TROISIÈME DIMANCHE
DE L’AVENT
(année C – décembre
2009)
Ce matin on vous
a présenté le 2e dimanche avec les six premiers versets du 3e
chapitre de l’évangile de Luc. On vous situait Jean-Baptiste et son appel à la
conversion. L’évangile du 3e dimanche est tiré du même chapitre et
nous parle encore de Jean-baptiste. Entre ces deux textes liturgiques, trois
versets ont été omis (v.7-9) qui sont une menace de jugement :
« engeance de vipères... »
Notre page de ce
jour peut être divisée en deux parties :
- un
enseignement éthique (10-14)
- un enseignement messianique (15-18)
Un enseignement éthique :
« Les foules qui venaient se faire baptiser par Jean lui
demandaient : « Que devons-nous faire ? » Jean leur répondait : « Celui qui a
deux vêtements, qu'il partage avec celui qui n'en a pas ; et celui qui a de
quoi manger, qu'il fasse de même ! » Des publicains (collecteurs d'impôts)
vinrent aussi se faire baptiser et lui dirent : « Maître, que devons-nous faire
? » Il leur répondit : « N'exigez rien de plus que ce qui vous est fixé. » A
leur tour, des soldats lui demandaient : « Et nous, que devons-nous faire ? »
Il leur répondit : « Ne faites ni violence ni tort à personne ; et
contentez-vous de votre solde. » (Lc 3, 10-14)
Les auditeurs de Jean sont interpellés par sa parole,
et peut-être même davantage par sa personne. Dom Lode Van Hecke, l’abbé
d’Orval, nous disait, lors d’une
session, que Jean n’avait pas de programme particulier ; que son programme
c’était sa personne. Pour savoir ce qu’il avait à nous dire, il fallait venir
jusqu’à lui.
Et c’est ce que
font les foules. Elles viennent à lui et lui posent cette question :
« Que devons-nous faire ? »
La conversion ne
se situe donc pas uniquement aux niveaux des pensées et des sentiments, mais au
niveau de l’agir. Il nous faut des actes ! Saint Benoît, dans le Prologue
de la Règle, nous dit que « le Seigneur attend de nous que, chaque
jour, nous répondions par des actes à ses saintes leçons » (35).
Le père Anselm
Grün ajoute que « se convertir, ce n’est pas seulement voir et
reconnaître, c’est aussi décider. Je décide de vivre autrement, vivre selon la
volonté de Dieu et selon ma nature propre. »
Luc nous
présente trois catégories de personnes, trois exemples pour nous éclairer.
D’abord « les
foules », c’est-à-dire nous tous et peut-être plus exactement ceux qui
ont plus que le nécessaire pour subsister ; ceux qu’on pourrait appeler, à
l’échelle de la planète, les personnes aisées, privilégiées. Ceux-là,
Jean-baptiste les invite à partager leur surplus. « Si quelqu’un a deux
tuniques, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; si quelqu’un a de quoi
manger, qu’il fasse de même ».
Le thème que
nous avons retenu pour les cinq conférences de ce week-end est celui de la
solidarité. En reprenant ces quelques mots de Jean-Baptiste, j’oserais dire que
j’ai rempli mon contrat et que je n’ai pas besoin de vous en dire
davantage ! Ces paroles de Jean sont d’une simplicité extrême ; on
pourrait presque dire qu’elles sont un résumé ou, pour d’autres, une caricature,
de ce qu’on appelle la charité chrétienne. Et pourtant, si vous envisagez de
les mettre en pratique ou si vous les mettez en
pratique, elles sont d’une force incroyable, elles sont un feu. Feu qui
purifie, parce que ce n’est pas facile de lâcher ce qui est à nous, notre
sécurité, notre confort ; feu qui embrase le monde d’amour.
