2e dimanche de l’Avent
Décembre 2010
Matthieu 3, 1-12 :
En ces jours-là, paraît Jean
le Baptiste, qui proclame dans le désert de Judée : «
Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche. » Jean est celui que désignait la parole transmise par le
prophète Isaïe : A travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du
Seigneur, aplanissez sa route. Jean portait un
vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins ; il se
nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du
Jourdain venaient à lui, et ils se faisaient
baptiser par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés. Voyant des pharisiens et des sadducéens venir en grand
nombre à ce baptême, il leur dit : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à
fuir la colère qui vient ? Produisez donc un
fruit qui exprime votre conversion, et n'allez
pas dire en vous-mêmes : 'Nous avons Abraham pour père' ; car, je vous le dis :
avec les pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham.
Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres :
tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu.
Moi, je vous baptise dans l'eau, pour vous amener à
la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je
ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit
Saint et dans le feu ; il tient la pelle à
vanner dans sa main, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le
grain dans son grenier. Quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne
s'éteint pas. »
« En ces
jours-là », précision chronologique plutôt vague,
qui n’a pas de lien avec ce qui précède (installation de la sainte famille à
Nazareth), mais avec ce qui arrive, ce qui arrive de nouveau. En ces jours-là, c’est aussi, pour nous,
aujourd’hui, ce temps de l’Avent qui commence. C’est donc également pour nous
quelque chose de nouveau, et peut-être quelqu’un de nouveau qui arrive.
« En ces jours-là, paraît
Jean le Baptiste qui proclame dans le désert de Judée ». Ici, le
désert est d’abord un lieu biblique avant d’être un lieu topographique. Le
désert c’est le lieu de la longue route du peuple d’Israël, le lieu de
l’Alliance. Jean, en choisissant le désert, rappelle pour lui-même et pour le
peuple, cette histoire sainte, cette Alliance entre Dieu et son peuple, cette
fidélité de Dieu envers son peuple. Et il interroge donc le peuple, et chacun,
sur sa propre fidélité.
On peut noter que s’il faut « proclamer », il y a peut-être
mieux que le désert, puisque, a priori, ce n’est pas là que l’on rencontrera le
plus de monde. Aujourd’hui encore, tout jeune qui parlera de son désir de
devenir moine, se verra rapidement objecter, par les autres et par
lui-même : « mais on a tant besoin de prêtres ! » Et on a
souvent douté du bien-fondé d’un petit monastère de moins de dix moines en
terre d’Islam, en Algérie…
Alors quel est donc ce dieu, notre Dieu, qui suscite, hier et
aujourd’hui, de telles vocations, de tels choix de vie. Un Dieu évidemment
étonnant ; un Dieu sur lequel on peut compter, auquel on peut s’abonner.
Voici peut-être les deux attitudes que je vous propose pour cet Avent, à partir
de ces textes du deuxième dimanche : s’étonner, s’émerveiller ; et
faire confiance, s’abandonner, croire.
Nous entrons dans un nouveau temps de l’Avent, mais ce n’est pas une
simple répétition, c’est une véritable nouveauté. Dieu, immuable, éternel, etc.
se manifeste à nous sans cesse dans sa nouveauté, se dévoile peu à peu. Nous
sommes face à un inconnu qui nous appelle, qui nous invite à aller plus loin,
en terre inconnue, comme une nouvelle année qui commence. L’inconnu de cette
nouveauté nous place en position de pauvreté, mais une pauvreté qui s’enrichira
de l’inconnu de cette nouveauté.
S’étonner de Dieu ! On nous propose comme fil directeur autour de
ces textes des 4 dimanches, le thème de la pauvreté. Et bien on peut s’étonner
que Dieu ait une préférence pour les pauvres. On l’a tellement entendu, que ça
nous semble normal. Mais qui est ce Dieu qui s’intéresse tant aux
pauvres ? Le Père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, s’engagea
pour les pauvres comme il avait suivi le Christ « parce qu’il était têtu pour les pauvres ». Etonnante cette religion
qui s’axe autour du souci des pauvres. En Inde, les rares conversions au
christianisme sont celles de pauvres, celles d’hommes et de femmes, des
intouchables, qui reconnaissent, par et dans l’Eglise, la tendresse de Dieu
pour eux. Le psaume de la messe nous le dit :
« Il
délivrera le pauvre qui appelle
et le
malheureux sans recours.
