TROISIÈME DIMANCHE DE L’AVENT

(année C – décembre 2009)

 

 

 

Ce matin on vous a présenté le 2e dimanche avec les six premiers versets du 3e chapitre de l’évangile de Luc. On vous situait Jean-Baptiste et son appel à la conversion. L’évangile du 3e dimanche est tiré du même chapitre et nous parle encore de Jean-baptiste. Entre ces deux textes liturgiques, trois versets ont été omis (v.7-9) qui sont une menace de jugement : « engeance de vipères... »

Notre page de ce jour peut être divisée en deux parties :

- un enseignement éthique (10-14)

         - un enseignement messianique (15-18)

 

Un enseignement éthique :

« Les foules qui venaient se faire baptiser par Jean lui demandaient : « Que devons-nous faire ? » Jean leur répondait : « Celui qui a deux vêtements, qu'il partage avec celui qui n'en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu'il fasse de même ! » Des publicains (collecteurs d'impôts) vinrent aussi se faire baptiser et lui dirent : « Maître, que devons-nous faire ? » Il leur répondit : « N'exigez rien de plus que ce qui vous est fixé. » A leur tour, des soldats lui demandaient : « Et nous, que devons-nous faire ? » Il leur répondit : « Ne faites ni violence ni tort à personne ; et contentez-vous de votre solde. » (Lc 3, 10-14)

 

Les auditeurs de Jean sont interpellés par sa parole, et peut-être même davantage par sa personne. Dom Lode Van Hecke, l’abbé d’Orval,  nous disait, lors d’une session, que Jean n’avait pas de programme particulier ; que son programme c’était sa personne. Pour savoir ce qu’il avait à nous dire, il fallait venir jusqu’à lui.

Et c’est ce que font les foules. Elles viennent à lui et lui posent cette question : « Que devons-nous faire ? »

La conversion ne se situe donc pas uniquement aux niveaux des pensées et des sentiments, mais au niveau de l’agir. Il nous faut des actes ! Saint Benoît, dans le Prologue de la Règle, nous dit que « le Seigneur attend de nous que, chaque jour, nous répondions par des actes à ses saintes leçons » (35).

Le père Anselm Grün ajoute que « se convertir, ce n’est pas seulement voir et reconnaître, c’est aussi décider. Je décide de vivre autrement, vivre selon la volonté de Dieu et selon ma nature propre. »

 

Luc nous présente trois catégories de personnes, trois exemples pour nous éclairer.

 

D’abord « les foules », c’est-à-dire nous tous et peut-être plus exactement ceux qui ont plus que le nécessaire pour subsister ; ceux qu’on pourrait appeler, à l’échelle de la planète, les personnes aisées, privilégiées. Ceux-là, Jean-baptiste les invite à partager leur surplus. « Si quelqu’un a deux tuniques, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; si quelqu’un a de quoi manger, qu’il fasse de même ».

Le thème que nous avons retenu pour les cinq conférences de ce week-end est celui de la solidarité. En reprenant ces quelques mots de Jean-Baptiste, j’oserais dire que j’ai rempli mon contrat et que je n’ai pas besoin de vous en dire davantage ! Ces paroles de Jean sont d’une simplicité extrême ; on pourrait presque dire qu’elles sont un résumé ou, pour d’autres, une caricature, de ce qu’on appelle la charité chrétienne. Et pourtant, si vous envisagez de les mettre en pratique ou si vous les mettez en  pratique, elles sont d’une force incroyable, elles sont un feu. Feu qui purifie, parce que ce n’est pas facile de lâcher ce qui est à nous, notre sécurité, notre confort ; feu qui embrase le monde d’amour.

André Thayse écrit : « A ceux qui venaient quémander une guérison, une bénédiction, une formule de prière, une recette de piété, une remise de péchés, Jean lance cette parole terrible dans sa simplicité : ‘partager’. Voilà la parole scandaleuse que personne ne voulait entendre, et qui est criée au commencement des temps nouveaux. L’apparition se transforme en cauchemar, chacun est dépouillé de sa fausse bonne volonté, de sa générosité factice, de sa sentimentalité religieuse, de son hypocrisie. »

Notre difficulté à partager nos richesses est révélatrice de notre pauvreté. Mais c’est en reconnaissant cette pauvreté, en la présentant au Seigneur, que tout devient possible.