André Thayse
écrit : « A ceux qui venaient quémander une guérison, une
bénédiction, une formule de prière, une recette de piété, une remise de péchés,
Jean lance cette parole terrible dans sa simplicité : ‘partager’. Voilà la
parole scandaleuse que personne ne voulait entendre, et qui est criée au
commencement des temps nouveaux. L’apparition se transforme en cauchemar,
chacun est dépouillé de sa fausse bonne volonté, de sa générosité factice, de
sa sentimentalité religieuse, de son hypocrisie. »
Notre difficulté
à partager nos richesses est révélatrice de notre pauvreté. Mais c’est en
reconnaissant cette pauvreté, en la présentant au Seigneur, que tout devient
possible.
Luc situe clairement
Jean-Baptiste comme le dernier prophète de l’Ancienne Alliance. Et en effet on
trouve déjà cette insistance sur le souci des pauvres dans l’Ancien Testament.
Nous avons l’un des plus bels exemples avec Isaïe : « Le jeûne que
je préfère, n’est-ce pas ceci : (...) partager ton pain avec
l’affamé ? Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si
tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras : devant celui qui est ta propre
chair, tu ne te déroberas pas. » Et il continue : « Alors
ta lumière poindra comme l’aurore (...) Tu appelleras et le Seigneur répondra »
(cf. Is 58,6-9) C’est dans cet amour, cette solidarité, que l’on peut donner au
Seigneur d’advenir.
Si l’homme doit
avoir le souci des plus pauvres, c’est parce que Dieu, dans la Bible, porte continuellement
leur souci et qu’ils sont en quelque sorte ses préférés. Si l’homme doit
partager avec eux, c’est aussi parce que tout est don. Dieu a créé le monde et
l’a remis entre nos mains. Nous sommes nous-mêmes des pauvres qui reçoivent.
Comment pourrions-nous alors ensuite revendiquer des droits et les opposer à la
misère de nos frères ?
Dieu a créé le
monde mais aussi il a promis à son peuple « une terre où coulent le
lait et le miel » (Ex 3, 8). Cette terre, Israël y vit. Elle est un
don et une bénédiction. Comment pourrions-nous alors priver l’un de nos frères
des fruits de cette terre, des fruits de la Promesse ?
Cette attitude
de partage est celle de la première communauté que nous décrit Luc dans les
Actes des Apôtres : « La multitude de ceux qui étaient
devenus croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme et nul ne considérait comme
sa propriété l’un quelconque de ses biens ; au contraire, ils mettaient
tout en commun. » (Ac 4, 32). Précisons néanmoins que si Luc insiste
tellement sur le partage, c’est que ce ne devait pas être évident pour tout le
monde !
On est donc bien
ici dans une dynamique d’amour, de fraternité, de solidarité.
On se situe
aussi, on l’a dit, dans cet appel à agir. Saint Jacques dit que « la
foi qui n’aurait pas d’œuvres est morte » et selon les traductions
« elle est morte tout à fait », « elle est morte en
elle-même » ou encore « elle est morte dans son isolement » (Jc
2,17). Une foi isolée est une foi qui n’agit pas, et elle est morte !
Maurice Zundel
donne une définition intéressante (et donc interpellante) du droit de propriété
et de n’importe quel droit de l’être humain : « Un espace de
sécurité qui permet à chacun, libéré des nécessités externes, de se libérer de
ses servitudes internes et de faire de lui-même un espace de générosité »
Pour peut-être
nous aider à relativiser notre attachement à ce que nous possédons, ou croyons
posséder, cette phrase de Raimon
Panikkar : « L’avoir est tout ce que l’être n’a pu encore
assimiler »
On se situe
aussi dans une recherche du nécessaire et d’abandon du superflu. Jean-Baptiste
a choisi de ne vivre que du nécessaire. Luc nous dit qu’il vit dans le désert
(Le père Joël de Cîteaux dit que « le
désert c’est le lieu où on trouve le puits. Si on est dans la distraction,(dans
le superflu), on ne trouve pas »). Nous connaissons les
descriptions de Matthieu et de Marc quant à l’alimentation et aux vêtements de
Jean. En ce temps de l’Avent, Jean nous invite certainement, une nouvelle fois,
à regarder ce qui est important pour nous, ce qui est nécessaire, et à nous
dépouiller de tout ce qui nous encombre, de ce qui prend de la place, de ce qui
prend la place de l’autre. Cherchons qu’elles sont nos trésors, nos véritables
trésors. C’est à partir d’eux que nous pourrons vivre et faire vivre. Dans un
article sur la richesse, Evode Beaucamp et Jacques Guillet disent que « la
vraie richesse n’est finalement pas celle qu’on possède mais celle qu’on donne ».
