2e dimanche de l’Avent B

 

 

La liturgie de ce 2e dimanche de l’Avent nous ouvre, grâce à l’évangéliste saint Marc, une merveilleuse perspective puisque le premier mot que nous entendons est celui de « Commencement ». Le commencement nous met dans une dynamique nouvelle où tout semble possible, où nous pouvons nous sentir pleinement acteurs, libres, et non pas simplement obligés de suivre. Le commencement nous offre le choix ; le oui ou le non.

Avec cette nouvelle année liturgique et ce nouvel évangile, l’Eglise, saint Marc, et plus fondamentalement le Seigneur, nous invitent à commencer, à recommencer, à croire que nous pouvons agir, avancer. Acceptons alors, faisons le pari, de rentrer dans cette année et dans cet évangile, comme dans quelque chose de neuf où nous-mêmes serions régénérés, un peu plus disciples, un peu plus vivants.

Un dictionnaire donnait une vingtaine de synonymes à ce mot « commencer », et notre vocabulaire chrétien s’y reconnaîtra aisément : la naissance, le berceau, l’enfance, dans la perspective de Noël ; dans une dimension plus pascale, il y a l’aube, l’aurore ; pour cet Avent, il y a l’avènement. Le commencement c’est aussi l’origine, le principe, la Genèse.

Par cette première phrase, saint Marc fait ainsi le lien entre le projet créateur de Dieu, son amour originel, et la création nouvelle, définitive, son projet rédempteur en Jésus Christ.

Et ce dictionnaire donnait un autre synonyme : le balbutiement. Balbutiement de notre foi, de notre vie, de notre monde ; balbutiement où Dieu est présent à nos côtés.

Ce temps de l’Avent est donc un nouveau commencement qui nous est donné pour approfondir notre foi, notre vie de foi, mais aussi un temps de mise en application de cette foi dans notre vie. Découvrir combien notre attachement au Christ nous ouvre des perspectives nouvelles, combien il modifie notre façon de vivre, de penser, d’aimer. Je disais il y a 15 jours dans l’homélie qu’aimer n’est jamais une routine. Eh bien la vie de foi n’est jamais une routine. Elle est toujours nouvelle, nous faisant emprunter des chemins nouveaux que Jean-Baptiste nous invite à « préparer ». Paulo Coelho disait : « Si vous trouvez l’aventure trop risquée, tentez la routine : elle est mortelle ». Alors oui, n’oublions pas que, si la vie n’est pas un jeu, elle est néanmoins une aventure et je dirai une aventure contagieuse, que nous devons sans cesse découvrir, poursuivre, recommencer.

 

« Commencement de la Bonne Nouvelle ». Saint Marc ne nous dis pas, comme nous l’entendons parfois, qu’il a une bonne et une mauvais nouvelle pour nous, mais il parle de LA Bonne Nouvelle, l’unique, la vraie. De la même manière, nous ne devons pas percevoir notre vie de foi comme ayant des avantages et des inconvénients, cherchant sans cesse à préserver les premiers et à éviter les seconds, mais prendre avec ferveur, quelques soient les déserts à traverser, cette route qui mène à la vie.

Le mot grec utilisé est ici celui de « Evangile », qu’il ne faut pas comprendre comme simplement un livre, mais comme un message, un message nouveau et différent, un message qui frappe et qui transforme. Quelques versets plus loin, Marc écrira que les gens  « étaient frappés de (l’enseignement de Jésus)…Qu’est-ce que cela ? Voilà un enseignement nouveau, plein d’autorité » (1,22.27).

