Introduction à la liturgie du 4ème dimanche de l’Avent

 

 

L’Annonciation

4e dimanche de l’Avent (décembre 2008)

 

 

Le premier dimanche de l’Avent nous appelait à veiller. Les suivants nous présentaient Jean-Baptiste qui nous indique la direction à suivre, la direction pour notre veille : c’est quelqu’un, Jésus. Quelqu’un dont il n’est « pas digne de défaire la courroie de ses sandales. » (Mc 1, 7 ; Jn 1, 27). Le quatrième dimanche nous invite peut-être à accueillir les fruits de notre veille, comme Marie, et à sortir de notre indignité.

 

Lc 1, 26-38.

 

Les deux premiers versets nous indiquent le lieu et les personnages. (La version liturgique omet l’indication de temps « au sixième mois » qui peut faire référence au 6e jour de la Genèse, la création de l’homme et de la femme). Nous sommes ici dans un contexte de recréation. La mention du 6e jour suppose aussi qu’il y en aura un 7e  puis un suivant : nous sommes, nous entrons dans une histoire en marche.

 

Les personnages :

 

            L’ange Gabriel.

Dans l’Ancien Testament, il est annonciateur du temps du salut. Il donne aussi de discerner, de reconnaître ce temps ( Dn 8,16 ; 9, 22-23). Ce personnage est apparu dans la scène précédente, l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste à Zacharie. On compare traditionnellement ces deux annonces.

Ici, l’ange est envoyé pour passer un contrat.

Notons qu’en grec, le premier mot de notre passage est « envoyé », envoyé par Dieu. Nous sommes bien dans la dynamique de l’évangile, de la Bonne Nouvelle : l’ange est envoyé ; Jean-Baptiste est envoyé ; Marie, à la fin de notre péricope, se rend en hâte chez sa cousine Elisabeth ; Jésus est envoyé par le Père ; l’Esprit Saint ; les disciples ; et nous-mêmes. C’est notre identité de chrétien d’être envoyé, d’être messager de Dieu pour les autres, d’être témoins (nous verrons plus loin, à l’exemple de Marie, comment être témoin).

           

Joseph.

C’est le fiancé ; de la maison de David. Matthieu nous en parle plus longuement. Ici il semble oublié. Il est entraîné par Marie dans cette aventure.

On peut noter que « Dieu vient faire Alliance avec et dans l’alliance humaine elle-même. Non pas avec Marie (...) mais Marie fiancée à Joseph. » (Guy Lafon)

 

            Marie.

Jeune fille, vierge, en référence à l’oracle au roi Achaz et l’annonce d’un signe (Is 7, 14).

 

le lieu : la Galilée, donc le carrefour des nations ; on est loin de la pureté juive.

            Nazareth est inconnue dans l’Ancien Testament !

                        Saint Bernard fait ici le parallèle avec le trésor caché.

 

            Dans la comparaison avec l’annonce à Zacharie, on passe de la Judée à la Galilée, de Jérusalem à Nazareth, du Temple à la simple demeure (ou au puits). On  passe aussi de Zacharie et Elisabeth, de la classe sacerdotale, à, certes Joseph de la maison de David, de la lignée royale, mais aussi à une simple jeune fille. Ce n’est donc pas là, a priori, qu’on pourrait attendre Dieu. Dieu vient donc nous surprendre là où nous ne l’attendions pas, d’où cette nécessité de veiller, d’être attentif.

 

L’ange entra chez elle ; auprès d’elle.

On ne dit pas qu’elle voit un ange. On se situe donc dans le champs sémantique de la parole. Entendre, écouter semble plus important que voir ( heureux ceux qui ont cru sans avoir vu).

 

salut.

Premier mot de l’ange.

simple salutation pour certains

            Annonce de joie pour d’autres ; joie de la Bonne Nouvelle.

            S’exprime ainsi la relation de Marie avec Dieu le Père, relation dans la joie.

            Nous avons rencontré cette salutation aux Rameaux en référence aux oracles messianiques de Sophonie et Zacharie ( crie de joie, fille de Sion So 3,14 ; exulte et crie de joie Za 2)

            C’est la seule fois que Luc emploie ce terme. On le retrouve sous cette même forme 4 autres fois dans les 3 autres évangiles : dans la bouche de Judas quand il trahit Jésus, et dans celle des soldats quand ils se  moquent de lui ! Nous ne sommes plus ici dans le contexte de la joie et pourtant c’est le même salut.

