ses affluents ainsi que dans la province est du Kham. Ces régions plus hospitalières, faites de douces vallées protégées, produisent les récoltes essentielles aux Tibétains : l’orge, le blé et une petite variété de légumes. On y pratique également l’élevage et dans les fermes on trouve des vaches, des chèvres, des cochons et des chevaux. Les nombreux villages, dispersés çà et là, se réduisent à de grandes fermes. Une grande ferme typique est un enclos quadrangulaire d’habitations blanchies à la chaux, d’un seul étage, avec une entrée donnant sur la cour. Autour de la cour s’ordonnent la zone d’habitation du paysan et des siens, les pièces de stockage et les écuries. Des drapeaux à prières, souvent déchirés et ternis par la furie des vents, se déploient sur des mâts érigés au sommet des toits. Sur les toits plats, ils stockent des combustibles tels que du bois, des broussailles et de la bouse de yak séchée[37]. »

 

 

LHASA

 

 

            L’hôtel où nous sommes hébergés, Himālaya Hotel, est situé au sud-est de la ville, près de la Tibet University. Il est bien tenu, mais n’a pas tout le confort de celui de Kathmandu.

 

Au Barkor

 

            Comme on se sent bien en forme, dès l’après-midi nous allons au Barkor, boulevard circulaire très fréquenté entourant le Jokhang, qui est comme leur cathédrale. La foule en fait le tour, Tibétains de tous âges, beaucoup venus ici en pèlerins, certains faisant tourner leur moulin à prières. Parmi eux des petits marchands. Ils nous sollicitent pour vendre leurs bibelots, souvent de pacotille : colliers, bracelets, rosaires, poignards. Notamment des vieilles ou des Tibétaines au visage très beau, aux robes colorées et coiffures régionales sur leurs tresses noires. S’attachent surtout à nous de jeunes garçons ou fillettes à la mine souriante. On a de la peine à leur résister. Manifestement, tous les étrangers sont l’objet de leur sympathie. Plusieurs demandent une photo du Dalaï-Lama ; dès qu’ils l’ont reçue, ils nous font un grand sourire et la placent avec respect au sommet de leur tête. Les plus jeunes sont friands d’un stylo. Il va de soi qu’on est observé. Avant même d’arriver à Lhasa, venant de l’aéroport, on remarque d’imposantes casernes de l’armée chinoise. Les militaires ont un bel uniforme vert avec képi, les officiers ont de plus des épaulettes et des galons d’or. L’ensemble des soldats est constitué de jeunes. Ils ont une bonne tenue. L’armée est omniprésente et ne paraît pas agressive, mais sur pied de guerre pour faire face à une émeute éventuelle. Au Barkor, et spécialement devant l’entrée du Jokhang, les soldats verts ou les policiers bleus, mêlés à la foule, ne laissent rien échapper. Comme les étrangers se voient rapidement entourés de Tibétains sympathiques, les Chinois nous les séparent, quitte à voir la même bonne dame et la marmaille nous rejoindre cinq minutes après.

            Ma robe de trappiste attire fréquemment l’attention. Tous peuvent comprendre qu’il s’agit d’un religieux d’une autre religion, et même d’un chrétien, ce qui est manifestement fort apprécié d’un peuple si dévot. À la réflexion, c’est une première. Car si le Tibet connut dans le passé les brèves aventures des jésuites Antonio De Andrade et de ses compagnons, du Père Desideri et des capucins au début du XVIIIe  siècle et de deux lazaristes en 1846, on peut affirmer sans crainte de se tromper que je fus donc aujourd’hui le premier moine à pénétrer au Tibet et à arpenter librement, entouré de la sympathie de tous, cette artère peuplée de pèlerins bouddhistes contournant avec ferveur le temple le plus sacré de leur religion[38]. Nos deux Sœurs bénédictines eurent aussi, je pense, l’émotion de se sentir les premières moniales chrétiennes à suivre le même circuit. Tandis que le Père Maxime de Chevetogne, avec sa solennelle robe noire et son bonnet rond, semblable à la tenue des moines orthodoxes, attire davantage l’attention et le respect. Il a mis bien en évidence sa croix pectorale argentée. « Sinon, me dit-il, on me prendrait pour un musulman. »

 

Le Jokhang

 

            Devant le Jokhang se dressent deux fours blancs d’où s’échappe une épaisse fumée, sans doute pour écarter l’influence néfaste des mauvais esprits. Sur le parvis devant l’entrée, un bon nombre de pèlerins, hommes et femmes, se livrent à de multiples prosternations, étendus sur le sol tout de leur long, protégés de la pierre par une sorte de matelas. Toute l’atmosphère est de fervente dévotion. La statue principale de ce temple est la plus ancienne de leur religion, celle de Jowo Śākyamuni amenée au roi du Tibet Songtsen Gampo par son épouse chinoise, vers l’an 630 de notre ère. Une fois dépassée la cour intérieure du Jokhang, on tombe sur un espace quadrangulaire où une centaine de moines en robe rouge foncé, assis en lotus sur des coussins, s’adonnent avec vigueur au chant d’un rituel. Tout ceci dans un entourage de circulation populaire à la fois poussiéreux et ardent. Le temple est peuplé de petites chapelles. Les multiples statues et représentations de divinités reçoivent dans tous les coins l’hommage des salutations pieuses et le tremblant scintillement des lampes à beurre. C’est un mélange d’odeurs et de faibles lumières, de curiosité et de foi. Notre groupe venu de France et de Belgique a l’avantage de compter deux fillettes. En particulier Mikaëla, huit ans, sérieuse et jolie brunette, attire l’attention. Les vieilles Tibétaines ne cessent de la regarder avec amour. Voulant lui montrer son affection, l’une d’elles extrait de son sac un petit carré blanc : un fromage de yak qu’elle offre à la petite. Peu de jeunes Françaises pourront se vanter d’avoir reçu un tel cadeau.

Le Barkor n’est pas seulement un circuit dévotionnel, c’est aussi un marché. Car les boutiques, tout le long, offrent sur le sol à ciel ouvert toute une variété d’étoffes aux couleurs vives, des vêtements, des ustensiles domestiques. C’est ici le cœur du Tibet. Il est superflu de le prouver. Les Chinois le savent bien : des policiers en civil sont mêlés à la foule, nous observant du coin de l’œil. Surtout s’ils remarquent une jeune nonne tibétaine trop heureuse de causer avec nos Sœurs.

 

Tour de Lhasa

 

            Lhasa est devenue une ville plus qu’à moitié chinoise. Toutes les boutiques et tous les restaurants portent à leur devanture des inscriptions bilingues : au-dessus, les caractères élégants de la langue tibétaine ; les suivant en-dessous, les grands idéogrammes chinois, qui sont pour nous une énigme. La majorité des boutiques sont tenues par des Chinois. En rue ceux-ci apparaissent plus nombreux que les Tibétains. Tout cela étant très mêlé. L’hôtel où nous logeons, Himālaya Hotel, dépend d’une organisation tibétaine: Tibet International Sports Travel. Mais il comprend deux restaurants, l’un tibétain, l’autre chinois ; et le personnel des repas et des chambres relève de l’une et l’autre nation. Les Chinoises ont une attitude correcte mais impersonnelle. Les Tibétaines ont quelque chose de bien plus souriant et de chaleureux; elles aiment à faire plaisir.

 

            Mercredi 13 juillet. Notre hôtel a pour voisine une grande caserne de l’armée chinoise. On peut, de nos fenêtres, voir les évolutions de la troupe, ses exercices de gymnastique; et l’on entend parfois leur musique militaire ou les sonneries de clairon. À première vue, la discipline n’est pas rigoureuse mais plutôt bon enfant. Nous avons fait, à l’aube du jour, une promenade le long de la rivière Kyichu. On n’y voit presque personne sinon, isolés, revoyant leurs cours, quelques étudiants et étudiantes. Ce sont des Tibétains, ayant en mains un livre d’histoire. On peut voir cependant, le long de la rivière, un petit nombre de pêcheurs. Ce sont tous des Chinois, car les Tibétains n’ont pas le droit de pêcher, ce serait attenter à la vie des poissons, nourriture pour laquelle d’ailleurs ils n’ont aucun goût.

