CHAPITRE  VII

 

VIVRE  CHEZ  LES  LAMAS

 

 

Jésus dit à Nathanaël:

« Quand tu étais sous le figuier,

je t’ai vu. »  Jean 1,48

 

 

            Dans le cadre des relations à établir entre le christianisme et les religions orientales, il a fallu attendre ces dernières années pour se rendre compte d’une évidence : le monachisme, qui existe de part et d’autre, est un pont qu’on aurait dû utiliser depuis longtemps pour favoriser les contacts. Quand dom Rembert Weakland, Abbé primat des bénédictins, fit un appel en ce sens au congrès de Bangalore (1973, Les moines chrétiens face aux religions d’Asie), il fut entendu et l’A.I.M., pour ce qui regarde l’Asie, veilla à mettre sur pied un organisme qui y réponde. On l’intitula D.I.M., Dialogue Interreligieux Monastique. Ses membres se réunissent régulièrement à Vanves[1], chacun ayant opté pour une des voies de l’Orient : hindouisme, bouddhisme Zen, tradition tibétaine. Au terme d’un périple qui les avait menés dans les régions les plus diverses de l’Inde (17 janvier – 22 février 1979), une dizaine de moines italiens avaient fait connaissance avec bon nombre d’ashrams parmi les plus réputés de l’hindouisme[2]. L’auteur de ces lignes put les accompagner et en retira de grands fruits. Ses supérieurs lui permettant de continuer l’expérience, il fut heureux de connaître les centres les plus importants des Tibétains en exil. Sans qu’on puisse parler d’un véritable échange de moines entre les deux religions, il était instructif pour un trappiste d’Europe de vivre trois mois auprès des lamas du Tibet. Ces pages n’ont aucune prétention. Il faudrait de longues études, et de la pratique, pour approfondir cette voie assez particulière du bouddhisme, souvent mal présentée à l’Occident par des ouvrages qui veulent faire sensation. D’autre part, il fallait choisir. Même en ayant à portée de main des cours de doctrine par des maîtres reconnus, vivant à proximité d’adeptes qui s’exerçaient à leurs méthodes de méditation, on a préféré s’en tenir à l’étude de la langue, condition, nous semble-t-il, d’un approfondissement philosophique et spirituel. Il faut aussi remarquer que de tels séjours ne ressemblent pas à la fréquentation d’un séminaire d’université. Les déplacements prennent du temps, de même que la vie matérielle dans des conditions parfois primitives, sans compter les nombreuses conversations. Mais tout cela, c’est la vie réelle, le living together, dont il faut apprécier la valeur qui risque d’être méconnue par des intellectuels en chambre bien chauffée.

 

 

UN   MONASTÈRE   DE   MONTAGNE

SUR   LA   ROUTE   DE   DARJEELING :

SONADA

 

 

            J’ai pris l’avion à Bruxelles le 1er janvier 1980 à 12 h 15. Dix heures de vol réel. Escale à Abou-Dhabi (Émirats Arabes Unis). Presque toute l’Europe traversée était sous la neige ou le givre : paysages de champs blancs. Le décalage horaire est de quatre heures et demie. À Bombay on arrivait à 22 h 15 de notre heure, à 2 h 45 (heure locale). Le 2 janvier, je n’ai pas quitté l’aéroport, qui est très animé et bruyant. Départ de Bombay à 6  h 30 du soir. Arrivée à Calcutta à 8 h 40. Nuit à l’aéroport, bien plus paisible. J’y suis resté jusqu’au départ de l’avion à 13 h 10. On est à Bagdogra, près de Siliguri, dans le Nord du Bengale, à 14 h. À Bombay, la température, le jour, était de 23º; il fait plus frais à Calcutta, surtout la nuit.

            Il y a 80 km de Bagdogra à Darjeeling. Mais je descends du bus peu après Kurseong, où les jésuites  eurent leur théologat jusqu’à ces dernières années. Sonada est un peu plus loin et plus haut. On est dans les montagnes, les contreforts de l’Himālaya, et la route côtoie des précipices; elle suit en somme le même trajet qu’un petit chemin de fer à vapeur. Chemin faisant, j’eus l’occasion d’avoir plusieurs bonnes conversations. L’Inde est dans les jours d’élections, pour le 3 et le 6 janvier. Dans la région de Darjeeling, beaucoup d’affiches.

            À mon arrivée à Sonada, je vis qu’ils n’avaient pas reçu ma lettre : pourtant l’adresse était correcte. On m’accueillit cependant fort bien. J’avais emporté une photocopie de la lettre de recommandation du Lama de Plaige[3]. Tous me disent que je ne pourrai pas obtenir avant deux mois un visa pour le Sikkim, où réside le chef suprême des Kagyupa, le Karmapa. Je renonce donc à cette visite. Ici le climat est assez rigoureux ; les nuits sont très froides. On se protège avec des couvertures. Le groupe des sympathisants occidentaux est spécialement aimable et serviable. Ils viennent des États-Unis, du Canada, de France.

            À  Sonada, où je suis arrivé dans la soirée du 3 janvier, l’installation est franchement primitive. Il n’y a vraiment rien du confort occidental. Toute une colline est occupée par un petit hameau de réfugiés tibétains et par le monastère. Le long de la route, en bas, s’élèvent les stūpas ou tcheutens bien ornés. Puis le logement des moines et leur temple, où j’ai assisté à la pūjā du matin et à celle du soir. Ils sont une vingtaine, en comptant une douzaine de moinillons, certains très jeunes. Sur la colline on est en train de construire un vaste temple. Plus haut est l’habitation de l’Abbé, le Vénérable Kalou Rinpoché. C’est un homme d’une profonde spiritualité, une sorte de saint du bouddhisme, dont l’austérité est très grande. Il est maintenant âgé; les traits sont émaciés, mais il rayonne la sagesse et la bonté. Très ouvert à la rencontre des religions, il fut reçu par le Pape Paul VI, qui lui fit grande impression. Ce fut sans doute mutuel. J’ai pu avoir deux entrevues avec lui. Ce n’était qu’un début de nos relations[4].

            Ici, et chez plusieurs autres lamas, j’ai pu voir combien profonde fut l’impression causée chez eux par la rencontre du trappiste américain Thomas Merton, qui séjourna un mois à Darjeeling et environs, peu de temps avant sa mort en 1968, à Bangkok. De son côté, il eut pour les lamas tibétains une estime admirative[5].

            À Sonada on vit donc dans une réelle pauvreté, surtout si l’on compare avec notre mode de vie d’Occident. J’en ai d’autant plus d’estime pour les Occidentaux qui viennent vivre et méditer ici, certains pendant un an ou plus : Américains, Français, Canadiens. Leur origine religieuse est souvent chrétienne (de toutes les dénominations). Il y a, par exemple, à Sonada deux Ukrainiennes orthodoxes, qui ont célébré la Noël à la date où le fait leur Église. Comme les Occidentaux vivent forcément entre eux, c’est avec leur groupe que j’eus les rapports les plus fréquents. Le fait que presque tous les moines ne parlent que le tibétain ne facilite pas les échanges; on se sourit et on se fait des amabilités.

            J’imaginais qu’une localité aussi isolée ne comportait aucune présence catholique. Or je fus bientôt en contact avec les salésiens, qui ont ici leur philosophie pour deux provinces, avec 120 scolastiques. Presque tous sont en vacances, les collèges et écoles fermant durant les trois mois d’hiver, qui sont réellement froids. C’est le motif pour lequel il n’y a pratiquement pas de touristes en cette saison. Les salésiens me firent le meilleur accueil, ainsi que les Sœurs  de Holy Cross, congrégation suisse, mais dont les religieuses ici sont indiennes. À mes heures libres, je faisais un peu de tibétain.

            Le jeudi 10 janvier, je me suis rendu à Darjeeling, ville la plus importante du district : 65 000 habitants, marché animé, beaucoup d’écoles, de collèges. J’en ai visité plusieurs, notamment North Point, un des meilleurs établissements de l’Inde, où les jésuites ont formé toute une élite. La plupart des élèves sont non chrétiens, mais se montrent reconnaissants de l’éducation reçue. De même au Loreto Convent.

            De là, j’ai été le lendemain à Kalimpong. J’y arrivais lors de la clôture d’une retraite du clergé diocésain. J’y rencontrai plusieurs de mes anciens séminaristes de Kandy. Je fus édifié par l’excellente mentalité des prêtres du diocèse et de leur évêque, Mgr Éric Benjamin. Entrevues avec des jésuites canadiens, des chanoines réguliers de Saint-Maurice, Valais. Plusieurs souhaiteraient la fondation d’un monastère trappiste dans cette région frontière, proche du Tibet et fort influencée par les traditions du bouddhisme. On peut admirer à Kalimpong deux belles églises catholiques imitant en tout le style des gonpas tibétains.

            De Darjeeling on peut contempler un lever de soleil sur l’Everest (le Chomolungma). Tout le long de la route jusqu’aux abords de Kalimpong, on a les sommets de neiges éternelles du Kanchenjunga.

            Je n’ai pas voulu quitter la colline sans « payer une visite » au scolasticat de Kurseong. Ou plutôt à l’endroit, car le théologat, pour de justes raisons, a été transféré en 1971 à Delhi, où il s’appelle désormais Vidyajyoti (la Lumière de la connaissance). Ici ont vécu, comme professeurs ou étudiants en théologie, un bon nombre de jésuites belges qui étaient mes frères et mes amis. Sur plusieurs tombes je reconnais des noms. Ces lieux autrefois animés d’une foule de jeunes religieux respirent maintenant la solitude et la mélancolie.

            Redescendu dans la vallée, j’ai assisté à une belle cérémonie de profession religieuse chez les Filles de la Croix (de Liège) à Matigara, près de Siliguri. La Mère Générale était présente et me fit le meilleur accueil[6].

 

 

PREMIER   SÉJOUR   AU   NÉPAL

 

 

            C’est le 15 janvier que l’avion arrivait à Kathmandu vers 11 heures  du matin. La ville est admirablement située dans une large vallée entourée de collines. Il y a là beaucoup d’animation, de nombreux sanctuaires. Les environs ont plusieurs pèlerinages fameux du bouddhisme : Svayambhu, dont le stūpa est souvent reproduit dans les livres sur le Népal; Bodnath, où j’ai pu rendre visite à deux Ordres que je ne connaissais que de nom : les Nyingmapa et les Sakyapa (les Bonnets rouges). J’ai surtout vécu une dizaine de jours dans un monastère tibétain dont le rayonnement est considérable (États-Unis, Canada, France, Angleterre, Australie, Allemagne, Espagne). Ils reçoivent chaque année sur cette colline plus de 200 retraitants, venus de tous les pays d’Occident pour y suivre une longue retraite. L’Abbé est le Lama Thubten Yéshé, que je connais bien, ayant suivi deux de ses retraites dans le Midi[7]. Il est très ouvert au christianisme et a écrit sur la personne de Jésus des pages émouvantes. Comme je m’entends bien avec ses retraitants, ils m’ont invité à leur faire, dans la « tente de méditation », deux conférences suivies de questions sur les rapports entre bouddhisme et christianisme. J’admire le courage de ces Occidentaux qui s’imposent de si longues périodes d’entraînement spirituel. À vrai dire, les logements sont primitifs. Il est luxueux d’occuper une étroite chambrette dans une série de blocs. La plupart doivent se contenter d’un simple matelas, vivant côte à côte sous une vaste tente. En compensation, la vue est superbe, vers tous les points de l’horizon, pour qui fait le tour au sommet de la colline, bien qu’on y sente, dès qu’on reste à l’ombre, le froid de l’hiver[8].

            À Kopan – c’est le nom du monastère – il y a, en outre, en permanence une vingtaine de moines tibétains et surtout 70 petits moinillons en robe rouge, tête rasée, qui y reçoivent une formation austère et vigoureuse dans une atmosphère de joie. Cela seul est déjà un témoignage.

            Kathmandu (à 8 km de Kopan) a aussi un important collège de jésuites, qui y furent appelés vers 1953 par le gouvernement. J’y fus très bien reçu (un jour et une nuit); mais je suis resté fidèle à mon projet de toujours partager la vie des monastères tibétains.

 

 

RETOUR   EN   INDE

 

 

            Par Vārānasī je gagnais Gaya, ville importante, le 25 janvier. Reçu chez des Sœurs, dont le curé est un jésuite américain. Le 26 et le 27, j’étais en pèlerinage à Bodhgaya, endroit le plus sacré du bouddhisme. Car c’est ici, sous l’arbre de la Bodhi (dont on garde un rejeton) que Sākyamuni eut la grâce mystique de son Illumination, point de départ du bouddhisme à travers le monde. Il y a ici des monastères ou maisons d’hôtes de presque tous les pays bouddhistes. J’eus surtout une longue conversation avec l’Abbé et un moine du monastère Thaï, dont le temple est un bijou d’architecture. Mais il y a aussi le Japon, la Chine, la Birmanie, Ceylan. Quant aux pèlerins, ce sont sans contredit les Tibétains qui sont les plus nombreux et les plus fervents. Le Dalaï-Lama était là pour une semaine. Des centaines de moines en robe rouge étaient là, en méditation et en prière, assis devant le grand temple durant toute l’après-midi. Quant aux Indiens, ils viennent nombreux, mais plutôt en touristes.

            L’avion devant passer par Delhi, j’en profitai pour visiter le théologat des jésuites, qui y fut transféré en 1971, au départ de Kurseong. J’eus la joie d’y retrouver plusieurs Pères belges qui furent mes compagnons d’études et mes amis. J’ai aussi vu un beau temple tibétain et le centre d’accueil de Lama Yéshé, proche de l’aéroport.

            À Amritsar, j’ai tenu à revoir le Temple d’or, au milieu d’un lac, merveilleux sous le soleil à 5h du soir. C’est le cœur de la religion des sikhs[9]. Chemin faisant, on passe une nuit dans une école catholique, qui est aussi le point d’attache de plusieurs missionnaires. Tous sont fort intéressés par mon équipée et comprennent son importance pour la rencontre des religions.

 

 

DHARAMSALA   OU   LA   CULTURE   TIBÉTAINE   EN   EXIL   (1980)

 

 

            Le mercredi 30 janvier 1980, le bus venant d’Amritsar me faisait atteindre Pathānkot, à la frontière du Pakistan, à l’heure du repas de midi. J’allai le prendre dans une école de franciscaines, presque toutes originaires du Kerala. Elles me firent les honneurs de la nursery, où je fus accueilli par les chants de tout petits bambins. Vers 5 heures et demie, j’arrivais à Dharamsala, où je compte séjourner jusqu’au 26 mars. Ce n’est pas ma première visite en cet endroit puisque, en compagnie des moines italiens, notre Tour de l’Inde monastique [10] nous permit de passer ici, les 17 et 18 février 1979, deux journées bien remplies; nous eûmes notamment la faveur d’une longue audience du Dalaï-Lama.

            Comme on est ici en pays montagneux, il faudrait un graphique pour montrer les divers étages des environs. J’ai déjà dit quelque chose de la situation spéciale de ce bourg, tout en dénivellations. On voudra bien se reporter aux explications fournies plus haut en vue de situer le gonpa des nonnes tibétaines de McLeod Ganj[11].

            Déjà le marché de Dharamsala est à mi-côte. Il y a là une station des autobus, un village assez peuplé[12]. Si l’on monte par un raccourci, on arrive essoufflé au niveau d’où je vous écris. C’est un endroit important. On y admire le bâtiment presque somptueux de la Library. Il s’agit d’une bibliothèque spécialisée, qui est peut-être actuellement la meilleure du monde pour les œuvres originales en tibétain et les livres publiés en anglais sur l’histoire, la géographie, l’art et les religions du Tibet. Chaque année, surtout les mois d’été, la salle de lecture, fort bien équipée, est pleine d’Occidentaux qui viennent y faire des recherches. Le Centre publie une revue, The Tibet Journal, et des collections d’œuvres classiques du bouddhisme tibétain. J’ai fait la connaissance de deux traducteurs canadiens: Glenn Mullin et Olivier de Féral.

            Par ailleurs, nous sommes également à l’endroit le plus intéressant du point de vue politique. C’est ici le siège du gouvernement tibétain en exil. Un beau bâtiment blanc à côté de la Library comporte à l’étage la salle du conseil où le Dalaï-Lama réunit ses ministres; en bas, une salle de réception. Tout autour de l’esplanade, les constructions qui abritent les différents offices : « ministères » de l’intérieur, de l’éducation, des finances, des affaires étrangères… La modeste cantine où je vais prendre mes repas est le lieu où l’on rencontre tous les fonctionnaires de ces bureaux. Ils sont tous Tibétains et parlent entre eux leur langue. Les étrangers qui le désirent peuvent, pour une somme modique, partager leurs repas au Staff Mess.

            Je fus très bien accueilli par le directeur de la Bibliothèque, Monsieur Gyatsho Tshering, qui veilla aussitôt à me procurer une bonne chambre. J’ai pour voisins Amchok Rinpoché, un lama intellectuel qui était assistant-librarian l’an dernier et prépare une thèse pour l’université de Vienne; surtout, un jeune Tibétain très sympathique du nom de Gokey, ancien élève des jésuites à Darjeeling[13] et gardant à ceux-ci une vive reconnaissance. Il me rend mille services.

