Présentation de la
liturgie du 4ème dimanche de l’Avent
(donnée à
Scourmont lors de la retraite du début de l’Avent 2006)
par Frère Damien Debaisieux, ocso
Bonjour à toutes et
à tous,
Je vais commencer
par rafraîchir la mémoire à ceux qui étaient venus au week-end d’entrée en
carême. Je devais alors vous parler du cinquième dimanche, Jn 12,20s :
« si le grain ne meurt... » Comme image, symbole, aide-mémoire
de ce qui pouvait se passer en nous durant ce carême, j’avais proposé un grain
de blé. Certains l’ont pris, puis perdu, oublié ou gardé précieusement,
d’autres l’ont planté, arrosé, chouchouté et rien ne venait ! Ils l’ont
réarrosé, rechouchouté, scruté, confondu avec une « mauvaise »
herbe,... Ils ont tiré dessus, ils l’ont grondé puis se sont découragés, ils
ont abandonné et l’ont jeté.
J’aimerai alors
citer Mc 4, 26-27 : « Il en est du Royaume de Dieu comme d’un
homme qui jette la semence en terre : qu’il dorme ou qu’il soit debout, la
nuit et le jour, la semence germe et grandit, il ne sait comment. »
Il y a donc 2
possibilités :
- soit mon entretien n’était que
bavardage, et dans ce cas vous êtes prévenu pour ce
qui suit.
- Soit leur inquiétude, leur volontarisme,
leur toute-puissance ont pris la place de Dieu et ont empêché le grain
d’advenir à lui-même.
Pour ma part je ne
l’ai pas planté et pourtant j’ai récolté 2 épis, 2 épis qui m’ont été donnés
par surcroît de charité par quelqu’un qui s’est peut-être lassé de scruter ce
grain comme on regarderait son nombril, qui a posé son regard sur un vaste
horizon et qui a ainsi découvert tout un chant à moissonner. Ecoutons alors Mt
6, 26 : « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment
ni ne moissonnent, ils n’amassent point dans des greniers ; et votre Père
céleste les nourrit ! »
Aujourd’hui encore,
laissons-nous nourrir par la Parole de Dieu.
Uni
au Père et au Fils, viens Esprit Saint.
« Que
notre langue et notre cœur,
que notre vie et notre force,
s’enflamment de ta charité
pour tous les hommes que tu aimes. » (hymne de
Tierce)
Nous parlerons donc
du quatrième dimanche de l’avent (la Visitation) avec le thème du
week-end : le savoir. Pas facile ! Je m’en tirerai donc souvent en
glissant deci-delà le mot savoir...
Avant de lire le texte,
de le méditer, de le prier, de faire des recherches, etc... J’ai commencé en
priant pour vous. Certes je demandais au Seigneur de m’aider à ne pas sortir ridiculisé de cette rencontre, mais j’ai d’abord pris le
temps de la prière pour essayer d’être son ouvrier en me laissant interpellé
par sa Parole pour que, peut-être, vous le soyez vous aussi. Cette rencontre
est donc un appel pour vous comme pour moi.
Malgré toutes les
données, le savoir exégétique que je vais mentionner (dont les références ne seront pas
toujours données avec exactitude : ce n’est pas un travail académique...),
malgré tout le bavardage parfois pompeux que je vais ajouter (
et c’est déjà le cas...), il s’agit fondamentalement d’une expérience de
lectio divina, d’un partage de lectio divina, de cette Parole lue, méditée,
priée, contemplée.
Aussi limités que
soient mon expérience ou mon savoir en ce domaine, il est toujours bon d’entendre les
autres partager ce que leur dit la Parole.
Ainsi, en prenant
le temps de penser à vous avant même de lire le texte, un espace s’est libéré
en moi pour pouvoir vous accueillir (espace que j’ai naturellement très
rapidement de nouveau encombré) Cet espace était pour vous, pour moi, pour
Dieu.
J’ai essayé de
deviner vos motivations, vos attentes et vos désirs (mots adéquats pour ce
temps de l’Avent) ; ça n’a pas été facile non plus ! Si on dit
parfois que pour aimer il faut connaître, j’oserais dire que quand on ne
connaît pas, il faut alors aimer. On dit aussi qu’on ne connaît que ce qui est
proche de nous, que ce que nous expérimentons nous-mêmes. C’est ainsi
qu’Origène a écrit que pour compatir, pour souffrir avec, il faut
d’abord pâtir, il faut d’abord souffrir. Selon lui, Dieu aurait
donc connu la souffrance avant même son incarnation et la croix, souffrance
liée à notre sort, et c’est pour cela qu’il est venu jusqu’à nous, à Noël et
aujourd’hui, pour nous en délivrer.
Tout ce long
développement pour vous inciter à prendre le temps de la Parole, vous mettre à
son écoute en acceptant l’angoisse de la page blanche, renonçant à nos a priori, à nos certitudes. Saint Benoît nous invite à
l’ « écoute » (Prologue 1). Ouvrons-nous à l’Esprit et
laissons-nous guidés.
En commençant, je
ne savais pas où Dieu me conduirait. Vous ne savez peut-être pas encore, ou pas clairement,
quel appel Il vous lance dans ce week-end. Acceptons de ne pas savoir : ne pas savoir c’est se laisser guider, toucher, saisir,
aimer.
Pour ce quatrième
dimanche, un 24 décembre, je me permets un léger glissement sur le thème. Nous ne
sommes pas là pour savoir mais pour connaître et re-con-n-aître :
« naître » comme Noël ;
« con-naître » : naître ensemble, naître avec ;
« re-connaître » : naître de nouveau, naître
enfin ;
« aître » : être.