Le mot évangile désignait primitivement l’annonce d’une victoire ou d’un avènement royal. L’évangile n’est donc pas lettre morte, mais une annonce, la « bienheureuse annonce » comme le disent certaines traductions. Il s’agit d’un message à proclamer, qui a un impact tellement fort, qu’il peut entraîner certains « à quitter maison, frère, sœur, mère, père, enfants ou champs à cause de moi (Jésus) et à cause de l’Evangile » (10,29). Un message qui a donc plus de valeur que les relations familiales, que les biens les plus nécessaires à la vie ; plus précieux que l’existence même ! Et cet Evangile a un caractère universel : « Il faut d’abord que l’Evangile soit proclamé à toutes les nations » (13,10). Nous voyons donc que cet Evangile doit saisir la totalité de la personne et la totalité de l’humanité ; il s’adresse à tout l’homme et le saisit entièrement. La nouveauté, la différence de l’évangile réside certes dans son contenu, mais surtout dans la dynamique qu’il met en route. Mère Loyse Morard, l’ancienne prieure d’Ermeton,  écrit : « L’évangile n’est pas un idéal. C’est la bonne nouvelle d’un amour qui va jusqu’au bout et qui veut s’incarner au quotidien. » Nous pouvons donc tous nous questionner sur la place que nous donnons à l’Evangile dans notre vie ; quelle qualité d’écoute lui accordons-nous pour guider notre vie ?

 

« Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, le Fils de Dieu ». S’agit-il ici de la Bonne Nouvelle racontée par Jésus Christ ou est-ce Jésus Christ la Bonne Nouvelle ? Il est évident que Jésus n’a pas dit « Je suis la Bonne Nouvelle ». Jésus, ni ne s’annonce, ni ne se raconte, mais il dirige nos regards et nos vies vers le Père. Par contre, saint Marc affirme sa foi en Jésus qu’il qualifie de Christ et, dans un certain nombre de manuscrits, de Fils de Dieu : Jésus le Christ, Fils de Dieu et chemin vers le Père.  Marc, comme Jean-Baptiste en saint Jean, montre Jésus qui, à son tour, montre le Père.

En conséquence, dès les premiers mots, nous savons qui est Jésus. Ou plus exactement nous connaissons ce que nous pourrions appeler ses titres, titres auxquels il va nous falloir donner un contenu, une épaisseur, une existence et une expérience dans notre vie. Quelle signification réelle a le mot « Christ » dans ma vie quotidienne ? Quel impact ?

Un évangile n’est pas une biographie de Jésus, mais une théologie. Les contemporains de Marc, en tous les cas les chrétiens qui l’entouraient, connaissez l’histoire du maître. Certes, avec la disparition des premiers témoins, il fallait mettre cette histoire par écrit. Mais surtout, il fallait aider les disciples à comprendre, à mieux comprendre qui était Jésus, en quoi il apportait une Bonne Nouvelle. Et il fallait peut-être même déjà les aider à se débarrasser de conceptions erronées, puisque rapidement nous avons tous tendance à identifier, à cataloguer les gens, et ici Jésus, Dieu, selon ce que nous attendons ou non d’eux, de lui. Nous savons par exemple que le Jésus de Marc va cultiver le secret messianique, « commandant sévèrement à ses disciples de ne parler de lui à personne » (8,30), puisqu’il craint que les hommes ne s’égarent en calquant sur lui leur image, leur idée du Messie.

Dans le même temps, lorsqu’un contemporain juif de Marc entend ce nom de Messie ou de Christ, surgit en lui une espérance, un salut. Quelle espérance fait naître le nom de Jésus dans ma vie ? Quel salut ?

 

En commençant la lecture de cet évangile, nous nous engageons dans une expérience de rencontre avec Dieu, et c’est ce que l’on peut appeler la Lectio divina. Dieu, si nous nous disposons à l’écouter, et même selon notre disposition à l’écouter, Dieu nous parle. Pour l’entendre aujourd’hui, durant cet Avent, tout au long de notre vie, il nous faut à la fois partir de ce que nous savons, de ce que nous connaissons – comme ces premiers chrétiens qui lisent ou écoutent le texte de Marc – mais aussi consentir à une expérience neuve, c’est-à-dire mettre de côté ce que nous savons, accepter de ne pas savoir.

Dans cet exemple du mot « Christ », il nous faut peut-être connaître sa signification, mais juste assez pour pouvoir découvrir le sens dans lequel Marc veut nous faire entrer, le sens que Dieu nous dit. Ce texte, cet Evangile de Marc, ce temps de l’Avent,  nous invitent à une véritable expérience de lectio divina puisque, comme nous l’avons dit, c’est un commencement, un recommencement ; tout peut être neuf, à commencer par les oreilles de notre cœur.