 

comblée de grâce ;  pleine de grâce ; favorisée de grâce ; toi qui a la faveur de Dieu ; comblée des faveurs gratuites de Dieu ; Aimée de Dieu.

Par cette appellation, Marie a conscience d’être aimée, d’être préférée, comme nous sommes tous préférés. Dieu n’aime pas abstraitement, il n’aime pas le concept d’homme, l’homme en général, mais de façon concrète ; il aime chacun en particuliers.

On ne retrouve ce vocabulaire que dans le premier chapitre de la lettre aux éphésiens (Ep1, 6) qui exprime le plan divin du salut. Ce qui est donc dit de Marie l’est aussi pour nous : nous sommes nous aussi sujets de la grâce, travaillés par cette grâce, pétris, choisis pour être saints et sans péchés, immaculés. Nous sommes tous choisis mais pour Marie le temps du verbe indique qu’elle était et demeure l’objet de la grâce dans sa plénitude alors que pour nous c’est au futur. Au futur mais comme dit Mgr Henri Brincard « chaque baptisé reçoit la grâce qui lui permet, à l’exemple de la Vierge Marie, de correspondre, lui aussi, au dessein d’amour de Dieu sur lui, dessein qui dépasse toujours ce qu’il envisage humainement. »

 

le Seigneur est avec toi.

Ces mots se retrouvent dans les récits de vocation (Moïse, Jérémie,...). B. Sesboüé nous dit : « en ces quelques mots, le salut se résume à  la fois  dans sa forme et son contenu, qui n’est rien d’autre que la communication que Dieu fait de lui-même à l’humanité. »

 

toute boulversée, troublée.

Il s’agit du même trouble qui ébranle Hérode et Jérusalem à l’annonce de la naissance du roi des juifs  par les mages ; même trouble non par rapport à l’angoisse suscitée mais parce que c’est un trouble qui ébranle les fondements face à l’importance de l’événement. Marie sait qu’elle est en face de l’essentiel.

            Je ne résiste pas à citer l’interprétation de ce trouble selon Dom Delatte : « Ce trouble même est l’indice de l’humilité de la vierge. Il est des gens qu’on ne surprend jamais en faisant leur éloge : ils sont très avertis d’avance, ils en savent plus long que nous et seraient très capables de compléter nos informations. » !

 

elle se demandait ce que signifiait cette salutation.

Il semblerait que cette interrogation est celle de la foi qui s’interroge, qui cherche à mieux entrer dans le mystère, à mieux comprendre ce qui se passe, ce qui se manifeste dans sa propre vie.

 

Ne crains pas... tu as trouvé grâce auprès de Dieu. 

Là encore, on retrouve ces mots dans la plupart des récits de vocation. Chaque fois que Dieu se manifeste, il rassure ; il est un Dieu d’amour et non de crainte servile.

Chouraqui traduit « ne frémis pas... tu as trouvé chérissement » auprès de Dieu. Traduction presque sensuelle comme l’ensemble de la scène, son atmosphère. Dans la mythologie, il y a des rencontres entre un dieu et une femme, des rencontres qui aboutissent à la procréation. Il ne s’agit évidemment pas de cela ici. Il y a néanmoins cette dimension d’intimité amoureuse, de nuptialité, de sponsalité. On est proche du Cantique des cantiques, de la situation de la bien-aimée et du bien-aimé.

 

tu vas concevoir et enfanter un fils et tu lui donneras le nom de Jésus

C’est la prophétie d’Is 7,14. Celle-ci parle de l’Emmanuel, D avec nous ( qui renvoie au verset 28 : le S est avec toi). Jésus signifie le Seigneur  sauve.

            C’est la première mention du nom de Jésus en Luc.

            Ici s’exprime la relation de Marie avec Jésus, avec le Fils : relation maternelle, biologique, tangible ; relation aussi de responsabilité (elle donne le nom) ; mais relation subordonnée à son Fils.

 

Il sera grand... appelé Fils du Très Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son Père ; il règnera pour toujours sur la maison de Jacob, et sa royauté n’aura pas de fin.                                              

Toute une série de titres messianiques.

            Marie va donc enfanter le messie attendu.

 

Comment cela va-t-il se faire ? Je suis vierge.

Marie ne met pas en doute la parole de l’ange ; elle ne cherche pas non plus un signe. Son attitude contraste avec celle de  Zacharie. Comme nous l’avons dit plus haut, il semble qu’elle cherche à comprendre, à entrer davantage dans le mystère (comme nous sommes invités aujourd’hui à le faire ou quand nous méditons le chapelet).