 

Luc situe clairement Jean-Baptiste comme le dernier prophète de l’Ancienne Alliance. Et en effet on trouve déjà cette insistance sur le souci des pauvres dans l’Ancien Testament. Nous avons l’un des plus bels exemples avec Isaïe : « Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : (...) partager ton pain avec l’affamé ? Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras : devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas. » Et il continue : « Alors ta lumière poindra comme l’aurore (...) Tu appelleras et le Seigneur répondra » (cf. Is 58,6-9) C’est dans cet amour, cette solidarité, que l’on peut donner au Seigneur d’advenir.

 

Si l’homme doit avoir le souci des plus pauvres, c’est parce que Dieu, dans la Bible, porte continuellement leur souci et qu’ils sont en quelque sorte ses préférés. Si l’homme doit partager avec eux, c’est aussi parce que tout est don. Dieu a créé le monde et l’a remis entre nos mains. Nous sommes nous-mêmes des pauvres qui reçoivent. Comment pourrions-nous alors ensuite revendiquer des droits et les opposer à la misère de nos frères ?

Dieu a créé le monde mais aussi il a promis à son peuple « une terre où coulent le lait et le miel » (Ex 3, 8). Cette terre, Israël y vit. Elle est un don et une bénédiction. Comment pourrions-nous alors priver l’un de nos frères des fruits de cette terre, des fruits de la Promesse ?

 

Cette attitude de partage est celle de la première communauté que nous décrit Luc dans les Actes des Apôtres : « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme et nul ne considérait comme sa propriété l’un quelconque de ses biens ; au contraire, ils mettaient tout en commun. » (Ac 4, 32). Précisons néanmoins que si Luc insiste tellement sur le partage, c’est que ce ne devait pas être évident pour tout le monde !

On est donc bien ici dans une dynamique d’amour, de fraternité, de solidarité.

On se situe aussi, on l’a dit, dans cet appel à agir. Saint Jacques dit que « la foi qui n’aurait pas d’œuvres est morte » et selon les traductions « elle est morte tout à fait », «  elle est morte en elle-même » ou encore « elle est morte dans son isolement » (Jc 2,17). Une foi isolée est une foi qui n’agit pas, et elle est morte !

Maurice Zundel donne une définition intéressante (et donc interpellante) du droit de propriété et de n’importe quel droit de l’être humain : « Un espace de sécurité qui permet à chacun, libéré des nécessités externes, de se libérer de ses servitudes internes et de faire de lui-même un espace de générosité »

 

Pour peut-être nous aider à relativiser notre attachement à ce que nous possédons, ou croyons posséder, cette  phrase de Raimon Panikkar : « L’avoir est tout ce que l’être n’a pu encore assimiler »

 

On se situe aussi dans une recherche du nécessaire et d’abandon du superflu. Jean-Baptiste a choisi de ne vivre que du nécessaire. Luc nous dit qu’il vit dans le désert (Le  père Joël de Cîteaux dit que « le désert c’est le lieu où on trouve le puits. Si on est dans la distraction,(dans le superflu), on ne trouve pas  »). Nous connaissons les descriptions de Matthieu et de Marc quant à l’alimentation et aux vêtements de Jean. En ce temps de l’Avent, Jean nous invite certainement, une nouvelle fois, à regarder ce qui est important pour nous, ce qui est nécessaire, et à nous dépouiller de tout ce qui nous encombre, de ce qui prend de la place, de ce qui prend la place de l’autre. Cherchons qu’elles sont nos trésors, nos véritables trésors. C’est à partir d’eux que nous pourrons vivre et faire vivre. Dans un article sur la richesse, Evode Beaucamp et Jacques Guillet disent que « la vraie richesse n’est finalement pas celle qu’on possède mais celle qu’on donne ». En passant, je dirais que cette définition nous éclaire sur l’immense richesse du Christ qui donne tout à son Père et aux hommes, puisqu’il se donne totalement.