            Les environs sont fort pittoresques. On a une admirable vue sur les collines et sur la plaine. Au loin on voit un large fleuve, presque un lac, résultat d’un barrage. Surtout, toute proche, une chaîne de montagnes neigeuses, le Dhaola Dhar, dépassant les 4 000 mètres d’altitude, et qui se revêt de couleurs merveilleuses au soleil couchant. Si l’on monte en continuant à gravir une colline très escarpée, on côtoie au bout de 25 minutes le couvent des moniales tibétaines visité l’an dernier. Un peu plus loin, le petit village de McLeod Ganj, avec un marché et l’hôtel où nous avions passé deux nuits. Ce village, à cause de l’altitude, fort exposé, est beaucoup plus froid que notre niveau. Une colline à même hauteur est occupée par l’École de Dialectique, le temple et la résidence de Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Ce dernier a bien voulu m’accorder une audience privée d’une demi-heure. J’ai pu voir de nouveau combien la rencontre avec le christianisme et ses moines lui tient à cœur. J’avais  revêtu mon habit monastique. Je fais de même quand je vais dire la messe au camp militaire de Yol, chaque dimanche dans, la vallée.

 

 

La vie à Dharamsala

 

            J’étudie la langue, avec des tutors successifs. Comme premier tutor, j’eus un laïc compétent, du nom de Tachi. Ensuite un moine, Yelo Rinpoché, qui connaissait moins bien l’anglais. En troisième lieu, on m’a promis quelqu’un de bien au courant, le meilleur, m’a-t-on dit : Lobsang Thönden, dont on va publier un manuel de tibétain à l’usage des anglophones.

            Voici quelques menus événements de ma vie en ces montagnes. Le 5 février, je voyais arriver ici, dans un but de reportage pour la revue missionnaire Pro Apostolis, dont le titre est changé, deux jésuites flamands, l’un directeur de la revue, l’autre appartenant à la mission de Ranchi. Ils avaient obtenu une audience du Dalaï-Lama, une entrevue avec un membre de la délégation revenue du Tibet. Ils prenaient des photos et m’ont fait parler des perspectives de rencontre avec le bouddhisme.

            Le dimanche, je vais dire la messe à Yol, dans un vaste camp de l’armée indienne. Une vingtaine de militaires catholiques sont présents, ainsi que leur femme et leurs enfants. Le Père aumônier est un carme du Kerala. Sachant pourquoi j’étais venu, il a tout de suite saisi l’importance de cette démarche. Il songerait lui-même, ou quelqu’un de ses confrères, à se mettre à l’étude du tibétain et à suivre des cours de doctrine à la Library. Jusqu’ici, si l’on excepte Monseigneur Lamotte et le professeur Snellgrove, je ne connais, du côté catholique, que le Père Sherburne, jésuite américain, qui ait acquis une compétence en ce domaine ; mais ce Père ne vit pas en Inde. Plus tard, j’eus le plaisir de faire la connaissance du Père Francis Tiso et même de le voir participer, en juillet 1994, à notre pèlerinage au Tibet. Le Père Ambrose O.C.D. insista également pour qu’on ait un jour la fondation d’une Trappe dans cette région. À peu de distance d’ici, il existe un endroit de toute beauté, où la nature est restée vierge, de larges collines entièrement boisées. C’est à quelques minutes du marché de McLeod Ganj. La seule construction est une chapelle anglicane presque abandonnée, Saint John’s in the Wilderness. Ce lieu de parfaite solitude et de silence serait l’endroit idéal pour un monastère.

            En attendant mon entrevue avec le Dalaï-Lama, j’avais assisté au pittoresque événement, presque quotidien, du debating : avec force gestes d’allure dramatique, les jeunes moines, étudiants en philosophie, se livrent à ce que nos scolastiques appelaient la disputatio, les objectants étant debout, très animés et lançant leurs objections d’un air sceptique et triomphal, le défenseur de la thèse restant placidement assis, cherchant comment répondre. Cette École de Dialectique a environ 70 étudiants, tous moines en robe rouge. Plus haut se trouve le Tibetan Children’s Village, sous le patronage de la sœur du Dalaï-Lama ; c’est à la fois une école ordinaire et une école artisanale, où les petits Tibétains apprennent ces métiers où ils deviendront experts. L’ensemble compte un millier d’enfants. On songe à en établir une succursale au Mysore, au Settlement de Bylakuppe, dont j’ai visité le monastère l’an dernier[14].

            On a eu, du 17 au 19 février, les fêtes bruyantes, surtout profanes, du Nouvel An tibétain, Losar. Il dure en réalité six jours, trois de préparation et trois de festivités. C’est un vacarme, avec accompagnement de pétards et de fusées. Alors que le menu ordinaire est presque pauvre, on se livre à une véritable bombance durant ces jours : repas surabondants et prolongés; séances récréatives ; même une nuit digne des meilleurs réveillons, avec un grand dîner à minuit précédé d’heures de dancing à l’occidentale. On se demande ce que la religion a encore à faire en tout cela. C’est comme un Christmas sans cérémonie religieuse. Il y eut pourtant, chez les moines, des pūjās quotidiennes et certaines fonctions au temple. À la réflexion, notre carnaval et notre nuit de l’an nouveau ne sont pas plus marqués par le christianisme.

            Depuis le 20 février, les cours ont repris, soit de langue, soit de doctrine. Il y a environ 25 Occidentaux à les suivre ; certains séjournent ici durant des mois, voire des années. Puisque le temps est mesuré, j’ai opté pour l’étude de la langue, laissant à l’avenir le soin de mieux apprendre la philosophie bouddhique et de pratiquer les méthodes de méditation tibétaine. C’est ici l’espace qui me manque pour décrire la vie des gens au milieu desquels nous vivons : les femmes portant leurs bébés bien emmaillotés sur le dos, les jeux animés des enfants, les nombreux chiens qui aboient dans la nuit; surtout, à un niveau plus relevé, la grande dévotion des pèlerins, tournant en priant autour de la bibliothèque ou se prosternant à l’entrée, car son portique est fait de piliers aux couleurs vives comme celles d’un temple. Ce bâtiment abrite d’ailleurs d’importantes collections de manuscrits tibétains : il y a là de précieux exemplaires du Kangyur et de ses commentaires anciens; c’est leur Écriture Sainte. Et l’étage comporte un musée où sont rassemblées des centaines de statuettes du Bouddha, de leurs lamas les plus célèbres, de leurs divinités. Ils ont emporté ces trésors en fuyant leur pays aux heures cruelles de l’exil.

            Le 21 février, le printemps s’est déclaré soudain : les oiseaux s’agitent, les bourgeons éclatent, la température tiédit. Verdure tendre et claire de certains arbres ; un merisier est en fleur. Beaucoup de fleurs mauves, violettes, tandis que la montagne neigeuse toute proche resplendit au coucher du soleil.

 

Rencontre d’un jeune Indien

 

            Vers la fin du mois, je fus entraîné dans une aventure que je n’avais certes pas prévue. J’avais acheté un morceau de gâteau à un jeune Indien de seize ans. Le visage brun, les traits fins, il était catholique, chose exceptionnelle en ces parages. Ostensiblement, il portait au cou une croix argentée et brandissait un Nouveau Testament que lui avait offert un chrétien d’Amérique. Il me demanda de venir voir où il logeait. Il faut savoir que les environs de la Bibliothèque sont encore occupés par les cases minables des Indiens, premiers habitants de ces collines. L’enfant me fit pénétrer dans un trou obscur qui n’avait d’éclairage que par la porte d’entrée. Dans cette sorte de caverne, il n’y avait rien, ni table, ni chaise, ni lampe, ni lit, ni même une vraie couverture et il grelottait de froid la nuit. Juste le petit réchaud sur lequel il cuisait ses tourtes aux bananes ou aux pommes, d’ailleurs appréciées des clients. Je fis de mon mieux pour parer au plus pressé et j’écrivis à des bienfaiteurs éventuels. Il insista ensuite pour que j’aille passer un jour et une nuit dans sa famille, qui occupe une des premières masures d’un village dans la vallée. Non sans quelque répugnance j’y consentis. Et le week-end suivant, je vécus avec cette famille nombreuse qui végète dans une pauvreté proche de la misère. Je dois dire qu’on m’accueillit  le mieux qu’on put. Mais j’avais le cœur déchiré en songeant que telle est la condition de millions de pauvres à travers l’Inde. En face d’eux les Tibétains, exilés, partant de zéro, mais industrieux et habiles, font presque figure de riches. Il va sans dire que chaque jour le petit Indien m’invita à venir l’aider dans la confection de ses cakes. Heures apparemment perdues dans la soirée, mais où j’appris ce que les livres ne peuvent apprendre sur la manière de vivre de gens démunis de tout, mais qui ont le cœur sensible et débordant de gratitude. Comme pour aller chez lui il me fallait grimper en me faufilant le long des pauvres demeures, les Indiens apprirent à me reconnaître et me souriaient au passage.

 

Rayonnement de la colline :

politique, pédagogique, social, religieux

 

Une ville située sur une montagne

ne peut être cachée.

Matthieu 5, 14

 

            On sait que le peuple tibétain, envahi par les communistes chinois en 1950, se révolta contre ses oppresseurs le 10 mars 1959. Ce mouvement insurrectionnel fut durement écrasé. Mais depuis, chaque année, les Tibétains en pays libres célèbrent cette journée comme leur fête nationale. Ici on décore pour la circonstance et l’on entoure de drapeaux, de calicots et d’affiches le terrain de sports un peu plus bas que la Library. Des tentes sont dressées pour le Dalaï-Lama et les officiels. Des discours sont prononcés; on assiste à des danses traditionnelles. Le cortège bien ordonné, qui était déjà descendu du haut de la colline en lançant  des slogans, le fit avec un enthousiasme renouvelé en parcourant les rues de Dharamsala. L’après-midi, une foule considérable vient voir une exposition de photographies, documents rapportés du Tibet par la délégation officielle qui put visiter le pays durant trois mois, vers la fin de l’an dernier. La population y est forcée à des durs travaux; la plupart des magnifiques monastères sont en ruines.

            Après quelques jours d’orage et de grêle, vers la mi-mars, les arbres fruitiers sur les collines (pommiers et cerisiers) sont en fleur tandis que la montagne aux neiges éternelles est splendide au soleil couchant.

            Par une belle après-midi, le 19 mars, je fis un tour de la montagne. J’ai d’abord visité, au Tibetan Children’s Village, plus haut que McLeod Ganj, l’école artisanale où l’on apprend aux jeunes Tibétains, garçons et filles, à faire ces beaux tapis recherchés des Occidentaux. Ils sont là, très actifs et habiles, devant les métiers à tisser et l’on voit le progrès de leur œuvre. De même à l’école d’art où s’élaborent dans le silence les thankas et les mandalas.

            Sur un sommet de la colline, modeste témoin d’un mouvement d’envergure, le Tushita Centre de Lama Thubten Yéshé. Un Américain et un Hollandais se sont donné de la peine pour niveler un sol très pierreux et accidenté; le béton n’est pas encore sec pour les fondations de la future maison des lamas.

            Au contraire il y a déjà huit années que se sont rassemblées à McLeod Ganj les moniales tibétaines dont je vais visiter le couvent pour la seconde fois[15]. Il y a là une cinquantaine de religieuses, vivant une vie « franciscaine » de pauvreté, dans la dévotion et la joie. Leur Supérieure serait désireuse que s’établissent des contacts entre sa communauté et des moniales chrétiennes. Si l’on pouvait un jour établir en ces parages un monastère de trappistines ou un Carmel, elle en serait profondément heureuse. Il est certain que, de part et d’autre, ce serait l’occasion d’un grand réconfort, d’une ouverture sur la vie monastique de l’autre religion, un stimulant pour la ferveur, une édification mutuelle.

            Au moment du départ, j’eus de nouveau de grands témoignages d’estime de la part du directeur de la Library, du Rinpoché qui fut mon tuteur et de celui que j’avais pour voisin de chambre. Une série de projections sur les aspects les plus pittoresques de la vie dans les Settlements tibétains du Karnataka, notamment celui de Mundgod, fut bien accueillie du public, qui y retrouvait son folklore coloré et le caractère prenant de ses célébrations liturgiques. Par ailleurs, m’étant un peu occupé des plus pauvres parmi les Indiens, ce n’était pas sans un pincement de cœur que je devais les quitter.

 

 

LES   ÉTAPES   DU   RETOUR

 

 

            À Kalimpong, j’avais eu la chance d’arriver juste à la fin d’une retraite qui regroupait tous les prêtres du diocèse de Darjeeling [16]; d’où contacts nombreux et faciles avec ces missionnaires qu’il aurait fallu beaucoup de temps pour visiter chez eux. La même bonne fortune me fit trouver à Jullundur, au Punjab, non seulement l’évêque, qui est un capucin, mais le groupe des carmes engagés dans son diocèse[17]. Ils avaient une réunion avec leur Supérieur. J’y ai pu constater le grand intérêt de ceux-ci pour la rencontre des religions. Ils sont évidemment très sensibles au rôle en profondeur que sont appelés à jouer les écrits de sainte Thérèse d’Avila et de saint Jean de la Croix dans ce contact avec les mystiques des religions orientales.

            Le lendemain 27 mars, un premier avion me transporta d’Amritsar à Delhi; un second, de Delhi à Bombay; mais je manquai de justesse le troisième, qui devait s’envoler pour Bruxelles. Fâcheux contretemps, à première vue. En réalité, délicatesse de la Providence, qui m’accordait ainsi cinq jours de plus en Inde. Le prochain départ pour la Belgique étant fixé au soir du 1er avril, je pus passer ces cinq jours à Bombay, où je fus accueilli de la façon la plus cordiale par les jésuites de Saint Xavier’s College. On voyait en moi l’ancien jésuite et missionnaire en Inde, mais peut-être surtout le trappiste. Constamment je suis assailli de questions sur notre genre de vie. L’intérêt est manifestement très vif chez la plupart d’entre eux, Pères et Frères, pour une vie vraiment contemplative. Quant au Tibet, certains se souviennent que la première mission en ce pays, en 1624 et les vingt années suivantes, fut l’œuvre de jésuites portugais sous la conduite du Père d’Andrade. Un livre en italien de Giuseppe Toscano vient de publier une grande part de leurs relations[18].

            Étant à proximité, je ne pouvais manquer la visite des grottes sculptées d’Elephanta. On traverse un bras de mer où est le port de Bombay. Au bout d’une heure on aborde à une petite île qui est une colline. Au sommet, une vaste grotte dont les sculptures s’échelonnent du deuxième siècle avant J.-C. au dixième de notre ère. C’est un temple de Shiva. On y admire, entre autres scènes, trois grandes statues de ce dieu. Surtout, occupant une place centrale, la magnifique et célèbre statue à trois têtes connue sous le nom de Trimurti. Elle est plus impressionnante que ses reproductions ne peuvent le faire soupçonner. Un excellent guide nous expliquait ces œuvres d’art en les replaçant dans la profondeur du contexte religieux de l’hindouisme.

            Le Saint Xavier’s College de Bombay possède un musée et une importante bibliothèque spécialisée pour l’histoire et l’archéologie de l’Inde. Le nom du Père Heras (+1955) y est attaché. On voit ici réunis de multiples objets d’art, de pièces trouvées dans les fouilles et près de 25 000 volumes. C’est un des meilleurs centres de documentation pour les chercheurs en ces domaines, notamment pour la préhistoire et l’histoire des religions[19].

 

En guise de conclusion

 

            Il ne faut pas s’imaginer que le séjour en des monastères tibétains puisse se calquer sur celui qu’on aurait dans une Trappe ou une abbaye bénédictine. Ces gonpas sont à la fois plus ouverts et plus fermés. Plus ouverts, car on voit facilement les lamas se mêler sans problème à la population qui les entoure. Par ailleurs, on n’entre pas dans la vie régulière des moines comme dans un moulin. Pour des raisons diverses, je n’ai pas vraiment participé à leurs activités liturgiques ni vécu dans une cellule avec eux. À proprement parler, la chose eût été impossible à Sonada, dont les constructions sont en cours[20].  À Kopan, tout en croisant fréquemment les moines adultes et leurs moinillons, ce n’était pas l’habitude d’assister à leurs offices. Pas davantage à Dharamsala, où les Occidentaux méditent seuls dans leur petite chambre[21], tandis qu’à McLeod Ganj, quelqu’un qui voudrait s’intégrer à leur vie devrait connaître assez la langue tibétaine pour suivre les enseignements et prendre part aux joutes de l’École de Dialectique[22].

            Tout ceci ne signifie nullement que nous ayons été tenu à l’écart. Chaque fois qu’une occasion s’en offrait, nos conversations avec les lamas les plus élevés se situèrent à un niveau proprement spirituel et monastique. Avec les autres, que l’on rencontrait au long du jour, constamment les rapports furent aimables; un sourire, un geste serviable suppléaient au manque d’instruments linguistiques. Je savais que leur ordre du jour et leurs règles comportent une bonne dose d’austérité. Mais il est certain que ce qui domine, c’est leur modestie, leur bienveillance.