            En exprimant qu’elle est vierge – objection pour le moins surprenante pour une jeune fille fiancée donc pour qui la maternité semble toute proche et tout à fait possible – elle exprime aussi son état d’aujourd’hui, son projet. Dieu vient la saisir dans son quotidien et peut-être bouleverser ses projets ( et ceux de Joseph par la même occasion !). Toute notre vie est semée de ces inattendus, de ces bouleversements de nos plans, de projets contrariés.

            Le contraste cité auparavant entre Jérusalem, le Temple, Zacharie d’une part, et Nazareth et Marie d’autre part, nous montre bien que Dieu est l’attendu inattendu. Attendu car nous attendons tous la vie, la vraie, le bonheur, ou tout au moins, ou plutôt, la paix, la sérénité, le salut, Jésus. Mais inattendu car il vient toujours nous saisir là où nous ne l’attendions pas, de la façon que nous n’avions pas prévue. Dieu a son dessein qui n’est  pas ce que notre imagination ou notre confort avait prévu.

Si vous cherchez une attitude concrète pour mieux vivre cet Avent, peut-être pouvons-nous nous disposer à accueillir cet inattendu dans toute les petites choses du quotidien : le coup de téléphone ou la visite imprévus alors que ce n’était, comme on dit, vraiment pas le moment ! Une crevaison ; la machine à café en panne ! Que sais-je ?! Oui, peut-être accueillir sereinement tout ce qui vient troubler notre petit moi, notre petit confort à nous.

Ou plutôt s’interroger sur ces troubles et se demander si ça vaut vraiment la  peine de s’énerver ou de se décourager.

Le trouble de  Marie n’était pas de la même nature mais elle a su accueillir, entendre, être attentive dans son quotidien. La tradition orientale situe l’Annonciation près d’un puits, c’est-à-dire alors qu’elle effectuait un acte du quotidien.

Il y a aussi malheureusement ce qui vient parfois dramatiquement bouleverser nos plans et même notre vie. Il peut alors  nous être demandé de nous tourner, avec douceur ou véhémence, vers ce Dieu avec nous, ce Dieu du salut qui nous est ici annoncé.

            Je discutais avec un couple à propos de la maladie de l’un des conjoints. Ils ont conclu  la conversation en disant : « il y a pire que nous ». Je n’ai rien dit mais j’avoue que j’étais étonné d’une telle parole car on pouvait croire qu’ils étaient déjà dans le pire ; en tout cas l’épreuve et l’angoisse étaient bel et bien là. C’est quelques jours après que j’ai compris que ce qui les maintenait du « bon côté de la barrière », du « côté des gens heureux », c’était certes leur espoir dans la médecine mais aussi la grâce – car c’est une grâce – et la force de leur union, de leur amour. Un amour plus fort, malgré tout, sur lequel ils veillent afin de donner vie et chaleur à tout le reste jusque dans l’épreuve et peut-être même au-delà de la séparation de la mort.

            Si l’Avent est un temps de préparation à l’accueil du meilleur (l’enfant du Salut), ce peut être aussi un temps pour ne pas se laisser surprendre par le  pire. Un temps où l’on apprend à reconnaître ce qui nous fait vivre, ce qui a de la valeur, ce qui est essentiel, ce à quoi ou à qui on peut se rattraper quand tout semble se dérober. Un temps où l’on construit sur du dur pour pouvoir affronter - au  mieux, aussi bien que possible - la tempête. Un temps où l’on est amené peut-être à ne compter que sur Dieu seul.

 

Le temps de l’épreuve n’est  pas encore venu pour Marie (temps représenté dans la peinture  par un vêtement ou une tenture rouge)  mais elle se situe déjà dans cet abandon confiant à Dieu. Ce qui me semble essentiel dans l’attitude de Marie – mais je me trompe peut-être – c’est qu’elle accepte d’emblée la mission qui lui est proposée parce qu’elle sait que c’est Dieu qui agit. Ce n’est pas son oeuvre mais celle de Dieu. Donc, si Dieu est avec moi, rien de ce qu’il me demande n’est impossible.

