Troisième dimanche de l’Avent A.

                                                                                        

                                                                                                  Décembre 2013

 

Le deuxième dimanche de l’Avent, avec le troisième chapitre de Matthieu, nous montrait Jean-Baptiste dans toute sa puissance de prophète : son appel à la conversion parce que le temps est proche ; sa propre venue annoncée par l’Ecriture ; son ascèse ; sa renommée ; son courage face aux autorités religieuses et politiques ; son rôle de messager s’effaçant devant un plus grand que lui.

Et Jean-Baptiste, en effet, va s’effacer. En Mt 4,12 nous apprenons qu’il est emprisonné ; le texte dit : « il avait été livré », comme Jésus. Nous le retrouvons en prison sept chapitres plus loin où l’on nous dit qu’il envoie ses disciples pour demander à Jésus : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Il est donc ici facile pour moi de nous reposer la question : Est-ce que j’attends ? Et aussi qu’est-ce, qui est-ce que j’attends ?

Mais l’attente n’est pas passive, contrairement à ce que pourraient-nous laisser penser les arrêts de bus ou les cabinets médicaux. J’oserais dire qu’il ne faut pas attendre que le Messie nous tombe du ciel ! Les disciples du Christ, ceux qui vont peu à peu tout attendre de lui, sont sans cesse en marche. Attendre, c’est finalement s’ouvrir à la vie, aller à sa rencontre pour l’accueillir ; c’est l’appeler, la désirer. Dans les évangiles, l’attente est celle de Syméon et Anne, Joseph d’Arimathie, figures fidèles d’humanité tournées vers Dieu.

Certaines personnes disent qu’il n’y a rien à attendre de la vie, et elles ont raison dans le sens où c’est à nous de construire notre vie. Mais il ne s’agit pas ici d’un combat pour être le meilleur, d’une lutte les uns contre les autres, mais du courage de se laisser bousculer, interpeler, et finalement aimer, par les autres et par les évènements.

 

Les avis des exégètes sur la question de Jean divergent ; nous en retiendrons trois :

 

1. D’abord certains mettent en avant le doute, la nuit de Jean-Baptiste. Lors de nos précédentes rencontres, j’ai souvent abordé cette place de la nuit ; je n’insisterai donc pas aujourd’hui. Retenons peut-être simplement que si Jean est dans la nuit, c’est vers le petit rayon de lumière qui perce encore qu’il se tourne. Il n’est donc pas désespéré, mais déstabilisé, bousculé, par ce Messie inattendue. Et, vous le savez, Dieu est toujours inattendu. Dès que nous pensons l’avoir cerné, dès que nous croyons pouvoir le décrire, nous sommes comme prisonniers d’une image qui se sclérose, qui nous sclérose. Paradoxalement nous n’attendons plus, alors que nous sommes comme pris au piège dans une salle d’attente. Nous croyons savoir, mais ce savoir est déconnecté de toute relation vivante avec son objet (qui, ici, est Quelqu’un…).

 

2. D’autres exégètes considèrent que Jean ne doute pas de l’identité de Jésus, mais que c’est afin d’éclairer ses disciples, qui eux douteraient, que Jean les envoie vers Jésus. Une nouvelle fois, alors même qu’il est en prison, Jean réaliserait sa mission de messager jusqu’au bout; le doigt qui montre l’Agneau de Dieu.

C’est peut-être alors que nous sommes dans l’adversité que notre témoignage chrétien de foi et d’espérance est le plus attendu, le plus entendu.

 

3. Enfin d’autres exégètes pensent que c’est uniquement une question de composition littéraire et que c’est pour nous, pour nous éclairer que cette question de Jean est écrite. L’essentiel résidant dans la réponse de Jésus, ou plus exactement dans la manière dont il s’y prend pour répondre. En effet l’évangile dit que Jean « avait appris ce que faisait le Christ ». La réponse à la question nous est donc déjà donnée, comme si Jean était convaincu que Jésus est le Christ. Nous pouvons donc supposer que Matthieu ne pose pas ici la question de l’identité de Jésus, du « qui ? », mais du « comment ? » : comment Jésus se révèle Christ ? Comment est-il Christ ? Et puisque le Christ est celui qui vient, comment Dieu vient-il jusqu’à nous ?