 

Drepung

 

            L’après-midi, on se rend au monastère de Drepung, situé à huit kilomètres à l’ouest. En tibétain ce nom signifie « tas de riz », sans doute dû à l’aspect de ces bâtiments au flanc de la montagne. Fondé en 1416 par un disciple de Tsong Khapa, ce grand réformateur de l’Ordre monastique, il abritait plus de 7 000 moines et peut certainement être considéré, toutes religions confondues, comme le plus grand monastère qu’ait connu le monde. Ce fut le monastère le plus important des Gelugpa. Centre d’enseignement, université monastique, il eut, avec ses deux collèges de Loseling et Gomang, un grand rayonnement, jusqu’en Mongolie. Centre essentiel du pouvoir religieux Gelugpa, le deuxième, le troisième et le quatrième Dalaï-Lama furent enterrés dans ses murs. C’est d’ici que gouverna le cinquième Dalaï-Lama jusqu’à l’achèvement du Potala. On est un peu essoufflé à gravir tant de volées d’escaliers, en pierre ou en bois, les uns très raides, pour se rendre d’un bâtiment à l’autre. La plupart ont échappé à la destruction. Aussi l’aspect intérieur est ancien, bien que les thankas aient été volées. La salle de prières commune aux deux collèges est très vaste. On y admire le long des murs les fresques aux couleurs vives que les moines restaurent en conservant avec fidélité les peintures originelles. À part ces quelques artistes, on n’aperçoit presque aucun moine ni moinillon en ce célèbre monastère. Il doit pourtant en compter des centaines. Il faut croire qu’ils se cachent aux touristes par mesure de sécurité. C’est en tout cas un haut lieu du bouddhisme tibétain qui incite à ce qu’ils appellent des prières de souhait. J’éprouve pourtant une certaine déception en redescendant la colline. Je fus accueilli si cordialement en leur Drepung du Karnataka en 1983[39] et notre abbaye de Scourmont a même adopté un petit moinillon de Loseling, ce qui est l’occasion de fréquents échanges entre nous. J’imaginais avoir ici l’occasion d’en dire un mot. À l’opposé de leur monastère de l’Inde, on ne vit apparaître ni l’abbé ni la communauté. Rançon de l’occupation chinoise…

            À une courte distance se trouve le petit monastère de Nechung, l’oracle du Dalaï-Lama, un médium par l’intermédiaire duquel Dorjé Drakden, protecteur attitré du Tibet, conseillait le Dalaï-Lama. Le gouvernement ne prenait jamais de décision importante sans consulter l’oracle[40]. Ne pas s’étonner que la chapelle du protecteur, sous ses deux aspects, paisible et courroucé, lui soit dédiée. On sait qu’on voit à Dharamsala le petit temple de l’actuel Nechung[41].

 

Sera

 

            Jeudi 14 juillet. À cinq kilomètres au nord de Lhasa se situe, occupant le bas d’une colline, le monastère de Sera, l’un des plus importants des Gelugpa, les deux autres étant Drepung et Ganden. La construction du monastère fut commencée par un disciple de Tsong Khapa en 1419. La réputation de cette université monastique, avec ses deux collèges de Sera-jé et Sera-mé, ne fit que croître au cours des siècles. L’ensemble des bâtiments a plus de logique qu’à Drepung et tandis que le « tas de riz » est blanc, les divers temples et collèges de Sera tranchent sur la montagne par le rouge des toits et l’encadrement des portiques. Il serait fastidieux de décrire le contenu des diverses chapelles de chacun des collèges, leurs thankas (ou icônes), leurs multiples statues, devant lesquelles brûlent en permanence les petites flammes d’offrande. Spécialement vaste est le principal « hall de prières » où les deux collèges réunis tiennent leurs assemblées communes. Ces diverses chapelles et locaux de réunion dégagent une indéniable atmosphère de dévotion à la fois fervente et un peu chargée, dans une semi-obscurité qui fait songer aux grands temples hindous. Et dire que des hommes livresques prétendent que le bouddhisme n’est pas une religion!… Lhasa signifie « la terre des dieux ». Ce tour des sanctuaires fut donc, pour nos pèlerins, l’occasion de prières ferventes en un lieu chargé d’un passé prestigieux.

            Pourtant, avouons-le, ce fut aussi un regret que nous emportons. Je fus trois fois à Sera, au Karnataka [42]. J’eus des rapports très cordiaux avec des moines de Sera-jé, surtout Lama Thubten Yéshé[43], et plus récemment avec l’abbé de Sera-mé, Géshé Gosok[44]. Il est regrettable qu’il m’ait été impossible d’en souffler mot à personne en leur monastère d’origine. Ce fut aussi le regret d’une dame de Vincennes, Chantal Roussel, dont la relation avec Lama Thubten Yéshé fut spécialement étroite. On a pu voir les bâtiments de Sera, mais presque aucun des moines. Tout juste une cinquantaine de moinillons jouant allègrement sous la surveillance d’un soldat, fusil à l’épaule, sur les pelouses d’un des collèges. Sécurité oblige…

 

La vie à Lhasa

 

            Lhasa n’est pas si laide qu’on le dit. Elle s’est fort agrandie. On voit beaucoup de constructions et les bâtiments vont des maisons sans étage blanchies à la chaux aux buildings élevés du style le plus moderne. Certains d’entre eux ont de l’allure. Tout cela manque d’urbanisme. Certaines rues, on imaginerait être en Inde. De larges avenues imitent sans doute les grandes villes de la Chine. À tel carrefour important avec feux rouges, le centre de la circulation voit s’élever un monument presque colossal : deux grands yaks qu’on dirait recouverts de feuilles d’or dominent la perspective. Est-ce à la gloire du Tibet ? Cela n’édifie pas tout le monde. Un de mes compagnons me souffle à l’oreille: « On dirait le veau d’or. »

            Bouddhiste dévot, mon compagnon Jean-Paul décida un beau matin d’aller réciter la pūjā de Tchenrézig sur le toit du Jokhang. Ses dévotions terminées, il ne songeait qu’à redescendre paisiblement, quand il s’aperçut qu’il était enfermé dans le temple, celui-ci ayant ses portes cadenassées à midi. Un lama qui faisait visiter le sanctuaire à ses petits copains fut stupéfait de le rencontrer à cette heure et consentit, heureusement, à lui ouvrir la porte.

            Revenus à l’hôtel, nous eûmes le soir, dans la chambre du Père Maxime, une réunion de deux heures, à la fois repas fraternel et colloque religieux, entre les moines chrétiens, les dames de Chevetogne et nos guides en ce pèlerinage, Lama Seunam, Lama Orgyen et Françoise la traductrice. Un petit autel portant des icônes chrétiennes et une statuette de Tara présidait aux échanges, qui furent empreints de cordialité, chacun pouvant dévoiler les richesses de sa propre tradition. Car nous ne sommes pas des touristes et il nous paraît que ce que nous faisons est vraiment nouveau : qu’une dizaine de religieux et de chrétiennes convaincues participent en tout à un pèlerinage bouddhiste dans le cadre du Vajrayāna tibétain. Ce fut, nous semble-t-il, le sommet religieux de ces trois semaines, émouvant pour chacun et chacune.