                        Dans la seconde lecture, Paul écrit aux romains et à nous-mêmes : « Gloire à Dieu qui a le pouvoir de vous rendre forts conformément à l’évangile »

Marie accepte d’emblée ; elle n’est pas paralysée par une volonté de maîtriser sa vie. La plupart des récits de vocations font mention du doute ou de la demande d’un signe (Zacharie). Il y a aussi ce sentiment d’indignité ou d’incapacité pour réaliser une telle mission. Moïse par exemple qui, après un long marchandage avec Dieu, lui dit : « envoie qui tu voudras » (Ex 4, 13) c’est-à-dire envoie quelqu’un d’autre ! Derrière cette indignité ou humilité apparente, se trouvent peut-être d’autres sentiments. En tout cas, la conviction que beaucoup dépend de nos propres qualités ou capacités. Certes elles ont leur importance et elles participent de notre appel, mais elles ne doivent  pas masquer que notre principale force est celle de Dieu qui nous envoie ; notre principale qualité est celle d’être disciple, envoyé, voire même d’être des serviteurs inutiles.

                        « La condition requise pour répondre à son appel ; la condition pour vivre sa vocation humaine et toute vocation particulière, la condition pour être utile à Dieu, ne réside pas dans les aptitudes, les capacités ou les qualités, c’est simplement le désir de la vie et du bonheur, le désir de la plénitude de la vie » (M. G. Lepori)

                        « Beaucoup d’âmes en religion font de bonnes choses et mènent une vie qui est plus ou moins vertueuse, elles évitent les fautes et recherchent la perfection, mais dans tout ce qu’elles font, elles sont motivées davantage par leurs propres désirs et leur propre volonté que par la volonté de Dieu (...) l’esprit vierge n’est pas ‘marié’ à sa propre volonté ou à ses propres plans. Il est libre, détaché. Il est disponible, il est offert. Dieu peut venir à tout moment et trouver la volonté vide et libre, attendant son initiative. » T. Merton écrit encore que « la virginité spirituelle implique donc un vide de soi, un oubli de soi, qui ne peuvent exister que lorsque nous renonçons à toute complaisance délibérée en ce que Dieu ne veut pas et lorsque, accomplissant sa volonté, nous nous reposons non pas dans ce que nous faisons, mais en Celui pour qui nous le faisons. »

           

Marie ne s’est donc pas laissé surprendre par cet appel. Elle est disponible car elle sait en qui elle a mis sa foi ; elle sait que c’est Lui qui lui donnera la force.

Chaque fois que nous nous sentons si médiocre dans notre vie, dans notre foi ; chaque fois que nous aurons l’impression de nous égarer dans notre vocation, quelle qu’elle soit, revenons à cette idée, ou plutôt à cette réalité, que nous savons en qui  nous avons mis notre foi et que rien ne pourra nous séparer de son amour pour nous.

Thomas Merton a écrit : « A vrai dire, je suis loin d’être le moine ou le prêtre que je devrais être. Ma vie est un enchevêtrement  de subterfuges semi-conscients pour esquiver la grâce et  mon devoir. Je n’ai rien fait de bien. J’ai gâché de grandes choses. Mais mes infidélités, au lieu de me rendre malade de désespoir, me poussent à me jeter d’autant plus aveuglément dans les bras miséricordieux du Christ. »

           

Marie ne cherche pas une garantie avant de se lancer dans l’aventure ; elle sait que sa garantie, sa sécurité c’est Dieu lui-même. « ma grâce te suffit »

           

L’Esprit Saint viendra sur toi.

Après le Père et le Fils, Marie est en relation avec la 3e personne de la Trinité.

            Cet Esprit qui vient sur elle nous renvoie à l’esprit qui planait sur les eaux en Gn 1, 2. On se situe ici dans une nouvelle création, une re-création. la nouvelle Eve, mère des vivants, Marie, et le second Adam, Jésus.

 

la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre.

Cette image renvoie à  la présence de Dieu qui accompagne son peuple dans sa longue marche au désert, et à la nuée qui recouvre la tente de l’Alliance.

            On parlait tout à l’heure d’une ambiance conjugale, sponsale. Nous sommes bien en effet dans ce contexte d’Alliance entre Dieu et son peuple, et Marie ici nous représente tous. Nous sommes bien dans ce contexte d’amour gratuit de Dieu.

            La même nuée apparaît à la Transfiguration où le Père manifeste le lien privilégié qui l’unit au Fils.

 

l’enfant sera saint... appelé Fils de Dieu.

Deux appellations qui dépassent le contexte humain et messianique.

            C’est le 2e temps de la  présentation de Jésus.

            Gabriel est envoyé pour faire connaître qui est cet enfant, mystère que l’homme ne peut découvrir avec ses seules ressources.