Trois points pour éclairer cette réponse de Jésus :

 

1. « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez. » Qu’entendons-nous et que voyons-nous ? Je me permets ici de vous proposer quatre témoignages (qui sont peut-être des tartes à la crème, mais…) :

          a. Cet homme, incroyant, qui travaille comme éducateur avec des personnes handicapés et qui vous lance au visage : « vous, les chrétiens, vous parlez toujours de l’amour, mais vous ne savez pas aimer ! »

          b. Cette psychologue qui est restée croyante, mais qui s’est séparée de l’Eglise parce qu’elle connaît, dit-elle, trop de chrétiens qui vont à la messe tous les dimanches, et qui manifestent si peu d’attention à telle personne de leur entourage qui est en souffrance. Elle estime alors avoir trouvé sens à la vie ailleurs que dans l’Eglise et notamment dans cette charité auprès de ceux qui en ont le plus besoin. Bref, elle nous renvoie au néant que peuvent être nos prières et nos liturgies quand elles ne sont ni les prémices, ni les fruits d’une véritable marche de conversion.

          c. Cet homme qui exerce des responsabilités dans une grande entreprise et à qui on demande régulièrement de licencier des hommes et des femmes qu’il connaît pour satisfaire des actionnaires invisibles. D’éducation catholique, il décide de retourner à l’Eglise pour entendre d’autres valeurs que celles de productivité-rentabilité. Pour l’anecdote, il sera lui aussi licencié, mais cette fois à son grand soulagement.

          d. Enfin, encore un homme, lui aussi en responsabilité, qui, après un deuil, retourne à l’Eglise malgré de nombreuses réserves à son égard, mais tout simplement parce que, dit-il, « c’est le seul endroit où on parle d’amour ».

 

Voilà quatre exemples de ce que j’ai entendu. Pour les uns (les deux derniers) l’Eglise se révèle fidèle témoin du Christ ; pour les autres, elle n’est que tromperie, vide. « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »

 

2. Jésus répond à la question en s’appuyant sur une citation biblique qui nous montre que Dieu vient d’abord à nous par ses œuvres de miséricorde et de salut. Jésus accomplit en effet des miracles par lesquels il révèle la compassion de Dieu pour les hommes. Nous ne croyons pas au Dieu qui envoie des épreuves, mais qui envoie son Fils pour les porter avec nous.

Notre tâche, notre mission, et donc aussi notre attente, notre vie sont simples : vivre ces œuvres de miséricorde, de charité. Nous rejoignons ici les 4 témoignages, et plus particulièrement les deux premiers, où l’on attendait de nous d’être de véritables témoins de la charité divine, des serviteurs des autres. Pour ma part, pour reprendre l’expression « vous ne savez pas aimer », je sais qu’être charitable (dans le bon sens du terme) ne se décrète pas, que c’est un long chemin, mais nous n’avons pas le choix : il nous faut prendre ce chemin ou être pris au piège dans nos prisons. Aimer c’est non seulement accomplir l’œuvre de Dieu, mais aussi l’œuvre de l’homme, notre œuvre, notre vocation.

 

3. Dieu vient aussi à nous, et peut-être d’abord, par la Parole. C’est en effet en s’appuyant sur des citations bibliques que Jésus répond à la question de sa messianité. Et d’ailleurs Jésus, l’homme Jésus, a compris sa propre mission grâce à l’Ecriture. Il reçoit cette Parole et en vit, et c’est en cela qu’il est Fils. Je disais plus haut que Jésus ne répondait pas ici au « qui » mais au « comment », mais là encore il ne faut pas lire l’Ecriture comme une simple explication de texte. Elle reste écriture si elle n’est qu’un commentaire sur la relation entre Dieu et l’homme. Mais elle devient Parole quand elle donne vie à cette relation, et donc au partenaire que nous sommes. La Parole comme nourriture ; la Parole comme rencontre indispensable.

 

La place de la Parole est renforcée par le fait que la citation biblique se termine comme en apothéose par : « et la Bonne nouvelle est annoncée aux pauvres ». Cette annonce fait non seulement partie intégrante de l’œuvre de Dieu (les miracles), mais en plus nous pouvons considérer qu’elle en est le summum. Il y a en effet un crescendo des guérisons à cette Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres en passant par la résurrection des morts. Le signe par excellence que Jésus est le Messie est donc la proclamation de la Parole et plus profondément cette Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres. Ce sont eux les véritables destinataires de l’œuvre de Dieu et, si nous nous ouvrons à notre propre pauvreté, c’est aussi nous.