Il aura
souci du faible et du pauvre,
du
pauvre dont il sauve la vie » (Ps 71)
Et la première lecture (Is 11) : « il jugera les petits avec justice, il tranchera avec droiture en faveur
des pauvres du pays. »
Comme vous le verrez cet après-midi, l’évangélisation des pauvres est
signe de reconnaissance de la venue du Messie.
« En ces jours-là, paraît
Jean le Baptiste qui proclame dans le désert de Judée : ‘Convertissez-vous,
car le Royaume des cieux est tout proche.’»
« Convertissez-vous » :
la conversion suppose la démarche de l’homme et l’action de Dieu. Dans la
tradition biblique, la conversion est un
retour, non un retour sur nos fautes, mais un retour à Quelqu’un, à l’image
du fils prodigue et de son père en Luc 15 : « le pardon n’atteint efficacement le péché du fils que dans et par le
retour de celui-ci » (Stanislas Lyonnet). Le père avait déjà pardonné
au fils, mais restait à celui-ci de recevoir le pardon.
Et la raison de cet appel de Jean-Baptiste à la conversion, c’est que
« le Royaume des cieux est tout
proche » ; voilà l’action de Dieu. Cette proclamation de
Jean-Baptiste est la même que celle de Jésus
(4,17) et que celle des douze (10,7). Nous sommes donc au cœur du
message évangélique : le Royaume est tout proche, Dieu s’est approché de
nous, Dieu est déjà là. En ce temps de l’Avent nous sommes donc invités à
reconnaitre cette présence, à ouvrir des yeux étonnés. En commentant le Magnificat, le cardinal Martini montre
comment Marie a su apercevoir « à
partir de sa propre vie…les signes de l’espérance, les signes de l’Evangile,
les signes de l’approche du Royaume de Dieu » : elle voit
l’élévation des petits, des pauvres, et l’abaissement des grands, dans un temps
qui n’était pas meilleur que le nôtre, dans un monde rempli d’inégalités. Mais
elle sait que ce que Dieu accomplit en elle est destiné à tous. Oui, Marie est
capable de reconnaitre l’action de Dieu dans sa vie et dans la vie, et c’est à
cela que nous sommes appelés.
« Si
ta vie quotidienne te paraît pauvre,
Ne
l’accuse pas, accuse-toi plutôt.
Dis-toi
que tu n’es pas assez poète
Pour en
convoquer les richesses. » (Rilke)
« Jean est celui que désignait la parole transmise par le prophète Isaïe : A travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. » Jean est littéralement ‘la voix du criant’. Comme on l’a dit, il n’ajoute rien au message qui est textuellement celui de Jésus ; il révèle sa présence puis il s’effacera. Voix du criant qui reprend comme en écho, comme dans une chaine, le message des prophètes, ces serviteurs de la Parole qui s’effacent devant elle. Une voix dénudée qui « portait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins, (qui) se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. » Une ceinture est ce qui attache ; peut-être ce qui nous attache au Seigneur. C’est ainsi que dans la finale de l’évangile de saint Jean, Pierre s’entend dire : « Quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui nouera ta ceinture et qui tu conduiras là où tu ne voudrais pas. » (Jn 21,18). Pierre qui s’abandonne totalement au projet de Dieu. « Je vais où Dieu me mène, incertain de moi mais sûr de lui » (Lacordaire). Et cela demande de la confiance, comme Jean le manifeste par son dépouillement.
Jean-Baptiste,
selon l’évangile de Luc, est de la classe sacerdotale. Il a donc eu une
éducation baignée d’Ecriture. C’est dans sa relation avec Dieu qu’il s’est
senti appelé à autre chose. Il quitte tout car il a été saisi par Dieu. Ce
genre de vocation est un rappel pour chacun de nous que Dieu peut nous saisir,
que Dieu désire nous saisir. Rappelons que Jean n’est pas saisi par une idée
mais par Quelqu’un. Et c’est dans cette relation qu’il entre dans la
simplicité, dans l’authenticité. Et c’est ce qui attire «Jérusalem, toute la
Judée et toute la région du Jourdain ». Cette description de Jean,
nous rappelle, comme le dit le Père Francis kline, que « la conversion n’est pas un évènement mais…un
mode de vie ». A l’instar de Jean-Baptiste, on pourrait expliquer le
succès du film ‘Des hommes et des dieux’ par cette reconnaissance de la vérité, de
l’authenticité de la vie de ces hommes finalement ordinaires. Ils ne sont pas
des héros, Jean-Baptiste non plus, mais cela ne veut pas dire que l’on n’a pas
de grandes choses à faire !
