Frères
et sœurs, l’évangile que nous venons d’entendre est le dernier qui a été
proclamé dans cette église avant le décès de Père Bernard, celui que notre
Ordre monastique a choisi pour fêter les saints fondateurs du monastère de
Cîteaux. Cet évangile peut donc nous éclairer sur notre vie de moine, et par
conséquent sur la vie et la mort de notre Père Bernard.
Il y
est question de quitter, mais pour pouvoir mieux s’attacher au Christ et à la
Bonne Nouvelle du Salut ; pour pouvoir recevoir dès maintenant et recevoir
en abondance ; et finalement pour atteindre le terme, l’interminable,
l’éternité : « la vie éternelle ». Voici donc où nous mène ce
Christ que nous suivons.
S’engager
pour la vie, comme l’a fait Père Bernard dès ses 18 ans, ce n’est donc pas se lier
sous la forme d’un contrat, mais c’est vouloir vivre, c’est croire que Dieu
nous donne la vie et qu’il nous y conduit, c’est découvrir qu’il est la vie.
Ainsi, si Père Bernard a certes bénéficié d’une étonnante santé, sa vitalité,
elle, a été portée par ce verset du psaume que nous avons chanté : « C’est
ta face, Seigneur, que je cherche ». Oui, patiemment, fidèlement,
courageusement, Père Bernard s’est voué à cette inlassable quête de la vérité,
vérité devinée dans la prière, la rencontre, l’émerveillement et la raison. Le
jour de ses 105 ans, il disait qu’il tenait de saint Ignace sa devise, devise
que je me dois de vous citer en latin : In Omnibus quaerant Deum (Qu’ils cherchent Dieu en toutes choses).
Et il ajoutait : « Cette quête de Dieu fut la force stimulatrice de
mon enseignement aux séminaristes et aux étudiants jésuites. Mais aussi (elle)
me poussait chez les lamas tibétains. Chercher Dieu en toutes choses est chose
facile pour le poète qui se promène à travers les beautés de la
création. »
Cette quête, Père
Bernard l’a menée en chrétien, c’est-à-dire en baptisé dans la mort et la
résurrection du Christ. Et c’est à cette lumière qu’il faut lire et sa vie, et
sa mort. Comme le disait saint Paul dans la deuxième lecture, nous croyons que
« le Christ est mort pour nos péchés… (et qu’) il est ressuscité le
troisième jour ». Le Christ, le Fils de Dieu, Dieu fait homme, est mort,
lui aussi, et nous pourrions même dire qu’il est mort avant nous, qu’il a vécu
avant nous le grand passage comme pour nous tenir la main afin de nous aider à
le franchir. Et ce Christ mort, l’a été « pour nos péchés »,
c’est-à-dire pour nous, en se donnant à nous, en nous aimant malgré tout. Et
cela, le Christ l’a vécu sous le regard du Père et s’est remis entre ses mains,
sûr que celui-ci ne pourrait l’abandonner. Ainsi, pour nous, pour Père Bernard,
vivre et mourir, c’est s’inscrire dans la vie et la mort du Christ : vivre
de sa vie, de son amour, de sa confiance dans le Père, pour, en lui, entrer
dans la vie éternelle. La quête de Père Bernard dont nous parlions, n’était
donc pas une curiosité intellectuelle, mais cette recherche de l’être aimé et
aimant, de l’être vivant en lui. Chercher Dieu en toutes choses pour le laisser
croître en nous, nous transformer, nous ressusciter.
Vous
savez que Père Bernard a écrit de nombreux poèmes, et si nous nous penchons sur
le dernier qu’il a écrit, si nous regardons l’ultime mot de ces milliers de mots
qu’il a couchés sur le papier, c’est celui que nous chantons pour dire la
Résurrection : c’est le mot Alléluia !
Vous vous souvenez peut-être que Père Bernard commençait
toujours ses homélies par : « Chers frères et sœurs. » Je crois
aujourd’hui que ça n’était pas seulement une formule de rhétorique. C’était un
respect de chacun dans une réelle conscience que, au-delà de toutes nos
différences, nous sommes très proches les uns des autres, fils et filles d’un
même Père, frères et sœurs d’un même Frère. Par sa longue expérience, il savait
aussi que nous avions tous nos combats, nos blessures, nos défaites, mais que
nous pouvions compter sur la miséricorde de ce Père qui n’abandonne pas ses
enfants. Et en choisissant la vie monastique, il a certainement été marqué par
cette phrase de saint Benoît : Que le Christ « nous amène tous
ensemble à la vie éternelle ! » Car si Père Bernard a si bien cherché
son Seigneur, ce n’était pas uniquement pour lui, mais pour nous et pas sans
nous.
Aujourd’hui, les frères de Scourmont perdent l’un d’entre
eux. Ce n’est pas d’abord la figure marquante du moine érudit, du latiniste ou
du poète qui s’en va, ni celle du moine à la rencontre du bouddhisme.
Évidemment à 106 ans, nous ne perdons pas non plus ce qu’on appelle communément
une force vive. Mais nous perdons, de
façon bien plus capitale, une force vivante, vivifiante : force de prière, de
fidélité, de charité. Et ceci nous donne, à nous comme à vous, une
responsabilité. Car cette force de vie, il nous faut désormais l’incarner
davantage, lui donner un visage et un sourire. C’est à nous de vivre plus
encore cette suite du Christ, cette communion avec lui et entre nous, pour nous
laisser transformer, transfigurer, et, au dernier jour, ressusciter.