 

Dans son livre sur l’Avent, Jean-Baptiste Metz écrit : « c’est Dieu (...) qu’il faudra rencontrer, non pas tel jour, en tel lieu, mais toujours et partout, (... là) où s’évanouiront tous les masques et tomberont tous les déguisements d’apparat, ne laissant subsister que la pauvreté gratuite de l’amour »

 

Nous nous préparons à rencontrer Jésus, mais qu’avons-nous à lui offrir, à lui présenter ? Quel est notre trésor ? Pour mieux le découvrir, on peut  parfois se situer face à la mort, face à l’ultime rencontre. Qu’est-ce que je vais emmener avec moi là-haut ? Jean Prévost, résistant tué lors de la prise du Vercors par les nazis, écrivait :

« Pas un regret ne m’importune

Je suis content de ma fortune

         J’ai bien vécu

Un homme qui s’est empli l’âme

De trois enfants et d’une femme

         Peut mourir nu. »

Heureux donc celui qui peut vivre ainsi de l’amour donné et reçu. Comme disait saint François de Sales : « C’est l’amour qui fait faire le voyage » de la vie.

 

Plus loin dans l’évangile, Jean utilise l’image de la pelle à vanner, du vent qui fera le tri entre ceux dont la vie a du poids et les autres. En hébreu, la gloire, c’est ce qui a du poids. Avons-nous du poids ? Avons-nous quelque chose qui témoigne de la gloire de Dieu ?

Saint Jean de la Croix écrivait : « l’âme qui répand sa volonté dans des bagatelles, ressemble à l’eau qui, ayant trouvé par où s’écouler en bas, ne monte point en haut »

 

Un autre groupe vient à la rencontre de Jean-Baptiste et lui pose la question : « Que devons-nous faire ? » Ce sont les collecteurs d’impôts. Jean les invite à l’honnêteté, à la justice.

Luc nous donnera, au chapitre 19, l’exemple d’un collecteur d’impôts et de sa conversion : il s’agit de Zachée. Et voici les fruits attendus par la conversion : « Je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et, si j’ai fait du tort à quelqu’un, je lui rends le quadruple »

 

Enfin, troisième groupe, les soldats qui posent toujours la même question. Ils sont invités à contrôler leur force, au respect des  personnes. Dans certains pays en guerre actuellement, et notamment en Afrique, on connaît les souffrances que peuvent provoquer les armées sur les populations civiles.

 

On peut noter que Jean ne condamne personne pour son métier ou sa situation, mais il invite à les exercer avec justice et dans le souci d’autrui. Le riche de la parabole du pauvre Lazare au chapitre 16, n’est pas condamné pour sa richesse mais, comme nous le disait, il y a quelques semaines, le père André Minet, « parce que sa richesse l’aveugle ». Ne pas voir la détresse des autres, ne pas entendre leur plainte ; être totalement désolidarisé parce qu’on ne voit pas, parce qu’on ne voit plus. Être éveillé par Jean-Baptiste, c’est ne pas se laisser prendre par l’habitude.

Dans les Misérables, Victor Hugo fait dire à l’évêque, auquel il a donné le beau nom de Monseigneur Bienvenu, qu’ « un prêtre opulent est un contre-sens. Le prêtre doit se tenir près des pauvres. Or peut-on toucher sans cesse, et nuit et jour, à  toutes les détresses, à  toutes les infortunes, à toutes les indigences, sans avoir soi-même sur soi un peu de cette sainte misère, comme la  poussière du travail ? »

 

Dans les trois réponses données par Jean-Baptiste, le père Guy Lafon reconnaît un appel à « ne pas aller jusqu’au bout du pouvoir que l’on détient. Savoir se retirer, savoir s’arrêter ». Une nouvelle fois il s’agit de laisser de la place à l’autre, et c’est ce que nous devons essayer de faire pour pouvoir accueillir Celui qui nous est donné à Noël.

 

La question du « que faire ? » est plusieurs fois présente dans les deux récits de Luc. D’abord au chapitre 10 de l’évangile. Un légiste demande à  Jésus ce qu’il doit faire « pour recevoir en partage la vie éternelle ? ». Jésus le renvoie au double commandement : aimer Dieu et son prochain, et de là suit la parabole du bon samaritain, merveilleux exemple de l’amour à donner, où le prochain est celui dont je me fais proche. Je suis donc renvoyé là aussi à ma responsabilité, à des actes.