En passant, je dirais que cette définition nous éclaire sur l’immense richesse
du Christ qui donne tout à son Père et aux hommes, puisqu’il se donne
totalement.
Dans son livre
sur l’Avent, Jean-Baptiste Metz écrit : « c’est Dieu (...) qu’il
faudra rencontrer, non pas tel jour, en tel lieu, mais toujours et partout,
(... là) où s’évanouiront tous les masques et tomberont tous les déguisements
d’apparat, ne laissant subsister que la pauvreté gratuite de l’amour »
Nous nous
préparons à rencontrer Jésus, mais qu’avons-nous à lui offrir, à lui
présenter ? Quel est notre trésor ? Pour mieux le découvrir, on
peut parfois se situer face à la mort,
face à l’ultime rencontre. Qu’est-ce que je vais emmener avec moi
là-haut ? Jean Prévost, résistant tué lors de la prise du Vercors par les
nazis, écrivait :
« Pas
un regret ne m’importune
Je
suis content de ma fortune
J’ai bien vécu
Un
homme qui s’est empli l’âme
De
trois enfants et d’une femme
Peut mourir nu. »
Heureux donc
celui qui peut vivre ainsi de l’amour donné et reçu. Comme disait saint
François de Sales : « C’est l’amour qui fait faire le voyage »
de la vie.
Plus loin dans
l’évangile, Jean utilise l’image de la pelle à vanner, du vent qui fera le tri
entre ceux dont la vie a du poids et les autres. En hébreu, la gloire, c’est ce
qui a du poids. Avons-nous du poids ? Avons-nous quelque chose qui
témoigne de la gloire de Dieu ?
Saint Jean de la
Croix écrivait : « l’âme qui répand sa volonté dans des
bagatelles, ressemble à l’eau qui, ayant trouvé par où s’écouler en bas, ne
monte point en haut »
Un autre groupe
vient à la rencontre de Jean-Baptiste et lui pose la
question : « Que devons-nous faire ? » Ce sont
les collecteurs d’impôts. Jean les invite à l’honnêteté, à la justice.
Luc nous
donnera, au chapitre 19, l’exemple d’un collecteur d’impôts et de sa
conversion : il s’agit de Zachée. Et voici les fruits attendus par la
conversion : « Je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens
et, si j’ai fait du tort à quelqu’un, je lui rends le quadruple »
Enfin, troisième
groupe, les soldats qui posent toujours la même question. Ils sont invités à contrôler
leur force, au respect des personnes.
Dans certains pays en guerre actuellement, et notamment en Afrique, on connaît
les souffrances que peuvent provoquer les armées sur les populations civiles.
On peut noter
que Jean ne condamne personne pour son métier ou sa situation, mais il invite à
les exercer avec justice et dans le souci d’autrui. Le riche de la parabole du
pauvre Lazare au chapitre 16, n’est pas condamné pour sa richesse mais, comme
nous le disait, il y a quelques semaines, le père André Minet, « parce
que sa richesse l’aveugle ». Ne pas voir la détresse des autres, ne
pas entendre leur plainte ; être totalement désolidarisé parce qu’on ne
voit pas, parce qu’on ne voit plus. Être éveillé par Jean-Baptiste, c’est ne
pas se laisser prendre par l’habitude.