Jean nous invite à « Préparer le chemin du Seigneur, à aplanir sa route. » Lui-même a emprunté ce chemin, et c’est pourquoi son message a du poids. Le chemin marque l’idée d’une dynamique, d’un mouvement : il y a le Seigneur qui vient, qui œuvre en ce monde, comme ont su le découvrir Jean et Marie ; il y a aussi la propre route que nous devons parcourir avec le Christ et avec nos frères. Jean ne nous demande pas de préparer le trône du Seigneur, ni le siège que nous installerions à sa droite, mais le chemin, la longue route.
« Ils se faisaient baptiser
par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés. » Le peuple
aussi est en mouvement. Il montre ainsi son attente, son espérance :
l’espérance est à la fois une richesse, car elle ouvre le présent, mais aussi
une pauvreté : elle est reconnaissance de ce qu’on n’a pas encore. Dans la
deuxième lecture, saint Paul nous parle de l’Ecriture comme un lieu d’espérance
(Rm 15,4).
Le baptême de Jean a plusieurs différences avec les rites d’eau de
purification qui existaient à l’époque : il est donné par un ministre, et
ici c’est Jean ; on ne se le donne pas soi-même. Le peuple, en demandant ce
baptême, reconnaît bien qu’il vient de Dieu, que Jean est un envoyé de Dieu
(c’est toujours la même idée dans l’Eglise pour ce qui est des ministres :
l’Eglise ne se donne pas les ministres dont elle a besoin ; elle les
reçoit de Dieu).
Ce baptême n’est donné qu’une seule fois.
Et surtout il est offert à tous : il n’est pas réservé à une élite
qui en exclurait les autres. On retrouve encore plus fortement cet aspect dans
le baptême chrétien qui rassemble tous les baptisés en un seul corps.
Dans cette démarche, le peuple reconnaît ses péchés. Le péché marque
une séparation entre soi et Dieu, entre soi et les autres, et même entre soi et
soi. Le péché est un obstacle au dessein de Dieu, au Royaume qui vient. Mais la
reconnaissance du péché est aussi révélation sur Dieu et sa miséricorde, et
révélation sur l’homme avec ses grandeurs et ses faiblesses.
Ces thèmes que nous avons légèrement abordés, nous les retrouvons avec
les « pharisiens et les sadducéens
qui venaient en grand nombre à ce baptême ». Que cherchaient-ils
exactement ? Difficile à dire. En tout cas la réaction de Jean à leur vue
est très vive : « Engeance
de vipères ! » C’est dans l’évangile de Matthieu que les pharisiens ont
l’image la plus négative. Étymologiquement, les pharisiens sont les
«séparés » ; les sadducéens le sont aussi par leur statut
social : c’est la classe sacerdotale, classe aisée.
Ainsi on peut comparer, opposer, Jean et les pharisiens et les
sadducéens :
Là où Jean accueille tout le monde, eux se séparent. Ils restent entre
purs, rejettent pécheurs et publicains, et limitent ainsi l’accès à l’amour de
Dieu, ou plus exactement limitent l’amour de Dieu à leur horizon. « Ils se montraient durs pour le commun
peuple, orgueilleux et fiers de leur vertu » (note bible Osty). On est
ici dans le mépris du pauvre.