 

Au chapitre 18, c’est un notable qui pose la question à Jésus, mais face à l’invitation à tout donner aux pauvres, il « devint tout triste car il était très riche ». Jean-baptiste n’invitait personne à tout quitter, même si c’est le choix que lui-même avait fait. Par ces paroles, Jésus peut nous inviter à  aller plus loin, mais surtout, par cet exemple, il nous montre comment il faut donner : de tout son être.

 

Les foules venaient à Jean pour avoir une parole. Dans l’esprit de l’évangile, recevons celle de Khalil Gibran :

« Vous ne donnez que peu lorsque vous donnez de vos biens.

C’est lorsque vous donnez de vous-même que vous donnez réellement.

Car, que sont vos biens sinon des choses que vous conservez jalousement par crainte d’en avoir besoin demain ? (...)

Et qu’est la peur de la misère, sinon la misère elle-même ? (...)

Vous dites souvent : ‘Je donnerai, mais seulement à ceux qui le méritent.’

Les arbres de vos vergers ne parlent pas ainsi, ni les troupeaux dans vos pâturages.

Ils donnent afin de vivre, car retenir c’est périr. (...)

Car en vérité, c’est la vie qui donne à la vie – alors que vous, qui vous imaginez être donneurs, n’êtes en réalité que témoins. »

 

On retrouve encore la même question du « que faire ? » dans les Actes des Apôtres. Au chapitre 2, Pierre répond « convertissez-vous ; que chacun de vous reçoive le baptême », c’est-à-dire la mise en relation étroite avec le Seigneur Jésus et le don de l’Esprit. En Ac 16, Paul répond : « Crois au Seigneur Jésus »

 

 

Ces réponses nous conduisent à la seconde partie de notre évangile et à l’enseignement messianique donné par Jean.

« Or, le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n'était pas le Messie. Jean s'adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l'eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu. Il tient à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s'éteint pas. » Par ces exhortations et bien d'autres encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle. » (Lc 3, 15-18)

 

Après avoir été interpellés, après s’être posés la question de ce qu’il faut faire, et après s’être interrogés sur ce qui est notre vraie richesse, c’est-à-dire ce qui peut nous donner de vivre réellement, les croyants se posent la question du Messie, comme s’ils avaient compris que la vraie richesse n’est pas quelque chose mais quelqu’un, et donc qu’elle est pour nous dans la relation avec ce quelqu’un.

 

Au début du texte, Luc mentionnait « les foules » ; il parle désormais du « peuple ». Il s’agit là du peuple des croyants. On notera l’aspect corporel, solidaire, de la notion de peuple. On n’est pas croyant tout seul.

 

Le peuple attend. Guy Lafon dit que « pour être du peuple, il faut et il suffit d’être dans l’attente ». Et nous, qu’attendons-nous ? Une visite, un courrier, le repas, le week-end ou le bus, mais encore ? Le père Lafon ajoute : « Attendre, ce n’est pas une chose, attendre, c’est une manière d’être ». Quelle est notre manière d’être ? Observons-nous quand nous attendons et nous aurons en partie la réponse.

Luc nous parle de l’attente au milieu de notre texte, comme si l’attente aussi devait se préparer, se cultiver.

 

En grec, attendre se dit « prosdecomai ». Ce mot, et c’est particulièrement signifiant pour nous, signifie aussi « accueillir ». Derrière cette attente, il y a toute la dimension d’espérance d’Israël et la nôtre. Le vieux Syméon, au Temple, « attendait la consolation d’Israël » (Lc 2, 25). De même, la prophétesse Anne, au même chapitre, qui « parlait de l’enfant (Jésus) à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem ». Plus tard, Jean-baptiste, de sa prison, envoie deux disciples à Jésus pour lui demander : « Es-tu celui qui vient ou devons-nous en attendre un autre ? » ( 7,19). Et la réponse de Jésus touche une nouvelle fois à l’homme, à son souci de l’homme, à son amour pour lui : « Rapportez à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit,... » Enfin, à la mort de Jésus, au plus sombre, Joseph d’Arimathie demande à Pilate le corps de Jésus, il le descend de la croix, l’enveloppe dans un linceul et le dépose dans un tombeau. Luc nous dit de lui : « Il attendait le Règne de Dieu » ( 23,51) Nous sommes ici au cœur de la nuit, en plein échec, à la mort, et pourtant la flamme de l’espérance brûle encore dans le cœur de Joseph. Vraiment une belle figure à contempler.