Dans les
Misérables, Victor Hugo fait dire à l’évêque, auquel il a donné le beau nom de
Monseigneur Bienvenu, qu’ « un prêtre opulent est un contre-sens.
Le prêtre doit se tenir près des pauvres. Or peut-on toucher sans cesse, et
nuit et jour, à toutes les détresses,
à toutes les infortunes, à toutes les
indigences, sans avoir soi-même sur soi un peu de cette sainte misère, comme la poussière du travail ? »
Dans les trois
réponses données par Jean-Baptiste, le père Guy Lafon reconnaît un appel à
« ne pas aller jusqu’au bout du pouvoir que l’on détient. Savoir se
retirer, savoir s’arrêter ». Une nouvelle fois il s’agit de laisser de
la place à l’autre, et c’est ce que nous devons essayer de faire pour pouvoir
accueillir Celui qui nous est donné à Noël.
La question du
« que faire ? » est plusieurs fois présente dans les deux récits
de Luc. D’abord au chapitre 10 de l’évangile. Un légiste demande à Jésus ce qu’il doit faire « pour
recevoir en partage la vie éternelle ? ». Jésus le renvoie au
double commandement : aimer Dieu et son prochain, et de là suit la
parabole du bon samaritain, merveilleux exemple de l’amour à donner, où le
prochain est celui dont je me fais proche. Je suis donc renvoyé là aussi à ma
responsabilité, à des actes.
Au chapitre 18,
c’est un notable qui pose la question à Jésus, mais face à l’invitation à tout
donner aux pauvres, il « devint tout triste car il était très riche ».
Jean-baptiste n’invitait personne à tout quitter, même si c’est le choix que
lui-même avait fait. Par ces paroles, Jésus peut nous inviter à aller plus loin, mais surtout, par cet
exemple, il nous montre comment il faut donner : de tout son être.
Les foules
venaient à Jean pour avoir une parole. Dans l’esprit de l’évangile, recevons
celle de Khalil Gibran :
« Vous
ne donnez que peu lorsque vous donnez de vos biens.
C’est
lorsque vous donnez de vous-même que vous donnez réellement.
Car,
que sont vos biens sinon des choses que vous conservez jalousement par crainte
d’en avoir besoin demain ? (...)
Et
qu’est la peur de la misère, sinon la misère elle-même ? (...)
Vous
dites souvent : ‘Je donnerai, mais seulement à ceux qui le méritent.’
Les
arbres de vos vergers ne parlent pas ainsi, ni les troupeaux dans vos
pâturages.
Ils
donnent afin de vivre, car retenir c’est périr. (...)
Car
en vérité, c’est la vie qui donne à la vie – alors que vous, qui vous imaginez
être donneurs, n’êtes en réalité que témoins. »
On retrouve
encore la même question du « que faire ? » dans les Actes des
Apôtres. Au chapitre 2, Pierre répond « convertissez-vous ; que
chacun de vous reçoive le baptême », c’est-à-dire la mise en relation
étroite avec le Seigneur Jésus et le don de l’Esprit. En Ac 16, Paul
répond : « Crois au Seigneur Jésus »
Ces réponses
nous conduisent à la seconde partie de notre évangile et à l’enseignement
messianique donné par Jean.
« Or, le peuple était en attente, et tous se
demandaient en eux-mêmes si Jean n'était pas le Messie. Jean s'adressa alors à
tous : « Moi, je vous baptise avec de l'eau ; mais il vient, celui qui est plus
puissant que moi. Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales.
Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu. Il tient à la main la
pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain
dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s'éteint
pas. » Par ces exhortations et bien d'autres encore, il annonçait au peuple la
Bonne Nouvelle. » (Lc
3, 15-18)
Après avoir été
interpellés, après s’être posés la question de ce qu’il faut faire, et après
s’être interrogés sur ce qui est notre vraie richesse, c’est-à-dire ce qui peut
nous donner de vivre réellement, les croyants se posent la question du Messie,
comme s’ils avaient compris que la vraie richesse n’est pas quelque chose mais
quelqu’un, et donc qu’elle est pour nous dans la relation avec ce quelqu’un.