Les pharisiens ont mis en place « un grand nombre » de préceptes, de règles. Là où Jean nous
invitait à la rencontre de la nouveauté de Dieu, eux se sont forgés un Dieu
figé, là encore à leur hauteur ! « Même si je sais déjà ce qu’on va me dire, je n’ai jamais encore entendu
celui qui veut me le dire maintenant et ne sais pas comment va résonner en moi
ce que pourtant je crois savoir…La vérité n’existe que lorsqu’on la
reçoit ; dès qu’on la possède, elle s’échappe. » (Ghislain
Lafont, osb). C’est tout à fait cela avec Dieu : dès que vous pensez
l’avoir saisi, il est déjà ailleurs…
Là où Jean nous invitait au mouvement, mouvement dans lequel le peuple
entrait, eux choisissent l’immobilité. Il n’y a pas de chemin, de route, mais
une routine. « La parole ne
résonnera jamais que pour nous appeler à la rejoindre…Ce n’est pas une fois que
se produira la feinte par laquelle la Présence nous attire après elle. C’est toujours et sans cesse. L’avoir trouvée,
ici-bas, ce ne sera jamais que la chercher davantage. Qui se laisse séduire par
cette voix ne pourra plus jamais s’arrêter, s’installer. Il lui faudra entrer
toujours plus avant dans la nuit et le silence du dépouillement, du vide, du
rien.»(Louis Bouyer) Cette citation correspond bien à la démarche de
Jean-Baptiste qui s’est laissé saisir, et la dernière phrase renvoie au texte
que vous verrez cet après-midi de Jean dans sa prison. Par contre, face à une
telle citation, quel drame d’être de ceux qui s’arrêtent, qui n’entendent plus
cette voix. Car comme le dit Sylvie Germain : « La foi est un enfant qui n’accorde aucun repos, ne s’accommode d’aucune
habitude, surtout pas de la mollesse, de la tiédeur, et qui répugne à tout
compromis. Elle est un enfant rebelle, vulnérable autant que téméraire,
méditatif autant qu’aventurier…Un enfant à porter à bout de bras, jour après
jour, à bout de soi, jusqu’à son dernier souffle ». S’arrêter, quand
on a déjà entrepris le chemin, c’est mourir !
En m’appuyant sur une phrase de Saint-Exupéry, je dirai que s’ils se sont arrêtés, c’est peut-être à cause de leur orgueil : « Si l’individu s’exalte sur sa propre importance, la route aussitôt se change en mur ». L’orgueil dresse des murs entre nous et les autres, entre nous et Dieu, entre nous et la dynamique de la vie.
Là où Jean invite à la conversion, à la reconnaissance de ses péchés,
ils ne se sentent pas concernés car ils sont en règle. Ils n’ont pas à se
convertir, à faire retour, puisqu’ils sont sur la bonne voie.
Là où Jean se dépouille pour entrer dans l’authenticité, ils
s’accrochent à mille et un préceptes qu’il est impossible de respecter
scrupuleusement, et entrent ainsi dans l’inauthenticité, le mensonge,
l’hypocrisie. « Nous ne pouvons que
changer l’apparence, les dehors, la forme. Seul Dieu a le pouvoir de changer
l’être » (Cardinal C.Schönborn).
Enfin, là où Jean invite à une démarche intérieure, ils en restent au
légalisme.
« Qui vous a appris à fuir
la colère qui vient ? » ; J.Chouraqui traduit par « la brûlure qui vient ». J’aurais
bien voulu vous éviter ce passage, mais les commentaires que j’ai lus s’y
attardent et nous invitent véritablement à prendre au sérieux cette colère. On
peut certes dire que Jésus se révèle plus comme un frère miséricordieux que
comme un juge impitoyable. Mais il faut néanmoins relever qu’il se met parfois
en colère, qu’il sait se montrer dur. Xavier Léon-Dufour dit que « vouloir
réduire ce mystère (de la colère de Dieu) à l’expression mythique d’une
expérience humaine, c’est méconnaitre le sérieux du péché et le tragique de
l’amour de Dieu. » Cette colère serait donc l’expression de l’amour de
Dieu pour l’homme ; elle se voudrait éducative comme celle de parents
envers leur enfant. Et Jésus se met en colère contre ceux qui se dressent
contre Dieu. Mais on sait que ce que nous traduisons par « malheureux » dans son invective
contre les pharisiens au chapitre 23, pourrait se traduire par l’expression
d’un regret : « hélas pour
vous, scribes et pharisiens ! »
Ce tragique de l’amour divin, voici comment l’exprime Charles
Péguy :
« Il
[Jésus] connaissait l’argent et le champ du potier,
Les
trente deniers d’argent.
Etant
le Fils de Dieu, Jésus connaissait tout,
Et le
sauveur savait que ce Judas, qu’il aime,
Il ne
le sauvait pas, se donnant tout entier.