            Si l’on n’a pas retiré du séjour tout ce qu’on en attendait, - je songe par exemple aux lents progrès dans l’étude d’une langue qui nous est fort étrangère -, j’eus en revanche, dons du Seigneur, le profit de bien des rencontres. Édification reçue de ces Occidentaux qui, pour des raisons personnelles souvent semblables, s’engagent dans la voie du bouddhisme. Force et simplicité du peuple tibétain au milieu duquel nous vivions, témoin de ses fêtes, de son folklore, de sa vie quotidienne. Ouverture d’esprit et générosité de tant de missionnaires, prêtres et religieuses qui, vivant tout proches de ces centres du Dharma, connaissant fort bien la région, seraient disposés à multiplier les contacts avec les Tibétains, voire, du moins quelques-uns, à étudier leur langue et leur doctrine. Je leur suis particulièrement reconnaissant de cette mentalité et de leur accueil qui fut un réconfort. Ceci est vrai de tous ceux qui travaillent au diocèse de Darjeeling, des jésuites de Kathmandu et des missionnaires du diocèse de Jullundur où se trouve Dharamsala. Si les moines chrétiens sont appelés à jouer un rôle spécifique dans la rencontre des traditions de l’Orient, ils ne peuvent prétendre le faire seuls, mais en collaboration avec l’Église locale, mieux au courant de la situation réelle de ces régions.

            À ce propos, il est intéressant de constater que ces prêtres voués à l’apostolat sont les premiers à suggérer, et certains avec instance, la fondation d’une Trappe sur leur territoire. On est à la frontière du Tibet et, du moins à Dharamsala, à peu de distance de centres importants des grandes religions. Témoignage de notre vie monastique pour les bouddhistes, les hindous et les sikhs. Rappel aussi à l’Église de l’Inde de la primauté d’une vie toute consacrée à Dieu.

 

 

LES   MONASTÈRES   TIBÉTAINS   DU   KARNATAKA

(INDE  DU  SUD)   (1983)

 

 

Yahvé dit à Abraham :

« Quitte ton pays, ta famille, la maison de ton père.

Et va dans le pays que je te montrerai. »

Genèse 12, 1.

 

            Voilà cinq ans que je suis engagé dans le dialogue interreligieux monastique, cette entreprise qui, sans être directement missionnaire, pourrait porter beaucoup de fruit à long terme. Témoin l’accueil bienveillant que nous avons toujours rencontré auprès des lamas d’Europe et d’Asie. Pour faciliter le contact, il conviendrait de parler leur langue. Car la plupart des grands maîtres du Tibet n’ont pas eu l’occasion d’apprendre l’anglais et l’on ne peut toujours se fier aux efforts d’un interprète. L’idéal serait aussi de pouvoir lire leurs textes doctrinaux et liturgiques. Aussi m’a-t-on permis de revenir pour cinq mois à l’excellente Library de Dharamsala, près de la résidence du Dalaï-Lama, en vue d’une étude plus suivie de leur langue.

 

Au Népal

 

            Le voyage fut combiné de telle sorte qu’une dizaine de jours fut consacrée aux monastères dont nous allons parler (du 12 au 21 janvier 1983). Puis, faute d’obtenir un visa pour le Sikkim, où nous rêvions de visiter à Rumtek le monastère principal des Karmapa, nous avons opté pour un séjour au Népal (24 janvier - 2 février). Nous avions ainsi le plaisir de retrouver, au sommet de la colline de Kopan, le monastère fondé par Lama Zopa Rinpoché et Lama Thubten Yéshé, avec ses moinillons en âge d’école (ils sont 83 sur place) et la piété simple et courageuse de ses retraitants[23]. On est loin du confort occidental et il y fait froid en cette saison. De plus, sans l’avoir vraiment cherché, un projet de fondation monastique paraît pouvoir prendre corps en ce pays. Les prêtres et les religieuses souhaiteraient vivement une communauté de contemplatifs en ces régions himalayennes, tellement marquées par le monachisme bouddhique. Venant ainsi à la rencontre de nos propres désirs, espérons que le Seigneur nous accordera les moyens de réaliser ce projet. Par ailleurs, les administrateurs du centre tibétain me donnèrent l’occasion de faire deux conférences à Kathmandu sur nos deux religions, leurs méthodes spirituelles, leurs Ordres monastiques. Les questions des auditeurs animèrent la rencontre.

 

Au Karnataka

 

            Beaucoup de personnes cultivées, même en Inde, ignorent l’existence d’établissements tibétains au Karnataka (Inde du Sud). On imagine tous les réfugiés tibétains massés quelque part sur les contreforts de l’Himālaya, où l’on se demande de quoi ils pourraient vivre. Il y a cependant 13 Tibetan Settlements dans le seul État de l’Himāchal Pradesh[24]. En réalité, voici quelques chiffres dont nous avons pu contrôler la véracité, sinon l’exactitude. Par ordre chronologique de fondation :

 

1.      Bylakuppe a deux settlements (5 camps, 20 villages) ayant chacun 6 000 Tibétains (donc 12 000) ;

2.      Mundgod : 6 000 ;

3.      Hunsur : 3 500 ;

4.      Kolligal (dépend du Tantric College, plus près de Mysore) : 6 000.

 

Il se peut que Bylakuppe dépasse les 12 000. En additionnant les chiffres ci-dessus, on arrive à environ 30 000 pour tout l’État du Karnataka.

Il y a d’autres settlements en Orissa, peut-être 6 ou 7 000 Tibétains, et en d’autres États de l’Inde centrale. À McLeod Ganj et environs (Himāchal Pradesh) ils sont plusieurs milliers. Pour toute l’Inde : 80 000.

En Suisse : 1 300.

En dehors du Tibet (Népal, Bhutan, Sikkim, Inde, Occident), total : plus de 100 000.

Au Tibet même, le chiffre officiel est de 6 millions.

 

            Selon le Council for Tibetan Education, il y a en Inde, pour les Tibétains, réparties en diverses régions, 50 écoles, plus 4 pensionnats et 2 homes. Selon la revue Dreloma, publiée par l’Université monastique de Drepung, il y a actuellement environ 150 centres du Dharma tibétains, c’est-à-dire monastères de leurs divers Ordres (la religion Bön incluse), en Inde, au Népal, au Bhutan, au Sikkim et au Ladakh. On y compte approximativement 6278 moines, 653 lamas tantriques et 340 nonnes[25]. Ces dernières, trop négligées dans les travaux sur le bouddhisme, mériteraient de faire l’objet d’une étude spéciale. On voudra bien se reporter au chapitre que nous leur avons consacré[26].

 

 

 

 

Les monastères tibétains en Inde

 

Peut-être convient-il de prendre du champ pour rappeler quelques étapes de l’histoire des monastères tibétains en Inde.

            On sait que le Tibet fut envahi par les Chinois en 1950. Ceux-ci prirent progressivement le contrôle de tout ce vaste pays. Les essais de compromis tentés par le Dalaï-Lama furent vains et la fureur populaire contre l’occupant éclata dans ce soulèvement du 10 mars 1959 qui est devenu comme la fête nationale des Tibétains. Le Dalaï-Lama réussit à s’échapper, ainsi qu’un nombre considérable de hauts personnages, de chefs religieux, mais aussi de familles du commun du peuple. Cet exil volontaire sauva la culture et la religion tibétaines d’un très probable anéantissement. Les Chinois commirent de tels massacres, déportations, destructions de monastères qu’un rapport des Nations Unies les qualifia de génocide. Qu’advient-il des moines exilés ?

1.      De 1959 à 1969. À Buxaduar, en Assam, tous les monastères, de tous les Ordres, étaient groupés. Il y avait alors environ 1 300 moines. Et Khensur Pema Gyaltsen (aujourd’hui à Drepung) était l’abbé de l’ensemble.

2.      Le Settlement de Bylakuppe fut le premier constitué, vers 1960, avec Sera, mais aussi des Kagyupa.

3.      Le Settlement de Mundgod débuta en 1964. C’est en décembre 1969 que ce monastère de Ganden commença ici. Il y a aussi des Nyingmapa à Ganden. À Drepung il y a aussi 180 Sakya et 65 Nyingmapa environ.

           

À partir de Bombay, aller vers le sud à Belgaum. De là, un bus mène à Dharwar, puis Hubli. Un autre bus conduit à Mundgod. Enfin un troisième, après une longue attente, arrive au Tibetan Settlement, où je demande qu’on me descende au monastère de Ganden. Tout cela n’est simple que sur le papier… Nous sommes ici dans le Nord du Karnataka.

Il y a, sur le territoire de Mundgod, deux des anciens monastères du Tibet : Ganden et Drepung, distants de 3 ou 4 kilomètres. Chacun des deux monastères a deux collèges : Ganden : Shartse (où je suis les trois premiers jours), Jangtse (visité); Drepung : Loseling (où je suis les trois jours suivants), Gomang (visité). Chaque collège a sa vie propre, son temple ou hall de prières, ses maisons (d’habitation, de réunions), son abbé (khenpo). On peut voir les deux temples parallèles, à peu de distance l’un de l’autre, sur la colline. La division en deux collèges ne signifie aucune différence de spiritualité ou d’orientation. Elle fut au Tibet imposée par le nombre considérable des moines, qu’il convint de répartir en deux communautés; entre elles les rapports sont bons.

 

Ganden

 

Ganden avait plus de 4 000 moines au Tibet. À l’heure actuelle, chacun de ses deux collèges en compte environ 500, de tous les âges. Plus des 2/3 semblent être des jeunes  en formation. Beaucoup d’enfants en âge d’école primaire ; un peu moins du secondaire. Les religieux entre 20 et 35 ans sont actifs, occupés aux divers services du monastère, et aussi aux constructions. Car on bâtit beaucoup. Nombreux sont déjà, mais encore insuffisants, les blocs d’habitation (un par « maison », subdivision du collège). Il y a une seule cuisine pour tout le collège. On voit des briques partout, et leur cuisson. Travail des forgerons, des menuisiers. Une étable a des vaches, des buffles. Atmosphère gaie et laborieuse.

            Ce qui ne veut pas dire que la prière soit absente, loin de là! Je suis justement tombé durant deux jours occupés par de longues périodes de chants religieux et de prières au temple. C’était spécialement fourni et prolongé, en l’honneur des divinités protectrices du monastère, presque toute la journée et tard dans la nuit. Chants d’élévation variée, comme les flots de la mer, tambours disposés en séries, trompes puissantes et mugissantes faisant trembler toutes les parois et les voûtes. Et cela dans les deux temples.

L’ordre du jour. Tous se lèvent à 5 h. Pour les aînés, il y a un « advanced Buddhist philosophical training ». Pour les plus jeunes, la mémorisation de textes. De 8 h à 9 h : prières spéciales. De 9 h à 11 h : débat du matin. On est dans le Sud de l’Inde, et à la saison chaude, la mousson, les élèves viennent dormir en classe de midi à 2 heures. L’après-midi, ce sont les classes. Les élèves se rendent à la chambre du « teacher ». Les classes supérieures ont environ 10 élèves chacune. De 6 h 30 à 8 h : de nouveau, prières spéciales (dans la cour, en plein air). De 8 h à 11 h 30 ou minuit : débat. Je me suis plu à assister, à plusieurs reprises, à ces débats, aussi au collège de Jangtse et plus tard à Loseling. C’est tout ce qu’il y a de pittoresque. En somme, il s’agit de la disputatio scholastica de notre tradition médiévale, avec en plus le chatoiement des couleurs, les gestes théâtraux et la mimique de l’objectant, l’animation incroyable d’une cour d’Orient où une centaine d’étudiants, ou plus, se livrent à un duel implacable, par groupes de deux ou trois. Comme nos anciens citaient l’Écriture, ce qui fait toujours autorité dans les discussions est la parole du Bouddha, les sūtras, évidemment correctement interprétés. Et comme au sein du bouddhisme a prospéré une belle variété d’écoles philosophiques, on voit le prodige de mémoire que réalisent ces jeunes scolastiques, sachant par cœur des milliers de pages de leurs textes sacrés et de leurs commentaires. Et cette lutte se prolonge durant des heures… Je fus surpris d’y voir des moinillons de 12 ou 13 ans ; on m’assure qu’ils ne sont nullement inférieurs à leurs aînés mais font preuve d’une grande vivacité d’esprit[27].

            Puisqu’il est nécessaire de maintenir une discipline dans des monastères si peuplés, afin de suivre les règles du Vinaya, il y avait au Tibet deux maîtres de discipline, le Shengo et le Geko. Ce dernier veillait au bon ordre dans un collège ; le Shengo, dans le hall de prières principal (Tsogchen). En Inde, les deux attributions sont le fait d’un seul Geko, ayant un assistant (chabril). Ils surveillent sur le côté et par derrière durant les assemblées. Pour les choisir, on procède par voie d’élection. Les noms sont envoyés au Dalaï-Lama, qui désigne celui qu’il juge le plus apte. Ceci a lieu tous les deux ans[28]. J’ai pu voir fonctionner ces préfets de discipline qui me rappelaient mes années de collège. En somme, ils intervenaient peu au cours des longues séances de prières, où des enfants si jeunes étaient plutôt remuants et distraits. En revanche, j’assistai un soir à Shartse à une allocution vigoureuse où, d’un ton ferme et clair, le maître rappelait à son auditoire des règles sans doute mal observées. Les plus grands surtout écoutaient avec componction.

            Un point plus névralgique est le travail des moines. Comment peuvent-ils gagner leur vie ? Il n’y a pas de salaire pour eux. C’est un travail volontaire et gratuit qu’ils fournissent, par exemple au collège de Loseling, à Drepung, à l’imprimerie, à la bibliothèque. Ils ont donc à travailler au dehors. À ce point de vue, leur situation en Inde est bien différente de celle du Tibet : là les moines n’avaient pas à faire de travaux manuels pour gagner leur vie et pouvaient se consacrer paisiblement à leurs études. D’ailleurs, en principe, le travail des champs est interdit aux moines, puisqu’on y tue bien des petits animaux, des insectes. Mais en Inde il faut bien vivre. Et la plupart doivent donc, sans l’avoir cherché, mener une existence chargée à la fois de travaux intellectuels et manuels. Sorte de prêtres-ouvriers ou de moines trappistes.

            Je garderai surtout deux souvenirs de Ganden. Le premier est l’entrevue que m’accorda un des plus grands lamas actuels, un véritable maître en toutes les voies spirituelles du Tibet et, à nos yeux, une sorte de mystique. J’avais déjà suivi une de ses retraites, à la Sainte-Baume. Le vénérable Song Rinpoché se montra heureux de me revoir et notre entretien, portant sur la motivation des moines bouddhistes, me fut éclairant[29]. J’en reparlerai plus loin. Le second souvenir est d’ordre sentimental. Malgré l’obstacle que constituait mon ignorance de la langue tibétaine et  le fait que bien peu pouvaient s’exprimer en anglais, on me témoigna une telle gentillesse et serviabilité que j’en restais confus. À tel point qu’il m’en coûta de les quitter pour aller séjourner au monastère de Drepung.

 

Drepung

 

            Je dois confesser avoir emprunté avec crainte la route de ce monastère, la faute étant d’ailleurs entièrement de mon côté. Peu de temps avant mon départ de Belgique, le 27 décembre 1982, j’avais reçu une lettre de l’abbé de Drepung m’avertissant qu’il fallait un permis de Delhi pour pénétrer dans leur Settlement. Il était trop tard pour bouleverser tous mes plans de voyage. Je partis donc de Bruxelles au jour fixé. Par prudence, j’allai d’abord au monastère voisin de Ganden. Tandis que j’allais jeter un coup d’œil, presque en cachette, sur les bâtiments de Drepung, un moine intellectuel, secrétaire de leur ancien abbé, m’ayant aperçu sur la route, m’engagea, malgré la lettre de refus, à venir séjourner chez eux. J’y fus donc durant trois jours, également l’objet de toutes les prévenances.

            Un peu d’histoire ne ferait pas de tort. Le Tibet, avant l’exil, comptait huit Ordres monastiques. Quatre subsistent actuellement en Inde. Le plus connu est celui des Gelugpa, auquel appartient le Dalaï-Lama. Il eut pour origine un grand réformateur religieux, comparable à saint Bernard : Tsong-kha-pa (1357-1419). Lui-même fonda, en 1409, Ganden, qui fut le premier monastère de sa réforme Gelugpa ; il comptait plus de 4 000 moines au Tibet. Ses deux disciples fondèrent Drepung et Sera. C’était au XVe siècle. Les bâtiments de Ganden, vaste cité blanche couvrant toute une colline, furent réduits par les Chinois à un tas de ruines (photo exposée à Dharamsala).

            Drepung fut fondé en 1416. Encombré de moines dès l’origine, sa population grandit sans cesse jusqu’à atteindre le nombre de 7 700 religieux. Ce fut celui des moines résidents; mais aux grandes cérémonies ils étaient environ 10 000. Ce qui en faisait, sans contredit, le plus grand monastère du monde[30].

            Il a, comme Ganden, deux collèges. Celui de Loseling (où l’on m’invita), dont la population au Tibet s’élevait à 6 000 moines, en a aujourd’hui 534, dont 265 en-dessous de 18 ans (on imagine leurs difficultés financières). Celui de Gomang a environ 300 moines ; il semble aussi moins dynamique.

            C’est le premier Dalaï-Lama, aussi disciple de Tsong-kha-pa, qui fonda le monastère de Tashi Lhunpo (siège du Panchen Lama), qui a également repris vie au Karnataka, à Bylakuppe. Au Tibet, Drepung fut exceptionnellement sauvé de la destruction par un vieux moine qui eut l’audace de bien s’y prendre pour en empêcher les Chinois. Mais la plupart des moines furent envoyés aux travaux forcés ou moururent de faim.