Au début du
texte, Luc mentionnait « les foules » ; il parle
désormais du « peuple ». Il s’agit là du peuple des croyants.
On notera l’aspect corporel, solidaire, de la notion de peuple. On n’est pas
croyant tout seul.
Le peuple
attend. Guy Lafon dit que « pour être du peuple, il faut et il suffit
d’être dans l’attente ». Et nous, qu’attendons-nous ? Une visite,
un courrier, le repas, le week-end ou le bus, mais encore ? Le père Lafon
ajoute : « Attendre, ce n’est pas une chose, attendre, c’est une
manière d’être ». Quelle est notre manière d’être ?
Observons-nous quand nous attendons et nous aurons en partie la réponse.
Luc nous parle
de l’attente au milieu de notre texte, comme si l’attente aussi devait se
préparer, se cultiver.
En grec,
attendre se dit « prosdecomai ». Ce mot, et c’est
particulièrement signifiant pour nous, signifie aussi « accueillir ».
Derrière cette attente, il y a toute la dimension d’espérance d’Israël et la
nôtre. Le vieux Syméon, au Temple, « attendait la consolation d’Israël »
(Lc 2, 25). De même, la prophétesse Anne, au même chapitre, qui « parlait
de l’enfant (Jésus) à tous ceux qui attendaient la libération de
Jérusalem ». Plus tard, Jean-baptiste, de sa prison, envoie deux
disciples à Jésus pour lui demander : « Es-tu celui qui vient ou
devons-nous en attendre un autre ? » ( 7,19). Et la réponse de
Jésus touche une nouvelle fois à l’homme, à son souci de l’homme, à son amour pour
lui : « Rapportez à Jean ce que vous avez vu et entendu : les
aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit,... » Enfin, à
la mort de Jésus, au plus sombre, Joseph d’Arimathie demande à Pilate le corps
de Jésus, il le descend de la croix, l’enveloppe dans un linceul et le dépose
dans un tombeau. Luc nous dit de lui : « Il attendait le Règne de
Dieu » ( 23,51) Nous sommes ici au cœur de la nuit, en plein échec, à
la mort, et pourtant la flamme de l’espérance brûle encore dans le cœur de
Joseph. Vraiment une belle figure à contempler.
Jean Duplacy
nous dit que l’espérance « maintient la patience et la fidélité dont
l’expression majeure, pour le Nouveau Testament, est l’amour ». On
retrouve ainsi ici le discours éthique de Jean. Dans l’attente, il faut aimer.
Être en attente, c’est aimer ; aimer, c’est être en attente.
Toujours en lien
avec le discours de Jean, il existe une fausse espérance qui consiste à mettre
sa confiance (ou sa fuite) dans les choses - que ce soit l’avoir, le pouvoir ou
le savoir – plutôt qu’en Dieu ; dans le non-essentiel plutôt que dans
l’unique nécessaire. Ce peut être aussi mettre son espérance dans un culte
formaliste, et ici on sait que Jean-Baptiste est en rupture avec le culte de
son temps. Jean Duplacy ajoute que « pour être comblée, l’espérance
d’Israël doit renoncer à tout l’aspect matériel de son attente ».
Quelle place offrons-nous au matériel dans ce qui nous fait agir, dans ce qui
nous fait vivre ?
Jean nous
annonce Celui qui « vient,... le plus puissant que lui,... qui nous
baptisera dans l’Esprit Saint et le feu ». Le Messie vient et, comme
le dit encore Guy Lafon, « il est en train de venir dans votre
attente ». Finalement on attend Dieu comme une mère son enfant pour le
mettre au monde.
« Le plus
puissant ». C’est une qualification qui caractérise Dieu, et, à l’époque de
Jésus, le messie attendu. En lien avec Lc 11, 22, on pourrait
dire : le plus puissant que Satan, le plus puissant que le mal. Voilà
une expression de notre foi, de notre espérance. Dieu est plus puissant que le
mal et il a sur lui la victoire définitive.