 

            Vendredi 15 juillet. On voit en rue beaucoup de voitures neuves, la plupart japonaises: camions, camionnettes ou voitures personnelles, un grand nombre de bicyclettes, aussi des sortes de tracteurs aux brancards allongés, un petit moteur sur l’avant, l’arrière étant un fourgon de transport pour les marchandises, que parfois des personnes remplacent[45]. Nous allons visiter le matin le Centre médical tibétain (Mentsi khang) situé au bout de la place faisant face au Jokhang. Le bâtiment moderne a été achevé en 1980. Il sert surtout de clinique ambulatoire et les médecins voient jusqu’à 600 malades par jour. Plus de 400 médecins tibétains qualifiés exercent à Lhasa, la moitié étant des femmes. L’école de médecine se trouve dans un bâtiment séparé. On peut visiter au troisième étage deux pièces distinctes. La première est une sorte de sanctuaire honorant la tradition médicale tibétaine, avec trois médecins célèbres. Une autre pièce renferme toute une collection de thankas ayant trait à la médecine. Ils montrent également les différentes plantes utilisées dans les préparations médicales. La tradition tibétaine tient compte de l’astrologie. Nous passons par une salle d’acupuncture. Ceci intéresse plusieurs membres de notre groupe qui sont médecins ou au courant de la médecine tibétaine.

 

            Samedi 16 juillet. Le groupe projetait de se rendre cet après-midi au Potala, alors que la température est étouffante. Le Potala étant fermé aujourd’hui, ils vont voir le Norbulinka. J’étais indisposé hier, aujourd’hui davantage. Dans la soirée je suis soigné efficacement par Bernadette, la mère des deux petites. Elle enseigne des méthodes empruntées au Tao et travaille sur les énergies. Le lendemain au lever je n’ai presque pas de fièvre. Durant la journée de dimanche je serai progressivement rétabli. Mais par prudence et manque de goût, je ne participerai pas à l’excursion du groupe à Tsédang et Samye.

 

            Dimanche 17 juillet. Reste avec moi ces trois jours le Père Maximilien. Nous voulions visiter le Norbulinka. À l’entrée, un gardien nous dit: « Closed on Sunday ». Ayant remarqué sur le plan de Lhasa qu’il y a, à quelque distance, un Bompo Ri (qui n’est en somme qu’un monticule), nous le repérons près d’une grande avenue proche du Norbulinka. Par un petit sentier sablonneux nous le contournons, enclave tibétaine dans la ville chinoise, et aboutissons à un minuscule monastère Gelugpa: Kunde Ling College. Ce doit être une modeste école monastique. D’un jeune moine à l’autre, nous sommes introduits. Le plus important connaît quelques mots d’anglais. Il nous ouvre aussitôt le cadenas de la porte du temple et nous explique les statues des divinités. À en juger par le nombre réduit des sièges rouges, ce collège ne doit pas compter plus d’une vingtaine de moinillons. Je regrette que ma connaissance très limitée du tibétain nous empêche de prolonger la conversation. À peine sortis de l’impasse sablonneuse et ayant rejoint la grand-route, des sons rocailleux et bas nous intriguent. Ces roulements sonores proviennent sur la droite, au sommet du monticule de Bompo Ri, de cinq longues trompes aux vibrations profondes et rauques. Cinq grands moines à la robe rouge se profilent sur le ciel, peut-être pas des Bönpo, mais leurs successeurs prolongent, juste au flanc de l’avenue moderne, leur mystique ancestrale.

            Nous n’avons pas perdu cette journée. Je ne sais à quel point le Tibet ou la Chine font attention au dimanche comme jour de repos. Il nous semble, en toute hypothèse, que les gens travaillaient peu, flânant sur les avenues, et que les dames et jeunes filles étaient élégantes en leurs toilettes « endimanchées ». On remarque souvent à Lhasa des fillettes vêtues de robes roses à volants, comme des poupées, un peu rétro. Pour notre retour à l’hôtel, nous avions hélé le premier rickshaw qui passait. Le conducteur était chinois. Nous étions sur le point de monter quand survient brusquement un autre rickshawman qui, de son bras droit, repousse violemment le Chinois : « Non, pas celui-là ! Moi Tibétain. » Ayant déjà convenu du prix avec le Chinois, nous avons cru loyal de ne pas briser notre accord.

 

Le Norbulinka

 

            Lundi 18 juillet. L’après-midi, visite du Norbulinka. À l’entrée, un Chinois obséquieux tenant une boutique me salue cordialement avec un « Welcome to Tibet ! » intéressé. Ce « parc du précieux joyau » est un vaste domaine à quatre kilomètres à l’ouest de Lhasa. C’était le palais d’été du Dalaï-Lama. Le septième Dalaï-Lama aurait fait construire le premier palais vers 1750. L’essentiel des bâtiments principaux a été construit au cours de ce siècle par le treizième et le quatorzième Dalaï-Lama. C’est d’ici que l’actuel Dalaï-Lama s’est enfui du Tibet en mars 1959. Les palais, fortement endommagés par les feux de l’artillerie chinoise au cours de la révolte populaire qui suivit son départ, ont été un peu réparés, mais l’essentiel de leur richesse a disparu. Nous parcourons les salles et voyons les multiples fresques et le mobilier des deux principaux palais. Le nouveau palais d’été, construit pour la résidence officielle d’été du quatorzième Dalaï-Lama, a été terminé en 1956. Cet édifice opulent et très décoré abrite des chefs-d’œuvre  de l’art tibétain, de très vieilles statues et quelques objets disparates datant du XXe  siècle et importés d’Occident. On parcourt la salle d’audience de Sa Sainteté, la salle de méditation, sa chambre à coucher, les appartements de la mère du Dalaï-Lama. Moins imposant mais plus ancien est le palais du treizième Dalaï-Lama, qu’un riche laïc fit construire pour lui en 1922. Il a donc une patine que le plus récent n’a pas. Ces divers édifices sont répartis dans le vaste parc planté d’arbres aux essences diverses, assez mal entretenu.

            Cette visite fut pour nous l’occasion d’une double rencontre. D’abord celle d’un vieux Tibétain au visage empreint de noblesse et de bonté ; il fut ému de constater qu’en dépit de mon âge, j’étais manifestement en meilleure forme que lui. Surtout, à peine sortis du deuxième palais, nous  voici abordés clandestinement par un homme jeune et distingué dont l’anglais était rudimentaire, mais qui tenait à nous transmettre un message, l’allée étant déserte, à l’abri des regards dangereux : « Ce palais de Sa Sainteté est pour nous chose sacrée. Les Chinois occupent le rez-de-chaussée et en ont fait une boutique où ils vendent de la pacotille. Avez-vous déjà rencontré Sa Sainteté ? Oui ? Quelle chance vous avez eue !… Impossible chez nous d’avoir une éducation tibétaine. Au collège et à l’Université, la première langue est le chinois, la seconde (si difficile pour nous) est l’anglais. Le tibétain vient seulement en troisième lieu. Si bien que les jeunes Tibétains sont repoussés de tout avenir et maintenus en état de dépérissement intellectuel. » Il parle avec émotion, ne perdant pas tout espoir de remédier, voire clandestinement, à un tel écrasement de la culture tibétaine.

            Au retour à l’hôtel (la journée a été plus fraîche, grâce à une pluie bienfaisante), nous tombons sur un divertissement offert à un groupe de touristes : des danses populaires tibétaines. Trois grands danseurs aux masques noirs et lourdement chargés de costumes bigarrés font la répartie à trois gracieuses danseuses aux robes roses traditionnelles; elles ont des coiffes scintillantes qui rappellent les chapeaux à volets symboliques des Bönpo. Le tout au rythme des cymbales et d’un gong.

            Une chose nous a surpris. Des gens du pays, remarquant que nous étions des chrétiens, nous lançaient: « Amen! amen ! » par une sorte de quolibet ironique. Ceci à plusieurs reprises. En réalité, ils chantaient plutôt: « Amin ! amin ! » et esquissaient le signe de croix à la manière orthodoxe, ce qui me fait croire qu’ils ont vu à la télévision chinoise une liturgie de rite oriental. On entend, de nos chambres, tous les jours et jusque vers minuit, de la musique, empruntée au répertoire des pays d’Occident autant qu’à la Chine.