La lectio divina, c’est Dieu qui vient dans nos vies en nous disant son message de salut, son message de vie. C’est Dieu qui envoie son Messie s’incarner dans nos vies pour que nous nous sentions suffisamment aimés et protégés pour marcher sans crainte. C’est bien là le rôle du Messie : incarner le salut de Dieu, la protection qu’il offre à son peuple. Et nous l’avons dit, le mot évangile exprime d’abord cette Bonne Nouvelle venant du roi protecteur de son peuple.

Dans le cadre de la lecture de l’Evangile, de la lectio, notre écoute nous fait découvrir combien nous n’avons pas à chercher à nous protéger, à nous barricader dans la forteresse de notre corps et de nos certitudes. Accueillir Jésus qui vient, c’est oser s’abandonner, baisser la garde, baisser le pont-levis pour qu’un passage et une rencontre soient possibles.

Je prends ici un exemple. Je devais faire une homélie pour un enterrement. Avant de rencontrer la famille, particulièrement éprouvée vues les circonstances du décès, j’avais déjà envisagé quels textes je leur proposerai s’ils ne voulaient pas en choisir eux-mêmes ou s’ils voulaient être guidés dans leur choix. J’avais aussi noté quelques paroles pour l’homélie au fur et à mesure que des idées venaient. J’appréhendais cette rencontre, mais je pouvais un peu me rassurer puisque je ne partais pas totalement dépourvu. Je dois aussi avouer que, lorsqu’on est moine, prêtre, on peut inconsciemment, et presque malgré soi, se sentir en sécurité, non d’abord parce qu’on fait confiance au Seigneur, ou parce qu’on aime les gens, mais parce que, après tout, on est quand même le professionnel au même titre qu’un plombier qui vient pour un dépannage ! Et puis la famille, dans un accueil très bienveillant, a parlé du défunt et a choisi elle-même des textes qui n’étaient évidemment pas ceux auxquels j’avais pensé. Je me suis retrouvé en quelque sorte dépourvu, nu, fragile, vulnérable. Exit le professionnel ‘bon marché’ et bonjour l’angoisse ! Et pourtant, c’est une des plus profondes expériences de lectio divina que j’ai faites. C’est là, en eux, avec eux, que Dieu me parlait. Et paradoxalement, alors que Dieu  parlait, et que le moine que je suis est censé chercher sans cesse à entendre sa voix, fragilisé et dépaysé, j’aurais voulu être ailleurs…Voilà comment on peut parfois se situer face à la Bonne Nouvelle !

Voilà donc ce qu’il ne faut pas faire en cet Avent, mais au contraire, accepter de ne pas savoir et de se laisser enseigner. Refuser une telle démarche, c’est se fermer à l’incarnation de Dieu en nous et dans notre monde. C’est, malgré nos paroles, ne pas croire en lui puisque nous chercherions ailleurs notre sécurité, puisque nous ne croirions pas en sa promesse, en sa fidélité, en son pardon, en son amour, en son salut. C’est s’agripper à ce qu’il nous a déjà donné et refuser ce qu’il nous tend. C’est vouloir assurer notre vie plutôt que de la donner. C’est vouloir même étouffer la vie que Dieu nous offre et finalement le crucifier. Madeleine Delbrêl nous invite à l’attitude inverse : « Partez dans votre journée sans idées fabriquées d'avance et sans lassitude prévue, sans projets sur Dieu, sans souvenir sur lui, sans bibliothèque, à sa rencontre. Partez sans carte de route pour le découvrir ».

