CHAPITRE   XII

 

PERSPECTIVES   D’AVENIR.   LES   ENJEUX

 

 

            Ce chapitre sera forcément bref, car il nous répugne de recourir aux lieux communs qu’on ressasse pour le grand public. Nous ne pouvons cependant terminer sans signaler à la fois les graves périls qui nous menacent en cette fin de millénaire et les chemins d’espoir pour qui voudrait exploiter nos ressources spirituelles.

            Les guerres qui désolent plusieurs continents ont souvent pour motif, ou pour prétexte, la diversité des religions. C’est là une horreur, puisque le fond le plus précieux des hommes, y compris sa diversité, ne devrait que les rendre plus conciliants et plus proches. S’engager dans le dialogue doit être un remède aux égoïsmes, une force nouvelle pour la paix. Donc, enjeu politique.

            On parle tant d’inculturation dans l’Église. Si cela ne veut pas tourner à un vain bavardage, il est temps de reconnaître que les cultures ne sont pas seulement du folklore mais le plus souvent, si pas toujours, le noyau le plus riche des revêtements, la source féconde qui alimente les coutumes du peuple, la floraison littéraire, les beauté artistiques. Entrer en dialogue, c’est s’aventurer au cœur religieux des diverses nations.

            Comme l’ont dit avec justesse plusieurs documents pontificaux brièvement cités dans ce livre, le dialogue entre spécialistes des religions peut faire progresser la compréhension mutuelle, mais plus encore les échanges portant sur l’expérience religieuse. Ici, il n’est nullement outrancier de souligner le rôle que sont appelés à remplir dans ces approches, souvent discrètes, mais combien fécondes, les moines et les moniales, à quelque tradition qu’ils appartiennent. De larges possibilités s’ouvrent en ce domaine.

            Tout ceci n’est pas uniquement le fruit de l’action humaine, avec ses remous d’efforts maladroits et d’échecs inévitables. Nous croyons en l’Esprit divin qui anime les cœurs de bonne volonté et dont l’œuvre, ou plutôt le souffle, ignore les barrières des langues et des distances. Il ne faut pas s’imaginer, par étroitesse de vues ou peur frileuse, que seuls les chrétiens seraient à même de le comprendre. Nos vénérables partenaires du dialogue interreligieux – swāmis hindous, roshi japonais, lamas tibétains – seraient disposés, me semble-t-il, à souscrire à ces conclusions. Il serait sans doute plus facile de laisser le monde du sa-sāra se dégrader et courir à sa perte. Mais la quête de l’Absolu sommeille au fond des cœurs. Ne vaut-il pas la peine de réveiller ces énergies et de tâcher de les unir pour œuvrer au salut de notre Humanité?

            Vers 250 avant Jésus-Christ, l’empereur indien Ashoka fit inscrire sur un de ses piliers : « On ne devrait pas honorer seulement sa propre religion et condamner la religion des autres, mais on devrait honorer la religion des autres pour cette raison-ci ou pour cette raison-là. En agissant ainsi on aide à grandir sa propre religion et on rend aussi service à celles des autres[1]. »

            À quoi fait écho, sans l’avoir voulu, une assemblée de chrétiens dans l’Inde d’aujourd’hui : « Les autres religions ne sont pas des forteresses que nous devons attaquer et détruire. Elles sont des demeures de l’Esprit que nous n’avons pas visitées; elles sont des réceptacles de la Parole de Dieu que nous avons choisi d’ignorer[2]. »


NOTES



[1] Le texte de cette inscription d’Ashoka est mis en exergue par Jean Denis à son beau livre: Les clefs de l’Himālaya, Éd. du Cerf, 1986.

[2] L’Église en Inde aujourd’hui, Congrès national, 1969. Cité par le bulletin du Vicariat de Bruxelles : En direct, nº 98, octobre 1986, p. 9.