 

Ani Sangkhung

 

            Mardi 19 juillet. Avec le Père Maximilien, nous allons assister au rituel des nonnes d’Ani Sangkhung. C’est le seul couvent de nonnes de Lhasa dont la communauté soit encore active. Les fondations ayant été faites au VIIe siècle, le lieu est souvent associé à Songtsen Gampo. Au début, l’édifice tenait lieu de monastère d’hommes, mais au XVe siècle, un disciple de Tsong Khapa, Tongten, le fit agrandir et transformer en un couvent de religieuses. Jadis, le bâtiment regroupait plus de cent nonnes, mais abandonné pendant la Révolution culturelle, il a commencé à s’effondrer. Depuis 1984 il a retrouvé sa fonction primitive. Les nonnes actuelles, qui atteignent de nouveau la centaine, sont chargées d’accomplir les rituels de Tchenrézig et de Tara. La plupart sont très jeunes et ne manquent pas de nous accueillir de leur plus beau sourire quand elles voient deux moines chrétiens pénétrer dans leur hall de prières. Celui-ci, récemment décoré, est très gai. À l’arrière du couvent est une longue pièce, un sanctuaire. C’est le lieu où Songtsen Gampo aurait médité. Le rythme incessant des prières de ces jeunes religieuses à la voix claire a quelque chose d’envoûtant. On songe à la prière incessante de nos anciens moines du Bosphore.

            La télévision chinoise n’a rien à envier à la nôtre. Les feuilletons s’inspirant de la Chine médiévale ont du style : beauté des costumes, art des paysages.

 

 

 

Une expédition : Tsédang, Samye

 

            Le soir nous voyons rentrer de leur expédition à Tsédang et Samye tous les membres du groupe, passablement excités. Ils furent terriblement secoués durant les trajets par des routes impossibles. Par ailleurs ravis du luxe de l’hôtel à Tsédang et surtout de tout ce qu’ils virent à Samye. Je cède ici la parole à Sœur Marie-André.

 

            Dimanche 17 juillet. Dès 9h30 nous prenons place dans notre autocar pour prendre la direction de Tsédang à 190 km de Lhasa, dans la vallée du Yarlung Tsangpo au sud-est de la capitale. Mon guide touristique m’avait annoncé un voyage d’une durée approximative de trois heures. En fait, il nous fallut plus de neuf heures d’un voyage cauchemardeux pour couvrir les 80 kilomètres qui nous séparaient encore de Tsédang. La cause ? La route est en reconstruction sur toute sa longueur et en chantier sans doute pour plusieurs années encore, étant donné l’absence quasi totale de mécanisation. En Europe, une route provisoire parallèle aurait été aménagée pour ne pas entraver le trafic pendant la durée des travaux, du moins pour les tronçons qui n’étaient pas taillés à même la montagne. Ici, pas question ! L’autocar a dû se livrer à un véritable gymkhana à la vitesse moyenne de 5 km/h. En effet, les montagnes sont profondément ravinées par des torrents qui, en période de fonte des neiges, risqueraient d’emporter la route. Aussi, tous les 50 mètres environ, un pont est déjà construit par-dessus des crevasses profondes parfois de plusieurs mètres. Comme le soubassement de la route est à des degrés divers d’achèvement, lesdits ponts émergent à plus ou moins 40 centimètres au-dessus de son niveau et ne peuvent être franchis par des véhicules. Force est donc à ceux-ci de descendre dans un ravin aux ornières profondes et boueuses, puis de regrimper péniblement au-delà du pont. Plusieurs fois nous avons cru que l’autocar, penchant dangereusement à droite puis à gauche, ne rétablirait pas son équilibre ou que la piste serait trop étroite pour son train de roues. Ce sport nous valut évidemment une crevaison, réparée en 30 minutes par notre chauffeur chinois, puis un nouvel arrêt lorsqu’une grosse pierre se cala entre deux des roues arrière et les bloqua. Toute la carrosserie du car gémissait et notre carcasse personnelle subissait une véritable dislocation. Comme chaque véhicule croisé ou dépassé soulevait des nuages de poussière, il nous fut impossible d’ouvrir les vitres. Pour accroître encore notre inconfort, le tuyau d’échappement, pour éviter les dégâts que lui causeraient les obstacles de la route, traversait le car au-dessus du plancher jusqu’à sa sortie à l’arrière et dégageait une chaleur qui eût été appréciée en hiver.

            Pourtant, nous nous sommes estimés privilégiés lorsque nous avons observé à loisir les équipes de Tibétains, hommes, femmes et enfants, qui peinaient par groupes d’une douzaine, sous un soleil de plomb, et dont les campements, le plus souvent quelques tentes au bord du fleuve, jalonnaient la route. Des camions déversaient d’énormes blocs de roche ramassés au pied des montagnes toutes proches; des femmes chargeaient sur leur dos quatre ou cinq de ces blocs, retenus par une corde tressée passée sur leur front; d’autres les taillaient en tranches à coups de maillet tandis que des hommes à genoux les disposaient sur champ. Ce travail de galériens, qui battait encore son plein vers 19 heures, n’empêchait pas les travailleurs de s’arrêter à notre passage, de nous saluer par de grands gestes des bras et des joyeux « Tashi délég ! »

            Nous apercevions dans les champs aménagés sur les alluvions du fleuve des paysans occupés à couper le seigle, le millet ou l’escourgeon au ras du sol avec de petites faucilles à main, sans manche.

            La vallée du Tsangpo est bordée de plusieurs sommets dépassant les 5 500 mètres, parmi eux le Chuwori. On aperçoit les ruines du Gongkar Dzong, forteresse qui défendait la vallée, le Gongkar Chöde Gonpa et celui de Rawame, tous deux de tradition Sakya. Nous sommes arrivés à Tsédang à 18h30. Ce fut autrefois la capitale du Yarlung, le berceau de la culture tibétaine. Rompus par un voyage si éprouvant, nous avons apprécié le confort de l’hôtel et son souper chinois.

 

            Lundi 18 juillet. Nous avons pris la route vers le Yumbu Lakang, l’un des plus anciens lieux d’habitation du Tibet. Perché sur un éperon qui domine la vallée, il est devenu un petit monastère, détruit par les Chinois; quelques moines s’efforcent de relever les ruines.

            Sur une trentaine de kilomètres, nous avons repris la route que nous avions « éprouvée » la veille jusqu’au lieu d’embarquement de la barque à moteur qui assure la traversée du Tsangpo. Celle-ci  ne se fit pas sans peine ni risque d’échouer, Chaleur torride (plus de 38º) mais coup d’œil extraordinaire sur la vallée. Puis, sur un camion non bâché, véritable slalom à travers un désert de dunes. Vers 15h, arrivée à proximité d’une clairière dans un bois de saules, où nous attendaient les tentes du campement. Visite du célèbre monastère de Samye, le plus ancien monastère du Tibet, qui fut détruit par les Gardes rouges en 1966. Le grand hall à trois étages, surmonté de toits d’or, est déjà reconstruit, ainsi que deux des quatre stoupas qui se dressent aux quatre points cardinaux. À 20h30, les Lamas ont célébré une pūjā, à la lueur de la pleine lune; elle fut suivie d’une célébration chrétienne préparée par le Père Maxime et son groupe. Inspirée du rite oriental du lavement des pieds, cette cérémonie fut estimée trop longue après une journée si remplie. Elle attira pourtant des villageois assez nombreux.

 

            Mardi 19 juillet. Le camion nous déposa au gué vers 10h. Traversée du fleuve. Visite du monastère de Mindroling, de l’Ordre des Nyingmapa. Il nous a frappés par l’ordre et la propreté qui y régnaient. Détruit comme tant d’autres lors de la Révolution culturelle, il est relevé de ses ruines, depuis 1982, par quelques moines.