Luc 1, 39-45 : « En ces jours-là Marie partit et s'en alla en hâte vers la
montagne, en une ville de Juda. Et elle entra dans la maison de Zacharie, et salua
Elisabeth. Or, quand
Elisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant tressaillit dans son sein,
et elle fut remplie du Saint-Esprit. Et elle s'écria à haute voix, disant : " Tu es bénie
entre les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. Et d'où m'est-il donné que la mère de mon Seigneur
vienne à moi? Car ta voix,
lorsque tu m'as saluée, n'a pas plus tôt frappé mes oreilles, que l'enfant a
tressailli de joie dans mon sein. Heureuse celle qui a cru! Car elles seront accomplies les
choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur! »
« Marie
partit » ou plus
exactement « se mettant debout » : En grec : « anastasa ».
Ce verbe se retrouve plusieurs chez Luc sans signification particulière. Mais
c’est aussi un des deux verbes de la Résurrection avec « s’éveiller ».
En Lc 24,12, après l’annonce des femmes, Pierre se met debout et court
au tombeau. En 24,13 les disciples d’Emmaüs, après avoir reconnu Jésus, se mettent debout et
retournent à Jérusalem pour l’annoncer aux onze.
Vous savez que les
évangiles ont été écrits à la lumière de Pâques. On est ici aussi dans
l’évènement du Salut, dans un récit d’apparition : apparition, Salut,
Résurrection pour Marie, pour Elisabeth, pour le monde. Les femmes, premières
témoins de la Résurrection, sont aussi les premières à accueillir, à reconnaître
le Mystère.
Comme elles,
demandons donc à Dieu cette capacité d’accueil, cette capacité de Dieu.
(Prenons le temps de faire ce type de demande, comme toutes celles que je
glisserai dans ces lignes. Arrêtons-nous d’abord, faisons de la place à la
Parole, pour ensuite, à notre tour, nous mettre debout)
« En ces
jours-là » ? Relisons les versets précédents : « L'ange lui répondit: " L'Esprit-Saint viendra sur toi,
et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi l'être saint
qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. Et voici qu'Elisabeth, ta cousine, a conçu, elle aussi, un
fils dans sa vieillesse, et ce mois-ci est le sixième pour elle que l'on
appelait stérile, car rien ne sera impossible pour Dieu. " Marie dit alors: " Voici la servante du
Seigneur: qu'il me soit fait selon ta parole! " Et l'ange la quitta. » (Lc 1,35-38)
Marie se met en
route en hâte pour se rendre chez sa cousine Elisabeth :
Pourquoi cours-tu
Marie ? Où nous emmènes-tu ?
Car presque malgré
nous, nous voici emmenés, embarqués avec elle. Son « aventure » est
aussi la nôtre.
Certains diront
qu’elle va chercher confirmation, une preuve des affirmations de l’ange, comme
si elle doutait. Il n’en est rien comme semble le montrer le récit de Noël et
l’annonce aux bergers en Lc 2, 15b-20 :
Les bergers font
preuve de la même hâte que Marie, et s’ils vont à la crèche, ce n’est pas pour
voir si ce qu’a dit l’ange est vrai mais pour « voir ce qui est arrivé » ;
littéralement « voir cette parole (de l’ange et donc de
Dieu) qui est arrivée », « voir ce que le Seigneur nous a
fait connaître » Ensuite il ne raconte pas ce qu’ils ont vu
mais « ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet
de cet enfant. »
On ne se situe donc
pas d’abord dans le « voir » mais dans l’écoute, dans la Parole, et
c’est bien ça Noël : la Parole qui vient dans le monde, Parole qui nous
est ensuite donnée de voir et qu’il faut reconnaître (cf. Jn 1,10). Le « voir »
n’est que le signe de la réalité, de cet « essentiel invisible pour les
yeux »
Car les bergers,
qu’ont-ils vu ? « Ils trouvèrent
Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire » comme les
femmes au chapitre 24 qui « trouvèrent la pierre roulée... Elles
ne trouvèrent pas le corps... » Les anges leur dirent :
« Rappelez-vous comment il vous a parlé... Alors elles se
rappelèrent ses paroles... Elles
rapportèrent tout cela aux onze » (Lc 24, 2.3.6.8.9). C’est la Parole
qui éclaire, qui révèle la vie ; Parole que nous sommes invités à méditer
et à prier pour connaître et reconnaître : « Marie retenait tous ces
évènements (littéralement « les choses dites ») et
les méditaient dans son cœur. » (Lc 2,19)
En 24,12 Luc nous
dit que Pierre « ne vit que les bandelettes, et il s’en alla de
son côté en s’étonnant de ce qui était arrivé » A en croire l’évangile
de Jean, Pierre s’arrête au « voir » et n’entre pas de suite dans la
foi ; c’est Jean qui franchit le pas et c’est l’Ecriture qui les
ouvre au Mystère (Jn 20,6-9).
Ainsi ce premier
verset de notre passage (39) fait écho au dernier (45) par la question de la
foi. Nous y reviendrons plus loin mais soulignons déjà que le « voir »,
comme un savoir extérieur, ne suffit pas pour entrer dans la foi. Inutile
d’espérer une apparition ou une preuve de l’existence de Dieu, nous douterions
toujours : nous ne ferions que de nous « réjouir pour un moment à
sa lumière » (Jn 5, 35). Le « voir » est dépendant de la
Parole ; j’oserais dire de la Lumière. C’est elle qui fait écho, qui donne
sens, qui ouvre au « croire ». Ce « croire » est alors
réalisation de la Parole, de la Promesse (celle dont parle le prophète Michée
dans la première lecture du jour) et c’est ça Noël.