            Je vous parle beaucoup de la Vierge Marie mais ces présentations de Jésus sont au cœur, au centre de notre passage.

N’oublions pas non plus que dans la liturgie, l’Annonciation est une solennité du Seigneur et non de Marie.

 

Saint est habituellement attribué à Dieu : « Dieu seul est saint »

 

Fils de Dieu désigne en Luc cette relation mystérieuse qui unit Jésus à Dieu. Mystérieuse non dans un sens de quelque chose de quasi magique qu’il serait inutile d’essayer de comprendre, mais comme quelque chose que nous sommes sans cesse invités à méditer, à contempler.

            En Luc, Jésus ne se reconnaît comme Fils de Dieu qu’une seule fois : lors de son procès devant le sanhédrin. C’est cette reconnaissance qui servira de  prétexte aux juifs pour le livrer à Pilate :

« Tu es donc le Fils de Dieu ! (...)

Je le suis (...)

Qu’avons-nous encore besoin de témoignage ? Car nous-mêmes l’avons entendu de sa bouche !

Puis (...) il l’emmenèrent devant Pilate. » (22, 70-71)

                       

L’absence de Joseph dans ce récit et la nomination de Jésus comme Fils de Dieu, donne une dimension universelle à sa mission et met en valeur la paternité de Dieu le Père.

                                                                                                         

 

Elisabeth... la stérile.

Marie ne demande pas de signe mais on lui en donne un. C’est un signe de vie : la fécondité d’Elisabeth. Bien plus, avec Marie, il ne s’agit pas d’une fécondité pour rompre la fatalité et le malheur de la stérilité mais d’une « fécondité par surcroît ». Nous sommes dans l’excès d’amour de Dieu, dans sa plénitude, sa gratuité.

 

Car rien n’est impossible à Dieu.  Aucune parole n’est impossible à Dieu  (Chouraqui)

 Par cette référence à l’annonce de la naissance d’Isaac (Gn 18, 14), on rejoint ainsi la grande figure de la foi dans l’Ancien Testament : Abraham. Homme de foi par excellence qui a cru à la promesse, qui a quitté son pays et qui a consenti jusqu’au sacrifice de son fils unique. Isaac ne sera pas sacrifié et, en réponse, Dieu donne son Fils unique par amour et pour le salut des hommes.

Dans le parallèle avec l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste, rappelons que Zacharie demande un signe. Abraham aussi demande un signe (Gn 15,8) mais sa demande est légitime car Dieu n’a pas encore montré sa capacité d’agir. Par contre Zacharie manque de mémoire : lui, le prêtre, il oublie tout ce que le Seigneur a fait pour son peuple, ce que ne cesse de répéter l’Ecriture. Ce manque de mémoire peut être assimilé à une mise en doute voire un manque de foi. Dans la Bible, l’oubli est proche de l’incrédulité.

En contraste avec Zacharie, Marie, de par sa disponibilité à la Parole, sait que Dieu peut agir ; elle sait que Dieu dit vrai et elle n’a pas besoin de signe : la Parole étant le signe lui-même. L’ange dit à Zacharie : « tu n’as pas cru », et Elisabeth dira à Marie : « heureuse celle qui a cru »

Ce temps de l’Avent nous invite peut-être à prendre du temps avec la Parole. Nous laisser toucher, imprégner, interpeller. Peut-être aussi la reprendre pour, comme lors de la vigile pascale, revoir cette histoire du Salut, l’action de ce Dieu avec nous. Peut-être aussi revoir notre propre vie, notre propre histoire du salut, nos annonciations, pour y reconnaître, y célébrer de nouveau ces actions de Dieu. Cela nous servira peut-être aussi comme balise dans les moments plus difficiles.

 

Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi comme tu viens de le dire.

            Voici. C’est la réponse d’Abraham à l’appel du Seigneur lors du sacrifice d’Isaac ( encore appelé « sacrifice d’Abraham » : me voici (Gn 22, 1.11). Cette double appellation dit quelque chose de ce qui se  passe sur la croix et exprime ainsi le sacrifice du Père, sa propre souffrance)

            Voici la servante du Seigneur. Il ne s’agit pas là d’abord d’un titre d’humilité mais bien de gloire ; ce n’est pas rien que d’être la servante ou le serviteur du Seigneur.