Et
c’est alors qu’il sut la souffrance infinie,
C’est
alors qu’il connut, c’est alors qu’il apprit,
C’est
alors qu’il sentit l’infinie agonie,
Et cria
comme un fou l’épouvantable angoisse… »
Rappelons aussi que Paul nous dit de Jésus qu’il est celui « qui nous arrache à la colère qui vient »
(1Th 1,10).
Cette colère, ce jugement, c’est tous les jours que nous y sommes
confrontés, au même titre que c’est tous les jours que nous sommes appelés à
accueillir le Royaume de Dieu. Il y aura aussi évidemment notre dernier jour.
Matthieu, dans son chapitre 25, nous exhorte à des actes : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un des
ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! ».
C’est aussi ce que dit Jean-Baptiste aux pharisiens et sadducéens :
« Produisez donc un fruit qui
exprime votre conversion ». Eux qui étaient qualifiés d’« engeance de vipères », de fruit du
serpent, sont appelés à porter du fruit. Et l’on sait que « celui qui a été ensemencé dans la bonne
terre, c’est celui qui entend la Parole et comprend : alors, il porte du
fruit »(13,23). Il faut poser des actes, non pour se sécuriser, mais
pour exprimer une orientation profonde, un désir ; poser des actes qui nous
engagent tout entier, qui rassemblent notre personne, qui l’unifient. C’est
cela que vit Jean, et c’est cela que le peuple a reconnu en lui : un arbre qui porte du fruit. Aelred de
Rievaulx dit que « le signe le plus
clair de (la présence de Dieu, de l’approche du Royaume, c’)est
l’accomplissement de ses préceptes ». Et le prophète Amos nous en
donne un résumé : « Recherchez
le bien et non le mal…Haïssez le mal, aimez le bien » (5,14-15). C’est
simple, clair et limpide !
« N'allez pas dire en
vous-mêmes : 'Nous avons Abraham pour père' ». Inutile de vouloir se
rassurer derrière une tradition ou une éducation, de ne pas vouloir se mettre
en question. Notre seul soutien, notre seule assurance doit être Dieu lui-même.
Ce fut l’attitude d’Abraham. Telle une pierre, il était stérile, et Dieu en a
fait surgir une descendance, une source comme dans l’Exode. Ainsi « avec les pierres que voici, Dieu peut faire
surgir des enfants à Abraham ». Et la suite du texte met en opposition
cette pierre stérile qui donne du fruit, avec l’arbre fécond qui n’en donne
pas. C’est alors une autre figure du jugement avec l’arbre qui va être coupé,
et il y a urgence car « déjà la
cognée se trouve à la racine des arbres ». La racine indique bien la
volonté de Dieu d’aller au plus profond de l’homme pour le purifier.
La racine du mal c’est l’orgueil : « vous serez comme des dieux » (Gn 3). L’orgueil, dans la Bible,
c’est d’abord cette croyance qu’on n’a pas besoin de Dieu. Les pharisiens, avec
leurs règles et leur préceptes, leur police d’assurance, agissent comme s’ils
n’avaient plus besoin de Dieu. C’est tout l’inverse des « pauvres de cœur » des béatitudes à
qui appartiennent le Royaume des cieux. Ils ont appris, dans les épreuves, à ne
compter que sur Dieu. Dieu nous demande de nous abandonner à lui, de lui faire
confiance, et non pas de vouloir absolument réussir par nos propres moyens.
« On vient…au couvent…non pas pour
construire une vie spirituelle, mais la perdre pour l’amour de Dieu…Si nous
faisons de notre vie spirituelle un bien plus précieux que les autres, si nous
poursuivons à travers elle un objet que nous voulons posséder, nous sommes
perdus…Notre trésor, c’est Jésus-Christ » (M.D.Molinié,
op). Cela nous rappelle bien que Jean n’est pas parti au désert pour renoncer
mais pour s’attacher.
Et Jean désigne « celui qui
vient derrière (lui et qui) est plus fort que (lui et dont il n’est) pas digne
de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le
feu ». Le baptême de Jean ne lie pas à lui, mais le baptême chrétien
nous attache au Christ, nous configure à lui. Mais ce baptême n’est qu’un
commencement, le long chemin de la vie.