Il nous donnera
l’Esprit qui, comme le disent Pierre et Paul, nous mettra en possession de toutes les promesses (Ac
2,38s ; Ga 3, 14).
Et l’Esprit nous
donnera la joie. Ce 3e dimanche de l’Avent est traditionnellement le
dimanche de la joie. Si nous relisons ce que nous dit saint Luc à propos de
Jean-Baptiste, nous ne relèverons pas d’abord la joie comme sa première
caractéristique. Pourtant notre page de ce jour se termine par ce sommaire positif : « Par
ces exhortations, et bien d’autres encore, Jean annonçait au peuple la Bonne
Nouvelle ». Notons aussi que, derrière la dramatique employée, avec
l’image de la pelle à vanner, la moisson est un temps de joie. Aloïs Stöger va
jusqu’à dire que « Jean est un messager de la joie », et
puisqu’il annonce la venue du Christ, c’est évidemment vrai. Jean, le
précurseur, est en tout les cas un veilleur éveilleur : dans sa
disponibilité à Dieu, il a su réveiller et éveiller le peuple. A nous de nous
laisser toucher par ceux qui nous invitent à cette écoute de la venue de Dieu
dans notre monde. Face à la menace qu’il fait peser sur nous - « quant
à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas » -
n’oublions pas que les pharisiens n’ont pas cru Jean, qu’ils ne l’ont pas
écouté (Cf. Mt 21,32) Et donc que nous aussi nous pouvons être sourds.
La joie est
clairement proclamée dans les deux lectures qui précédent l’évangile :
« Pousse
des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi,
tressaille d'allégresse, fille de Jérusalem ! Le Seigneur a écarté tes
accusateurs, il a fait rebrousser chemin à ton ennemi. Le roi d'Israël, le
Seigneur, est en toi. Tu n'as plus à craindre le malheur. Ce jour-là, on dira à
Jérusalem : « Ne crains pas, Sion ! Ne laisse pas tes mains défaillir ! Le
Seigneur ton Dieu est en toi, c'est lui, le héros qui apporte le salut. Il aura
en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera
pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête. » (So 3, 14-18a)
Sophonie est un
prophète de la fin du VIIe-début VIe s. av. JC. Période de menace puis de prise
de Jérusalem (587). Dans ce contexte dramatique, le prophète annonce que Dieu
n’abandonnera pas son peuple, qu’un avenir de vie et de joie viendra et, pour
cette raison, qu’il ne faut pas craindre les temps difficiles car, eux, ils
auront une fin. Voilà son espérance et, comme la joie, il veut la rendre
communicative.
Il utilise d’abord
des verbes à l’impératif comme pour nous signifier que la joie, la vraie, n’est
pas quelque chose qui nous tombe dessus sans prévenir, une joie sans lendemain,
mais une joie qu’il nous faut préparer, reconnaître, accueillir. Une joie qui
viendrait d’une libération : nous serions libérés de nos ennemis. Qui sont
nos ennemis ? De quoi avons-nous besoin d’être libérés ? De quoi le
Seigneur, « le plus puissant » comme disait Jean, ne serait-il
pas capable de nous libérer ? Car, comme dit Sophonie, « le
Seigneur ton Dieu est en toi », « au milieu de toi ».
Le Seigneur est en chacun de nous et en chacune de nos communautés, dans notre
Eglise, notre époque, notre monde. Nous devons donc faire ce que nous avons à
faire, et Jean-Baptiste nous a montré le chemin : agir en aimant et en
espérant. Dieu, lui, vient en ce monde pour transformer ces petits gestes et
pour leur donner toute leur puissance. Il vient transformer nos baptêmes
« avec de l’eau » en baptême « dans l’Esprit Saint et
dans le feu ».