            Si l’on s’intéressait à la manière de vivre au Tibet dans un monastère Gelugpa de haute réputation intellectuelle, on pourrait lire l’exposé qu’en fit leur ancien abbé, Khensur Pema Gyaltsen, dans la revue du collège de Loseling, Dreloma (nº VIII, June 1982). La même revue (nº VII, 1981, p. 33-34) fournit les renseignements les plus nets sur leur programme d’études actuel et leurs fêtes liturgiques. Nous ne pouvons entrer dans ces détails, qui ont l’avantage de décrire la situation présente. En 1981 (nº VI) Loseling avait 15 classes, 230 religieux aux études, et l’on donnait le nombre de ceux qui passaient leurs examens des grades supérieurs en cette « université monastique ».

            Comme à Ganden, chaque collège de Drepung a son propre temple ou hall de prières, plus un temple central où les deux collèges à la fois sont souvent réunis. Dans ces assemblées règne, bien entendu, un ordre de préséance rigoureux. En haut les abbés, les anciens abbés, les trulkou (réincarnations), les géshé (maîtres en « théologie »), puis les étudiants suivant l’âge. Tout temple tibétain est une œuvre d’art pour ce qui est de l’architecture, la décoration aux couleurs vives, les statues du Bouddha et des divinités, les offrandes du culte. On comprend que tant d’Occidentaux en subissent l’attrait. Par ailleurs, quelle émotion de voir 500 ou 600 moines en robe rouge, tête rasée, tous assis en lotus par rangées régulières, chanter ensemble des invocations et des textes sacrés, au son des instruments de musique les plus divers, souvent magnifiques de vibrations! La liturgie tibétaine est une des plus prenantes qui soient.

            Comparé à Ganden, Drepung, en son collège de Loseling, apparaît plus marqué par le niveau intellectuel. Les moines y emploient volontiers le terme d’université. Sans qu’on puisse établir une équivalence entre leur enseignement et tout l’éventail des facultés d’une université d’Occident, ils méritent à tout le moins celui d’université monastique, tous les cours étant ordonnés à une connaissance aussi complète que possible de la philosophie bouddhique et de la culture tibétaine. Mais des branches telles que les mathématiques, l’hindi et l’anglais sont évidemment ajoutées au programme. Leur imprimerie est bien montée. Leur revue en anglais, Dreloma, est d’un contenu intéressant. Il y a, chez les meilleurs, une réelle culture. C’est à Loseling que j’ai pu recueillir, en peu de jours, le maximum d’informations sur leur vie monastique, leur histoire, aussi leur spiritualité. En ce domaine j’eus le privilège d’un long entretien, par questions et réponses, avec un de leurs grands supérieurs, le Khensur Pema Gyaltsen, religieux d’un âge vénérable, d’une bienveillance délicate, et qui fut abbé de Loseling durant plusieurs termes au Tibet (on est élu abbé pour six ans). En Assam, il fut préposé au rassemblement de tous les moines exilés et reste à la tête de leur université monastique[31]. Une partie de cet entretien fut publiée peu après dans un exposé plus général[32].

            Le plus beau sans doute est qu’après m’avoir tant donné, les administrateurs de Loseling, qui m’avaient si bien accueilli, s’excusent de n’avoir pu mieux faire.

 

Sera

 

            J’y fus par Bangalore, Mysore, Hunsur. Plus à l’ouest se trouve le Settlement de Bylakuppe, déjà visité, mais trop rapidement, en 1979[33].

            Fondé en 1419 par un disciple de Tsong-kha-pa, le monastère de Sera atteignait au Tibet le chiffre de 7 000 moines. Comme Ganden, comme Drepung, il répartit ses membres en deux collèges qui vivent côte à côte en bonne entente: Sera-jé et Sera-mé. Au principal hall de prières, quand ils se rassemblent, ce qui est fréquent, pour des cérémonies communes, on ne fait pas la séparation des collèges, mais les élèves sont réunis par classes.

            Après l’exil de 1959, le Settlement de Bylakuppe fut le premier à s’établir dans l’Inde du Sud. En 1970 un groupe de 300 maîtres et étudiants commença à s’organiser en vue d’y faire renaître leur ancienne tradition monastique. Le gouvernement indien donna aux réfugiés 200 acres de terre et après sept années employées à nettoyer la jungle et à construire des bâtiments, le monastère fut capable de reprendre la vie normale avec ses deux collèges. Le seul collège de Sera-jé, où j’étais attendu, doit dépasser les 400 moines à l’heure actuelle.

            Tous se montrent très complaisants ; bien que peu de moines puissent parler anglais, ils montrent leur cœur, leur bienveillance rayonnante, leur serviabilité. On me donne peut-être la meilleure chambre, alors qu’ils sont bondés de monde. En effet, le religieux le plus haut en grade dans l’Ordre Gelugpa, Ling Rinpoché, « Senior Tutor » du Dalaï-Lama, qui  fut l’instructeur et le guide de sa jeunesse, donne ici même une série solennelle d’enseignements par laquelle il entend terminer sa carrière. Vieillard vénérable, à la bonté merveilleuse, il est doué d’une voix au timbre ferme qui lui permet de mener à bien cette performance. Lire à lui seul un très long commentaire, des heures d’affilée, durant cinq semaines. Sa réputation lui a attiré, de tous les coins de l’Inde, un auditoire impressionnant de 1 600 moines en robe rouge. Ils arrivent à siéger tous, en lignes régulières, dans ce vaste espace du temple du collège. Mais ils sont si nombreux que beaucoup des étudiants de Sera même s’entassent dans les locaux voisins, sous le portique et sur les escaliers. De pieux laïcs, même des femmes peut-être incultes mais très dévotes, complètent l’assemblée.

            La gentillesse tibétaine fit que, malgré les circonstances, ils trouvèrent le temps de m’accorder une entrevue personnelle avec Ling Rinpoché, l’abbé du monastère et deux autres lamas importants rencontrés jadis dans le Midi et à Ulverston (Angleterre). Non seulement l’accueil fut aimable, mais chaque fois ma qualité de moine chrétien fut appréciée, de même que mes débuts de dialogue. Il importe de le dire : nous ne sommes pas seuls à désirer de telles rencontres. Les lamas tibétains y tiennent autant que nous. Et quand on en trouve le temps, la conversation se fait proprement monastique et touche à des niveaux profonds de nos deux voies spirituelles. À Bylakuppe, les rapports sont très bons avec les Sœurs de l’Apostolic Carmel, leurs voisines, qui tiennent une école à Kushalnagar.

            Quand on songe que Bylakuppe n’était, il y a 25 ans, qu’un modeste village et qu’il totalise à l’heure actuelle plus de 12 000 Tibétains, quand on voit ce district dominé par deux collèges monastiques où prient et travaillent près d’un millier de moines[34], on ne peut qu’admirer l’œuvre accomplie.

 

Tantric College

 

            Le temps m’a manqué pour visiter, comme je l’aurais voulu, une autre institution des Gelugpa qui, déjà au Tibet, fut toujours l’objet d’une grande vénération. C’est là, m’a-t-on souvent dit, qu’on trouvera la vie religieuse la plus authentique, sans doute aussi (si l’on excepte les austérités des ermites), la plus exigeante. Si l’on part de Hunsur vers le sud, on aboutira à ce Collège tantrique aux environs de Gurpura. Les moines y sont actuellement 200. Vie austère, entourée de prescriptions strictes : position durant le sommeil, lever à 3 heures du matin, interdiction d’être sans l’habit monastique, d’aller à bicyclette, etc. Ce Lower Tantric College a une succursale d’une quinzaine de membres à McLeod Ganj, auprès du Dalaï-Lama, qui les a en haute estime. Quant au Collège tantrique supérieur, leur monastère est à Bomdila (Arunachal Pradesh) et compte 300 moines. Ici (à McLeod Ganj), levés tôt, ils ont un service à leur temple jusqu’à 6 heures. Durant la journée, ils vont célébrer des pūjās chez les particuliers. Au retour, ils doivent en faire dans leur monastère. Heures de méditation privée. Au total, environ 10 heures de prières. Ce qui rend sceptique quand certains Occidentaux déclarent que le bouddhisme n’est pas une religion. Pour ce qui est des appellations « supérieur » et « inférieur », elles ne doivent pas nous conduire sur une fausse piste. Il ne s’agit nullement d’une supériorité quant à la valeur de la doctrine ou des observances. C’est purement une indication locale. Au Tibet, le Higher College (Gyu-tö, Ramoche) se trouve tout au nord de Lhasa, le Lower (Gyu-mé) plus au sud[35]. Traditionnellement le collège tantrique était réservé aux moines qui avaient conquis le grade de géshé. Mais on y admet en outre actuellement des jeunes trulkou en formation dès l’âge de 12 ans.

            Reste enfin, proche de ce Tantric College, un autre monastère (non tantrique) que j’ai vu appeler soit Dzongkar Chöde Monastery, soit Zongchö Dratsang Monastery (dratsang = collège). Là se déroulent des danses religieuses traditionnelles comme celles des Karmapa à Rumtek (Sikkim). Elles sont exécutées uniquement par des moines. Ces danses sont particulièrement développées le 29 du dernier mois tibétain, deux jours avant leur Nouvel An (Losar). Ce monastère, qui a environ 50 moines, est dans le Camp même, au nº 3 du Settlement de Gurpura.

            En guise de conclusion. Le fait d’avoir séjourné, ne fût-ce que quelques jours, mais fameusement remplis, dans chacun des trois monastères principaux du Tibet, grâce à l’accueil des religieux et aux informations qu’ils m’ont fournies, a considérablement accru ma connaissance de leur vie et de leur spiritualité. Partout je n’ai rencontré que bienveillance et ouverture au dialogue. Il est grand temps que nos deux religions se rapprochent, pour notre émulation mutuelle et le salut de notre humanité. À se mettre du point de vue tibétain, il est évident que la résurrection de leurs vénérables monastères en terre d’exil est seule à même de sauver, dans l’avenir, leur culture et leurs traditions ancestrales. Un tel peuple ne peut disparaître.

 

 

RETOUR   AU   NÉPAL

           

 

Je suis ensuite retourné au Népal pour dix jours. J’y ai vécu, comme en 1980, sur la colline de Kopan, à environ 8 kilomètres de Kathmandu. C’est le siège central de la série de centres tibétains animée par Lama Zopa Rinpoché et Lama Thubten Yéshé. J’y suis reçu comme une vieille connaissance. J’ai parlé de ce monastère à la suite de mon premier voyage[36]. Tout ce qui fut dit alors se confirme. J’ai remarqué la tenue discrète et la dévotion des Occidentaux, jeunes gens et jeunes filles, qui faisaient leur retraite de Tara. C’est une divinité tibétaine, symbole de la compassion, que l’on prie pour traverser les difficultés et dont le culte et les attributs rappellent aux chrétiens bien des traits de Notre Dame, même ses litanies. On me donna l’occasion d’un dialogue avec deux géshé qui vivent sur place et ont la charge de l’éducation des jeunes moines (environ 83 à Kopan) : religieux érudits, mais modestes et ouverts.

            En ville, à Kathmandu, on m’invita à faire deux conférences devant une douzaine d’auditeurs, la plupart occidentaux et « bouddhisants ». Ce fut alors une vraie confrontation doctrinale, les questions soulevées étant presque toujours sur des points névralgiques. Mais j’aime et apprécie ce genre de rencontres sérieuses. Tout en montrant de la sympathie pour le bouddhisme, j’ai la chance de pouvoir rappeler des vérités fondamentales de notre foi et la richesse de notre tradition : histoire des Ordres religieux catholiques, évocation de nos grands mystiques et auteurs spirituels.

            Il va de soi que j’ai rendu visite aux jésuites de Kathmandu. À strictement parler, leur high school principale est au quartier de Jawalakhel, dans la ville voisine de Patan. Quand on sut que j’étais trappiste et que je m’intéressais aux Tibétains, un Père à large barbe et au physique de saint Nicolas me conduisit au Settlement tout proche, où il enseigne l’anglais aux enfants de ces réfugiés. Il me fit visiter leurs ateliers de tapis. Partout sur son passage, ce n’étaient que saluts et sourires. Mon arrivée remit au premier plan l’idée d’une fondation monastique au Népal. En effet, non seulement les jésuites mais les Sœurs et l’Église comme telle désirent vivement la présence d’un monastère chrétien en ces régions, si marquées par l’influence du bouddhisme et où les habitants n’ont jamais vu de moines chrétiens. Tout le monde sait combien il est difficile, presque impossible, pour des étrangers d’obtenir un visa de plus de six mois dans les régions septentrionales de l’Inde (Nord du Punjab, environs de Dharamsala, district de Darjeeling et Kalimpong). Reste le Népal. Et les Pères américains n’ont point chômé pour me fournir toutes les informations nécessaires. Tous les missionnaires de l’Inde, partout sur mon passage, ont souligné la nécessité d’une fondation monastique en ces parages. Puisse ce rêve devenir bientôt une réalité !

 

Patna – Rājgir – Amritsar – Bangalore

 

            L’Église catholique au Népal dépend de l’évêque de Patna. J’avais donc prévu d’aller le voir. Par hasard, c’est un de mes anciens élèves, au Juvénat de Ranchi. Bien que beaucoup de choses aient été arrangées avec le Père Miller de Patan (Kathmandu), Monseigneur Benedict Osta y ajouta son adhésion convaincue. Il se fit alors le plus serviable des hommes pour me faire connaître la grande ville de Patna et ses environs. J’ai travaillé des années à une thèse qui aurait dû s’intituler : « Chandragupta Maurya et les contacts entre l’Inde et l’Occident ». Or c’est ici, au bord de la ville plus récente, que se trouve l’antique Pātaliputra, ses piliers, ses fûts de colonnes, ses palissades (qui furent en partie rongées par les eaux du Gange, mais dont pas mal de poutres subsistent encore) ; je me suis promené dessus. Je n’aurais jamais imaginé, vers 1968, qu’un jour je serais dans ce Mauryan compound. Le musée archéologique de la ville est très riche, surtout en statues de divinités hindoues. On me fit voir un pont qui a plus de 5 kilomètres et est réputé le plus long du monde sur un fleuve (ici le Gange). Visite à un poste de mission, à la colline sacrée de Rājgir, où Çakyamouni  médita avant et après son illumination. En bas, un temple bouddhiste où un jeune moine japonais vraiment séduisant, de l’Ordre de Nichiren, se montre fort désireux de contacts entre les religions[37]. Aux environs de Bihār-Shariff, on a des hindous, des musulmans, des jaïnistes, fort peu de chrétiens, en partie faute de personnel dans la mission. La très grande majorité des prêtres et des religieuses dans les diocèses du Nord provient du Kerala. Ils sont excellents, de forte tradition chrétienne et généreux.

            J’ai pu le constater de nouveau à Amritsar, où j’ai revu avec édification l’admirable Temple d’or, cœur de la religion des sikhs. Chez les Pères de Saint Francis School, les capucins ont cédé la place au clergé diocésain. On y a établi, depuis le milieu de 1980, un Petit Séminaire, pour élèves à partir de 17 ans. Ils sont 32 à l’heure actuelle, pour trois diocèses. La mentalité est très spirituelle, ouverte en même temps. Au cours du voyage, surtout à Patna, je retrouvais de mes anciens de Shembaganur et de Ranchi.

            Ma visite au monastère de Sera avait eu pour point de départ Bangalore. Je profitai de mon passage en cette grande ville pour faire la connaissance de la Bible Society of India. Entreprise  œcuménique  aux projets ambitieux, puisqu’elle arrive à publier l’Écriture Sainte en toutes les langues de l’Inde ; au total, une bonne centaine. Ils purent sans tarder me mettre entre les mains une Bible en tibétain. Elle est due à un pasteur, le Révérend Phuntsog, décédé aujourd’hui. Il était de la seconde génération chrétienne dans sa famille. Son œuvre n’étant pas pleinement satisfaisante, on a sur le métier une nouvelle traduction.

            La température en Inde est fort agréable à cette époque de l’année. Dans toutes les régions que j’ai parcourues (Bombay, Bangalore, Madras, Calcutta, Patna, Amritsar), la température oscillait entre 16 et 21 degrés à 10 heures du matin. Il en va autrement dans les contreforts de l’Himālaya, que ce soit au Népal ou à Dharamsala. Bien que le soleil brille toute la journée, il fait froid, surtout la nuit, et on n’a pas de chauffage. Chacun s’en tire en travaillant, si possible, au soleil, et la nuit avec des couvertures.

 

 

DHARAMSALA   ET   L’HIMACHAL   PRADESH   (1983)

 

 

Maître, où demeures-tu ?

 - Venez , et vous verrez.

Jean 1, 38-39.