Scrutons dans nos
vies, accueillons dans nos quotidiens la réalisation de la Parole de Dieu, de
la Promesse, du Salut.
Cette hâte de Marie
c’est aussi, c’est encore le fruit de l’Esprit Saint : Marie est poussée
par l’Esprit et L’Evangile est en route.
Cette rencontre
entre les Deux femmes dans la maison d’un prêtre du Temple, cette rencontre des
deux enfants dont Jean-Baptiste qui est dit le dernier des prophètes, est comme
une transition, un passage de témoin entre l’Ancien et le Nouveau Testament,
une réalisation, un accomplissement.
Avec Marie, par son
obéissance, son écoute et sa foi, la Parole est en route comme un feu qui se
répand. Vous savez que Luc est aussi l’auteur des Actes des Apôtres : avec
Paul, à la fin de ce livre, la Parole sera annoncée jusqu’à Rome, le centre du
monde. Et c’est bien son obéissance qui permet ce cheminement : là où
Zacharie entre dans le mutisme de la honte parce qu’il attendait un savoir, là
où Elisabeth se cache, Marie se met en route par l’obéissance de la foi comme
Abraham en Gn 12, 1-4a : « Yahweh dit à
Abram: " Quitte ton pays, de ta famille et de la maison de ton père, dans
le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai et je
rendrai grand ton nom. Tu seras une bénédiction: je bénirai ceux qui
te béniront, et celui qui te maudira, je le maudirai, et toutes les familles de
la terre seront bénies en toi. " Abram partit, comme Yahweh le lui avait dit... »
Elle chemine aussi
comme les disciples en Lc 10 : « ne saluez personne en chemin »
(10,4). C’est la même hâte mais dès qu’on entre dans la maison, dès qu’on
atteint le point voulu, on salue (10,5 comme notre verset 40). On retrouve
aussi cette hâte dans les récits de résurrection avec notamment les courses de
Pierre (Lc 24,12 ; Jn 20,4)
C’est encore le cas
dans la Règle de saint Benoît : « Il nous faut courir et faire
maintenant ce qui nous profitera pour l’éternité » (Prologue verset
44) ; « Avec le progrès de la conduite et de la foi, le cœur se
dilate et c’est dans une ineffable douceur d’amour que l’on court sur le chemin
des commandements de Dieu » (prol. 49) ; « l’obéissance
sans délai... » (5,1) ; « A l’heure de l’office divin,
dès qu’on aura entendu le signal, on laissera tout ce qu’on avait en mains et
on accourra en toute hâte, avec sérieux cependant » (43,1) ;
« Dieu, viens à mon aide ; Seigneur, hâte-toi de me secourir »
( 18,1) ; etc...
On semble donc être
dans une course qui ne marque ni la fatigue, ni le stress mais la joie,
l’enthousiasme, la facilité. Isaïe nous parle de cette course de ceux « qui
espèrent dans le Seigneur... Ils courent sans s’épuiser, ils marchent sans se
fatiguer » (Is 40,31) car ils tirent leur force de Celui-là même qui
« ne se fatigue ni ne se lasse » (Is 40,28).
Et nous ?
Courons-nous ? Pourquoi ? Pour quelle urgence ? Quelles urgences
dans nos vies ? Une piste, peut-être : la seule urgence, c’est
d’aimer.
On a souvent
utilisé la Visitation pour parler de la charité, de l’aide de Marie à sa
vieille cousine enceinte. Beaucoup ont ironisé sur une telle approche la
jugeant trop simpliste. Pourtant on trouve parfois une traduction qui va dans
ce sens : au lieu de « en hâte », on traduit « avec
la promptitude de la charité » Cette version peut se justifier, ou en
tous cas nous interpeller, par le simple fait que notre lectio, notre rapport à
Dieu, doivent s’incarner (comme à Noël) dans les gestes du quotidien.
Cette hâte de Marie
peut aussi évoquer celle de la bien-aimée du Cantique des cantiques : elle
dit à son bien-aimé : « Entraîne-moi sur tes pas (notons au
passage que c’est l’attitude du disciple), courons ! » (Ct
1,4) ; il lui dit : « Lève-toi, ma bien-aimée, ma belle,
viens » (2,10). On peut aussi mentionner la quête de la bien-aimée en
3,1-4 et 5,6 et la rapprocher de celle de Marie puisque « l’ange la
quitta » (Lc 1,38).
Mentionnons encore
Isaïe 40,9 : « Monte sur une haute montagne, messagère de
Sion ; élève et force la voix, messagère de Jérusalem ; élève la
voix, ne crains pas, dis aux villes de Juda : « Voici votre
Dieu ! » » Marie se rend elle aussi en Judée, dans une
région montagneuse, à quelques kilomètres de Jérusalem (Ain-Karim). Notons au
passage que tout le récit de Luc est construit autour de cette montée de Jésus
à Jérusalem. On pourrait donc dire que le véritable Précurseur ce n’est pas
Jean-Baptiste mais Marie, et peut-être plus exactement l’Esprit Saint.