            Notons qu’elle ne dit  pas je suis mais voici ; elle ne s’autoproclame pas ; elle ne s’attribue pas ce titre, elle ne se l’approprie pas. C’est peut-être là que se situe son humilité. Une nouvelle fois elle a conscience que ce qu’elle est, elle l’est par don, par grâce.

            Qu’il me soit fait selon ta parole. On retrouve ici la demande du Notre Père : « que ta volonté soit faite »(Mt 6, 10) (sur la terre comme au ciel : avec les auteurs cisterciens, on imagine alors toute l’humanité mais aussi les être célestes, les anges, suspendus à la réponse de Marie et donc aussi leur exultation devant ce fiat.)

            « du côté de l’humanité, coopérer c’est toujours répondre » (Sesboüé)

            La réponse de Marie est à l’opposé de celle d’Eve : celle-ci, sur les dires du serpent, avait mis en doute la parole de Dieu, et avait choisi de discerner par elle-même, de peser les choses selon son propre jugement, sa propre volonté (Gn 3, 5-7). Marie s’en remet à Dieu, elle lui fait confiance et s’abandonne à lui (le temps du verbe est au  passif). Seule une femme, peut-être, était capable de s’abandonner ainsi. Marie se livre ; elle s’offre.

                        l’abandon ultime est celui de la mort : dans le judaïsme, on dit que cet acte de lâcher est l’acte qui nous sauve car, consciemment ou non, on fait le geste de se rendre.

                        Je citerai ici les paroles très jolies d’une sœur espagnole, Conception Cabrera de Armida : « ...m’abandonner à Dieu qui m’abandonne »

 

            Marie laisse agir la  Parole : lors de la création, Dieu parle et ça se fait (Dieu dit « que la lumière soit » et la lumière fut). Ici aussi, par son oui, par son consentement, la parole de Dieu peut agir. L’Incarnation peut se réaliser ; l’ange peut partir.

            En Marie coïncide Parole et Présence : la parole au sujet de Jésus est porteuse de la présence de celui-ci. « Ma mère, mes frères sont ceux qui  écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique »(8,21)

            Marie ne fait pas qu’obéir ; elle adhère au projet de Dieu et à Dieu lui-même. L’annonce de l’ange vient donner tout son sens, toute son orientation à sa vie

            On se situe ici presque dans une apocalypse, dans une manifestation de puissance de Dieu et une révélation de son dessein. Mais cette « apocalypse se déroule, non pas au niveau des signes extérieurs, mais dans l’attente attentive et perceptive (...) L’apocalypse fondamentale est l’irruption de la parole dans le silence et la « bassesse » de la vie d’une pauvre vierge » (P.Lucien Legrand)

 

 

 La première lecture (1 S 7) relate le projet de David de construire une maison à Dieu un temple. Par l’intermédiaire du prophète Nathan - un autre envoyé - Dieu lui révèle que ce n’est pas lui qui lui construira cette maison. A l’inverse Dieu « te fera lui-même une maison ». Là où David voulait bâtir un temple de pierre, Dieu lui offre une dynastie (et c’est là l’importance de Joseph dans notre texte : « Joseph, de la maison de David »). David, et à travers lui Israël, doit renoncer à son projet, pour entrer dans celui de Dieu. Il en est de même pour l’Israël de Zacharie, du Temple et de Jérusalem.

Marie devient le Temple de Dieu, la nouvelle Arche. Et nous sommes tous le Temple de Dieu. Dieu est partout, en tous, et il attend que nous le reconnaissions (je dis reconnaître et non connaître car toute conversion est une reconnaissance ; Dieu n’est jamais un inconnu ; il est, il était déjà là).

                        « Tout lieu est saint, - et non sacré (...) car un lieu saint chante en douceur l’alliance entre Dieu et les hommes, alors qu’un lieu décrété sacré expulse l’homme hors du mystère de la miséricorde (...). le moindre lieu est saint en ce monde dès l’instant où l’on s’y tient en pauvre, en humble hôte qui ne revendique rien... » (Sylvie Germain)                   

            C’est donc un Dieu intérieur à nous qui se révèle. Zundel a dit que « l’incarnation ne suppose pas la descente de Dieu d’un ciel imaginaire puisque notre ciel est au-dedans de nous. L’incarnation suppose la transformation de l’homme, apte à accueillir Dieu et à l’exprimer dans un effacement total en lui. »

            Dieu a choisi de se manifester de façon ultime dans une humanité parfaite, celle de Jésus. L’incarnation est la manifestation du Dieu de l’intériorité. Si nous devons le reconnaître dans les autres, dans la création... nous devons aussi le reconnaître en nous. Dieu est « toujours déjà-là... toujours donné » (Zundel) mais c’est à nous de nous rendre présent à lui, de le reconnaître, de l’accueillir.