            Sur le chemin du retour, nous aurions dû visiter le Drölma Lhakhang Temple, où la déesse Tara est particulièrement honorée. Rompus de fatigue, aucun de nous ne protesta quand on nous annonça que cette visite était supprimée. Rentrés vers 21h30 à notre hôtel. (Ici s’achève le récit de Sœur Marie-André sur ces trois jours).

 

Le Potala

 

            Mercredi 20 juillet. De la terrasse, au sixième étage de l’hôtel, la vue est magnifique sur l’ensemble de la ville, entourée de montagnes. Tout le long du fleuve les nouveaux bâtiments se succèdent, laissant beaucoup d’espaces libres. On a partout des arbres, surtout à l’extrémité du sud-est où nous sommes : des eucalyptus en vertes floraisons. Ce matin visite du Potala. La construction du palais actuel commença en 1645 sous le règne d’un grand homme, le Cinquième Dalaï-Lama. En 1648, le Palais Blanc fut terminé. Le Palais Rouge fut achevé en 1694. Le Potala fut la résidence des divers Dalaï-Lama depuis le cinquième jusqu’au quatorzième, l’actuel. En prenant peu à peu conscience des dimensions et des proportions du Potala, la splendeur impressionnante de cet incroyable édifice devient si tangible et si réelle que toute description semble inadéquate. Nous en avons visité les divers étages, chacun d’eux nous engageant dans de multiples salles qui sont peuplées de statues de chacun des souverains et de divinités. Appartements des Dalaï-Lama, leurs chapelles, leurs tombeaux. Il y a ici des trésors de sculpture, souvent d’un art prestigieux. L’atmosphère spirituelle est intense, parfois presque étouffante. Les volées d’escaliers entraînent les pèlerins à tous les niveaux. Des diverses terrasses la vue sur la ville est très belle. Un défilé militaire a lieu en bas, aux alentours d’un parc. Vus d’en haut, ces pelotons, ces carrés de troupe apparaissent à nos yeux comme un jeu d’enfants aux petits soldats de plomb.

            Les chiens sont nombreux partout au Tibet, dans les rues, somnolant sur les escaliers des monastères, rôdant autour des tentes d’un campement, faisant du vacarme la nuit.

 

Tsurphu interdit

 

            Jeudi 21 juillet. La matinée se passe en démarches infructueuses. Le projet général était de se rendre au monastère de Tsurphu, siège du Karmapa. Lama Seunam et ses assistants durent affronter des discussions dures, se heurtant , d’un bureau à l’autre, à l’opposition des fonctionnaires chinois. La quarantaine était imposée à ce district à cause d’une épidémie propagée par les chiens.

 

Ganden          

 

L’après-midi, on se rend à Ganden, monastère situé à 40 kilomètres à l’est de Lhasa[46]. Fondé par Tsong Khapa, ce grand réformateur monastique, en 1417, il ne pouvait prévoir l’ampleur que son Ordre, Gelugpa, allait prendre ni le rôle politique qu’il allait jouer. En 1959, ce centre d’études avec ses deux collèges de Jangtse et de Shartse comptait plus de 5 000 moines. Ceux-ci furent contraints de se disperser sous l’occupation chinoise et, au milieu des années 60, le monastère était pratiquement désert. Le coup fatal fut porté par la Révolution culturelle : pris dans le tourbillon de la fureur, les indigènes se virent contraints de démolir les bâtiments. Pendant de nombreuses années, le site ne fut qu’un champ de ruines. Mao ayant par la suite rétabli la liberté religieuse, un immense travail de reconstruction s’ébaucha après sa mort. Un à un, les bâtiments émergèrent des ruines tandis que les moines revenaient lentement. Ils peuvent dépasser les 300 aujourd’hui, mais nous n’en avons vu que quelques-uns. Revient à l’esprit l’adage de l’Ecclésiaste (Qohelet 3,3) : Tempus destruendi et tempus aedificandi [47]. Jamais je n’ai senti comme en ce jour ce que signifient les verbes détruire et reconstruire. Au flanc de la colline, l’activité est incroyable : hommes et femmes s’y livrent à un intense labeur, transportant de très lourdes pierres, tandis qu’une scierie équarrit des troncs d’arbres volumineux. Les cathédrales furent édifiées au prix d’un travail presque surhumain, sans le secours de la machinerie moderne. On ne connaît pas la grue à Ganden et les échafaudages sont périlleux.

            Je ne sais par quel oubli (volontaire ?) les destructeurs avaient épargné deux sanctuaires très saints : le tombeau d’or de Tsong Khapa et une grande pièce nue contenant une seule statue de Śākyamuni en cuivre et en or, entourée d’un millier d’images en argile représentant les mille bouddhas de cette ère. Ayant seuls échappé au vandalisme des destructeurs, ces restes du naufrage sont d’autant plus précieux et suscitent chez les pèlerins une dévotion intense. Tandis que Lhasa est à une altitude de 3 660 mètres, Ganden se situe à 4 300. Nous n’en sommes pas spécialement incommodés. Il faut dire que la vue est superbe sur les flancs de la montagne et la grandeur de la plaine.

            Notre séjour à Lhasa fut marqué par une chaleur anormale, parfois 31º. Les lainages qu’on avait apportés n’ont pratiquement pas servi. On n’a presque vu aucun sommet neigeux. Lhasa est à la hauteur du Caire, sur le même parallèle.

            On fit un arrêt le matin, non loin de Lhasa, à un magasin de légumes, sous une vaste tente, le long de la grand-route : assez grande variété, mais malpropreté de la viande qu’ils hachent ainsi, sans se soucier des mouches, de la poussière et de la pollution des fumées.

            Le fait de n’avoir pu se rendre à Tsurphu, siège du Karmapa, fut un coup dur pour les Lamas. Ils avaient apporté, pour les offrir à sa réincarnation, de longues trompes en argent ciselé et bien d’autres offrandes. Tout cela dut être réemballé, sans qu’ils aient montré de signes d’impatience ou de déception. Cette journée nous aura beaucoup appris.

 

 

 

Montée à la Nunnery de Chouk-seb

 

            Vendredi 22 juillet – Une expédition essoufflante

            Nous ne savions pas trop à quoi nous nous engagions. On prévoyait un bref trajet en bus, la traversée du fleuve en ferry, puis trois quarts d’heure de marche avant d’arriver à un monastère de nonnes tibétaines : Chouk-seb. Je tenais beaucoup à visiter ce monastère sur lequel j’avais écrit il y a quelques années[48]. Situé dans un lieu planté de genévriers, d’où son nom, il doit sa célébrité à une abbesse qui fut une mystique, décédée en 1953 dans un âge avancé. Jétsun Lochen, qu’on appela bientôt Chouk-seb Jétsun, fit sa résidence au sommet de cette montagne, présidant une communauté de 300 nonnes. Celle-ci fut totalement détruite après 1959 ; les religieuses ont déployé un grand effort pour la reconstruire.