 

 

Installation et compagnons

 

            Je suis arrivé à Dharamsala le 7 février 1983. Nous sommes dans l’État indien de l’Himāchal Pradesh. Il faut six heures de bus pour venir d’Amritsar. Le directeur de la Library est absent, mais on me donna une des meilleurs chambres; on peut même profiter d’un local annexe pour faire la cuisine, ce que je me garde de faire, ayant la cantine à bon compte. La première personne rencontrée fut un Péruvien. Achevant ses études à Louvain, il m’avait demandé à Scourmont quelques informations sur le bouddhisme. Je lui avais conseillé Dharamsala, sans me douter que l’y retrouverais. Il est docteur en Sciences économiques mais s’intéresse surtout aux religions orientales. On a pris l’habitude de se parler en espagnol, ce qui confirme l’utilité de mon voyage en Espagne. C’est un compagnon agréable; on a fait ensemble la plupart des visites dont je vais parler. Assez souvent une dame hollandaise nous accompagne. Elle étudie le tibétain depuis quatre mois, avec un bon professeur qui a publié lui-même un manuel. Cette dame fut au Ladakh en mai dernier, ce qui me donne des renseignements sur cette région où d’anciens monastères gardent la vie d’autrefois. Le cadre est resté tibétain.

            Les premiers jours j’ai composé une Introduction au monachisme bouddhique. Elle devra compléter une conférence faite l’an dernier à l’abbaye de La Pierre-qui-Vire sur La vie des moines au Tibet [38]. Puis, étant encore sous l’impression de ma visite à Ganden, Drepung et Sera, j’ai rédigé un rapport sur Les monastères tibétains du Karnataka  [39]

            Les alentours de la Library ont changé, en ce sens qu’on y voit croître les bâtiments, certains assez considérables; par exemple leur nouveau temple dont on achève l’ornementation intérieure, et un vaste local qui est en somme leur chambre des députés. C’est en effet le siège du gouvernement tibétain en exil. Le 10 mars eut lieu leur fête nationale; ils célèbrent ce jour-là l’anniversaire de l’insurrection contre les communistes chinois à Lhasa en 1959. Comme en 1980, je puis assister à une manifestation très digne, avec un grand discours du Dalaï-Lama. Ce dernier préside également à des cérémonies religieuses, telle l’initiation d’Avalokiteśvara, devant une foule bigarrée, au temple de McLeod Ganj, en face de sa résidence. D’après ce qu’on me dit, un nombre assez important des auditeurs étaient venus du Tibet. Ils viennent en pèlerinage aux endroits sacrés du bouddhisme en Inde. On voit aussi de nombreux enfants du Bhoutan qui iront suivre les cours du Tibetan Children’s Village de Bylakuppe.

            Le temps, qui était très froid au début, s’est adouci progressivement. Depuis les premiers jours de mars, c’est le printemps, avec la beauté de la verdure toute fraîche sur les collines, les champs de sénevé aux fleurs jaunes, les rizières humides, les plantations de maïs, les pêchers en fleurs, roses; plus tard, les cerisiers aux fleurs blanches surabondantes.

 

Sherab Ling – Bīr Settlement

 

            Afin de mieux connaître leurs monastères et pour multiplier les occasions de dialogue, je me suis rendu à Sherab Ling. J’ai déjà parlé de ce centre, car ce fut dans ses parages que j’eus mes premiers contacts avec les nonnes tibétaines. On voudra bien se reporter à ce que nous en disions alors[40]. Quelques jours plus tard, un bus nous amenait en une heure et demie sur la colline sainte de Tilokpur, à l’ouest de Dharamsala, sur la route de Pathānkot. Nous allions y passer 24 heures dans un monastère de moniales de l’Ordre Karma-Kagyu. De cette visite également j’ai rendu compte plus haut[41]. C’était le 8 mars 1983.

            À Sherab Ling, nous avons assisté à un spectacle haut en couleurs : la réception solennelle, un beau matin, d’un maître célèbre venu du Bhoutan. C’est un Nyingmapa du nom de Dilgo Khyentsé Rinpoché. Les moines, sur le toit, avaient revêtu leurs plus beaux atours, ayant sur la tête la prestigieuse coiffe jaune avec crête, dont la forme rappelle les casques mycéniens. Et les trompettes et les flûtes accueillaient cet hôte de marque. On me ménagea le lendemain une entrevue d’une heure avec son petit-fils, moine de seize ans, mais qui en paraît davantage: Rabjam Rinpoché, que je devais revoir à la tête d’un grand monastère à Bodnath (Népal) en 1994. On compare les  deux religions, leur vie monastique; et il me fournit des renseignements sur la présence des Nyingmapa au Bhoutan et en Dordogne.

            De là nous avons visité le Settlement de Bīr, qui compte 3 000 Tibétains et six monastères de trois Ordres différents (Nyingmapa, Kagyupa, Sakyapa). Nous fûmes spécialement émus en assistant à une longue pūjā de ces derniers, présidée par un petit trulkou de quatre ans. Bien  que j’aie déjà vu pas mal de liturgies tibétaines en divers pays, c’est ici que nous avons eu le sentiment de vivre, pour une heure, comme ils vivaient sans doute au Tibet. Tout se passait dans les locaux de l’école, car leurs monastères définitifs ne sont pas achevés. À la demande des habitants, qui ont aussi payé dans ce but, il y a ici, durant une vingtaine de jours, des prières et des cérémonies incessantes, de tôt le matin à 11 heures du soir, avec seulement de brèves interruptions pour les repas. Tous les moines des environs y participent, et cela depuis 1966. Ce qui est frappant, c’est que la chose n’est nullement l’affaire exclusive du clergé, le sangha. Dans les locaux de classe transformés en chapelles, de pieux laïcs se pressent autour des moines et ils encombrent la véranda, assis en prière, hommes et femmes de tout âge, depuis les vieillards jusqu’aux plus jeunes enfants. Le futur temple des Nyingmapa, aux couleurs vives, riche en symboles, sera un des plus captivants de la région.

            C’est dans ce milieu monastique, à Tilokpur, que nous avons pu nouer un dialogue très éclairant avec un des meilleurs maîtres de philosophie du bouddhisme tibétain. Appartenant au lignage des Kagyupa, le Khenpo Tsultrim Gyamtso possède à la fois une intelligence très claire et une profonde réalisation spirituelle. Ses enseignements ont une répercussion sur les esprits et sur les cœurs . C’est aussi un homme simple et rayonnant de bonté. Comme Tai Sitou Rinpoché, il attire à lui sans effort. Il est connu en Occident pour un excellent opuscule sur la Vacuité [42] et il est fréquent qu’on l’invite pour des conférences en nos pays (France, Belgique…).

 

Présence catholique

 

            Le premier dimanche, j’avais dit la messe, comme en 1980, à la chapelle du camp de l’armée indienne, à Yol Camp. L’aumônier est nouveau, mais également carme de Kerala. Les autres week-ends, on a estimé plus commode que je vienne chez les religieuses, qui ont une école prospère à Sidhpur (ou Sidhbari). Ce sont des Sœurs de la Charité de Jésus et de Marie, plus connues chez nous comme Sœurs de la Charité de Gand. Elles furent appelées ici par les familles de militaires. Actuellement elles ont 850 élèves, garçons et filles, qui arrivent par fournées en bus spéciaux chaque matin. Leurs pensionnaires sont de familles aisées, en majorité du Punjab. Elles m’accueillent toujours avec plaisir. Je constate que la plupart ont beaucoup voyagé et connaissent bien des villes sacrées de l’Inde; elles sont presque toutes hindoues ou sikhs. Il y a une trentaine d’enfants tibétains à cette Sacred Heart High School, bien intégrés à l’ensemble. Je dis la messe dans la chapelle des Sœurs le samedi soir et le dimanche matin. Tout ceci dans la vallée, parfois encombrée de roches.

 

Dans un ashram hindou

 

            Une fois elles me firent remarquer la présence, dans leurs environs, d’un centre important du monachisme hindou. Avec plusieurs d’entre elles, je me rendis donc à Tapovan, au sommet d’une colline de Sidhbari. Là réside un maître fameux : Swāmi Chinmāyānanda. C’est lui qui fonda le grand ashram de Powai, dans la banlieue de Bombay. Avec le groupe de moines italiens nous y avions rendu visite en 1979[43]. À Tapovan, les constructions sont vastes, claires, modernes. Ils peuvent accueillir des hôtes. On suit un ordre du jour qui permet d’étudier les Upanishads, la Gītā, et aussi de faire des pūjās et des méditations dans la tradition shivaïte du Sud. Le Swāmi nous a reçus cordialement. Il est d’un tempérament fougueux, violent, ultra-convaincu. Saint Paul devait être un passionné de cette trempe. Il n’a pas la réputation d’être enclin à des douceurs envers le christianisme. Mais il nous a parlé de l’unité profonde des religions avec une telle sincérité qu’on ne peut vraiment pas lui chercher noise. Son prestige est reconnu. Le matin même de ce dimanche, 2 500 personnes étaient venues de toutes les parties du monde assister à la « réception des idoles » de leur futur temple. L’esplanade est déjà dominée par une statue colossale du dieu-singe Hanumān. Quant à l’architecture des bâtiments, elle se veut fidèle aux plus anciennes techniques des temples dravidiens. Nous avons vu les architectes apporter leurs plans : au fronton on verra Rāma et Sītā, car le Rāmāyana est ici en honneur.

 

Un brin de météo

 

            Pour rappel, le marché de Dharamsala, appelé aussi Kotwali, est à 1 387 mètres d’altitude. McLeod Ganj, qui est à 9 kilomètres par la route, atteint 1 768 mètres. La Library est à mi-chemin. Ceci marque une différence de climat. Au sommet il fait rudement froid en hiver; le printemps, par contre, y est très agréable. En quelques jours les touristes y affluent, parmi lesquels des hippies déguenillés et bizarres. Il y a vingt- cinq ans, c’est à peine s’il y avait là un hameau, quelques échoppes. C’est devenu un village où les marchands tibétains sont nombreux. Mes compagnons plaisantent en disant que les Occidentales rêvent de s’habiller en robes du Tibet tandis que les jeunes Tibétaines suivent les modes de l’Occident.

            Depuis longtemps j’avais du retard dans mon courrier, certains de mes correspondants attendant une réponse depuis plusieurs mois. J’ai donc consacré la fin de février et le début de mars à un grand nombre de lettres. Le 19 mars, violent orage accompagné de grêle; je n’ai jamais vu les grêlons tomber avec une telle force et en telle quantité. Tous les environs en étaient couverts. Et l’orage reprit dans la soirée.

 

Tashi Jong. Ses danses rituelles

 

            Avec mon compagnon péruvien et une dame hollandaise, je me suis rendu le 21 mars, pour cinq jours, à Tashi Jong, à environ une heure et demie de bus à partir de Dharamsala. Depuis des semaines nous projetions d’y aller. Il s’agit d’un monastère tibétain de l’Ordre des Droukpa Kagyu. Ils sont particulièrement nombreux au Bhoutan (en tibétain, le mot qui traduit Bhoutanais est droukpa, ce qui signifie « dragon »). Peu auparavant, 4 000 personnes sont venues ici de tous pays pour assister à l’intronisation du petit Kamtrul Rinpoché, le IXe de ce nom ; né le 6 décembre 1980, il a donc un peu plus de deux ans. Étant à la tête de ce monastère et occupant une place de choix dans la hiérarchie de son Ordre, cet enfant est donc l’objet d’une grande vénération, tout comme les « réincarnations » du même âge chez les Sakyapa de Bīr ou celui de sept ans à Tsopema. En chacun d’eux on ne peut s’empêcher de voir une sagesse, un sérieux au-dessus de leur âge. Le jeune Kamtrul se comporte admirablement durant les cérémonies. Il impose ses petites mains avec dignité sur les têtes qui se prosternent devant lui. Il aura évidemment des maîtres (tutors) pour veiller à son éducation doctrinale. Mais dès sa reconnaissance, il est considéré comme le premier Kamtrul revenant parmi nous. La croyance aux réincarnations peut nous sembler inacceptable. Elle trouve ici un de ses cas privilégiés. C’est d’ailleurs en suivant des règles minutieuses que le trulkou, appelé plus tard rinpoché, est découvert: indications de son prédécesseur, lettre d’un chef de ce lignage, données astrologiques, enquêtes sur place, reconnaissance par l’enfant d’objets ayant appartenu au défunt… Nous avons plusieurs fois rendu visite à ce bambin séduisant. Mais pour le dialogue, ce furent évidemment d’autres interlocuteurs. Chaque fois nous sommes accueillis avec une cordiale bienveillance. Chogyal Rinpoché nous explique le symbolisme des danses traditionnelles auxquelles nous assisterons les jours suivants. L’essentiel est décrit dans une brochure intitulée: Garcham – The Celebration of Padmasambhava’s Birth. Dorzong Rinpoché nous instruit sur l’histoire du monastère et du Settlement qui lui est associé. Chentsé Rinpoché, désireux de contacts avec des moines chrétiens, nous fournit des détails sur la vie dans leur communauté, sur sa propre vocation. Ils n’ont pas une réelle formation philosophique, faute de professeurs pour le moment; mais on y songe pour l’avenir. Ils ont déjà bâti, près de l’esplanade devant le temple, le premier local d’un chedra, leur école de dialectique.

            Si nous sommes venus ici, c’est surtout pour assister à des danses rituelles qui remontent aux Nyingmapa et célèbrent la naissance de Padmasambhava. Leur contenu philosophique et religieux est d’une grande richesse, reproduisant de manière scénique comme une orchestration des thèmes fondamentaux de leurs croyances. Celles-ci sont donc contemporaines des débuts du bouddhisme au Tibet (VIIe  siècle) et même antérieures. Ces danses ont duré quatre jours, le premier étant une répétition générale (rehearsal) sans costumes ni masques. Les trois jours suivants ont chacun leur caractère propre : costumes et masques sont adaptés aux sentiments à exprimer, aux épisodes mythiques ou « magiques » à mettre en valeur. Quiconque a vu, ne fût-ce qu’en film, des danses tibétaines a déjà une idée de la magnificence de ce déploiement. Si je ne me trompe, ce n’est qu’à Rumtek au Sikkim, ou au Zongchö Dratsang Monastery de Gurpura (par Hunsur) qu’on peut trouver, une fois par an, le parallèle de ces danses  au rythme souvent empreint de lenteur, mais parfois soulevé par des sauts et des pirouettes remarquables d’élan. Tous les acteurs sont des moines, la plupart assez jeunes. Les ornements, par exemple des chapeaux, et  la riche variété des couleurs des robes font de ces costumes des pièces d’art, tandis que les masques, apaisés ou terribles, donnent une dimension mystique aux danseurs qui les portent. Tout se fait en plein air, sur l’esplanade du temple, les acteurs et les autorités du monastère étant abrités par une tente dressée le matin, protection contre le soleil ou la pluie. Des centaines de personnes y assistent : Tibétains du Settlement (300 réfugiés), observateurs occidentaux attirés par le bouddhisme  vajrayāna, ou photographes en quête de spectacles. Il faut noter que, pour les croyants, il ne s’agit pas seulement de théâtre. Le rapprochement s’impose avec les « mistères » joués au Moyen Âge au porche des cathédrales. Ces mêmes moines qui dansent durant des heures, et leurs confrères de la communauté, sont éveillés dès 4 heures du matin et passent presque tout le temps libre de la journée en longues pūjās aux vibrations sonores. Ce sont à la fois des jours de théâtre médiéval et de liturgie monastique.

            Nous devinions tout ceci par oüi-dire. Y assister était bien autre chose. Aussi sommes-nous reconnaissants à une petite Tibétaine de quatorze ans, pensionnaire chez les Sœurs de Sidhpur. C’est elle qui nous pressa d’y aller et nous fournit des indications précises sur ces fêtes. Ses parents habitent Tashi Jong, où leur maison domine le Settlement et où nous fûmes l’objet d’une grande hospitalité.

            Dans les parages, sur la colline, vivent des yogis tibétains du nom de Naldjorpa. Juridiquement, ils ne sont pas moines. Vêtus de blanc, ils portent un châle sur les épaules. Ils ont une tresse de cheveux enroulée sur la tête et un chignon assez élevé. Ceux que nous avons rencontrés vivent dans la mouvance du monastère, avec lequel ils ont beaucoup de liens. Leur aspect est digne, austère, imposant. Pratiquant le Tantra, ils vivent en ermites, sectateurs de la voie directe. L’occasion nous a manqué pour avoir une conversation avec eux.

 

Rewālsar. Ses monastères et ses ermites

 

            De là, nous nous sommes rendus beaucoup plus loin. Il faut de longues heures de bus pour arriver, par Mandi, à Rewālsar. Les Tibétains appellent ce lieu sacré Tsopema. Selon la tradition, Guru Rinpoché est miraculeusement né d’un lotus, d’où son nom de Padmasambhava. Il devait être brûlé vif par un rajah hindou, irrité des relations de l’ascète avec sa fille, mais il émergea au milieu du lac que nous avons sous les yeux. C’est depuis lors un endroit de pèlerinage. Car tout le bouddhisme tibétain considère Guru Rinpoché comme son premier initiateur. Ceci étant surtout sensible dans les écoles monastiques plus anciennes : Nyingmapa et Kagyupa. Autour du lac, de dimensions assez modestes, s’élèvent différents temples de ces Ordres, que nous avons visités. Mais aussi des sanctuaires hindous en l’honneur de Shiva, de Durga; un temple sikh à la coupole blanche et à l’hôtellerie accueillante (Gurdwara), où nous avons entendu la musique du soir, avec ses chants religieux semblables à ceux d’Amritsar.