« Elle
entre... et salue Elisabeth » Marie semble n’avoir rien dit
d’exceptionnel : une simple salutation. Si simple qu’un évangile apocryphe
(le protoJacques) dit que Marie avait oublié le message de l’ange et que se
sont les paroles d’Elisabeth qui raniment sa mémoire ! Ce n’est évidemment
pas l’avis des Pères de L’Eglise pour qui la salutation de Marie est imprégnée,
révélatrice de l’Annonciation. L’esprit qui l’habite alors se manifeste
d’autant plus que, face à Elisabeth enceinte, Marie voit le signe donné. La
réalisation de la Promesse est inaugurée, comme l’indique aussi la répétition
du vocabulaire de salutation (3 fois dans notre péricope, et plusieurs fois
dans ce début d’évangile), salutation qui marque un commencement, une nouvelle
ère.
Entrons dans cette
nouvelle année liturgique, dans cette nouvelle ère, ce Salut toujours nouveau.
« Aujourd’hui, je commence » disait saint Antoine.
« L’enfant
tressaillit en elle » Seules les mamans peuvent connaître à quoi correspond un tel mouvement avec
toute la dimension affective, existentielle, essentielle qu’il révèle. Pourtant
ce bond ne semble pas être un mouvement naturel et on peut le rattacher à la
joie messianique : « Comme des béliers bondissent les montagnes et
les collines comme des agneaux. » (Ps 113A, 4) ; « Vous
sortirez en bondissant comme des veaux à l’engrais. » (Mal 3,20. Il
suffit de regarder au printemps les bêtes que l’on remet en pâture ! Le
bonheur est dans le Pré !) ; « L’ami de l’époux, il se tient là, il
l’écoute, et la voix de l’époux le comble de joie. Telle est ma joie, elle est
parfaite. » (Jn 3, 29).
Nous aussi, quand
c’est possible, nous sommes invités à choisir la joie. Les pères du désert
proposent de lutter contre les pensées qui nous éloignent de Dieu et de
nous-mêmes en leur opposant leur contraire. Ainsi, dans les jours de tristesse,
favorisons la joie.
« Et
Elisabeth fut remplie de l’Esprit Saint » C’est l’enfant qui est
d’abord touché et qui communique sa joie, qui révèle le Mystère à sa
mère : Jean est déjà, enfin, prophète. Vous savez que Luc insiste beaucoup
sur le rôle de l’Esprit ( on appelle parfois les Actes
des Apôtres l’évangile de l’Esprit) et si c’est l’enfant qui révèle, c’est
qu’on se situe au-delà du savoir.
Ô Jean !
Montre-nous aussi l’Agneau de Dieu.
Dans ce contexte on
peut aussi noter la place du corps dans le christianisme (comme si
l’Incarnation ne suffisait pas !). Loin de le rejeter, le corps est
acteur, médiateur. C’est l’accomplissement de Joël 3,1 : « Je
répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles
prophétiseront »
Tout à l’heure je parlais d’un récit de Résurrection.
Ils sont suivis du don de l’Esprit ; ici aussi, il est donné. Je
mentionnais également l’insuffisance du « voir », du signe et
j’insistais sur la place de la Parole. Il faut ajouter un troisième élément
pour entrer dans la foi, pour interpréter, savoir, connaître selon la foi : l’Esprit Saint. Car
là encore, Elisabeth n’a rien vu et, ici, si peu entendu !
« Et
Elisabeth s’écria d’une voix forte », d’un grand cri comme celui
de la naissance : celle de l’enfant, celle de la mère. Elisabeth renaît
malgré les doutes de Nicodème : « Comment un homme peut-il
naître, étant vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa
mère et naître ? » Jésus répondit : « ...naître d’eau
et d’Esprit... » (Jn 3,4-5).
Qu’as-tu entendu
Elisabeth ? Vu ? Eprouvé ? Aide-nous à nous disposer à accueillir
l’Esprit.
Elisabeth se
cachait et maintenant elle crie. Certains commentaires disent que la salutation
de Marie a enlevé sa honte et a ainsi libéré un espace, une place pour l’Esprit.
Dans ce temps de l’Avent, nous sommes aussi appelés à libérer un espace pour
laisser grandir en nous notre désir profond, pour laisser advenir en nous
le dessein de Dieu, sa rencontre. Peut-être, certainement, par la lecture de la
Parole.
« Tu es
bénie entre toutes les femmes et le fruit de tes entrailles est béni »
C’est notre Ave Maria, notre cri à nous aussi.
La bénédiction
c’est le dernier geste de Jésus sur terre en Luc 24,51 : « ...
comme il les bénissait,... il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. »
Avec X.L Dufour et
son Vocabulaire de Théologie Biblique, voilà ce que nous pouvons dire
rapidement de la bénédiction : Sa richesse est la vie et la fécondité
et c’est bien le cas ici. Elle est naturellement symbolisée par
l’eau (ce qui nous renvoie encore à Nicodème). Elle jaillit comme un cri
devant une personne en qui Dieu vient de révéler sa puissance et sa générosité.
Ainsi l’être béni est révélation de Dieu, point de ralliement, source de
rayonnement : ceci nous dit beaucoup de la place de la Vierge dans notre
Tradition. La bénédiction complète ne s’arrête pas à l’élu mais elle remonte
jusqu’à Dieu qui s’est révélé dans ce signe.
Bénir ce n’est pas
ajouter quelque chose mais se laisser emporter par l’élan de cette révélation
et convier le monde à la louer. Toute l’histoire d’Israël est celle de la
bénédiction promise à Abraham (de nouveau Gn 12,1-3) et donnée au monde en
Jésus. Cette bénédiction, au sens plein du mot, c’est son Esprit Saint. Notons
que les verbes sont ici au passif, un passif divin indiquant que c’est Dieu qui
bénit.