            Contrairement à nos prévisions, y aller fut un réelle aventure. Plus d’une heure en bus. Pas de ferry, la voiture traversant le fleuve à gué, choisissant un passage où l’eau n’était pas trop profonde. Arrivée au pied de la montagne, la voiture nous déverse sur le sol, nous laissant continuer par nos propres moyens. La montée à pied fut pénible et dura, pour les marcheurs non habitués à l’ascension des montagnes, près de trois heures. On était forcé de s’arrêter à des paliers secourables afin de reprendre souffle. Le monastère étant perché à 4 800 mètres, c’est la plus haute altitude que nous ayons atteinte durant notre séjour au Tibet. L’accueil des vieilles moniales fut excellent. Mais la communauté est surtout constituée de nonnes jeunes et robustes. Elles sont filles de la montagne, habituées aux gros travaux et à porter de lourdes charges. Comparées aux jeunes moniales de Lhasa, qui sont plus fines et sans doute plus intellectuelles, celles-ci sont des femmes fortes tournées vers l’action. Le portrait de leur fondatrice, rayonnante de sagesse et de bonté, trône dans leur temple. Nous sommes tombés sur un jour auspicieux où le rituel, sauf l’interruption d’un repas (pris d’ailleurs dans le sanctuaire) occupe toute la journée : c’est la pleine lune. Soucieux de reprendre des forces au terme de cette ascension éprouvante, j’avoue avoir moins songé à regarder les vues superbes sur les montagnes et les vallées. Redescendre de la montagne en un jeu d’enfant. Tout est plus simple et plus rapide. Il faut pourtant être attentif à ne pas rouler sur les graviers. Une alpiniste m’a tendu la main au cours de la descente. Je rends grâce d’avoir pu, à mon âge, m’acquitter de cette épreuve sportive sans problème spécial. Il n’en fut pas de même pour une de nos compagnes, dont le cœur n’est pas solide. Elle se trouva mal à plusieurs reprises, se foula le pied, et c’est tout juste si on ne la conduisit pas à un hôpital, tant elle nous inspira d’inquiétude durant le trajet du retour.

            C’est peut-être le lieu de nous rappeler ces règles du pèlerinage que la mystique Hadewijch d’Anvers formulait entre 1220 et 1240, mais qu’il est aisé de transposer dans le contexte d’aujourd’hui. Voici ce qu’elle disait [49]:

« Il y a neuf points à retenir pour le pèlerin qui doit faire une longue route. D’abord, demander son chemin ; ensuite, bien choisir sa compagnie ; troisièmement, se méfier des voleurs ; quatrièmement, qu’il se garde de la trop bonne chère ; cinquièmement, qu’il se vête court et se ceigne ferme ; sixièmement, qu’il se penche en avant sur les montées ; septièmement, qu’il se tienne droit sur les descentes ; huitièmement, qu’il demande les prières des bonnes gens ; neuvièmement, qu’il parle volontiers de Dieu. »

Il me semble que nous avons assez bien observé ces règles.

 

 

LE   NÉPAL   REVISITÉ

 

 

            Samedi 23 juillet.

            Retour de Lhasa à Kathmandu. Lever à 4h15. Déjeuner à 5h. Départ de Lhasa à 5h30. Il fait encore noir dans toute la vallée. Le trajet de Lhasa à l’aéroport dure environ 2 heures. On doit y attendre longtemps pour toutes sortes de formalités. Remarque importante : au sortir du Tibet, il est impossible de changer les yuans qui nous restent en aucune monnaie étrangère (dollars ou roupies népalaises) ni à l’aéroport, ni à l’hôtel, ni dans une banque. Une règle qu’Hadewijch avait omis de mentionner : « Au sortir du Cathay, ne tâchez point d’échanger les devises de cet Empire. »

            Nous quitterons le toit du monde sans avoir vu beaucoup de yaks, à moins que nous les ayons pris pour des vaches noires dans les champs, car ils sont tondus en cette saison. Quant au yeti, cet abominable homme des neiges ?…

            Durée du vol : 1h10, dans un avion de la même China Southwest Airlines. Passant au-dessus de la chaîne de l’Himālaya, on voit le mont Everest beaucoup mieux qu’au cours du voyage d’arrivée. Arrivant à Kathmandu vers midi (heure de Pékin), on se met à l’heure du Népal (10h20). Même si la température n’est pas plus élevée qu’à Lhasa, environ 25º aujourd’hui, la chaleur humide est bien plus difficile à supporter : on entre dans une étuve, on transpire. On en viendrait à regretter le Tibet, où le malaise principal vient de l’essoufflement.

            L’après-midi, en petit groupe, nous nous rendons à l’Hôtel de l’Annapurna où commence à 5h30, au second étage, la messe catholique. Elle est célébrée par un jésuite américain, professeur de physique au collège de Jawalakhel (Patan). Son homélie sur le miracle de la multiplication des pains est originale : il insista sur le balancement, en chacun de nous, entre la faim spirituelle et la faim des nourritures terrestres. La salle est bien remplie : une quarantaine de fidèles, où l’on remarque la diversité des types physiques. C’est l’Église qui les groupe de tant de nations ! J’en suis ému, comme au même endroit, il y a onze ans[50].

            Quand nous rentrons à notre hôtel, on nous avertit qu’une grève générale de trois jours a été décrétée par les partis politiques contre la décision prise par le roi et son premier ministre de dissoudre le parlement. On invite les touristes à ne pas sortir ces trois jours, ou du moins à éviter les rues du centre où pourrait éclater une émeute. En réalité, plusieurs des nôtres allèrent visiter Swayambunath avec son temple de Shiva et son monastère Kagyu.

 

            Dimanche 24 juillet. Nous allons à la recherche d’une librairie. Partout, dans les rues, les magasins ont leurs volets métalliques rabaissés jusqu’au sol et solidement cadenassés. Par exception, la librairie que nous cherchions est ouverte : The Pilgrims’ Book House, très bien fournie en livres les plus valables sur les religions orientales, l’histoire et la géographie du Népal et du Tibet (magnifiques albums), l’art et l’iconographie de ces pays, des récits de voyages et des biographies.

            Le soir à 6h30, dans la chambre de Claudine, liturgie orientale selon les vêpres de Chevetogne, avec homélie du Père Maxime. On était un peu trop nombreux dans cette chambre ; atmosphère plutôt lourde, avec l’encens.

Pharping et ses temples

 

            Lundi 25 juilletLa grève semble terminée, le premier ministre convoquant une mise en commun des revendications pour le 28. À quelque distance de Kathmandu, nous allons visiter Yangleucheu : grotte et lac avoisinant où Guru Rinpoché a séjourné. Tout le long du parcours, vues sur une vallée verdoyante où les arbres et la végétation abondent, les rizières et les champs de maïs. La mousson, cette année, fut tardive, il a beaucoup plu cette nuit. Tout ceci nous fait un brusque contraste avec l’aridité sévère des montagnes du Tibet. Nous voyons, côte à côte, à flanc de colline, de petits temples hindous (Vishnu Temple) et de petits monastères tibétains : Yarenché Gompa et ce Pharping Ganesh and Sarasvati Temple qui est en réalité un temple de Tara (Dreulma) tenu par les Gelugpa. Un monastère Nyingmapa possède une magnifique statue dorée de Guru Rinpoché, pleine de majesté. C’est ici qu’a sa résidence, quand il n’est pas en voyage, un lama éminent, Trichang Rinpoché.

            En revoyant Kathmandu après onze jours à Lhasa, on revoit la ville avec d’autres yeux. Elle est fort différente de la capitale du Tibet. On s’était tellement habitué à voir partout des Chinois, des Chinoises, des jeunes soldats en uniforme vert. Kathmandu a plus de négligence, malgré la gentillesse des Népalais ; elle apparaît plus proche des villes indiennes. On remarque aussi le nombre des touristes occidentaux dans les rues.

            Chose surprenante mais confirmée par tous : les livres et les objets liturgiques du bouddhisme tibétain : thankas, damarus, reproductions photographiques, albums, vêtements traditionnels, se trouvent à meilleur prix et sont de meilleure qualité à Kathmandu qu’à Lhasa.

 

            Mardi 26 juillet – Un groupe restreint a une conversation avec le Secrétaire général de la Nepal Belgium Friendship Association, Welfare Society – Nepal sur la situation des pauvres en ce pays et la manière de leur venir en aide. Tout dépend d’initiatives privées. Distinguer entre population pauvre de Kathmandu et condition plus misérable encore des habitants des villages, où la plupart des enfants ne peuvent aller à l’école. Il ne s’agit pas seulement de leur donner de l’argent, mais de les éduquer à une meilleure vue de leurs possibilités. Deux de nos compagnons avant-hier, en route vers Swayambunath et au retour, traversèrent des quartiers pauvres dont la misère leur rappelait certains quartiers de Calcutta.