Sophonie nous
invite à une invincible joie. Ecoutons encore : « Le Seigneur
ton Dieu aura en toi sa joie et son allégresse ; il te renouvellera par
son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie » Quelle
incroyable déclaration d’amour ! Je n’ai pas de commentaire à faire si ce
n’est à vous inviter à apprendre par cœur ces quelques mots et à vous les
répéter dans votre quotidien. Accueillons ces paroles, laissons-nous renouveler
par son amour.
On dit
qu’on ne peut pas vivre sans amour, que c’est l’amour qui donne la vie. Je
crois que nous avons véritablement ici des Paroles de vie, de création. Et
c’est en entendant Dieu nous les prononcer que nous pouvons peut-être ensuite
nous avancer vers nos frères avec le même amour.
Comment
peut-on être triste alors qu’on est aimé ? Comment avoir peur alors qu’on
est aimé ?
Dieu nous dit
qu’il a en nous sa joie et son allégresse, alors ne le privons pas de sa
joie ; accueillons son amour.
Entendons
l’évangéliste Jean : « Si vous observez mes commandements, vous
demeurerez dans mon amour, comme en observant les commandements de mon Père, je
demeure dans son amour. Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que
votre joie soit parfaite. Voici mon commandement : aimez-vous les uns les
autres comme je vous ai aimés. » (Jn 15, 10-12)
La deuxième lecture
est tirée de la lettre aux Philippiens :
« Frères,
soyez toujours dans la joie du Seigneur ; laissez-moi vous le redire : soyez
dans la joie. Que votre sérénité soit connue de tous les hommes. Le Seigneur
est proche. Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, dans
l'action de grâce priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes.
Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer, gardera votre cœur
et votre intelligence dans le Christ Jésus. » (Ph
4,4-7)
Paul écrit ce
texte alors qu’il est en prison et lui aussi nous parle de joie.
Comme Sophonie
et comme Isaïe dans le cantique, il utilise des verbes à l’impératif :
« soyez toujours dans la joie ». Et la raison est la
même : « le Seigneur est proche ». Parce que nous sommes
aimés, nous n’avons pas à craindre. Et parce que nous sommes aimés, nous avons
à manifester cet amour au monde : le manifester par notre joie et notre
sérénité, et le manifester en aimant.
Nous disions au
début que les israélites devaient partager avec leurs frères parce qu’ils
avaient reçu de Dieu ce qu’ils possédaient. C’est la même chose pour
l’amour : nous devons le redonner puisque ce n’est pas le nôtre mais celui
de Dieu.
Face aux
épreuves inévitables de la vie, Paul nous invite simplement à les exprimer au
Seigneur. Parler ainsi à Dieu, c’est déjà reconnaître qu’on ne s’en sortira pas
seul, qu’on n’est pas « le plus puissant », qu’on a besoin de
lui. Dieu ne peut pas faire grand chose pour nous si nous ne sommes pas « en
attente » de lui.
Paul nous assure
alors que la paix viendra.
La joie doit
donc éclairer notre Avent.
« Dans le
temps de l’Avent, (...) c’est vraiment la question de la disposition de nos
cœurs qui nous est posée : si ton cœur est triste, tu ne feras sûrement
pas l’œuvre de Dieu, quelle qu’elle soit. Si ton cœur est triste, tu
n’accueilleras pas ce que Dieu veut te donner, tu ne l’accueilleras pas
lui-même (...) La joie et la louange sont donc un choix initial. Un choix
auquel le Seigneur nous appelle (...) Il est sage d’être joyeux en Dieu, même quand
on a 36000 raisons d’être triste ou inquiet. ‘Que devons-nous faire ?’ En
premier lieu nous réjouir. »x
Eschyle l’avait
dit bien avant : « Même au milieu des maux, accordez à vos âmes la
joie que chaque jour vous offre ».