 

Jean Duplacy nous dit que l’espérance « maintient la patience et la fidélité dont l’expression majeure, pour le Nouveau Testament, est l’amour ». On retrouve ainsi ici le discours éthique de Jean. Dans l’attente, il faut aimer. Être en attente, c’est aimer ; aimer, c’est être en attente.

 

Toujours en lien avec le discours de Jean, il existe une fausse espérance qui consiste à mettre sa confiance (ou sa fuite) dans les choses - que ce soit l’avoir, le pouvoir ou le savoir – plutôt qu’en Dieu ; dans le non-essentiel plutôt que dans l’unique nécessaire. Ce peut être aussi mettre son espérance dans un culte formaliste, et ici on sait que Jean-Baptiste est en rupture avec le culte de son temps. Jean Duplacy ajoute que « pour être comblée, l’espérance d’Israël doit renoncer à tout l’aspect matériel de son attente ». Quelle place offrons-nous au matériel dans ce qui nous fait agir, dans ce qui nous fait vivre ?

 

Jean nous annonce Celui qui « vient,... le plus puissant que lui,... qui nous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu ». Le Messie vient et, comme le dit encore Guy Lafon, « il est en train de venir dans votre attente ». Finalement on attend Dieu comme une mère son enfant pour le mettre au monde.

 

« Le plus puissant ». C’est une qualification qui caractérise Dieu, et, à l’époque de Jésus, le messie attendu. En lien avec Lc 11, 22, on pourrait dire : le plus puissant que Satan, le plus puissant que le mal. Voilà une expression de notre foi, de notre espérance. Dieu est plus puissant que le mal et il a sur lui la victoire définitive.

Il nous donnera l’Esprit qui, comme le disent Pierre et Paul, nous mettra en  possession de toutes les promesses (Ac 2,38s ; Ga 3, 14).

 

Et l’Esprit nous donnera la joie. Ce 3e dimanche de l’Avent est traditionnellement le dimanche de la joie. Si nous relisons ce que nous dit saint Luc à propos de Jean-Baptiste, nous ne relèverons pas d’abord la joie comme sa première caractéristique. Pourtant notre page de ce jour se termine par ce sommaire positif : « Par ces exhortations, et bien d’autres encore, Jean annonçait au peuple la Bonne Nouvelle ». Notons aussi que, derrière la dramatique employée, avec l’image de la pelle à vanner, la moisson est un temps de joie. Aloïs Stöger va jusqu’à dire que « Jean est un messager de la joie », et puisqu’il annonce la venue du Christ, c’est évidemment vrai. Jean, le précurseur, est en tout les cas un veilleur éveilleur : dans sa disponibilité à Dieu, il a su réveiller et éveiller le peuple. A nous de nous laisser toucher par ceux qui nous invitent à cette écoute de la venue de Dieu dans notre monde. Face à la menace qu’il fait peser sur nous - « quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas » - n’oublions pas que les pharisiens n’ont pas cru Jean, qu’ils ne l’ont pas écouté (Cf. Mt 21,32) Et donc que nous aussi nous pouvons être sourds.

 

La joie est clairement proclamée dans les deux lectures qui précédent l’évangile :

 

« Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, tressaille d'allégresse, fille de Jérusalem ! Le Seigneur a écarté tes accusateurs, il a fait rebrousser chemin à ton ennemi. Le roi d'Israël, le Seigneur, est en toi. Tu n'as plus à craindre le malheur. Ce jour-là, on dira à Jérusalem : « Ne crains pas, Sion ! Ne laisse pas tes mains défaillir ! Le Seigneur ton Dieu est en toi, c'est lui, le héros qui apporte le salut. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête. » (So 3, 14-18a)

 

Sophonie est un prophète de la fin du VIIe-début VIe s. av. JC. Période de menace puis de prise de Jérusalem (587). Dans ce contexte dramatique, le prophète annonce que Dieu n’abandonnera pas son peuple, qu’un avenir de vie et de joie viendra et, pour cette raison, qu’il ne faut pas craindre les temps difficiles car, eux, ils auront une fin. Voilà son espérance et, comme la joie, il veut la rendre communicative.