Cette attitude confiante d’abandon sera celle du Christ. Il n’a pas de plan précis, mais il avance au gré du chemin. Et c’est là que des hommes et des femmes viennent à sa rencontre, il les écoute, leur demande souvent ce que eux veulent, et il les sauve. Jésus ne pouvait pas prévoir que Zachée l’attendrait dans un arbre, mais attentif, à l’écoute, il l’aperçoit et reconnaît et son attente, et l’attente du Père. Alors que Jésus se fait proche, les gestes qu’ils posent viennent de plus loin que lui : ils sont engendrés par le Père dans l’Esprit. Nous serons d’autant plus proches de nos frères et sœurs, que nous serons à l’écoute de ce qu’il y a de plus profond, des plus lointaines profondeurs en nous, du commencement premier, originel de notre être, de notre monde.

« Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu. » Nous touchons ici au Prologue de saint Jean : « Au commencement était le Verbe »

 

Après ce premier verset lourd de sens, Marc fait appel à l’Ecriture : « Il était écrit dans le livre du prophète Isaïe ». On pourrait dire qu’il convoque l’Ecriture, elle qui était là avant lui ; elle aussi comme commencement. Elle témoigne d’une parole qui nous précède, d’un Dieu qui nous appelle et qui fait se lever Jean-Baptiste. Quand Marc cite l’Ancien Testament, il redonne vie au passé et nous ouvre un avenir.

La seconde partie de la citation - « A travers le désert, une voix crie : préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route » - est bel et bien tirée du prophète Isaïe, et c’est le texte que nous entendons en 1ère lecture. Dieu s’y manifeste à son peuple ; il vient le rejoindre : « Consolez, consolez mon peuple ». Mais Dieu peut rejoindre son peuple parce qu’il est d’abord entendu du prophète et de tous ceux qui l’écoutent. C’est à ses disciples qu’ils demandent d’intervenir. Notre attente de Dieu ne peut donc pas être passive : il nous faut écouter le cri de Dieu qui s’incarne ici dans les larmes de son peuple et, en conséquence, il nous faut agir selon ce que l’écoute de ce cri nous suggère : « consolez…parlez au cœur…proclamez…préparez… »

Nous le voyons, Dieu se fait entendre dans l’Ecriture, dans la Parole de Dieu, comme le montre Marc en s’appuyant sur ces citations bibliques. Et Dieu se dit donc aussi dans son peuple, dans ce qu’il dit, dans ce qu’il souffre. Parce que nous sommes hommes, et parce que Dieu aime l’homme, nous ne pouvons entendre Dieu sans entendre l’homme. La vie, notre vie, celle de notre monde, nous parlent de Dieu, de son attente. On peut même dire que l’attente de Dieu c’est l’attente réelle, profonde de l’homme. Un Dieu profondément incarné puisque nous sommes son image. C’est en l’homme que Dieu se dit, que Dieu se vit.

Madeleine Delbrêl écrit encore : « Une fois que nous avons connu la parole de Dieu, nous n'avons pas le droit de ne pas la recevoir ; une fois que nous l'avons reçue, nous n'avons pas le droit de ne pas la laisser s’incarner en nous ; une fois qu’elle s’est incarnée en nous, nous n’avons pas le droit de la garder pour nous : nous appartenons dès lors à ceux qui l'attendent. »

Si nous devons donc conduire nos frères, notre monde à Dieu, c’est parce que plus fondamentalement Dieu nous conduit à nos frères, à notre monde ; Dieu nous incarne ! Oui, c’est peut-être cela et la Nativité, et la Création : l’incarnation, l’humanisation de l’homme. Un homme qui à la fois consent à être ce qu’il est, et qui en même temps consent à ce que les autres sont ; un homme qui aime qui il est et qui aime les autres comme ils sont.

Cette voix qui crie dans le désert, c’est celle de Jean-Baptiste qui, comme vous le savez, n’est finalement que la voix qui annonce la Parole, le Verbe. Et ce désert où elle crie, je vais le décrire avec les mots du Père Bernard Chataignier, prêtre du diocèse de Poitiers : « Le désert, c’est notre pays, c’est le lieu symbolique de nos peurs et de nos faiblesses, c’est ce qui révèle notre manque de foi et d’espérance, c’est ce qui raconte nos lassitudes et nos fatigues. Le désert, c’est le pays de nos aspirations, de nos souhaits, de nos rêves et de nos mirages, c’est le pays des espoirs humains peuplés de nos amertumes et de nos regrets. Le désert c’est le pays de nos erreurs et de nos fautes, c’est l’histoire de nos chutes et de nos soifs, de nos blessures, le désert est envahi par nos culpabilités et nos déceptions. »