            Les 26 et 27 mars furent donc consacrés à Tsopema. Deux fois nous avons gravi la colline, très escarpée, aux marches innombrables et irrégulières. On est plutôt essoufflé avant d’atteindre le sommet , où habite un maître Droukpa Kagyu du nom de Lama Wang-dor; ses disciples, moines et nonnes, plus quelques adhérents occidentaux, sont comme lui des ermites vivant dans des grottes de la montagne. Une fois par mois ils se réunissent pour une journée de prière commune. Nous avons la chance d’y assister. C’est alors une pūjā qui dure presque toute la journée, dans la caverne primitive du lama transformée en rupestre gonpa. Vêtus pauvrement, presque minables, sans fresques ni thankas, ils ont cependant l’aspect de vrais priants, d’authentiques spirituels. L’un d’eux, un Canadien aux traits émaciés nous fit les honneurs de sa grotte tout en nous faisant deviner la profondeur du Dzogchen. La chose la plus inattendue, et qui nous causa une réelle surprise, fut de découvrir, au sein d’une cavité rocheuse où l’on ne pénètre qu’en se courbant très fort et à la lueur d’une faible lampe, une formidable statue de Guru Rinpoché, haute, large et majestueuse, toute recouverte de poussière d’or, adossée au roc avec lequel elle réalise un ensemble parfait; le visage du grand initiateur est éclairé par la lumière d’une fenêtre qu’on a pratiquée dans le rocher d’en face. L’escalade de la colline prend bien deux heures; surtout si l’on va, plus haut que les grottes des ermites, jusqu’au véritable sommet, où se situe un petit temple de Durga et d’où l’on domine, à perte de vue, un vaste paysage de montagnes lointaines.

            Redescendus aux rives du lac, nous admirons une statue de Guru Rinpoché de facture ancienne et les fresques du temple des Nyingmapa. Nous répondons ensuite à l’invitation d’un moine qui surveille la construction d’un collège monastique pour les Droukpa Kagyu. Enfin, chez les Drigung Kagyu : leur couvent est un bloc rouge de construction récente, qui abrite en temps normal une cinquantaine de religieux (moines et moniales) ; nous y rendons visite à un petit « abbé » de sept ans. Un jeune moine nous fournit des renseignements sur leur « secte », moins connue en Occident, mais qui a des monastères en Inde et au Ladakh. Leur centre principal est à Almora (Uttar Pradesh).

            Le voyage du retour fut, malgré le soleil et les beaux paysages, assez peu commode. C’est en effet le jour des fêtes populaires hindoues du Holi (fête du printemps). Dans toutes les villes et localités de l’Inde, des bandes d’énergumènes se baladent avec des seaux d’eau et des récipients de peinture verte, violette, jaune, rouge. Ils en aspergent les passants, en pleine figure et sur les vêtements. En conséquence, il fallait maintenir bien closes les fenêtres du bus, car on risquait, à chaque hameau, d’être surpris par une douche abondante et de se voir couvert de couleurs bariolées comme des clowns.

 

Un modèle pédagogique: le Tibetan Children’s Village

 

            Le 29 mars, nous sommes montés, au-delà de McLeod Ganj, au Tibetan Children’s Village, que j’avais visité en 1980[44]. Mes compagnons y admirent les ateliers où les enfants tibétains (filles et garçons) apprennent l’art de la confection des tapis aux motifs les plus variés, la peinture des thankas, le métier de tailleur, voire la fabrication de masques. Notre projet était surtout de rendre visite à la sœur cadette du Dalaï-Lama, Madame Pema Gyalpo, qui est à la tête de toute cette organisation. Elle est responsable du Village  pour enfants tibétains. Les flancs de la colline sont couverts par ces constructions : demeures des enfants, bâtiments scolaires, plaines de jeux. Tout ceci sauve de l’abandon des « demi-orphelins » dont les parents sont incapables de s’occuper et leur assure une bonne formation. Ils sont 1 338 à McLeod Ganj ; au Ladakh, il y en aura 400 dans une institution du même genre, plus 1 300 auxquels on trouvera des sponsors. À Bylakuppe 250, plus 150 venus du Bhoutan, que nous avons vus loger près de la Library aux environs du Nouvel An. Madame Pema Gyalpo est une personne remarquable par sa sollicitude pour cette jeunesse, mais tout autant par ses vues intelligentes sur la manière de les former et le souci de leur préparer un avenir à la fois réaliste et fidèle aux traditions culturelles de leur peuple. J’étais envoyé chez elle par le Cardinal Picachy, de Calcutta. Ils se connaissent de longue date. Cela remonte au temps où le Père Picachy, préfet de Saint Xavier’s, venait prêcher des retraites à Darjeeling; la sœur de Sa Sainteté le Dalaï-Lama était alors une petite pensionnaire au Loreto Convent.

 

Semaine Sainte

 

            Offices à la chapelle du camp militaire de Yol. Je loge chez les Sœurs de Sidhpur. Les fidèles dépassent la centaine, presque tous étant des soldats ou des officiers avec leur famille. Les chants et le chemin de croix du Vendredi Saint sont en hindi; mais beaucoup de militaires catholiques sont originaires du Kerala.

 

Bilan provisoire

 

            Il y aura bientôt trois mois que j’ai quitté Bruxelles. Étant à la moitié de mon séjour en Inde, un bref bilan ne ferait pas de tort. J’ai eu jusqu’ici peu de loisir pour étudier le tibétain. En revanche j’ai veillé, plus qu’en 1980, à profiter des occasions de dialogue et à visiter le plus de monastères possible, ceci étant dans la ligne même du D.I.M. Au Karnataka, ce furent les plus grands monastères du Tibet, de l’Ordre Gelugpa. J’ai vu les Sakyapa à Bīr; les Kagyu de différentes « sectes » à Sherab Ling (Karma Kagyu), à Tashi Jong (Droukpa) et à Tsopema (Droukpa et Drigung) ; les Nyingmapa (leurs danses) à Tashi Jong, à Bīr et Tsopema. Ceci m’a donc initié à des groupes moins classiques, mal connus en Occident. Et nous projetons même d’aller, au-delà de Simla, à un monastère des Bön-po, religion ou voie « magique » souvent considérée avec suspicion, mais dont une Polonaise très sérieuse, ayant une bourse d’Oxford, loue l’observance régulière et l’intensité de vie intérieure.

            Mieux qu’il y a trois ans, j’ai eu l’avantage de rencontres avec mes confrères de Calcutta, avec les jésuites de Kathmandu et de Godavari. Et j’ai eu la joie de connaître Patna, ses sites archéologiques, un peu de son diocèse, le pèlerinage de Rājgir. J’allais oublier les moniales, sur lesquelles je me documente chemin faisant, surtout à leur Nunnery de Tilokpur et dans deux jours à McLeod Ganj.

 

Dharamsala, centre de dialogue

 

            Je reçois la nouvelle du décès de Monseigneur Lamotte, à qui je dois beaucoup. C’est lui qui le premier me donna des cours de sanskrit et m’initia au bouddhisme, par la suite heureux d’apprendre que je me consacrais aux Tibétains. Il m’aida dans la préparation de ma thèse. Un maître et un père.

            On m’écrit que le temps est fort pluvieux et froid en Belgique. Il en fut de même dans le Nord de l’Inde. Ceci fera du tort aux moissons et sera au préjudice des pauvres. D’un certain côté, cette température a du bon, pour ceux qui étudient et ceux qui enseignent. Car en temps normal, la chaleur est écrasante durant les mois qui précèdent la mousson. Dans nos collines, aux environs de 1 500 mètres d’altitude, le climat est modéré. Et nous avons eu en mai de belles journées ensoleillées.

            Sans me déplacer aussi souvent qu’en février et mars pour la visite de monastères bouddhistes, j’ai surtout fait, en avril, la connaissance de personnes et d’institutions intéressantes dans nos environs immédiats. D’abord, j’ai pu m’entretenir avec un Tibétain qui, dans son enfance, fut converti au christianisme par suite d’une grâce exceptionnelle. Il persévère dans sa foi en dépit de l’isolement.

            J’avais déjà visité en 1980[45] la Nunnery de McLeod Ganj, où les moniales bouddhistes, au nombre d’une cinquantaine, vivent leur vie de prière dans une grande pauvreté. Elles ont d’ailleurs la piété et le sourire de nos contemplatives. Le hasard me fit rencontrer deux Occidentales, originaires d’Australie et de Nouvelle-Zélande, qui bien qu’ayant été formées par des lamas tibétains, partirent pour Taïwan en vue d’y recevoir la pleine ordination, ce qui comporte l’obligation d’observer un grand nombre de vœux[46] .

            La commission américaine du Dialogue Interreligieux Monastique (N.A.B.E.W.D.) avait adressé en 1981 une invitation au Dalaï-Lama : qu’il envoie l’un de ses moines faire un séjour dans des abbayes bénédictines des États-Unis [47]. Un jeune moine de trente ans fut désigné : Kunchok Sithar; durant quatre mois il fut dans six abbayes, sans compter les couvents de moniales où il put passer quelques après-midi. Le résultat fut entièrement positif. On fut très satisfait de ses exposés. Et lui en retira une réelle édification. À son retour en Inde, il publia un bon article dans la Tibetan Review. Et comme il loge à une demi-heure de chez nous, nous eûmes avec lui deux heures agréables d’entretien sur nos Ordres monastiques. C’est un jeune moine équilibré, bienveillant, qui a dû s’attirer bien des sympathies.

            Entré au monastère à l’âge de vingt ans, il achève une dizaine d’années d’études à la School of Dialectics de McLeod Ganj, à quelques minutes de la résidence du Dalaï-Lama. Il nous servit d’interprète deux jours après, pour une conversation avec le Principal de cette École, qui est en somme un Institut de Philosophie bouddhique. On nous donne toutes les informations souhaitables sur leur programme d’études et leurs méthodes de debating. De même, un autre moine nous donna des renseignements sur l’Institut Supérieur d’Études tibétaines de Sarnath, affilié à l’Université de Vārānasī.

            Sur place, à la Library, un autre moine nous montra leurs livres sacrés et leurs précieux manuscrits au département qui leur est réservé. Tout ceci, de même que la collection des statuettes à l’étage, fut sauvé de la ruine par le courage des Tibétains qui transportèrent ces lourdes charges à travers l’Himālaya, lors de l’exil, dans des conditions très pénibles.

            Non loin de chez nous réside le Senior Tutor du Dalaï-Lama, Ling  Rinpoché, dont nous avions suivi les enseignements à Sera lors d’un passage au mois de janvier[48]. Il nous accueille aimablement. Il devait mourir à Dharamsala le matin de Noël 1983. Nous avons le plaisir de revoir Lama Thubten Yéshé, qui a un centre de retraite intitulé Tushita, plus haut que McLeod Ganj. Il est décédé le 3 mars 1984 à Los Angeles, Californie, où sa crémation fut une cérémonie émouvante[49].

J’ai revu mon tutor de 1980: Yelo Rinpoché. Il rentre de Mongolie, où les Gelugpa de Ganden ont un important monastère; avec un autre moine il dresse le catalogue de leur bibliothèque, qui contient d’anciens manuscrits. Proche de la Library s’élève un nouvel hôpital érigé par les Tibétains : le Delek Hospital. Nous l’avons visité un après-midi. La dame qui en a l’administration nous entretint de leurs problèmes. On sait, par exemple, que la tuberculose a fait beaucoup de victimes parmi les réfugiés tibétains.

 

Une tradition méconnue: le Bön

 

            La visite la plus importante fut sans aucun doute celle d’un monastère assez éloigné, qui relève de la religion Bön. La plupart des exposés sur cette religion en ont véhiculé longtemps une représentation assez inexacte et péjorative[50]. Elle était celle du Tibet avant l’introduction du bouddhisme au VIIe  siècle de notre ère. On la dépeint d’ordinaire comme un amas de rituels magiques. Une étudiante d’origine polonaise qui prépare une thèse à leur sujet pour l’Université d’Oxford me dit qu’à ses yeux cette tradition Bön mériterait un examen objectif. Elle ajoutait que je verrais là un monastère fervent. Et ce fut le cas. Je partis donc dans la région de Solan, au sud de Simla. À Dolanji, un Settlement de Tibétains de 400 personnes se trouve dans la vallée. Le temple et les bâtiments du monastère sont sur la colline. À première vue, on se croirait en milieu bouddhiste, les moines ayant la même robe rouge. Mais ce sont peut-être les bouddhistes qui au Tibet imitèrent les Bönpo. En tout cas, il y eut une influence réciproque des deux religions qui perdure jusqu’à nos jours. Leurs cérémonies sont émouvantes. Il y a 108 moines, dont plus de la moitié d’âge scolaire; un groupe de 36 suit les cours de l’École de Dialectique, où l’on me fit l’honneur de m’inviter un jour; une première… Leur séparation du monde apparaît plus grande que dans les monastères bouddhistes que j’ai visités. Le Père Abbé tient fort à l’observance régulière. Nous eûmes une fameuse surprise à l’arrivée : sans le savoir quand nous organisions ce séjour, vu que j’ai changé d’Ordre et de nom, il se fait que nous nous connaissons depuis longtemps ; car Sangyé Tendzin Jongdong fut mon compagnon à Oxford en 1963-1964. C’est dire que je fus bien accueilli. Intelligent et ouvert, c’est un interlocuteur valable en religion comparée.

            Le voyage de retour (c’est d’ailleurs la voie la plus courte) me permit de passer par Chandigarh, ville due à l’architecte français Le Corbusier. J’y rencontrai l’évêque, Monseigneur Rego.

 

La vie à Dharamsala

 

            Chaque année, les Tibétains de l’Inde envoient leurs représentants à une Assemblée politique d’environ 200 personnes,  qui se réunit dans un bâtiment jouxtant la Library. Ils y traitent de tous leurs problèmes, même culturels et religieux. On y voit donc des moines, dont quatre délégués de Dolanji pour la religion Bön.

            Durant le mois de mai, j’eus ici un compagnon en la personne d’un Père italien qui vient de prendre sa retraite comme professeur de théologie d’un séminaire. Il va publier une thèse sur « Expérience religieuse et idéologie ». Ensemble nous avons été reçus, en privé, par le Dalaï-Lama. Ce fut une heure d’échanges assez denses sur ce problème et la confrontation entre bouddhisme et christianisme. Le Dalaï-Lama impressionne par sa fermeté doctrinale; il n’est nullement porté au syncrétisme. Il montre un respect évident pour la voie spirituelle de toutes les grandes religions.

            Mais durant ce mois et celui qui va suivre, c’est l’étude du tibétain qui me prend toutes mes journées.

            Un soir, en plein air, sur la pelouse de la Library, on nous a projeté une série de films court métrage, des documentaires sur divers aspects de la culture tibétaine. Je fus surtout impressionné par l’un d’entre eux. On a filmé tout un office liturgique au temple du Tantric College, non loin de Hunsur [51]. La réputation de ces moines est très haute. Bien qu’appartenant à la tradition Gelugpa, il me semble que le symbolisme tantrique qu’ils mettent en valeur a dû faire des emprunts à la religion Bön. La voix caverneuse et extrêmement basse des officiants lui confère une atmosphère ultra-sérieuse, plutôt sinistre. Mais tout le visuel est enchanteur : la richesse des couleurs vives, où le bleu se remarque au revers de leur « huméral », le pittoresque des coiffes qu’ils portent durant une partie de ce rite, sorte de tresse noire s’élevant en pyramide pointue au-dessus de leur tête, la vibration des instruments de musique, tout cela fait un spectacle. Mais l’aspect fortement recueilli des visages entraîne de suite la conviction : on est ici en communication avec des moines très intérieurs et comme sauvagement convaincus.

            Quelques jours plus tard, un grand film était projeté dans la nouvelle « extension » de la Library, dont on achève la construction. C’est un documentaire de valeur, œuvre de la B.B.C., retraçant l’histoire mouvementée du Tibet depuis 1904 – date de l’expédition britannique vers Lhasa – jusqu’à nos jours : voyage en 1980 de la deuxième délégation officielle au Tibet. Les documents sont authentiques : photographies et films pris lors des envois de délégués britanniques ou d’opérations militaires, y compris les documentaires réalisés par les Chinois durant leur attaque, interviews d’anciens résidents étrangers qui connurent le Tibet libre et en font l’éloge, projection de grands « festivals » religieux d’une pompe et d’une ampleur insoupçonnées. Parmi les témoignages récents, celui d’Heinrich Harrer est le meilleur. Lors de la seconde délégation, on voit l’émotion et l’enthousiasme irrépressibles de la foule accueillant les envoyés du Dalaï-Lama. Ce film est beau et objectif. Il laisse à la fois une impression de féerie et de tristesse : tant de beauté appartenant à un passé révolu…

            Bien que je n’en parle presque jamais, nous sommes en Inde. Et notre îlot tibétain est entouré des maisonnettes des gens du pays. Mon seul contact avec eux, sauf lors des déplacements en bus et des achats dans les boutiques, c’est la rencontre de garçonnets, fins et délurés, vivant dans des conditions très pauvres. Je ne sais quand cela a commencé. J’ai dû, un beau matin, donner un biscuit à un petit bonhomme qui n’avait presque rien à manger. Le lendemain il vint avec son frère, puis des amis l’accompagnèrent. Si bien que, de fil en aiguille, j’ai pas mal de clients. Ils font un détour en remontant de l’école pour obtenir un biscuit. Ceux qui ont sept ou huit ans sont fiers comme Artaban en me montrant qu’ils sont capables d’écrire sous mes yeux tout l’alphabet hindi et tous les nombres jusqu’à 100 en chiffres occidentaux. Ils sont à la fois d’une grande finesse et d’une inlassable espièglerie, de bons petits diables. Mais derrière ces rencontres amusantes se profile le spectre de l’effrayante misère de l’Inde. En l’absence du père, disparu en Assam, le frère aîné, seize ans, me dit la situation de la famille. Alors on n’a plus envie de rire.