 

Patan, vieille capitale

 

            L’après-midi, visite de Patan, à 6 km à l’est de Kathmandu. Ancienne capitale, avec palais de son roi, deux stoupas du temps d’Asoka, un temple d’or bouddhiste où le gardien, un hindou, s’indigna violemment quand il constata que Lama Orgyen avait conservé ses souliers de cuir. Plusieurs temples hindous, l’un d’eux ayant cinq toits superposés (style chinois) ; plusieurs temples assez petits dédiés à Shiva ; souvent ces édifices ont des sculptures très ouvragées aux portes, aux fenêtres, aux balcons. Devant l’entrée deux ou quatre lions, la gueule ouverte, les dents menaçantes, font office de protecteurs[51].

            Notre groupe a moins apprécié la visite de deux centres d’État , l’un pour les objets de cuivre, l’autre pour la sculpture sur bois. Entreprise commerciale plutôt que valeur artistique.

 

De nouveau Kopan

 

            Mercredi 27 juillet – Sur l’initiative de Chantal, un petit groupe retourne à Kopan. La pluie fut très abondante la veille et la nuit dernière. À partir de Bodnath, nous allons à pied et le début du trajet est difficile à cause de la boue qui encombre le chemin ; on risque d’y glisser. La montée est plus paisible que la fois précédente. Visite à Géshé Kongchok. On lui dit l’essentiel de notre séjour au Tibet. Chantal lui parle de ses difficultés familiales, de ses ennuis de santé. Il répond avec sagesse dans les deux domaines. Après le repas, nous visitons à l’étage la nouvelle bibliothèque. On y vénère le tcheuten de Lama Thubten Yéshé, on y admire un mandala de Tchenrézig. Nous parlons avec le bibliothécaire, Thubten Sampel, qui était ici un moinillon de 15 ans en 1980. Il y a ici 170 moines, presque tous jeunes, et 86 nonnes au couvent d’en-bas, au bord de la rizière. La majorité sont Népalais, minorité de Tibétains ; la plupart des Népalais sont des Sherpas, comme ce jeune bibliothécaire venant des environs de Lawudo.

 

Et Bodnath

 

            Redescendus à Bodnath, nous allons voir la  devanture ornée de fresques du monastère de Pao Rinpoché, qui vécut en Dordogne. Ensuite excellente visite d’un grand monastère Nyingmapa, celui de Dilgo Khyentsé Rinpoché. Chantal fait appeler le traducteur Matthieu. Celui-ci nous fournit des renseignements précis sur l’abbesse de Chouk-seb, puis nous introduit, sur la terrasse, auprès du jeune abbé de ce monastère, Rabjam Rinpoché, 27 ans. Je l’avais rencontré lors de sa venue avec son grand-père, Dilgo Khyentsé, à Sherab Ling en 1983[52]. Il se rappelle notre entrevue d’alors. Plein d’amabilité et de sagesse. Il tient au bon accord entre les religions et notamment entre moines. À Darjeeling, ils ont d’excellents contacts avec les jésuites canadiens. Ceux-ci jouissent aussi d’une grande estime au Bhoutan ; leur action pour établir le réseau des écoles est fort apprécié de tous. Le Rinpoché nous conduit ensuite à travers les salles de son monastère. Le temple est vraiment beau. On jette un regard sur une classe où de tout jeunes moines, très mignons, apprennent à lire à tue-tête.

            Le soir, Lama Seunam fait devant tous un bilan plutôt positif de notre pèlerinage. Ce fut surtout un rappel des thèmes fondamentaux du Dharma : l’illusion, l’impermanence. On aurait pu profiter de cette réunion finale pour signaler quelques déficiences dans l’organisation. Il semble qu’on aurait pu donner plus d’importance à l’aspect religieux, par exemple en faisant une pūjā de groupe en tel monastère, en laissant un temps de méditation silencieuse en tel lieu sacré. Il est vrai que chacun y faisait prosternations et offrandes de lumières, mais la perspective communautaire de ce pèlerinage était quelque peu négligée. Quant aux rapports entre chrétiens et bouddhistes, ils furent, à mon avis, excellents. Dieu sait à quelle profondeur, dans la franchise et la compréhension, se situèrent certains échanges. J’eus sans doute durant ces semaines les meilleures conversations de ma vie.

 

 

 

 

 

 

RETOUR   PAR   DELHI

 

 

            Jeudi 28 juillet – Le trajet Kathmandu – Delhi dure 1h10, assuré par la compagnie Royal Bhutan Airlines  (ou Royal Druk Air). On arrive à Delhi vers 11h. De 11h à 13h environ, on traîne dans l’aéroport, plutôt frisquet. Jusqu’au moment où le choix nous est offert : y rester ou partir en ville. La plupart préfèrent partir. Un bus nous conduit à Delhi ; il a plu à verse le matin. Le temps est assez chaud et humide. Cependant le vent frais fait du bien. Tout le parcours, on voit des arbres, des parcs, une abondante végétation. À Delhi, Connaught Place, nous prenons un agréable repas dans un restaurant bien organisé. Ensuite, dans un espace vert, nous sommes sollicités par un groupe d’hommes et de jeunes enfants. Ils veulent nous cirer les souliers, nous faire des massages, nous vendre des guirlandes de fleurs d’oranger. C’est un parc relativement paisible. Dès qu’on est aux carrefours ou le long des grandes artères, circulation effrénée. Il y eut un tremblement de terre à 19h50, tandis que nous attendions notre bus ; j’avais l’impression nette que la dalle sous mes pieds avait basculé parce qu’elle n’était pas bien fixée. Quittant le centre de Delhi à 20h, nous sommes à l’aéroport vers 20h45. Formalités d’embarquement, de nouveau par la Lufthansa.

 

            Vendredi 29 juillet – Départ de Delhi à 2h45. On arrive à Francfort à 7h du matin, heure locale. Il fait plutôt froid dans l’avion, qui transporte 400 personnes. À l’arrivée, la température au dehors est de 24º. Notre groupe se scinde, certains devant gagner Paris ou Nice. Ceux qui vont en Belgique quittent Francfort à 9h20 et sont à Zaventem vers 10 heures.

 

Conclusion

 

            Les bouddhistes de France connaissent le Lama Tcheukyi Sèngué  (François Jacquemart) qui, ayant fait la retraite de trois ans et devenu animateur d’un centre près d’Aix-en-Provence, à l’Huynes, assez bon connaisseur de la langue, avait fait en 1986 un voyage au Tibet. Voir un Occidental en robe de moine fut évidemment agréable aux gens du toit du monde. À son retour, il ne voulut pas faire un récit de voyage détaillé. Et quand on voulut lui faire dire ce qui l’avait le plus frappé, il ne parla ni de l’or des temples, ni des sommets arides, ni du bleu éclatant du ciel, ni des lacs de turquoise, mais il avoua simplement : « Ce qui frappe et séduit le plus au Tibet, ce sont les Tibétains[53]. »

            Ou comme le disait Sœur Bruno, à l’issue d’une conférence sur ce pèlerinage. Elle comparait un séjour dans des monastères Zen et ce voyage au Tibet : « Au Japon, ce fut le contact proprement monastique. Ici l’immersion dans la foi et l’ardente dévotion de tout un peuple. »


NOTES



[1] Voir notre article Camaldoli – Assise – Rome, 14 – 21 septembre 1989 dans le Bulletin de l’A.I.M., 1989, nº 47, p. 113 – 117, et le Bulletin du Conseil Pontifical pour le Dialogue interreligieux, 1990 – 1, nº 73, p. 40 – 44 et 16 – 17.

[2] Sur cette Nunnery, voir plus haut p. 51 – 54  et p. 161.