Voici donc une description qui dit combien nous avons besoin d’un sauveur pour nous arracher à toutes nos pesanteurs. Et nous reconnaissons dans ces paroles le poids de notre solitude : comme il nous est parfois difficile d’être seul, en silence, sans aucun artifice pour combler cette solitude. Trop souvent la solitude, le silence, nous font peur, et finalement nous avons plus peur de la peur de la solitude que de la solitude en elle-même. Dans le livre d’Isaïe, Dieu s’est apparemment tu face aux misères de son peuple, et c’est finalement au cœur de ce silence qu’une parole de salut a pu émerger. Avec force et confiance, n’ayons pas peur d’affronter notre solitude pour l’apaiser.

Marc, en s’appuyant sur l’Ecriture, nous montre comment Dieu brise le silence, mais il le fait en un lieu reculé, en un lieu silencieux où il faut le courage d’un Jean-Baptiste, d’un nouvel Elie, pour s’y tenir et entendre enfin la promesse.

Ceux qui ne peuvent plus se tenir en ce lieu ont besoin de ceux qui le peuvent pour qu’ils leur rapportent ce qu’ils ont entendu. Disciples du Christ, nous devons témoigner de cette Parole pour nos frères. Disciples du Christ, nous devons pouvoir bénéficier du témoignage de nos frères quand le désert nous est trop difficile.

 

La première partie de la citation de l’Ancien Testament n’est pas d’Isaïe : « Voici que j’envoie mon messager devant toi, pour préparer ta route ». On la retrouve chez le prophète Malachie : « Voici que je vais envoyer mon messager, pour qu’il fraye un chemin devant moi » (3,1) ; un messager, un ange, devant Dieu qui doit venir. Mais cette citation est aussi au livre de l’Exode : « Voici que je vais envoyer un ange devant toi, pour qu’il veille sur toi en chemin et te mène au lieu que j’ai fixé. » (23, 20). Comment ne pas penser dans ce dialogue, entre un « je » et un « tu », au dialogue entre le Père et le Fils ?

 Ces paroles de l’Exode sont prononcées en vue de l’entrée en Canaan. Ainsi, en faisant débuter son évangile dans le désert, au bord du Jourdain, qui marque la frontière, le seuil, entre le désert et la Terre Promise, Marc nous présente Jésus comme le nouveau Moïse qui vient pour faire entrer son peuple dans la nouvelle Terre promise, qui vient accomplir définitivement la promesse de Dieu. Nous parlons souvent du « Déjà là…mais pas encore » ; Les pères cisterciens appellent cela ‘l’avènement intermédiaire’, c’est-à-dire notre temps, entre le ‘premier avènement’ que fut l’incarnation et le troisième que sera la fin du monde. Tout cela est vrai, mais n’oublions jamais que le Christ est déjà venu, qu’il est mort et ressuscité une fois pour toutes, et donc que nous sommes déjà dans la vie éternelle, dans la victoire définitive. Nous ne devons donc plus craindre les déserts de nos vies puisque eux non plus, si nous le voulons, si notre attente de Dieu est active,  ne peuvent nous tuer.

 

Ce désert dont nous parlent les prophètes n’est pas qu’une immense étendue où l’on se perd. Il y a en son centre une route qui nous permet de le traverser, d’aller d’un lieu à un autre ; il y a en son cœur un chemin qu’il nous faut préparer, aplanir, certes, mais aussi emprunter. Mettre, remettre nos pas dans les pas de ceux qui nous ont précédés : ceux des chrétiens qui nous entourent et qui marchent avec nous, ceux de la foule immense des sauvés, ceux de Jean-Baptiste, de saint Marc ou du peuple d’Israël. Mais tous ont eux-mêmes mis leurs pas dans ceux de Jésus, « Chemin, Vérité, Vie ». Nous devons préparer ce chemin pour que Dieu vienne sans cesse dans notre monde. Et la meilleure façon de préparer un chemin, de le tracer, c’est de l’emprunter. Si nous ne suivons pas le Christ, n’espérons pas voir nos églises cesser de se vider.