            Le mois de juin est chaud. C’est normal pour la saison, et l’on rend grâce au ciel d’habiter dans les collines, à l’abri des températures écrasantes de la plaine indienne.

            Lors de mon entrevue avec le Dalaï-Lama en février 1980, j’avais remarqué l’interprète, qui n’avait guère à intervenir mais le faisait avec tact et compétence. À la sortie il m’avait dit que ce dialogue plaisait beaucoup à Sa Sainteté et qu’on m’accorderait une seconde audience. Celle-ci ne put avoir lieu alors, mais je fus de nouveau bien accueilli cette année. En présence du Dalaï-Lama, l’interprète se montre d’une grande réserve et distinction envers tous les visiteurs. Deux jours après, j’apprenais qu’il était un Rinpoché, réincarnation d’un grand personnage, et le frère cadet du Dalaï-Lama. La première rencontre fut cocasse; car cet homme si poli, bientôt timide, lors des audiences, est en fait doué d’un caractère presque violent, lançant à travers tout tant de blagues qu’on se demande s’il est sérieux. En réalité, Tendzin Chögyal porta la robe de moine jusqu’à l’âge de treize ans, accompagna son frère dans l’exil lors de l’insurrection de 1959 et fit ensuite toutes ses études secondaires, puis son College, à North Point, Darjeeling. Il fut donc neuf ans l’élève des jésuites et garde une grande reconnaissance aux Pères belges et canadiens, avec lesquels il aimait discuter religion. C’est une personne très attachante, profondément spirituelle, ayant beaucoup d’estime pour l’Église catholique et, ce qui ne gâte rien, un excellent père de famille. Ils m’ont reçu plusieurs fois chez eux, à un quart d’heure de la Library, dans leur Kashmir Cottage, ancienne résidence de la mère du Dalaï-Lama. Celle-ci, une dame très digne, mourut en 1981, ayant admirablement formé ses six enfants ; Tenzin Chögyal est le plus jeune.

            Le séjour à Dharamsala s’achève Les premiers mois furent surtout occupés par la visite de nombreux monastères et la rencontre de personnes chargées d’œuvres importantes. Les mois suivants furent profitables pour l’étude du tibétain. J’eus un excellent professeur, d’une famille distinguée de Lhasa, Monsieur Thonden. Ensemble nous avons revu, de A à Z, tout le manuel de Plaige (Toulon-sur-Arroux, en Bourgogne), dont il existe une traduction en anglais.

 

De Delhi à Kathmandu

 

            Le 30 juin 1983, je quittai Dharamsala pour Amritsar. Le lendemain l’avion m’amenait à Delhi, où je croyais ne rester que peu de jours. J’ai obtenu l’autorisation de retourner pour un mois au Népal en vue d’y voir les possibilités d’une fondation monastique. Je désirais éviter l’avion, qui est cher, et les trains, fort incommodes dans le Nord de l’Inde, pour me rendre à Kathmandu. Le tourist bus qu’on m’avait recommandé remit à plusieurs reprises la date de son départ. J’ai donc séjourné au théologat des jésuites, Vidyajyoti, du 1er  au 18 juillet. J’ai profité de ce temps libre pour rédiger une conférence sur Le monachisme féminin dans le bouddhisme tibétain et recopier des notes prises aux cours de langue tibétaine. Sur place on apprend toujours quelque chose sur les orientations de la théologie en Inde et la régionalisation des études théologiques. Les scolastiques étant en vacances, la maison était calme. Quand approcha la reprise des cours, les étudiants arrivèrent en grand nombre de tous les coins de l’Inde, apportant des nouvelles sur la situation de l’Église en ce vaste pays.

            Le voyage de Delhi à Kathmandu devait prendre quatre jours en bus touristique; il fut très peu commode. Ce German bus de luxe était un vieux tacot qui eut de fréquents ennuis mécaniques. Ayant quitté Delhi trop  tard, il dut rouler durant la nuit suivante. On ne put voir ni Agra ni Lucknow. On logea à Gorakhpur. Le 20 juillet, vers 7 heures du matin, on eut un accident qui aurait pu être plus grave. Voulant éviter un énorme véhicule qu’il vit trop tard venir de front, notre bus alla heurter violemment le camion qui le précédait. Les vitres volèrent en éclats. Le chauffeur s’en tira avec une fracture de la jambe; mais il fallut une heure pour le dégager, coincé qu’il était entre son volant et son siège. On passa des heures sur la route à attendre un bus de rechange, le nôtre étant bon pour la ferraille.

 

 

TROISIÈME   SÉJOUR   AU   NÉPAL  (1983)

 

 

            On logea à la première localité népalaise, Bhairawa. Je devais passer cinq jours à Kathmandu, du 22 au 27 juillet. À peine arrivé, je rendis visite à un petit Rinpoché de neuf ans qui va bientôt rejoindre son monastère de Sera (Bylakuppe), accompagné de sa mère et d’un aide dévoué. C’est un enfant qui semble exceptionnel : finesse des traits, sagesse, sourire brillant d’intelligence. J’eus ensuite à m’occuper de démarches pour les visas. Je venais surtout pour parler à plusieurs jésuites (Père Miller, vicaire épiscopal ; Père John Locke, spécialiste du bouddhisme népalais).

            Ce fut également l’occasion d’aller à Bodnath, à quelques kilomètres de Kathmandu. Autour du gigantesque stūpa souvent représenté, se groupent les monastères des divers Ordres tibétains. J’avais déjà visité, en janvier 1980, le monastère Gelugpa, dont les moines sont originaires d’un des grands monastères du Tibet : Kitong Samten Ling, près de la frontière du Népal. Il compte, à Bodnath, 68 moines. Nous eûmes l’avantage d’y recevoir beaucoup d’informations d’un moine complaisant, Thubten Palden.

            Je voulais surtout revoir cette année le plus beau monastère de Bodnath, qui est encore en extension. Il appartient à l’Ordre Karma Kagyu mais se montre accueillant aux Nyingmapa, dont le jeune abbé (trente-trois ans) apprécie les méthodes de méditation. Chö-Kyi Nyima Rinpoché est certes un des lamas les plus sympathiques que j’aie rencontrés. Il pose volontiers des questions sur le pape, sur nos Ordres chrétiens et leurs règles. Ayant voyagé en Europe, il fut impressionné par de grandes cérémonies catholiques à Cologne et à Paris.

            À un quart d’heure de là, sur un plateau, s’élève un nouveau monastère qui abritera 150 moines Nyingmapa, sans compter les locaux où l’on hébergera des moines de passage ou les participants à des sessions. J’aurais aimé y rencontrer celui qui sera, si je ne me trompe, leur abbé : Shechen Rabjam Tulkou, moine de dix-huit ans, avec qui j’avais eu un dialogue cordial à Sherab Ling. Il est le petit-fils de Dilgo Khyentsé Rinpoché [52] et séjourne au Bhoutan en attendant que soit achevée la construction du monastère.

            Un autre jour je me suis rendu à Pharping, bourg très pittoresque à 18 km au sud de Kathmandu. Sur une colline sont établis deux petits monastères des Nyingmapa, le plus élevé étant un lieu de pèlerinage pour les Tibétains. Ils viennent y faire leurs offrandes et font réciter des pūjās à leurs intentions. Dévotion et ritualisme populaires[53].

 

En ce lieu naquit le Bouddha

 

            Le 28 juillet, j’allais en pèlerinage à Lumbinī, lieu de naissance du Bouddha, à une heure de bus de Bhairawa. J’ai pu y vénérer l’endroit et visiter deux monastères tout proches. L’un est tenu par les Skyapa. Construit en 1968, il a pour abbé Chö-Kyi Trichen Rinpoché et compte une quarantaine de moines (plusieurs sont absents).

            Le second est plutôt symbolique : un moine népalais formé à Sri Lanka y assure une présence du Petit Véhicule au Therabad Temple. Il est en robe jaune dans un sanctuaire dépouillé. Ce qui attriste à Lumbinī, c’est de constater que cet endroit est laissé à l’abandon : chemins boueux, accès difficile par route, aucun édifice valable, sauf un pilier d’Aśoka, enfoncé dans le sol. Il y a cependant un projet de développement, patronné par les Nations Unies. On a bien l’impression que, jusqu’ici, il n’existe que sur le papier.

 

Le site de Pokhara

 

            Je me rends ensuite pour une dizaine de jours (29 juillet – 7 août) à Pokhara, que plusieurs m’ont recommandé comme endroit favorable à l’établissement d’un monastère. Je suis logé à un petit hôtel modeste, à une demi-heure de marche d’une école de Sœurs  qui n’en est qu’à ses débuts. Elles appartiennent à l’Institut de la Bienheureuse Vierge Marie fondé par Mary Ward (1585 – 1645) au début du XVIIe  siècle. Bien établies en Inde, elles tiennent une école secondaire de filles à Kathmandu, le pendant de St Xavier’s. Je dis la messe tous les jours dans leur bâtiment provisoire. Par elles j’apprends beaucoup de choses. Par le Père Ooki également, jésuite japonais, missionnaire zélé et sympathique, curé de cette jeune paroisse. On voit tous les aspects de la question. J’aurai à rédiger un rapport qui sera soumis à une réunion d’abbés de l’Ordre. Au total, l’impression est favorable. Il y a beaucoup d’éléments positifs qui jouent en faveur de Pokhara.

            Située à 200 kilomètres à l’ouest de Kathmandu et reliée à la capitale par route et par avion, la ville a environ 55 000 habitants mais ne se présente en aucune façon comme ce que nous imaginons sous ce vocable. C’est une succession d’échoppes, de petites boutiques, de modestes ateliers, s’étirant le long d’une rivière capricieuse. On a bâti au petit bonheur. Les constructions les plus solides sont un hôpital, quelques hôtels, le S.O.S. Tibetan Children (pour enfants tibétains) et l’ensemble parallèle pour enfants népalais. La population est plutôt pauvre, mais très sympathique. Les gens du Népal n’ont guère le scrupule des règlements; ils ont l’accueil facile et sont un peuple souriant.

            La localité étant très étendue, il y a pas mal de terrains vagues. Bien que les constructions se multiplient, il serait aisé de découvrir un endroit paisible pour l’implantation d’un monastère. Il suffirait d’éviter les régions que recherche le tourisme. Car qui dit Pokhara évoque un paysage renommé : le lac, qui a trois ou quatre kilomètres de long, et surtout la grande montagne. Tandis que la plaine n’est qu’à 800 mètres d’altitude, on admire par temps clair, et très proche, toute une partie de la chaîne de l’Himālaya avec des sommets allant de 7 000 (le Machha-Puchare) à 8 000 mètres (l’Annapūrnā). Le climat  est plus chaud que celui de Kathmandu, qui est à 1 300 mètres; mais Pokhara reçoit le double de pluie. La mousson va de juin à la mi-octobre. On a, à cette époque, des pluies quotidiennes et des nuages couvrent d’ordinaire les montagnes.  J’avoue ne les avoir aperçues que furtivement.

 

Les monastères de Pokhara

 

            J’ai veillé, durant mon séjour, à entrer en contact avec les monastères bouddhistes de Pokhara. Partout l’accueil fut excellent. Ils sont prêts au dialogue et tout heureux de parler à un moine chrétien. En voici une liste:

 

1.      Gurung Gompa, près de Ram Ghat. Le lama, qui est marié, veille au développement de ce temple, qui relève de la tradition Nyingmapa. Ce n’est pas une fondation tibétaine mais népalaise. Ce temple est situé sur une hauteur dominant une courbe de la rivière Seti qui, à cet endroit, s’étale largement. Ils sont les voisins des Sœurs, dans leurs locaux de l’école provisoire. Il est notoire que ce Gurung Temple veut favoriser un renouveau du bouddhisme en ce pays, le dégageant de multiples pratiques ou superstitions empruntées à l’hindouisme. Ce pourrait être le début d’une religion plus  pure parmi les Gurungs, qui sont majoritaires dans cette province.

2.      Au Tibetan Handicraft Centre, près d’un carrefour important, China Chok, se trouve un monastère Gelugpa: Shang Gaden  Chökhor Ling. C’est au milieu du compound du Handicraft Centre qu’ils ont construit leur monastère, achevé il y a quelques mois. Ce petit bâtiment de briques rouges n’a vraiment rien de luxueux ; il était temps qu’ils l’occupent, quittant un misérable abri de bambous. Mais ceci, joint au fait qu’ils ont à nourrir treize moines anciens et quinze jeunes moinillons en âge d’école, leur pose bien des problèmes financiers. Ce monastère, à l’origine, relevait des Karmapa. C’est le cinquième Dalaï-Lama qui les fit passer à l’Ordre Gelugpa. Il comptait au Tibet 500 moines ; leur monastère s’y éleva à plus d’un millier. L’abbé s’appelle Chöding Trulkou Jampa Khedrup. Il me reçut aimablement à plusieurs reprises et se montre fort désireux de contact avec les moines chrétiens. Par le plus grand des hasards, je retrouvai ici la sœur du moine qui fut envoyé quatre mois dans des abbayes bénédictines des États-Unis, Kunchok Sithar  [54]

3.      Le monastère le mieux situé est sans contredit le Manange Gompa, sur une colline à l’est de la ville. Il faut gravir 302 marches très régulières pour y accéder ; mais aussi une allée en pente douce y longe leur parc. On est isolé, loin du bruit, avec vue sur la vallée. Nous y sommes arrivés par une pluie battante. C’était vers 4 heures de l’après-midi. La communauté était en train de célébrer une pūjā de Mahākāla, avec la profusion des instruments de musique: longues trompes aux sons graves, trompettes, conques et grands tambours. Sur 25 personnes présentes, seul cinq moines étaient des adultes. Les autres, enfants et adolescents, n’en avaient pas moins un tel sérieux, une telle piété dans leur manière de jouer de leurs instruments et de chanter leurs prières que les Sœurs  qui m’accompagnaient en furent réellement édifiées. Le monastère est appelé Manange Gompa parce qu’ils viennent de cette région, Manang, au nord de l’Annapūrnā. Il appartient à l’Ordre Karma Kagyu, comme on le voit aux statues de leur sanctuaire et aux chefs d’Ordre représentés. L’abbé se nomme Chérab Gyaldjé. Il est pour le moment à Darjeeling. Le nom du monastère est Karma Dhubgyu Chhekhor Ling. Il est situé dans le quartier de Matepani et compte 42 moines (plusieurs sont en vacances).  Comme la communauté est à l’office, nous ne pouvons avoir un entretien avec tel religieux plus important. Mais une brève conversation avec quelques-uns, adultes et moinillons, nous causa une certaine surprise. Les Sœurs, sachant qu’ils étaient nés au Népal, leur adressèrent la parole en népalais. Aucun ne connaissait cette langue. Il aurait fallu leur parler en tibétain, ce qui me montra combien ils étaient fidèles à leur religion et à leur culture, tous les enseignements et la liturgie se faisant en cette langue de la tradition.

4.      Au sud-ouest de la ville se trouvent les maisons bien construites et admirablement aménagés du S.O.S. Tibetan Children, où sont répartis par « familles » 53 enfants tibétains, la plupart semi-orphelins. À côté nous visitons les ateliers d’un vocational centre où les plus grands apprennent un métier. Tout proche se trouve le Tibetan Refugee Camp  de Tashi Ling. Environ 200 réfugiés tibétains y ont trouvé des habitations convenables. Presque tous résidaient au Sud du Tibet, au-delà de la frontière du Mustang, qu’ils ont traversée lors de l’invasion chinoise ; ils sont venus ici en 1964 ou 1965. C’est dans ce milieu plutôt pauvre qu’ayant voulu voir des moines, je fus conduit dans une de ces habitations parmi les réfugiés. Un local assez vaste mais sombre a des banquettes surélevées le long des murs. C’est à la fois leur sanctuaire, où se fait la liturgie, la salle d’instruction, la résidence de l’abbé, sans doute le réfectoire. Leur Rinpoché, qui me reçoit avec plaisir, se nomme Tharling Tulku Lobsang Jamyang. Au Tibet, c’était le monastère Gelugpa de Darghyeling, qui avait alors 60 à 70 moines. Il n’en a plus que huit ; la plupart me semblent âgés. Toute l’atmosphère est très pauvre. Ils ont un plan, qu’ils me montrèrent, pour la construction d’un monastère qui pourrait abriter 60 moines, dont des jeunes en formation. Mais ils manquent de moyens financiers. C’est la première fois que l’abbé avait un échange avec un moine chrétien. Il en était heureux.