La bénédiction se
retrouve évidemment de nombreuses fois dans la Bible. Notamment Dt
28,1-4a : « Si tu obéis exactement à la voix de Yahweh, ton Dieu, en
observant et en mettant en pratique tous ses commandements que je te prescris
aujourd'hui, Yahweh, ton Dieu, te donnera la supériorité sur toutes les nations
de la terre. Voici toutes les
bénédictions qui viendront sur toi et t'atteindront, si tu obéis à la voix de
Yahweh, ton Dieu: Tu
seras béni dans la ville et tu seras béni dans les champs. Béni sera le fruit de tes entrailles, le fruit de ton
sol, le fruit de tes troupeaux... »
Jg 5,24-27 où Yaël,
une femme, tue Sisera, chef de l’armée de Canaan ; elle est bénie car par
elle s’accomplit le salut de Dieu pour son peuple. Notons qu’elle lui brise la
tête à l’aide d’un piquet (!) ce qui renvoie à Gn 3,15 : « Je
mettrai une hostilité entre toi (le serpent) et la femme, entre ton
lignage et le sien. Il t’écrasera la tête... »
Jdt 13, 10b-14. 17-18a : Judith et sa servante « gravirent
la pente de Béthulie et parvinrent aux portes. Judith cria de loin aux gardiens des murailles:
" Ouvrez la porte, car Dieu est avec nous, et il a signalé sa puissance en
faveur d'Israël. " Ayant entendu ses paroles, les gardes appelèrent
les anciens de la ville. Aussitôt tous les
habitants accoururent vers elle, depuis le plus petit jusqu'au plus grand
(...). Allumant des flambeaux, ils se rassemblèrent tous
autour d'elle. Judith, montant sur un lieu élevé, commanda qu'on fit silence; lorsque
tous se furent tus, elle leur
dit: " Louez le Seigneur, notre Dieu, qui n'a
point abandonné ceux qui espéraient en lui. Par moi, sa servante,
il a accompli ses promesses de miséricorde en faveur de la maison d'Israël, et
il a tué cette nuit par ma main l'ennemi de son peuple. »(...)Le
peuple (...) cria d’une seule voix : « béni sois-tu ô notre
Dieu, toi qui en ce jour as anéanti les ennemis de ton peuple ! »
Ozias à son tour dit à Judith : " Sois bénie, ma fille, par
le Dieu Très-Haut, plus que toutes les femmes de la terre ; et béni soit
le seigneur Dieu... »
Avec toutes ces bénédictions, on se situe dans la
réalisation de la Promesse : Dieu n’a pas oublié son peuple ; Il veille,
chemine avec chacun d’entre nous (comme on le disait précédemment, Il ne se
lasse pas de venir à nous).
La bénédiction de
Marie lui est propre mais nous entrons aussi dans la même bénédiction, dans le
même projet de Dieu : On peut ici reprendre l’Hymne aux éphésiens (1, 3-6) : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui
nous a bénis dans le Christ de toutes sortes de bénédictions spirituelles dans
les cieux! C'est en lui
qu'il nous a choisis dès avant la création du monde, pour que nous soyons
saints et irrépréhensibles devant lui, nous ayant, dans son amour, prédestinés à être ses fils
adoptifs par Jésus-Christ, selon sa libre volonté, en faisant ainsi éclater la gloire de sa grâce, par
laquelle il nous a rendus agréables à ses yeux en son [Fils] bien-aimé. »
Dans notre passage,
la bénédiction est complète : elle associe l’homme et Dieu. Ici, Jésus, «
le fruit de tes entrailles », est identifié à Dieu, comme au verset
suivant : « la mère de mon Seigneur ». Le cri
d’Elisabeth est donc un cri christologique, une reconnaissance de la divinité
de Jésus comme lors de l’annonce de l’ange aux bergers en 2, 11 (« Aujourd’hui
vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur » et lors des
apparitions en 24,34 ( « Le Seigneur
est ressuscité ») Et c’est dans l’Esprit qu’Elisabeth peut le dire car
« nul ne peut dire Jésus est Seigneur si ce n’est par l’Esprit Saint »
(1 Co 12,3).
On retrouve donc
toujours cette place de l’Esprit, toujours aussi cette humilité qui nous fait reconnaître la source de toute bénédiction. Et justement,
l’humilité est bien l’attitude D’Elisabeth :
« Comment
ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? »
Elisabeth
l’ancienne, femme de prêtre, s’abaisse devant la jeune Marie. Tout à l’heure on
parlait de la honte qui, disparaissant, libérait de la place pour accueillir
l’Esprit. Ici je dirai que l’humilité ouvre cette espace, humilité qui est le
fruit de la seule humilité : celle de Dieu qui s’abaisse jusqu’à n’être
plus qu’un « embryon », celle de Dieu qui est manifestée par un
enfant à naître, une vieille femme et une jeune fille. Un jésuite flamand du
XVII s a écrit : « Est divin non pas d’être emmuré dans le plus
grand mais de pouvoir, d’avoir la capacité d’être contenu dans le plus petit »
Humilité,
indignité. Indignité comme celle du centurion en Lc 7,1-10 et cette phrase
reprise à l’Eucharistie, à l’Action de Grâce : « Seigneur, je ne
suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et je serai
guéri » Autre prière : « Sainte Marie, mère de Dieu,
priez pour nous, pauvres pécheurs »
Humilité, indignité
mais aussi gratuité ou parce que gratuité. Nous ne sommes pas ici dans le
mérite mais dans le don de la grâce : « je vous salue Marie,
pleine de Grâce » C’est l’œuvre de Dieu qui s’accomplit en nous, avec
nous. Pascal a dit : « L’homme n’est pas digne de Dieu, mais il n’est pas incapable d’en être rendu
digne. Il est indigne à Dieu de se joindre à l’homme misérable, mais il n’est
pas indigne de Dieu de le tirer de sa misère. » (Br 510)
Revenons sans cesse
à cette gratuité du don de Dieu ; c’est elle qui nous permet aussi
d’entrer dans la gratuité comme l’indique la deuxième lecture du jour :
« Tu n’as pas voulu de sacrifice... alors je t’ai dit « me
voici »... » (He 10,5-7). La folie de l’amour c’est sa gratuité,
et j’y réponds par la gratuité. Comme dit saint Bernard pas comme esclave ni
comme mercenaire mais comme Fils.