 

Il faut attendre le 4e verset pour que Marc nomme Jean-Baptiste, comme il faudra attendre le 9e verset pour voir enfin Jésus ‘en chair et en os’ : « Et Jean le Baptiste parut dans le désert ». Le verbe grec, egeneto, montre bien qu’il s’agit d’un évènement qui a de l’importance. Quand on entend ce verbe, on peut se dire qu’il va arriver quelque chose…Et ce quelque chose c’est quelqu’un : non pas Jean, mais Jésus et le salut.

Jean-Baptiste, qui est suscité par la parole des prophètes, invite les hommes et les femmes à reconnaître leur péché, c’est-à-dire ce qui les sépare de Dieu. Lui-même reconnaît cette distance entre lui et Dieu, entre lui et le Messie, en confessant son indignité, son inaptitude même, à « défaire la courroie de ses sandales. »

Marc ajoute le verbe « se courber » - « je ne suis pas digne de me courber à ses pieds… » - geste par excellence de la vénération. André Chouraqui traduit joliment et explicitement : « Je ne suis pas assez pour qu’en me penchant… » On rejoint ici les paroles de Jean lorsqu’il parle de « celui qui est plus puissant que » lui, la puissance étant un attribut du Messie.

Il est important, je crois, de noter ce qui nous sépare de Dieu, de relever notre indignité. Mais il ne nous faut pas non plus oublier que la puissance de Dieu, sa force, a peu de rapport avec l’idée que nous nous en faisons généralement.

Cette préparation à Noël, où le Tout-puissant se fait enfant, est bien là pour nous le rappeler. J’ai déjà évoqué ailleurs la grandeur du geste du Christ dans le lavement des pieds.

Je me permets ici un autre exemple. Cette semaine un monsieur âgé, dans lequel on pouvait reconnaître un homme solide, même un peu rude, en tous les cas pas du genre sensible, me parle avec beaucoup d’admiration d’un autre homme, décédé depuis une quinzaine d’années. Il me dit que c’était un grand Monsieur, quelqu’un qu’il estimait beaucoup, et même un homme extraordinaire. Et pour me montrer en quoi il était extraordinaire, il ajoute, tout en retenant difficilement ces larmes: « C’est le seul homme que j’ai vu pleurer sur mes genoux ».

Quelle idée avons-nous de la grandeur ? Quel homme ou quelle femme pensons-nous devoir être pour être reconnu des autres ? Et qu’est-ce que cela nous dit de Dieu ? Regardons Jean-Baptiste, « vêtu de poils de chameau…se nourrissant de sauterelles… », que Jésus qualifiera de plus grand des enfants des hommes.

 

Jean-Baptiste éveille donc la foule à faire la vérité dans sa vie, afin qu’elle se prépare à accueillir celui qui vient. Nous pouvons nous demander d’où vient toute cette foule ? Ou pourquoi une telle foule ? « Toute la Judée, tout Jérusalem, venait à lui - littéralement « sortait vers lui » - …Tous se faisaient baptiser ». Derrière ces « toute, tout, tous », il faut lire l’universalité du salut, non seulement parce que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, mais aussi parce les sauvés ne peuvent concevoir de l’être sans les autres. C’est le défi au sein de notre Eglise, de nos paroisses, de nos communautés : c’est ensemble que nous devons accueillir celui qui vient.

La foule a reconnu en Jean un prophète, et on retrouve son attachement à sa personne tout au long de l’évangile. Mais que cherche-t-elle réellement ? Un élément de réponse pourrait être dans cet autre exemple. Si j’ai un problème au dos, je vais voir un ostéopathe et j’espère bien qu’il va le régler une fois pour toutes. Or, je connais un ostéopathe qui déçoit souvent ses patients. Si en effet il les manipule, les soulage ou les décoince, il leur donne aussi des exercices à faire, et le sort de leur dos est moins dans la manipulation première que dans leur assiduité à ces exercices.