[3]Tsampa est le nom de la nourriture tibétaine habituelle, faite de farine d’orge, mêlée de thé et de beurre; cette pâte est utilisée pour confectionner des torma, durant les cérémonies.” TUCCI – HEISSIG – Les religions du Tibet et de la Mongolie, Payot, 1973, p. 132, note 1.

[4] L’édification par niveaux de cette pyramide de riz ne serait-elle pas une reconstruction  symbolique de l’univers? Et le geste signalé, offrande et bénédiction à tous les êtres doués de vie (semchen)?

[5] Voir BLOFELD – Le bouddhisme tantrique du Tibet. Éd. du Seuil, Points – Sagesses, 1976, p. 216. Avec plus de détails, dans TUCCI (ci-dessus, note 3), p. 156.

[6] On aurait pu ajouter ici quelque chose sur leur formation intellectuelle, car une partie de leur journée est prise par des classes, à en juger par un horaire qui nous fut communiqué sous le titre: Daily routine of the Nuns.

[7] Voir plus haut p. 48 – 49  et p. 179 – 180.

[8] Rencontré à Sherab-Ling en 1983; voir p. 180.

[9] Voir plus haut p. 185 – 186.

[10] Voir plus haut p. 182 – 185.

[11] Voir plus haut p. 180.

[12] J’ai pu séjourner ici deux mois en 1980, cinq mois en 1983, pour l’étude du tibétain, comme on l’a vu plus haut.

[13] Sur son rôle, voir le livre du Dalaï-Lama: Au loin la liberté. Fayard, 1990, p. 300 – 304. Nous verrons le Nechung originel à Lhasa en juillet 1994. Voir ci-dessous, p. 244 et sa note 40.

[14] Voir Bulletin de l’A.I.M. (Vanves), 1988, nº 44, p. 22 – 31.

[15] Voir la belle brochure Benedictines in India réalisée en 1990 par l’Indian Benedictine Federation, 72 pages, illustrée.

[16] Psaume 71, 10 – 11. Offertoire de l’Épiphanie : “Les rois de Tharsis et des îles offriront des présents. Les rois d’Arabie et de Saba apporteront leurs offrandes. Toutes les nations lui seront soumises.”

[17] Cette conférence fut l’une des dernières du Père Bède Griffiths, peu avant sa mort. L’essentiel en fut publié dans la revue bouddhique Dharma nº 18, automne 1993, puis dans le recueil Convergence du christianisme et du bouddhisme (Les dossiers du Dharma, Éditions Prajna, F – 73110 Arvillard), p. 119 – 132. Le même texte parut ensuite dans le Bulletin de l’A.I.M., 1993, nº 55, p. 118 – 124. Nous gardons personnellement la traduction du texte complet, faite sur l’enregistrement. Il est frappant de constater que le Père Griffiths terminait ainsi sa carrière comme l’avait fait Thomas Merton vingt-cinq ans plus tôt, par la rencontre du Dzogchen.

[18] Voir la brochure signalée à la note 15, p. 60 – 61.

[19] Sur ma visite à ce monastère en 1983, voir plus haut p. 190.

[20] Sur cette nunnery, voir plus haut les pages 51 – 54 ; 161 ; 211 – 214.

[21] Sur les nonnes de Tilokpur, voir les pages 50 et 60.

[22] Ci-dessus pages 92 et 172 – 174.

[23] Ci-dessus pages 106 – 110 ; 153 – 154.

[24] Ci-dessus page 112 – 113  et sa note 20.

[25] Ci-dessus pages 123 – 124.

[26] Immaculate Conception of Mary, Heverlee, Louvain.

[27] Voir Guy DELEURY – Le berceau de Rama s’enflamme dans Actualité Religieuse dans le Monde, nº 107, 15 janvier 1993, p. 16 – 17.

[28] Organisé par les Voyages CLEO de Lyon. L’animateur en était le Père René Girault.

[29] Aux grandes vacances, chaque été, de 1978 à 1988. Sans compter d’autres occasions : dialogue interreligieux, inauguration du temple.

[30] Ci-dessus p. 138 – 139.

[31] Ci-dessus p. 207 – 234.

[32] Lama Orgyen y avait été trois fois dans sa jeunesse, mais il n’avait jamais vu Lhasa.

[33] Ci-dessus p. 106 – 110 ; 153 – 154 ; 189 et sa note 49.

[34] Ci-dessus p. 153 – 154.

[35] Par exemple dans Toni HAGEN – Népal. Royaume de l’Himālaya. Berne, Kümmerly et Frey, 3e éd., 1975, illustration 45. Ou dans le Guide Arthaud Népal, par Robert RIEFFEL, Paris, 1986: description détaillée, p. 256 – 265 et p. 212.

[36] Voir la revue Tendrel de Dhagpo Kagyu Ling, Saint-Léon-sur-Vézère, nº 29, septembre 1992. Les circonstances de ce décès restent tant soit peu mystérieuses. Djamgoeun Kongtrul était un des quatre régents de l’Ordre Karma-Kagyu. Il venait d’être désigné comme membre de la commission d’enquête qui allait se rendre au Tibet à la recherche de la réincarnation du Karmapa.

[37] Tibet. À la découverte du toit du monde. Un guide Artou par Stephen BATCHELOR. Éditons Olizane, Genève, 1988, 443 p. Notre citation : p. 20 – 21.

[38] Le jésuite portugais Antonio De Andrade fut le premier Européen à pénétrer au Tibet; il y fut de 1624 à 1629. Une douzaine de jésuites portugais y furent à des dates différentes jusqu’en 1634 (Documents de G. Toscano au Musée Guimet). Le jésuite italien Ippolito Desideri fut au Tibet de 1715 à 1721; voir à son sujet l’excellent article de G. TOSCANO dans le Dictionnaire des religions sous la direction de Poupard, P.U.F., 3e éd., 1993, p. 466 - 468. Les capucins y furent présents de 1707 à 1745. En compagnie du P. Gabet, le P. Huc, lazariste, arrivé à Lhasa le 29 janvier 1846, ne put y séjourner qu’un mois et demi. Quant au bienheureux Maurice Tornay, chanoine régulier du Grand-Saint-Bernard, il fut assassiné dans les Marches tibétaines alors qu’il s’engageait sur une piste pour se rendre à Lhasa, en 1949.

[39] Ci-dessus, p. 170 – 172.  

[40] Sur son rôle, voir plus haut la note 13. Et la revue Notre Histoire, nº 115, 15 octobre 1994, p. 18 – 22.

[41] Visité le 20 novembre 1992, ci-dessus p. 220.

[42] En 1979, 1983 et 1992. Pages 92 ; 172 – 174 et  229.

[43] Ci-dessus la note 33.

[44] Ci-dessus p. 228.

[45] Il va de soi qu’on voit circuler, un peu moins qu’en Inde, ces fameux rickshaws ou pousse-pousse chinois, ici toujours actionnés par la force des jarrets, et non les tricycles à moteur des villes indiennes.

[46] Ci-dessus p. 168 – 170.

[47] “Un temps pour démolir et un temps pour bâtir.”

[48] Ci-dessus p. 46 – 47.  Ce monastère, de tradition Nyingmapa, reçut l’aide de Dilgo Khyentsé Rinpoché. Voir la revue de Dharamsala  Actualités tibétaines, vol V, nº 1, mai 1994, p. 37.

[49] Dans sa lettre XV. Lettres spirituelles. Claude Martingay, Genève, 1972, p. 128 – 129.

[50] Le samedi 29 janvier 1983.

[51] Ayant  déjà parcouru ces beautés de Patan en janvier 1980, j’avais été ébloui lorsqu’on me fit monter dans l’atelier d’un sculpteur qui était également un orfèvre : étincellement de toutes ces statues de Bouddha et des divinités…

[52] Ci-dessus p. 180.

[53] Un lama français au Tibet dans Les cahiers du bouddhisme, 1986, nº 28, p. 3 –11.