 

Il utilise d’abord des verbes à l’impératif comme pour nous signifier que la joie, la vraie, n’est pas quelque chose qui nous tombe dessus sans prévenir, une joie sans lendemain, mais une joie qu’il nous faut préparer, reconnaître, accueillir. Une joie qui viendrait d’une libération : nous serions libérés de nos ennemis. Qui sont nos ennemis ? De quoi avons-nous besoin d’être libérés ? De quoi le Seigneur, « le plus puissant » comme disait Jean, ne serait-il pas capable de nous libérer ? Car, comme dit Sophonie, « le Seigneur ton Dieu est en toi », « au milieu de toi ». Le Seigneur est en chacun de nous et en chacune de nos communautés, dans notre Eglise, notre époque, notre monde. Nous devons donc faire ce que nous avons à faire, et Jean-Baptiste nous a montré le chemin : agir en aimant et en espérant. Dieu, lui, vient en ce monde pour transformer ces petits gestes et pour leur donner toute leur puissance. Il vient transformer nos baptêmes « avec de l’eau » en baptême « dans l’Esprit Saint et dans le feu ».

 

Sophonie nous invite à une invincible joie. Ecoutons encore : « Le Seigneur ton Dieu aura en toi sa joie et son allégresse ; il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie » Quelle incroyable déclaration d’amour ! Je n’ai pas de commentaire à faire si ce n’est à vous inviter à apprendre par cœur ces quelques mots et à vous les répéter dans votre quotidien. Accueillons ces paroles, laissons-nous renouveler par son amour.

On dit qu’on ne peut pas vivre sans amour, que c’est l’amour qui donne la vie. Je crois que nous avons véritablement ici des Paroles de vie, de création. Et c’est en entendant Dieu nous les prononcer que nous pouvons peut-être ensuite nous avancer vers nos frères avec le même amour.

Comment peut-on être triste alors qu’on est aimé ? Comment avoir peur alors qu’on est aimé ?

Dieu nous dit qu’il a en nous sa joie et son allégresse, alors ne le privons pas de sa joie ; accueillons son amour.

Entendons l’évangéliste Jean : « Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour. Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » (Jn 15, 10-12)

 

La deuxième lecture est tirée de la lettre aux Philippiens :

« Frères, soyez toujours dans la joie du Seigneur ; laissez-moi vous le redire : soyez dans la joie. Que votre sérénité soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, dans l'action de grâce priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer, gardera votre cœur et votre intelligence dans le Christ Jésus. » (Ph 4,4-7)

 

Paul écrit ce texte alors qu’il est en prison et lui aussi nous parle de joie.

Comme Sophonie et comme Isaïe dans le cantique, il utilise des verbes à l’impératif : « soyez toujours dans la joie ». Et la raison est la même : « le Seigneur est proche ». Parce que nous sommes aimés, nous n’avons pas à craindre. Et parce que nous sommes aimés, nous avons à manifester cet amour au monde : le manifester par notre joie et notre sérénité, et le manifester en aimant.

Nous disions au début que les israélites devaient partager avec leurs frères parce qu’ils avaient reçu de Dieu ce qu’ils possédaient. C’est la même chose pour l’amour : nous devons le redonner puisque ce n’est pas le nôtre mais celui de Dieu.

Face aux épreuves inévitables de la vie, Paul nous invite simplement à les exprimer au Seigneur. Parler ainsi à Dieu, c’est déjà reconnaître qu’on ne s’en sortira pas seul, qu’on n’est pas « le plus puissant », qu’on a besoin de lui. Dieu ne peut pas faire grand chose pour nous si nous ne sommes pas « en attente » de lui.

Paul nous assure alors que la paix viendra.

 

La joie doit donc éclairer notre Avent.

« Dans le temps de l’Avent, (...) c’est vraiment la question de la disposition de nos cœurs qui nous est posée : si ton cœur est triste, tu ne feras sûrement pas l’œuvre de Dieu, quelle qu’elle soit. Si ton cœur est triste, tu n’accueilleras pas ce que Dieu veut te donner, tu ne l’accueilleras pas lui-même (...) La joie et la louange sont donc un choix initial. Un choix auquel le Seigneur nous appelle (...) Il est sage d’être joyeux en Dieu, même quand on a 36000 raisons d’être triste ou inquiet. ‘Que devons-nous faire ?’ En premier lieu nous réjouir. »x

Eschyle l’avait dit bien avant : « Même au milieu des maux, accordez à vos âmes la joie que chaque jour vous offre ».