 

Être à l’écoute de la Parole, c’est être capable de se laisser interpeler par l’Ecriture, nous l’avons dit, mais aussi par les évènements, par les autres. Nous pouvons ici reprendre les témoignages dont je vous faisais part plus haut. Ces paroles, qui parfois peuvent être dures, peuvent aussi être Parole de Dieu. Notons au passage que la dureté de ces paroles peut rejoindre la dureté du discours de Jean-Baptiste en Mt 3. Et précisons que Jésus aussi aura des paroles dures sur les villes de Galilée quelques versets plus loin.

Se laisser interpeller, se laisser déranger dans ce que l’on croit, dans notre confort, c’est consentir à sa pauvreté, ou plutôt ne pas avoir peur de se reconnaître pauvre. Mais cette pauvreté est aussi la condition indispensable pour pouvoir recevoir cette Bonne Nouvelle, pour pouvoir accueillir la vie, et non pas se scléroser.

Nous posions tout à l’heure la question : « est-ce que j’attends ? ». Attendre est une attitude de pauvre. Surtout lorsque nous attendons parce que nous ne nous contentons pas de ce que nous possédons déjà, dans le sens où nous ne nous renfermons pas sur nos richesses.

 

Les miracles que Jésus réalise ne sont ici que des signes pour nous aider à écouter et à croire à cette Parole. Alors que notre penchant naturel nous pousserait à d’abord attendre des signes, des miracles, Jésus nous renvoie à la Parole. Si le temps de l’Avent est le temps du désir, nous sommes donc invités à ne pas désirer des miracles, des signes évidents, mais à désirer la Parole. Donc consacrer du temps à la lecture pour que l’Ecriture devienne véritable Parole adressée. Nous sommes aussi invités à passer des signes à la Parole, donc à être capable de lire notre vie, les évènements petits et grands de notre quotidien pour y reconnaître l’appel de Dieu. Donc, une nouvelle fois, faire naitre Dieu dans notre vie.

 

Mais tout n’est pas si simple et c’est pourquoi Jésus ajoute cette béatitude : « Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi ! » Car il sait que ce n’est pas évident de croire en lui, ou plus exactement de ne pas achopper sur le scandale d’un Messie pauvre et désarmé. Notons que la citation d’Isaïe 61, qui n’a été qu’en partie prononcée par Jésus, se poursuivait par ces mots : « annoncer aux captifs la libération ». Or, comme nous l’avons dit, Jean est en prison, et il y mourra. Les disciples de Jean pouvaient donc en effet douter de la messianité de Jésus. D’ailleurs les deux groupes vont coexister et les évangiles gardent des traces de la polémique entre les premières communautés chrétiennes et les disciples de Jean-Baptiste. Comment pouvaient-ils croire que le Messie était ce Jésus ? Et nous aussi nous pourrions presque dire : Ok, Jésus est venu, il est ressuscité, et alors ? Qu’est-ce que ça change ? Pour le monde ? Pour moi ?

Je crois que dans un premier temps il faut évidemment se demander ce que ça change pour moi avant de voir ce que ça peut changer pour le monde, ou plus exactement ce que je peux changer pour le monde. Je peux donc me poser la question sous cette forme : es-tu celui qui doit venir dans ma vie ? Celui qui est venu dans ma vie ? C’est-à-dire est-ce que ta présence change réellement ma vie ? Plus profondément, est-ce que ce que je vis comme chrétien correspond à ce qui demeure réellement dans mon cœur ? Est-ce que je me laisse transformer au plus vrai de moi-même, comme un pauvre, ou comme la terre du paysan de la lettre de saint Jacques que nous entendrons comme deuxième lecture ? Est-ce que la Bonne Nouvelle atteint jusqu’à mes profondeurs ? Est-ce que je la laisse descendre jusqu’à l’obscurité de ma prison ? Oui, c’est peut-être cela qui se joue pour Jean-Baptiste, cette conversion de tout son être.

 

Nous l’avons dit, ces paroles de Jésus répondent moins à la question de sa messianité qu’à celle du comment il est le Messie, ou plus exactement Jésus répond à la question de sa messianité en disant comment il est le Messie.