5.      Hyangja, au nord-ouest de la ville, dans un Settlement comptant des milliers de Tibétains surtout venus par le Mustang, a un monastère Kagyu. Le chemin étant long et plutôt difficile, je n’eus pas le loisir de m’y rendre. D’ailleurs, pour le moment, sur une dizaine de moines, l’abbé est en Malaisie et plusieurs religieux méditent à Rumtek (Sikkim). L’endroit s’appelle Tashi Phalkhel, sur le Jomoson trail (voie du « trekking »). Il y a là aussi une vingtaine de moinillons. L’abbé se nomme Shangpa Rinpoché.

 

 

 

 

 

 

 

LE   BIHAR,    TERRE   MONASTIQUE

 

 

Le lieu que tu foules

est une terre sainte.

Exode 3,5.

 

1.      L’Université de Nālandā

 

Le 9 août dans la soirée je prenais le bus de nuit Kathmandu – Birganj. Puis, à la frontière indienne, Raxaul, un autre bus pour Patna.

Le 10 août et les jours suivants, j’ai remarqué sur les routes un grand nombre de pèlerins hindous. Ce sont des laïcs qui, pour ce pèlerinage, ont revêtu des robes ou tuniques de safran, toutes neuves et brillant au soleil. Ils se rendent en groupes ou par bus, depuis le nord du Bihār, à un temple qui s’appelle Deoghar, ou du nom de leur dieu : Bhabadham. Il est situé à 200 kilomètres de Patna, à l’est. Certains vont prendre l’eau sacrée du Gange à 96 km de là, à Sultanganj, et vont l’offrir en dévotion. Vitalité de l’hindouisme populaire. Souvent les véhicules qui les transportent arborent, eux aussi, avec fierté de rutilantes banderoles de safran.

À partir de Bihār – Shariff, je gagnai Nālandā, où je tenais à visiter à loisir l’ancienne université, si fameuse dans l’histoire du bouddhisme. Le musée contient de nombreuses statues du Bouddha et des divinités tantriques. Puis, sous la conduite d’un bon guide, nous parcourons les ruines de l’ancienne université. Celle-ci n’existait pas en 450 ; elle était déjà très prospère en 650, atteignit son plus grand rayonnement aux IXe  et Xe  siècles et fut détruite par les musulmans en 1200. Je croyais ne plus y voir que le tracé avec des restes de murs minuscules. En réalité, du haut d’un chaitya élevé, sorte de mausolée funéraire qui a neuf étages superposés, on admire à la fois l’étendue de ces constructions et, surtout quand on visite le site nº 1, l’état de conservation d’une partie des monastères. Tout est en briques; le plan est clair, on peut y compter les cellules individuelles. Des chambres obscures sont réservées à la méditation. Divers types de chambres, salles de cours, temples, système de drainage des eaux, salles de bains. On dit que Nālandā compta jusqu’à 10 000 moines. Onze monastères ont été dégagés ; il y en avait bien davantage. Dans un même site on remarque surtout les niveaux différents : quand un ensemble avait été détruit par suite de querelles intestines, le souverain suivant rebâtissait tout en plus grand.

Près de l’Institute of Pāli Studies se trouve un Wat Thai Nālandā pour nonnes bouddhistes Thai (une seule y est maintenant). On construit une vaste  guest-house pour pèlerins. Nous entrons dans la cour de l’Institute of Pāli Studies. C’est un hostel, surtout pour les moines venus de l’étranger. Ils sont 10 de Thaïlande, 4 de Birmanie, 3 du Bangla Desh. Bonne conversation avec eux. Un moine professeur est de Sri Lanka. Nous avons surtout un long entretien avec un jeune moine népalais très sympathique. Il tient fort au dialogue interreligieux, ayant connu l’Église en Australie. Il nous raconte sa vocation et nous conduit chez un de ses professeurs, moine érudit de Birmanie, le Dr. U Jagarabhivamsa. Cet Institut Pāli a 200 étudiants. Le directeur est un Allemand, le Professeur Gustav Roth, qui vit à Patna.

 

2.      L’enchantement de Rājgir

 

Le jeudi 3 février, nous n’avions pu visiter qu’une colline de ce lieu sacré, celle où l’on admire un beau temple japonais et un stūpa d’une esthétique parfaite[55]. Mais si ce Shānti stūpa et ce temple attirent surtout la curiosité des touristes, ce n’est pas là que se trouve le véritable intérêt de Rājgir. Il faut y aller dès l’aube et gravir une autre colline vers la droite. C’est ici que Çakyamouni fit pénitence et médita depuis son Grand Départ et après l’Illumination[56]. La solitude y est complète. Du haut de cette terrasse, on ne voit que la verdure des collines dans toute la vallée. C’est un lieu idéal pour méditer dans le silence, Le long du chemin montant qui y mène, on a souvent des sortes de petites terrasses carrées en briques; à côté, une pancarte : « Ici le roi Bimbisāra arrêta son char,… renvoya la foule de ses suivants, quand il vint rendre visite au Bouddha. » C’est à cet endroit que furent découvertes bien des pièces archéologiques figurant aujourd’hui aux musées.

 

 

3.      Chez les moniales jaïnistes

 

La religion contemporaine du bouddhisme a également des souvenirs qui lui sont chers en cette région. Nous allons, dans la plaine, à Viraithan, où les nonnes jaïnistes ont un centre très actif: temple, imprimerie, bibliothèque (15 000 volumes), école et dispensaire. Tout est inspiré par la religion et tourné vers le social. La directrice du centre, Sœur Chadana-ji, est une personne remarquable, très soucieuse de contacts « œcuméniques » entre les religions. Nous admirons leur série de représentations de la vie des Tīrthankaras qui précédèrent Mahāvīra, puis surtout les épisodes de la vie de celui-ci. Ce sont des tableaux très artistiques : sortes de figurines de cire, de poupées richement vêtues, souvent dans un décor somptueux et royal. En contraste l’ascète, complètement dépouillé, se dresse, parfaitement digne, témoin du spirituel face à un monde périssable. C’est en somme une leçon fondamentale apparentée à celle du bouddhisme[57]. C’est pourquoi nous avons tenu à l’entendre à la fin de notre périple.


 

NOTES



[1] Jusqu’en décembre 1990. À partir de 1991, la Commission centrale veille à se réunir chaque année dans un pays différent. D’où les réunions d’Ealing (Londres), de Lérins, de Göttweig (Autriche), de Saint Maurice (Valais), de Montserrat (Catalogne). La prochaine est prévue en Italie. On s’était déjà réunis à Mariastein, près de Bâle, en 1985. Le but est aussi de sensibiliser les diverses communautés.

[2] Voir plus haut pp. 90 – 93 : Un tour de l’Inde monastique.

[3] Voir ci-dessus Kagyu-Ling, p. 101 et suivantes.

[4] Voir, en effet, ce qui a été dit plus haut, pp. 104 – 105.  Je le revis et pus lui parler à plusieurs reprises au Château de Plaige; notamment les 22 – 24 août 1987, lors de l’inauguration du temple: nous avons planté un arbre ensemble, la main dans la main. Et à Karma-Ling, j’étais là le 23 janvier 1985, quand le Rinpoché vint bénir les chalets où entraient pour leur retraite de trois ans tout un groupe de généreux disciples. C’était en plein hiver; la neige fondante et la couche de glace rendaient glissant à souhait le chemin qui monte aux ermitages; on s’y hasardait au risque de tomber à chaque pas. On venait  de vivre des préparatifs affairés et colorés; le Rinpoché se dépensait en enseignements et en rituels, tandis que s’échangeaient moult confidences instructives et émouvantes.

De l’eau a coulé sous les ponts depuis notre première rencontre à Sonada en janvier 1980. Le temple est achevé. Kalou Rinpoché a quitté ce monde le 10 mai 1989. La revue Dharma, nº 6, raconte en détail ses derniers mois. Elle reproduit, pages 6 –7, son koudoung, c’est-à-dire son corps momifié, placé dans un mausolée dans le temple. Sa renaissance a été reconnue en celui qu’on appelle Yangsi Kalou Rinpoché, né le 17 septembre 1990. Voir la revue Dharma nº 17, p, 58 – 64. Il fut intronisé à Sonada le 28 février 1993. J’avais fait sa connaissance dans le temple du parc de Vincennes. C’était dans l’après-midi du 3 septembre 1992. Ayant beaucoup joué le matin, l’enfant sommeillait paisiblement, beau comme un petit ange. Ce fut l’occasion de causer avec sa maman, une aimable Bhoutanaise, sœur  de Lama Gyourmé. Quant au père, il n’est autre que le propre neveu de Kalou Rinpoché, l’administrateur de Sonada : Lama Gyaltsen. Rien n’empêche de renaître en sa propre famille.

[5] Ci-dessus, p. 80 et notes 13 – 15.

[6] Pour tout dire, je suis un de leurs anciens élèves, dans ma ville natale, ainsi que mon frère et mes quatre sœurs .

[7] Voir plus haut, pp. 106 – 110.

[8] On trouve des descriptions pittoresques et réalistes du Kopan de ces années dans le livre de Vicki MACKENZIE signalé ci-dessus à la note 20 du chapitre VI; voir ses pages 22 – 23.

[9] Déjà visité l’année précédente, lors du Tour de l’Inde monastique, dont nous avons parlé pp. 90 – 93.  

[10] Ci-dessus, pp. 90 – 93.

[11] Au chapitre III, p. 51.  Voici les cotes d’altitude (approximatives):

                Yol et Sidhpur                                     1 060 m

                Library                                                  1 450 m

                McLeod Ganj                                       1 728 m

                Children’s Village                               1 900 m

                Dhaola Dhar                                        4 000 m

[12] C’est ce qu’on appelle Lower Dharamsala. Si l’on considère l’ensemble de la colline, la population compte environ 10 000 Indiens, 5 000 Tibétains et, à la belle saison, un millier d’Occidentaux.

[13] Voir plus haut p. 152.

[14] Ci-dessus p. 92.

[15] La première fois, ce fut avec les moines italiens le 18 février 1979. Pour la seconde voir plus haut pp. 51 – 53.

[16] Ci-dessus p. 152.

[17] Le diocèse de Jullundur comprend non seulement tout le Nord du Punjab (avec Amritsar) mais aussi les districts septentrionaux de l’Himāchal Pradesh; il a donc des territoires limitrophes du Tibet et il inclut le district  de Kāngra, où se trouve Dharamsala.

[18] Giuseppe M. TOSCANO, Alla scoperta del Tibet. Relazioni dei Missionari del sec. XVII, Editrice Missionaria Italiana, Collana Biblioteca Scientifica, 4, 1977, 500 pages.

[19] Quelques souvenirs personnels. Une jeune Indienne de souche goanaise est entrée dans ma famille. D’abord étudiante à Saint Xavier’s – ce n’est pas son seul lien avec la Compagnie – elle acheva ses études universitaires à Oxford, où elle rencontra mon neveu. Je profitai du voisinage pour me faire accueillir à Bandra dans la demeure de ses parents, toute de lumière. Avec eux je me rendis, le 21 février 1979, aux pieds de Sainte Marie du Mont. Des hindous viennent y prier, laissant leurs sandales à l’entrée. Ainsi se clôturait mon Tour de l’Inde monastique.

[20] À cette époque, je me trouvais seul étranger à assister à leurs offices dans ce baraquement qui leur servait de temple, le long de la route.

[21] Noter cependant qu’ils sont les bienvenus aux cours de philosophie bouddhique créés à leur intention.

[22] Il y eut des cas, fort bons mais exceptionnels.

[23] Ci-dessus, pages 153 – 154.

[24] D’après la brochure du Delek Hospital de Dharamsala: Tuberculosis Problem among Tibetans, 1982.

[25] Drepung Loseling Magazine, nº VI, 1981, p. 8. Le titre Dreloma reprend la première syllabe de ces trois mots. Adresse: D.L.L. Society , P.O. Tibetan Colony, Mundgod – 581 411. Dist. N.K. Karnataka. India. Les chiffres ci-dessus doivent être haussés, car le nombre des moines et des moniales s’est accru depuis 1981.

[26] Ci-dessus, chapitre III.

[27] Pour une étude du débat tibétain, voir Introductory Debate in Tibetan Buddhism par Daniel PERDUE, Library of Tibetan Works and Archives, Dharamsala, H.P., 1980, 112 p : but du débat, syllogismes et conséquences, théorie; exemple d’un débat, sa traduction, son commentaire. Voir aussi les articles intitulés Tibetan Debate dans la revue Dreloma (ci-dessus, note 25), numéros IV et VI.

[28] Revue Dreloma, nº VII, 1981, p. 1.

[29] Sur la retraite à la Sainte-Baume et Song Rinpoché, voir plus haut pages 106 – 107  et la note 12. Quand j’appris son décès à Ganden en 1985, j’écrivis un bref article à sa mémoire : Un grand sage nous a quittés, dans Les cahiers du bouddhisme, avril 1985, nº 24, pages 42 – 43.

[30] D’après la revue Dreloma, nº IV, 1980, p. 8, voici la liste des principaux monastères Gelugpa avec leur date de fondation et leur nombre de moines au Tibet (avant 1959) :

                Ganden                                 1409                       4 000

                Drepung                                               1416                       9 000

                Sera                                       1419                       7 000

                Tashi Lhunpo                      1447                       3 800

                Kumbun                                               1578                       3 600

                Tashi Kyil                             1710                       3 300

Cette revue donne aussi les monastères, moins peuplés, des Kadampa, Sakya, Kagyud et Nyingma.

[31] Khensur Pema Gyaltsen est décédé le 30 juin 1985.

[32] Session à l’abbaye de La Pierre-qui-Vire (19 – 24 avril 1982) : Influence des religions orientales en Europe. Information et discernement. Le fascicule III ayant été publié en 1985, on put y insérer (pages 9 – 11) les deux interviews de Song Rinpoché et du Khensur Pema Gyaltsen. Secrétariat de l’A.I.M., 7, rue d’Issy, F – 92170 Vanves.

[33] Supra, p. 92.

[34] Nombre des moines dans les monastères tibétains du Karnataka. J’ai consulté, à Dharamsala, le Council for religious and cultural affairs. On n’a que les statistiques de 1981. Elles donnent des chiffres comme 393 pour Sera-jé et 290 pour Sera-mé. Le reste à l’avenant. Ils me disent que ces chiffres doivent être vraisemblablement doublés. Quand on demanda à ces monastères combien de moines participèrent au Meunlam de ce mois, on atteignait environ les 900 pour Sera. La même chose pourrait être dite de Ganden et de Drepung. En gros, on atteint environ 1 000 moines pour chacun des trois grands monastères. Quant aux collèges, Shartse l’emporte sur Jangtse, Loseling sur Gomang et Sera-jé sur Sera-mé (17 février 1983).

[35] Voir Guide Artou: Tibet. À la découverte du toit du monde, par Stephen BATCHELOR. Éditions Olizane, Genève, 1988, pages 84 – 85 (carte) et 150 – 153. Nous reparlerons du Tantric College ci-dessous, pages 191 – 192.

[36] Ci-dessus, pages 153 – 154.

[37] Nous y sommes revenus au mois d’août; voir ci-dessous, p. 201.

[38] Ci-dessus, note 32.

[39] En somme, ce qu’on vient de lire plus haut, pages 164 – 175.

[40] Plus haut, pages 48 – 49.

[41] Plus haut, page 50.

[42] Méditation progressive sur la Vacuité d’après les enseignements de Khenpo Tsultrim Gyamtso. Traduit et composé par Jérôme EDOU. Institut d’Études Bouddhistes Mahāyāna, Saint-Léon-sur-Vézère. F – 24290 Montignac, France, 1980, 65 p.

[43] Ci-dessus, p. 91.

[44] Ci-dessus, p. 158.

[45] Ci-dessus, p. 92 et sa note 8; p. 161. Surtout p. 51 – 54.

[46] Pour plus de détails, voir p. 56 – 58.

[47] Ci-dessus, p. 139.

[48] Ci-dessus, p. 173.  

[49] Sur Lama Thubten Yéshé, voir p. 113 – 118 et 167. Et la revue Wisdom. Magazine of the FPMT, nº 2, 1984. Wisdom Publications, 23, Dering Street, London WI, England. Ce numéro, abondamment illustré, recueille des témoignages sur sa personnalité et retrace les derniers mois de sa vie.

[50] Grâce à Dieu, on a maintenant un excellent exposé, dû au Professeur Per KVAERNE de l’Université d’Oslo : l’article Bön dans le Dictionnaire des religions de Poupard, 3e édit., 1993, p. 231 –233.

[51] Ci-dessus, p. 174.  

[52] Ci-dessus, p. 180 et 189.

[53] J’ai revu ces lieux à notre retour du Tibet, le 25 juillet 1994. Voir ci-dessous, p. 258.

[54] Ci-dessus, p. 139.

[55] Ci-dessus, p. 177.

[56] Pour la situation géographique et les événements de la vie du Bouddha qui eurent Rājagriha pour théâtre, cette ancienne capitale du Magadha, consulter E. LAMOTTE – Histoire du bouddhisme indien des origines à l’ère Śaka. Université de Louvain, Institut Orientaliste, 1976, p. 10 et 17 – 19.

[57] Nous avons parlé des moines et moniales Jaïna plus haut, p. 41 – 42.  Un bon exposé, sous le titre Jaïnisme, par M. DELAHOUTRE, se trouve dans le Dictionnaire des religions de Poupard, 3e éd., 1993, p. 999 – 1002.