Toute cette scène
de la Visitation nous renvoie à 2 S 6, 2.5.9-12 ;14-15 : « Accompagné
de tout le peuple réuni auprès de lui, David se leva et se mit en marche depuis
Baalé-Juda, pour faire monter de là l'arche de Dieu, (...) David et toute la maison d'Israël dansaient devant
Yahweh, au son de toutes sortes d'instruments de bois de cyprès, de harpes, de
luths, de tambourins, de sistres et de cymbales (...)David eut peur de
Yahweh en ce jour-là, et il dit: « Comment l'arche de Yahweh viendrait-elle
vers moi? » Et David ne voulut pas retirer l'arche de Yahweh chez lui, dans la
cité de David; et David la fit conduire dans la maison d'Obédédom de Geth.
L'arche de Yahweh resta trois mois dans la maison d'Obédédom de Geth, et Yahweh
bénit Obédédom et toute sa maison. On vint dire au roi David: « Yahweh a béni
la maison d'Obédédom et tout ce qui est à lui, à cause de l'arche de Dieu. » Et
David se mit en route, et il fit monter l'arche de Dieu de la maison d'Obédédom
dans la cité de David, avec un joyeux cortège (...)David
dansait de toute sa force devant Yahweh, et David était ceint d'un éphod de
lin. David et toute la maison d'Israël firent monter l'arche de Yahweh avec des
cris de joie et au son des trompettes. »
Cette joie de David et du peuple, c’est celle de
Jean-Baptiste, des deux mères, de Luc, de Dieu.
La peur de David
face au mystère du sacré (étymologiquement « ce qui est séparé ») est
devenue ici source de grâce et de joie, de réconciliation entre les hommes,
avec Dieu.
L’Arche, c’est
Marie, Mystère de Dieu qui vient à nous comme Marie est sortie de chez elle.
Présence de Dieu en Marie, en son Eglise, en chacun de nous.
Accueillir Dieu
dans le mystère de la rencontre avec l’autre, dans le mystère de l’autre, et
être révélateur, médiateur de Dieu pour l’autre.
La Visitation,
c’est Dieu qui nous visite, qui visite son peuple.
« Heureuse... » :
la béatitude. A.Chouraqui traduit par « En
marche ». En hébreu, il n’y a pas de vocabulaire abstrait. On exprime
donc cette réalité par des images concrètes. Ainsi, La personne dite heureuse
est « celle qui marche avec allégresse » (une nouvelle fois, nous ne
sommes pas loin de la course). On est heureux car la béatitude c’est la
participation à la gloire de Dieu, et c’est même finalement Dieu lui-même. Il
n’y a pas d’attente d’une récompense ni future, ni en lien avec un mérite
particulier ( toujours l’idée de gratuité). Mais c’est
une compréhension, un savoir intérieur, qu’avec Dieu on a tout et qu’on peut
vivre dans une confiance sans bornes. Avec la venue du Christ, tout est
donné ; il est l’accomplissement de la béatitude. (cf. X.L.Dufour)
Il y a de
nombreuses béatitudes dans la Bible, et notamment celle en Lc 11, 27 :
« une femme éleva la voix... et lui dit : « Heureuses
les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés ! » Mais
il dit : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de
Dieu et l’observent ! » C’est en cela que Marie est déclarée heureuse :
« Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui
lui furent dites de la part du Seigneur. » A.Chouraqui traduit par «...
celle qui adhère... » Marie est la croyante, celle qui a écouté,
médité, prié la Parole.
Le concile Vatican II
nous dit : « A Dieu qui révèle est due « l’obéissance de la
foi » par laquelle l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu »
(DV 5). Et l’encyclique Redemptoris
Mater : « Croire veut dire « se livrer » à la
Vérité-même de la Parole du Dieu vivant » (n°14).
Marie est entrée
dans le projet de Dieu, dans l’Alliance, dans la foi et même dans l’obscurité
de la foi. Mais Dieu nous demande, nous propose cet abandon, cette confiance
mais abandon et confiance réfléchis, matures puisqu’ils se vivent dans une
quête éclairée par la Parole, par l’Esprit,... Mais néanmoins il y a ce saut
dans la foi à faire ou/et à refaire !
Quel acte de foi
m’est-il demandé aujourd’hui dans ma vie ?
« On entre
seul dans la foi, comme dans la mort » Madeleine Delbrel.