            Marie nous en montre le chemin tout au long de l’évangile : « sa mère gardait fidèlement toutes ces paroles  en son cœur » (Lc 2, 51). Elle est à l’écoute de la Parole ; elle est attentive à la présence ; elle veille. Elle est la vierge sage que l’époux fait entrer.( Hugues de Saint-Victor dit qu’elle est la vierge sage qui a suffisamment d’huile pour sa lampe mais aussi pour les nôtres)

            L’écoute de la parole est peut-être d’autant plus importante que nous sommes bombardés de paroles. J’oserais dire que nous avons plus souvent dans les oreilles ou dans la tête un slogan publicitaire qu’une phrase d’évangile ! (Je ne parle évidemment pas des moines...).

                        Votre compatriote, François Weyergans, écrit dans son roman Trois jours chez ma mère, en faisant référence à la fête de la musique : « Le vrai courage politique serait de créer une fête du silence. »

            Pour que Noël soit vraiment Noël ; parce que la grâce de Noël ne nous tombera pas dessus comme un paquet cadeau, il nous faut entrer dans cette écoute, dans ce silence, dans ce temps et ce lieu qui rend possible la rencontre.

 

            Pour entrer dans cette écoute, Marie s’est désappropriée d’elle-même. C’est en cela aussi qu’on  peut la dire vierge : elle laisse toute la place au Christ. Elle laisse toute la place à celui avec qui tout commence, comme une nouvelle virginité.

 « L’Immaculée conception (...) est (...) la règne de Jésus en Marie » (Zundel)

Se dégager de notre petit moi pour laisser vivre celui que nous sommes en profondeurs, celui qui est créé et appelé par Dieu, celui qui s’ajuste à la volonté de Dieu car c’est le seul chemin de vie.

Zundel, en parlant du prêtre, dit qu’il devient « un sacrement dépouillé de soi (...) enraciné dans la personne du Christ pour qu’il disparaisse et qu’il ne soit, dans la communauté, que la voix de la communauté » Il ajoute, et c’est là où je veux en venir,  « qu’il ne s’agit pas de pouvoir, il s’agit de démission, il s’agit d’ouverture à toute  l’humanité, il s’agit d’une paternité sans frontières, qui suppose une désappropriation totale de soi-même. »

Quand Zundel parle de désappropriation, de démission, c’est par rapport à notre moi possessif, le moi non-vierge, celui dont bien souvent nous nous reconnaissons nous-mêmes prisonniers. Il s’agit aussi d’une désappropriation pour quelqu’un, vers quelqu’un, en relation. Et cela toujours pour un accroissement de vie.

 

            Cette capacité d’accueil de Dieu en nous, est indispensable à l’incarnation de Dieu, indispensable à sa présence dans notre monde d’aujourd’hui : « Notre mission n’est pas de construire des systèmes, d’élaborer des méthodes et des techniques. notre mission, c’est de donner Jésus-Christ (...) de communiquer sa Présence (...) nous ne pouvons rien pour ce monde, qui attend tout, si nous ne laissons pas transparaître, à travers nous,  le visage du Seigneur, si nous ne faisons pas le vide en nous pour que la vie divine puisse s’y répandre sans rencontrer de limites ni d’obstacles. » (Zundel)

            Dans le même ordre d’idée, H. U. V. Balthasar : « Le témoin du Christ n’est  pas celui qui a vécu quelque chose et qui rend compte de ces évènements intérieurs ou extérieurs (... ce) n’est  pas celui qui s’est conduit correctement, courageusement ou merveilleusement bien (... ce) n’est pas cette personne spirituellement cultivée, soignée, parfumée, affinée, lissée et limée, embellie par tous les moyens de la cosmétique spirituelle, mais ce pauvre diable, qui ne possède absolument rien, parce qu’il a tout donné, et s’est surtout donné et abandonné lui-même une fois pour toutes au Christ, dans l’espérance que, s’il cherche Dieu, tout le reste lui sera donné de surcroît. (...) Jésus a besoin de ces gens qui sont devenus totalement indifférents à eux-mêmes parce qu’ils ont vu et entendu au Thabor et au Mont des Oliviers ‘ ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu’ »

                                                                                 

Marie, par le chemin qu’elle a pris, peut nous aider sur la route de la désappropriation. Il suffit, par exemple, d’aller à Lourdes pour voir combien ce n’est pas elle que nous adorons, comme certains le disent, mais celui qu’elle nous montre, celui qu’elle nous donne à travers sa miséricorde,  sa douceur, son réconfort.