Pour nous chrétiens, cette réponse de Jésus est une véritable feuille de route. S’il ne nous est guère envisageable de faire des miracles, il nous est demandé d’être proches de ceux qui souffrent, en sachant qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’être aveugle, boiteux, lépreux, sourd ou mort. S’il n’y a aucun impératif de guérir nos frères et sœurs, puisque bien souvent nous ne le pouvons pas, il y a un devoir de les soigner, de leur donner ce que nous attendrions si nous étions à leur place. Donc chaque fois que nous nous penchons sur l’un d’eux, ou plus simplement, chaque fois que nous cheminons avec l’un d’eux, chaque fois qu’il marche à nos côtés, nous rencontrons celui qui vient et le règne de Dieu s’établit parmi nous.

Chaque fois qu’une parole de vérité est prononcée, et chaque fois que suffisamment pauvres nous nous laissons interpeler par elle, Dieu vient à notre rencontre pour transformer nos cœurs.

 

Voilà bien de belles choses à dire voire à entendre, un peu comme ce Messie triomphant attendu par les juifs, mais bien plus difficiles à vivre. De la prison de notre égoïsme, nous pouvons aussi demander au Seigneur s’il est bien « celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Car peut-être avons-nous  beaucoup de mal à aimer, à être soucieux des autres, à leur être ouvert ; beaucoup de mal à être à l’écoute des autres, de l’Ecriture, de Dieu ; beaucoup  de mal à être pauvre. Je crois même qu’il faut être bien riche et bien courageux pour être pauvre !

 

Là encore, face à ce constat, le Seigneur nous renvoie à ce que nous voyons et entendons, à ceux qui œuvrent pour le Royaume, à ceux qui reconnaissent en nous un signe malgré tout, à ce qui chemine réellement dans notre vie. Car pour Matthieu, le Royaume n’est finalement pas quelque chose à attendre, mais une réalité présente et agissante, qui demande de notre part de cheminer dans la foi que Dieu est à l’œuvre en nous et à travers nous. Aussi ténu soit-il, j’oserais dire que le premier signe que Dieu est à l’œuvre dans le monde, c’est d’abord moi, chacun de nous, notre propre évangélisation.

 

Puis les disciples de Jean s’en vont. Ils reviendront trois chapitres plus loin pour informer Jésus de la mort de leur maître. Jésus s’adresse « aux foules à propos de Jean ». De l’identité de Jésus, avec le doute qui plane sur lui, on passe à l’identité de Jean, avec toute la certitude de Jésus. Pourtant, en faisant parler ainsi Jésus de Jean, Matthieu nous parle de son maître, Jésus.

 

Jésus pose trois fois la question aux foules : « Qu’êtes-vous allés voir au désert ? ». Notons au passage qu’on pose beaucoup de question dans ce texte et, j’oserais dire que ça devrait nous questionner…Jésus renvoie donc les foules à s’interroger sur leur propre comportement. Pourquoi sont-elles sorties ? Que recherchent-elles ?

A ces trois questions répondent trois images de Jean-Baptiste. La première ne lui correspond pas car Jean n’est pas un roseau agité par le vent. Il est un homme droit et vrai qui ne se laisse pas mener au gré des opinions ou des pressions.

La seconde image n’est pas non plus pour lui. Ce n’est pas un homme aux vêtements luxueux, moelleux et même douillettement vêtu selon les traductions. Comme nous l’entendons au deuxième dimanche de l’Avent, Jean est un ascète vêtu pauvrement. Mais ici la remarque sur le vêtement fait explicitement allusion à la royauté.

 

Et c’est là où la troisième image prend tout son sens. Jean est un prophète. L’histoire d’Israël a été marquée par ces serviteurs de Dieu qui ont cherché à être, pour les autres, témoins de la fidélité de Dieu envers son peuple. Voilà ceux qui ont vécu la feuille de route dont nous parlions précédemment. Voilà les pauvres qui ont accueilli sa Parole pour la communiquer aux autres. Et ces prophètes à l’image de Dieu, qui pour la plupart semblent avoir échoué dans leur mission (et nous revenons ici à « es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »), sont le contrepoids à la royauté. Cette royauté a été demandée par Israël pour être un peuple comme tous les peuples en s’écartant  de son Dieu. La plupart de ces rois se sont eux aussi écartés du Seigneur et de leur mission.

Or c’est précisément un Messie-Roi qu’Israël attend, et c’est un Messie-Prophète que Dieu lui donne, d’où cette difficulté à le reconnaître.