Et Mère Térésa
doit pouvoir nous interpeller quand elle disait : « Quand je vois
quelqu’un de triste, je me dis toujours qu’il refuse quelque chose à Jésus »
Que refusons-nous au Seigneur ? C’est-à-dire que refusons-nous de faire
alors que cela nous donnerait davantage de vie ? Sur quoi nous
enfermons-nous ?
Pour entrer dans
cette joie, il faut donc accepter de prendre de la distance vis-à-vis de
soi-même. Sortir de notre égoïsme naturel. Accepter de lâcher des choses, de
donner comme nous y invite Jean-Baptiste. Il nous faut aussi certainement
prendre de la distance avec notre société qui nous promet le bonheur dans la
consommation. Un tel discours est particulièrement intelligent et
efficace : puisque les biens ne peuvent pas nous rassasier, nous sommes
condamnés à sans cesse consommer. Le système s’entretient ainsi par lui-même,
malgré les crises et les laissés-pour-compte, et la joie disparue des visages.
En surfant sur
internet, j’ai trouvé un site avec de nombreuses citations sur la joie. J’ai
été surpris de constater que les citations des auteurs chrétiens contenaient
souvent des allusions à l’épreuve, à la souffrance,... et finalement,
heureusement pour vous, je n’en ai retenues aucune ! Pourtant, c’est
assurément ce qui colle le mieux à la réalité. Trop souvent en effet on confond
la joie, la paix, avec le plaisir immédiat. Je cite encore Khalil
Gibran :
« Le
plaisir est un chant de liberté,
Mais
il n’est pas la liberté.
Il
est l’éclosion de vos désirs,
Mais
il n’est pas leur fruit.
Il
est une profondeur appelant un sommet ;
Mais
il n’est ni l’abîme ni le faîte.
Il
est le prisonnier prenant son essor,
Mais
il n’est pas l’espace qui l’enveloppe.
Oui,
en vérité, le plaisir est un chant de liberté.
Et
volontiers je vous verrais le chanter à plein cœur ; mais ne voudrais
point vous voir perdre vos cœurs dans ce
chant. »
L’auteur ne
condamne pas le plaisir, au contraire il nous encourage à le vivre, mais il
nous rappelle qu’il ne peut être le but. Nous ne pouvons chercher le plaisir,
le bonheur ou la joie comme des biens à posséder, car alors ils ne nous
rassasieront jamais.
Khalil Gibran a
aussi une parole sur la joie, pleine de paradoxes comme les béatitudes :
«Votre joie est votre tristesse sans
masque.
Et le même puits d’où fuse votre rire
fut souvent rempli de larmes.(...)
Plus profondément le chagrin creusera
votre être, plus vous pourrez contenir de joie. »
La joie, la
paix, ont un prix : celui d’accepter la réalité, et de travailler, aimer,
espérer, à partir de ce qu’est cette réalité. C’est ce que fait Dieu quand il vient
s’incarner. C’est ce qu’il fait quand il vit 30 ans de silence à Nazareth.
C’est ce qu’il fait quand il poursuit résolument son chemin vers Jérusalem,
comme nous le dit saint Luc (9,51). C’est ce qu’il fait en mourrant sur la
croix, en espérant encore sur la croix, en se remettant dans les mains du Père
sur la croix. Et tout cela s’éclaire dans la joie de la Résurrection ;
tout cela s’illumine, advient, dans la joie simple du Noël chrétien.
Pour conclure je
reprendrai quelques idées-force de ces textes ; elles sont toutes, à
l’image de Jean-Baptiste, des appels : appel à aimer, à partager, à donner
de la place en soi à l’autre ; appel à être en attente, à être
vigilant ; appel à la joie, à « la joie dans le
Seigneur », à l’espérance, à la confiance ; appel à construire sa
vie sur du dur, sur ce qui est solide et qui traverse les épreuves inévitables
de la vie ; appel à être en relation avec soi-même, la création, les
autres et Dieu.
Je termine avec
la première phrase du cantique de ce jour :
« Voici
le Dieu de mon salut ; j’ai confiance... » (Is 12, 2)