            Ce temps de l’Avent est aussi peut-être un temps pour discerner en nous ce qui fait barrage à Dieu et aux autres.

           

            Cette mission de communication de la présence de Dieu aux hommes, Marie l’a accomplie dans son corps et dans sa chair. « Sa petite vie », ce petit oui, a transformé le monde. A notre tour, nous avons à porter ce monde, à le transformer, à lui donner sa véritable signification (Zundel), et cela se fait par une seule révolution : celle que nous vivrons en nous en étant disciple du Christ, bien aimé du Père, à l’écoute de l’Esprit.

            Zundel dit encore : « ce ne sont plus des foules en marche, ce ne sont plus des armées prêtes à l’invasion, ni des migrations innombrables, toujours des mouvements collectifs, qui vont décider de l’avenir du  monde. C’est maintenant un dialogue secret de Dieu avec une jeune fille ». J’ajoute : c’est notre dialogue secret avec Dieu.

            Henri J. M. Nouwen dit : « nous ne changerons pas le monde à coup de plans, de projets ou de concepts nouveaux. nous ne pourrons même pas changer les autres avec nos convictions, nos récits, nos témoignages, nos conseils ou nos propositions, mais nous pouvons leur offrir un espace où ils pourront baisser les armes, se délester de leurs occupations et de leurs soucis et où ils pourront écouter attentivement les voix qui s’expriment dans leur  propre cœur »

           

David veut construire un temple au Seigneur car « l’arche de Dieu habite sous la tente ». Cette tente est aussi le symbole de cette marche du  peuple de Dieu, marche qui est à la fois un exode, une quête continuelle, et à la fois un envoi, une annonce.

            Comme nous l’avons vu, « Jésus n’est pas au centre de nos vies. Il nous attend plutôt sur le chemin en marge des frontières que  nous nous sommes fixées (...). L’étoile du Christ nous conduit et nous attend justement là où nous n’irions pas toujours spontanément. » (Fr. Yves-Marie Lequin).

            C’est là tout le paradoxe de la vie chrétienne où la dimension de ‘demeurer’, et pour le moine on parlerait de stabilité, de persévérance, et la dimension du ‘chemin’, de ‘partir’, ‘quitter’, sont essentielles. Finalement il nous faut sans cesse chercher, quitter, recommencer, marcher, tomber, se relever ; il nous faut ce mouvement perpétuel pour, comme David, laisser Dieu nous construire une demeure et nous faire entrer dans sa stabilité, dans sa paix.

 

 

Et l’ange la quitta, s’en va loin d’elle (Chouraqui)

             Je reviens à l’atmosphère d’intimité conjugale. Il y a de cela dans ce oui et ce départ de l’ange. Il y a ce silence qui en dit long de la relation intime de chacun avec Dieu. Nous sommes là dans le mystère de l’homme autant que dans celui de Dieu.

            Ce départ de l’ange ne marque pas une fin ; notre péricope reste ouverte.

            On peut aussi avoir une autre lecture de ce départ. Celle de la solitude humaine face à notre vie, notre « destin ». L’absence de signe où, l’ange parti, Dieu est de nouveau silencieux et parfois désespérément silencieux, et on pense évidemment à Marie au pied de la croix.

            Ce peut-être aussi ce retrait de Dieu qui laisse l’homme, qui donne à l’homme, toute sa liberté, sa dignité ; qui laisse le temps à l’attente, à la patience.

           

 

 

Nous allons vivre le mystère de Noël : Incarnation du Verbe, de la Parole. L’incarnation c’est la Parole de Dieu aux hommes.

            Quand on aime, quand on est amoureux comme on dit, il y a des mots, des paroles que l’on veut, que l’on doit prononcer ; des mots, des paroles par lesquels on se donne, par lesquels on se risque, par lesquels on se livre tout entier. Je crois que c’est ça Noël, que c’est ça Nazareth, que c’est ça la croix et la Résurrection. Dieu, dans tout ce qu’il est (!), vient nous dire, à chacun, qu’il nous aime. Alors, je reprends le premier mot de la règle de saint Benoît et je vous dis : « Ecoute... »