 

Le Messie, et à travers lui Dieu, se laisse difficilement reconnaître parce qu’il vient à nous sans s’imposer, sans nous écraser. Là encore nous sommes loin de la toute puissance de Dieu. Il ne s’agit pas de l’idole que les publicités nous montrent : quelqu’un de jeune, beau, bien dans sa peau, bien financièrement, bien entouré ; en un mot quelqu’un d’heureux ! (Je ne résiste pas ici à vous citer le titre français d’un livre de Jeanette Winterson, dont je détourne peut-être totalement le sens que lui a donné l’auteur : « Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? »). Mais vous savez comme moi que ce modèle de perfection apparente peut être ravageur pour beaucoup puisque justement il nous envoie en pleine figure ce que nous ne sommes pas, ce que nous n’aurions pas réussi à être. Si Dieu se présentait à nous dans toute sa beauté froide, nous serions désespérés. Non, il se revêt de faiblesse, d’ordinaire, de quotidien pour pouvoir nous rejoindre et nous faire grandir : c’est ça Noël ! Serions-nous surpris, scandalisés, parce que Dieu préfère se faire proche que lointain ?

 

C’est pourquoi Dieu se fait petit, comme Jean, « le plus grand parmi les hommes…mais le plus petit dans le Royaume des cieux. » Et ces paroles de Jésus sur Jean mettent paradoxalement Jésus en valeur, tournent le projecteur sur lui. Je crois que seuls les grands hommes sont capables d’être petits ; il faut être bien grand pour savoir être petit.

Dans le même esprit, seul celui qui est capable d’accepter sa faiblesse est suffisamment fort pour pouvoir accueillir celles des autres, ne pas en avoir  peur, ne pas la leur reprocher.

 

Si le Messie s’était  manifesté ostensiblement, il n’aurait pas été le révélateur de Dieu, mais la simple projection de notre propre image de Dieu, de nos propres idoles. Oui, la révélation est définitive en Jésus car c’est Dieu lui-même qui se donne à voir, qui se donne tout simplement, et il est vrai qu’il ne se donne pas comme nous l’aurions imaginé. Le Dieu de Jésus Christ ne nous extrait pas du réel, mais au contraire il nous y plonge comme par un baptême. Un Dieu qui ne s’impose pas à nous, mais qui demande à chacun de se positionner : dans notre texte d’aujourd’hui, c’est ce que doivent faire Jean-Baptiste, ses disciples et les foules.  Oui, un  Dieu qui suscite notre liberté pour que nous puissions être de véritables acteurs et de notre vie, et de notre monde. Un prêtre aimait paraphraser une publicité pour une voiture des années 90 en disant : « Jésus Christ : inventer la vie qui va avec. »

 

Pour conclure, j’aimerais reprendre cette question de Jean-Baptiste : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Ce n’est certes pas la phrase la plus joyeuse de cet évangile, et je rappelle que le 3e dimanche de l’Avent est le dimanche de la joie. Pourtant, elle est belle et joyeuse puisqu’elle sous-entend désormais pour nous toute la force de la réponse de Jésus : cet appel à être disciples par l’écoute et le geste de ce Dieu proche qui est à l’œuvre dans nos vies.

« Es-tu celui qui doit venir ? » Quand nous regardons notre monde, quand nous regardons notre vie, nous pouvons parfois nous interroger, nous impatienter, perdre courage. Mais si nous poursuivons la phrase de Jean-Baptiste : « Devons-nous en attendre un autre ? », nous savons que notre réponse ne peut être que « Non », comme Saint Pierre disant au Seigneur « A qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle ? » (Jn 6, 68). Comme Jean-Baptiste, je vous envoie lui poser cette question, et je sais qu’au plus profond de votre cœur vous répondrez vous-mêmes: « Non Seigneur, nous ne pouvons pas, nous ne pouvons plus en attendre un autre que toi… » Oui, nous l’avons vu, nous l’avons dit, la force de notre foi, c’est qu’elle nous lie non pas à une idée, mais à Quelqu’un ; non pas à un Dieu lointain, mais proche, intime ; à un « tu ». C’est peut-être bien pour cela que Jean-Baptiste a voulu mettre ses disciples directement en relation avec Jésus.

Si Noël est la fête de la famille, de la tendresse, c’est bien parce que le Seigneur tisse un lien particulier avec chacun de nous ; il vient au cœur de nos vies, de notre intimité. Cette présence, souvent toute simple, très discrète, voilà le cadeau qui nous est fait pour être à notre tour présence au monde, présence aux autres.