Marie a cru à
l’accomplissement de la Promesse, celle faite à Abraham, à Israël, à L’Eglise
(« je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde »
(Mt 28,20) ; Mt 18,20 : « Que deux ou trois ... soient réunis
en mon nom, je suis au milieu d’eux. »), à nous-mêmes. Et nous
connaissons peut-être notre « promesse personnelle », ou ce que la
Promesse signifie dans chacune de nos vies, ou le salut que nous attendons,
espérons, découvrons à l’œuvre dans chacune de nos vies. Demandons à Dieu de
nous éclairer sur notre attente, sur sa promesse sur et pour nous-mêmes, nous
qui sommes connus de Dieu « avant même que nous soyons sortis du sein
de notre mère. » (Jr 1,5)
La foi nous
rend-elle heureux ? Marie, elle, l’est, et nous aussi d’une certaine
manière car son « oui » nous emmène avec elle comme un
« non » nous aurait laissés sur place. Si « rien n’est
impossible à Dieu » (Lc 1, 37), Dieu ne peut, ne veut aller contre
notre refus, notre choix, notre volonté. Certes Il ne cessera pas de frapper à
la porte mais ne la forcera pas. Où devons-nous le laisser entrer ?
Nous avons
rapproché cette béatitude à celle de Lc 11, 27. Il y en a une autre lors du
chemin de croix en 23, 28b-29 qui est aussi liée à la fécondité et à la
maternité : « ...Filles de Jérusalem ne pleurez pas sur moi !
Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Car voici venir des
jours où l’on dira : Heureuses les femmes stériles, les entrailles qui
n’ont pas enfanté, et les seins qui n’ont pas nourri !... » C’est
la dernière béatitude en Luc !
Les béatitudes,
comme en Mt 5 et Lc 6, prennent le contre-pied de la pensée
habituelle : « Heureux les pauvres... ceux qui pleurent... »
Ici le renversement n’est (heureusement !) pas de même nature. C’est une
malédiction mais non pas une imprécation, non pas une volonté de Jésus, mais un
constat. Dans la série des malédictions (« Malheureux vous les
riches... » en Lc 6,24s) le terme employé
pourrait être traduit par « Hélas ! ». Ainsi en Lc 19,
41-44 Jésus pleure sur Jérusalem « parce que
tu n’as pas reconnu le temps où tu as été visité. »
A nous aussi il est
donné d’être visités et de reconnaître ce temps (« Kaïros ») où nous
sommes visités. Marie est entrée dans cette reconnaissance et elle en est proclamée heureuse. Mais
elle est aussi malheureuse parce que la foi est isolée, rejetée, parce
que « l’amour n’est pas aimé », crucifié.
S’il nous faut donc
reconnaître le temps où nous sommes visités, ce n’est pas par menace mais
peut-être pour mieux entrer en communion avec notre temps, notre monde. Le
regarder et se laisser interpeller, saisir par ce qu’il a de grand et ce qu’il
a d’horrible, et prier avec lui.
Ce monde, notre
quotidien, voilà notre « région montagneuse de Judée » à
laquelle nous sommes envoyés. Qu’avons-nous à lui dire ? Quel Salut ?
Quelle joie ?
On comprend bien
que seul ce qui nous fait vraiment vivre peut être annoncé, ou plutôt donné.
Marie ne se lance pas dans une campagne d’évangélisation forcenée. Elle vient
simplement (mais après bien des jours de voyages et d’effort, et certainement pas
seule : de nombreux artistes l’ont représentée avec Joseph) à l’autre, à
sa rencontre, et ce qui demeure en elle jaillit sur l’autre.
« Il ne
sert à rein que Jésus soit dans le tabernacle si nous ne sommes pas nous-mêmes
son tabernacle. La Présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie n’a de sens...
que dans la mesure où je suis moi-même une présence réelle à toute l’Eglise et
à tout l’univers. » (Maurice Zundel).
Prenons aussi
l’exemple des moines de Thibbirine en Algérie. Dernièrement, en parlant de cette
communauté en monde musulman, on a dit qu’elle était « gratuité de la
présence... Visitation permanente d’une communauté... qui ne cherche ni à
convertir ni à avoir des vocations mais simplement d’être, comme Marie,
porteuse d’un message qui vient de Dieu et qui est une parole de paix. »
(Bulletin
de l’A.I.M, n° 87)
Et moi? Que me
disent ces communautés chrétiennes? Qu’est-ce que je perçois du Salut, de la
Vie, de Dieu à travers elles, à travers les chrétiens que je côtoie ?
Tout cela n’exclut
pas la prise de parole, l’annonce,... mais met en avant la conversion
personnelle ; et c’est beaucoup plus exigeant ! Se convertir pour
convertir le monde. Laisser Dieu demeurer en nous et entre nous pour qu’Il
habite le monde.
Marie c’est
l’Eglise, c’est nous, chacun de nous ; Marie comme figure de notre
vocation au bonheur.
Tout au long de cet
entretien, il a été question de course, de hâte, de marche avec allégresse...
Regardons les visages des enfants qui s’amusent à courir, qui courent derrière
leur père ou vers les bras de leur mère. Regardons leur joie de vivre... Si
vous aviez leur âge, pour conclure, je vous proposerai d’entrer dans la ronde,
de nous tenir la main, de tourner, chanter, jouer, et rire de joie, rire de la
vie !
Le bond de
Jean-Baptiste dans le sein de sa mère n’est pas un mouvement habituel. En le
rapprochant de 2 S 6 et de la joie de David et de celle du peuple, on parle
parfois de danse : la danse de Jean dans le ventre d’Elisabeth comme celle
des branches balancées par le vent ou, autre symbole de l’Esprit, celle des
flammes de ce feu allumé que Marie répand en parcourant le pays, que Jésus
répand déjà en elle.