Et Mère Térésa doit pouvoir nous interpeller quand elle disait : « Quand je vois quelqu’un de triste, je me dis toujours qu’il refuse quelque chose à Jésus » Que refusons-nous au Seigneur ? C’est-à-dire que refusons-nous de faire alors que cela nous donnerait davantage de vie ? Sur quoi nous enfermons-nous ?

 

Pour entrer dans cette joie, il faut donc accepter de prendre de la distance vis-à-vis de soi-même. Sortir de notre égoïsme naturel. Accepter de lâcher des choses, de donner comme nous y invite Jean-Baptiste. Il nous faut aussi certainement prendre de la distance avec notre société qui nous promet le bonheur dans la consommation. Un tel discours est particulièrement intelligent et efficace : puisque les biens ne peuvent pas nous rassasier, nous sommes condamnés à sans cesse consommer. Le système s’entretient ainsi par lui-même, malgré les crises et les laissés-pour-compte, et la joie disparue des visages.

 

En surfant sur internet, j’ai trouvé un site avec de nombreuses citations sur la joie. J’ai été surpris de constater que les citations des auteurs chrétiens contenaient souvent des allusions à l’épreuve, à la souffrance,... et finalement, heureusement pour vous, je n’en ai retenues aucune ! Pourtant, c’est assurément ce qui colle le mieux à la réalité. Trop souvent en effet on confond la joie, la paix, avec le plaisir immédiat. Je cite encore Khalil Gibran : 

« Le plaisir est un chant de liberté,

Mais il n’est pas la liberté.

Il est l’éclosion de vos désirs,

Mais il n’est pas leur fruit.

Il est une profondeur appelant un sommet ;

Mais il n’est ni l’abîme ni le faîte.

Il est le prisonnier prenant son essor,

Mais il n’est pas l’espace qui l’enveloppe.

Oui, en vérité, le plaisir est un chant de liberté.

Et volontiers je vous verrais le chanter à plein cœur ; mais ne voudrais point vous voir perdre vos cœurs  dans ce chant. »

 

L’auteur ne condamne pas le plaisir, au contraire il nous encourage à le vivre, mais il nous rappelle qu’il ne peut être le but. Nous ne pouvons chercher le plaisir, le bonheur ou la joie comme des biens à posséder, car alors ils ne nous rassasieront jamais.

Khalil Gibran a aussi une parole sur la joie, pleine de paradoxes comme les béatitudes :

         «Votre joie est votre tristesse sans masque.

         Et le même puits d’où fuse votre rire fut souvent rempli de larmes.(...)

         Plus profondément le chagrin creusera votre être, plus vous pourrez contenir de joie. »

 

La joie, la paix, ont un prix : celui d’accepter la réalité, et de travailler, aimer, espérer, à partir de ce qu’est cette réalité. C’est ce que fait Dieu quand il vient s’incarner. C’est ce qu’il fait quand il vit 30 ans de silence à Nazareth. C’est ce qu’il fait quand il poursuit résolument son chemin vers Jérusalem, comme nous le dit saint Luc (9,51). C’est ce qu’il fait en mourrant sur la croix, en espérant encore sur la croix, en se remettant dans les mains du Père sur la croix. Et tout cela s’éclaire dans la joie de la Résurrection ; tout cela s’illumine, advient, dans la joie simple du Noël chrétien.

 

Pour conclure je reprendrai quelques idées-force de ces textes ; elles sont toutes, à l’image de Jean-Baptiste, des appels : appel à aimer, à partager, à donner de la place en soi à l’autre ; appel à être en attente, à être vigilant ; appel à la joie, à « la joie dans le Seigneur », à l’espérance, à la confiance ; appel à construire sa vie sur du dur, sur ce qui est solide et qui traverse les épreuves inévitables de la vie ; appel à être en relation avec soi-même, la création, les autres et Dieu.

 

Je termine avec la première phrase du cantique de ce jour :

        

« Voici le Dieu de mon salut ; j’ai confiance... » (Is 12, 2)