On rejoint ici au passage cette idée que nous ne pouvons attendre Dieu les bras croisés. Or nous avons cette faiblesse, de trop souvent attendre le miracle, l’homme providentiel ou encore le billet de Loto gagnant. On pourrait en effet espérer qu’un sage ou qu’un homme profondément religieux, tel un ostéopathe rêvé, nous dise une petite phrase miracle qui nous permettrait de régler bien des problèmes pour toute notre vie. Or il nous renvoie toujours à nous-mêmes, à notre quête, à la propre profondeur de notre être, à notre humanité créée, engendrée par Dieu, et c’est là que nous pourrons trouver la solution à nos questions, où nous pourrons trouver le pain quotidien pour la marche de ce jour.

C’est donc bien à une conversion de chaque jour que Jean appelle la foule ; à une marche dans le désert, certes, mais où apparaîtra un chemin et par conséquent une destination, un sens, un aboutissement. C’est alors peut-être ici qu’il faudra lire la seconde lecture où l’apôtre Pierre nous invite à la patience du chemin puisque Dieu « veut que tous aient le temps de se convertir ».

 

Notons que le Jean-Baptiste de Marc, contrairement à celui de Matthieu et de Luc, ne nous donne pas de prescriptions morales et qu’il ne dépeint pas non plus la venue du Seigneur comme un jour de jugement impitoyable. Il n’y a pas ici de discours, mais, comme dans le premier verset de l’Evangile, une annonce. Jean-Baptiste annonce la venue du salut, la venue d’un Dieu qui s’intéresse à son peuple, qui vient en aide à ce peuple au cœur même de son péché ; un Dieu qui pardonne et qui sauve ; un Dieu dont nous devons, à notre tour, être les témoins.

 

Pour finir, Jean fait la distinction entre son baptême d’eau et le baptême de Jésus dans l’Esprit Saint. Il faut peut-être voir dans le premier la réponse de l’homme à l’interpellation de Dieu. Dans ce cas, on discerne un certain nombre d’attitudes, de manières de penser ou de vivre, qui ne sont pas conformes avec ce que nous avons perçu du message de Dieu. Ainsi, en bon ouvrier, nous allons être plus vigilants, essayant de nous corriger, même s’il faudra bien souvent retomber dans les mêmes travers : c’est le long chemin à travers le désert qu’il nous faut parcourir.

Mais ce chemin, comme nous l’avons dit, a déjà été tracé par d’autres, à commencer (et on retrouve ici le commencement) par Jésus. Et c’est là que l’on peut reconnaitre le baptême dans l’Esprit Saint. Ces moments où nous nous sommes totalement remis dans les mains de Dieu, où nous vivons cette véritable expérience de lectio dépouillés de tout, comme Jean-Baptiste ; ces moments où, alors même que nous marchons, nous savons que c’est Dieu qui est au cœur de notre marche.

Nous l’avons dit, Jean-Baptiste n’a pas ici un discours mais un message, une Bonne Nouvelle. En « proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés », Jean nous invite à parcourir notre désert pour reconnaître tout ce qui en nous rend la vie aride, sans vie ; tout ce qui en nous rend désert, fait le vide autour de nous. Alors, tel le baptême d’eau, nous pouvons prendre un arrosoir et tenter de faire ce que nous pouvons, mais nous risquerions fort de nous épuiser, et nous serions bien incapables de nourrir une telle foule.

La Bonne Nouvelle réside dans ce baptême dans l’Esprit Saint, où la dénonciation du péché n’est pas moralisation ou culpabilisation, mais regard lucide sur ce qui nous sépare de Dieu, des autres et de nous-mêmes ; consentement à ce que nous sommes ; et surtout foi, confiance, espérance, et même certitude que, si nous attendons le Messie dans notre chair, dans le concret de notre existence, c’est là, et pas ailleurs, au cœur des déserts qui nous habitent et que nous habitons, que Dieu vient nous sauver, que Dieu peut s’incarner.