Un ami qui fait
régulièrement de la danse me parlait
d’un bien-être, d’une expression de soi de l’ordre de la réalisation, qu’il ne
retrouve pas ailleurs, ou qui justement l’habite pour cet ailleurs. On dit
souvent que la musique et le chant sont anticipations de ce qui se vivra
là-haut. J’aime à croire que les anges chantent mais qu’ils dansent aussi.
En Inde, j’ai
rencontré un « petit frère de Jésus » qui resplendissait d’une
présence, de Dieu (Jean Lafrance dit que « la sainteté n’est pas de
s’améliorer pour devenir quelqu’un de bien, mais de laisser entrer en nous la
vie d’un autre. ») Dans sa chapelle, il y avait un tableau représentant
le Christ ressuscité sous les traits d’une divinité hindoue : le Shiva
dansant, dansant et écrasant le dragon (on revient à l’idée de Gn 3, 15),
dansant de joie de cette victoire sur le mal.
Dans ce récit, Luc
a voulu nous faire entrer dans la joie de Marie, dans sa joie, celle de sa
communauté, celle de Dieu. Moi, pour finir ( ou
presque !), j’aimerais vous laisser une image. Non pas matérielle comme un
grain de blé (vous risqueriez de la planter et de l’arroser !) ; non
pas intellectuelle, comme un savoir extérieur, quelque chose qui ne concernerait qu’une
partie de nous-mêmes et qui ne prendrait pas la totalité de notre être (rappel
qu’on ne peut ni limiter ni enfermer quelqu’un dans son savoir ou son manque de savoir). Mais une image que je crois profondément
existentielle et donc spirituelle : c’est cette image de la danse. La
danse comme expression de la joie et comme génératrice de joie, comme signe de
la Bonne Nouvelle, comme épiphanie de l’Esprit en nous, comme manifestation de
la réalisation de la Promesse dans nos vies, comme foi en Celui qui vient.
Si vous êtes comme
moi un piètre danseur ou si vous ne savez pas danser, revenez à ces visages d’enfants qui
s’entraînent dans la ronde, revenez à nos fêtes, nos mariages d’hier et aujourd’hui
où l’on danse. En y réfléchissant un peu, je me suis dit qu’on ne dansait
jamais seul. On a un, une, des partenaires ; on peut danser seul mais au
milieu d’une foule dansante ou devant un public ; et si on est seul, ou
plutôt la seule personne, alors on danse pour ou avec le monde, pour ou avec la
Vie. La danse est un acte qui met en relation, qui exprime une relation.
Soyons donc comme
Jean-Baptiste, en relation avec la Parole faite Chair, et non comme le frère
aîné du prodigue qui refuse de rentrer (Lc 15,28), ni comme ces enfants à qui
on a joué de la flûte et qui n’ont pas dansé (Lc 7, 32). Suivons le
psalmiste : « Les justes sont en fête, ils exultent, devant la
face de Dieu ils dansent de joie. Chantez pour notre Dieu, jouez pour son nom.
Frayez la route à Celui qui chevauche les nuées. Son nom est le Seigneur,
dansez devant sa face. »(Ps 67,4-5)
Oui, en ce temps de
l’Avent, faisons de la place en nous à la Parole de Dieu (comme cette place
faite par Elisabeth) et apprenons à reconnaître la joie qu’elle révèle :
Joie au cœur même de ses lignes, celle de Marie, de Jean, des aveugles qui
voient, des boiteux qui marchent... (c’est le signe
donné à Jean-Baptiste dans sa prison en Lc 7 lorsqu’il demande « Es-tu
Celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »),
joie de la Résurrection, de la réalisation de la promesse au sein même de notre
quotidien. Découvrons cette joie qui ne demande qu’à jaillir, non pas dépourvue
de difficultés, exubérante ou superficielle mais profonde, recueilli comme une
récolte, partagée comme à la fraction du pain, à la Visitation. Demandons à
Dieu de nous faire reconnaître sa joie, notre joie là où nous sommes, et la
laisser venir, advenir.
« Notre
joie ne sera pas tant d’apaiser nos besoins ni d’assurer notre bonheur que de
voir l’accomplissement de sa volonté en nous et par nous. » (saint Bernard)
Au début de cet
entretien, je vous disais que je ne savais pas où tout cela nous conduirait, où
Marie nous emmènerait. Nous sommes donc rassurés : Dieu ne nous a pas
tendu un piège, Il ne nous demande rien au-delà de nos forces : simplement
de laisser naître et jaillir la joie et la vie à l’aide de sa Parole,
simplement d’entrer dans sa danse en se laissant mener par l’Esprit. C’est si
simple que, là encore, c’est peut-être ce qui est le plus exigeant.
Ecoutons donc un
peu de cette musique :
« Et Marie dit:
" Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu, mon Sauveur, parce qu'il a jeté les yeux sur la bassesse de sa
servante. Voici, en effet, que désormais toutes les générations me diront
bienheureuse, parce que le
Puissant a fait pour moi de grandes choses. Et son nom est saint, et sa miséricorde d'âge en âge, est pour ceux qui le
craignent. Il a fait oeuvre
de force avec son bras; il a dissipé ceux qui s'enorgueillissaient dans les
pensées de leur cœur; il
a renversé de leur trône les potentats, et il a élevé les humbles; il a rassasié de biens les affamés, et il a renvoyé
les riches les mains vides. Il a pris soin d'Israël son serviteur, se ressouvenant de
sa miséricorde, ainsi qu'il
l'avait promis à nos pères, en faveur d'Abraham et de sa race, pour
toujours." Et Marie demeura
avec elle environ trois mois, et elle s'en retourna chez elle. » (Lc 1, 46-56)