Jean n’est « pas digne de lui
retirer ses sandales », mais Jésus, au soir de la
Cène, lavera les pieds de ses apôtres. Retirer les sandales, geste de
l’esclave, c’est offrir le repos à l’autre après la longue marche ou la journée
de travail : s’apporter du repos, et non pas des tensions
supplémentaires ! Jean n’est « pas
digne de lui retirer ses sandales », mais la femme pécheresse (Lc 7) baignera ses pieds de ses
larmes, les essuiera de ses cheveux, les couvrira de baisers et répandra du
parfum sur ses pieds. Jésus, « le
Royaume des cieux », ne se sépare pas ; il « est tout proche ! »
Et c’est enfin la dernière image du jugement, celle de la
moisson : « il tient la pelle à vanner dans sa main, il
va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier.
Quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s'éteint pas. »
Nous sommes donc appelés, nous aussi à devenir du grain, du pain-eucharistie
pour nos frères.
Notons que tout cet appel à la conversion s’adresse aux pharisiens et
aux sadducéens. Malgré toute sa véhémence, Jean montre qu’il ne désespère pas
de leur conversion.
Jean vient donc de désigner celui qui vient, et il est bon de tourner
nos regards vers lui après ce qui a été dit.
Jésus est étranger à tout orgueil. Il est totalement à l’écoute du Père et s’abandonne totalement à lui.
Il ne cherche qu’une seule chose, la volonté du Père, et c’est en cela qu’il
est sa manifestation. : « Dieu
reconnait en lui la parfaite reproduction de son comportement de ‘rédempteur
d’Israël’ » (J.Moingt).
Le Père Joseph Moingt a une analyse intéressante du conflit entre Jésus
et les pharisiens et les sadducéens : « La grande révolution religieuse accomplie par Jésus, c’est d’avoir
ouvert aux hommes une autre voie d’accès à Dieu que celle du sacré, la voie
profane du prochain…La question du salut n’est plus de chercher un sauveur et
de le reconnaître pour tel, elle est de se préoccuper de ceux qui sont dans le
besoin et de les reconnaître comme ayant des droits sur nous…Il ne faut plus
aller au Temple mais à Jésus, et Jésus nous apprend qu’on trouve accès à lui
quand on va au secours du plus petit de ses frères…la route du salut a été
désacralisée par la sacralisation de la personne de l’autre. » Voici
bien un Dieu étonnant, qui nous invite à le reconnaître dans l’autre, et plus
particulièrement dans les plus pauvres.
Lors d’un passage à Paris, j’ai vu un SDF qu’il aurait été difficile de
ne pas remarquer. Cet homme hirsute dont on pouvait à peine apercevoir le
regard, était tellement courbé, enfermé sur lui-même, que son long manteau
donnait de lui la forme d’un cube, d’une simple masse, d’une chose. Je ne me
souviens pas avoir rencontré une telle dégradation de la dignité humaine. Mais
je n’ai pris qu’ensuite conscience de l’ampleur de cette dégradation, car elle
était aussi en moi. Devant passer près de lui, j’aurais voulu m’en écarter car
je n’avais pas envie qu’il m’adresse la parole ; je m’en méfiais comme on
peut craindre un énorme chien. Je ne me suis pas écarté parce que je ne le
pouvais pas : il y avait du monde sur ma gauche ! Alors je suis resté
sur mon chemin, mais tout mon corps, intérieurement, était tendu vers le côté
opposé à cet homme. Puis, loin de lui, je me suis rappelé cette parole d’Isaïe
que la tradition chrétienne attribue au Christ dans sa
passion : « il n’avait même plus forme humaine » (52,14).
Que cette expérience nous rappelle combien Dieu frappe à notre porte,
combien il nous faut être vigilant pour le reconnaitre, être capable de
s’étonner pour le découvrir. Que cela nous rappelle aussi combien Dieu nous
invite à œuvrer avec lui dans notre monde pour lui donner ou redonner forme et
dignité humaine. Les discours aux pharisiens et sadducéens dans l’évangile ne
seraient pas si nombreux, si nous n’étions pas tous plus ou moins pharisiens…
A quelques semaines de Noël, où les SDF côtoieront les vitrines
décorées et illuminées, je vous laisse sur cette phrase d’un jeune écrivain,
Laurent Gounelle : « Le plus grand mensonge des parents à leurs
enfants ne porte pas sur l’existence du père Noël, mais sur la promesse tacite
que ses cadeaux les rendront heureux ».