CONFÉRENCE DE M. CHRISTIANA
B.M. Nishinomiya

Chercher Dieu en vérité

Une vocation cistercienne

            Les motivations de ceux qui se sentent appelés à une vie cistercienne ordonnée tout entière à la contemplation sont souvent quelque peu différentes: aimer Dieu seul, donner toute leur vie à Dieu, vivre avec le Christ, etc... Cependant, une fois entrés au monastère, leur idéal mis à l'épreuve de la vie quotidienne, ils comprennent peu à peu qu'une seule chose leur est demandée: chercher Dieu en vérité. C'est là l'exigence absolue de la Règle, exigence qui doit désormais saisir toute leur vie. La plupart se demandent, non sans appréhension et inquiétude: Jusqu'où cela me mènera-t-il? Marchant comme des aveugles sur les chemins aventureux de la foi, après une période plus ou moins longue, ils sortent des ténèbres et aperçoivent enfin une faible lueur d'espoir. Guidés par l'exemple des anciens, confortés par l'atmosphère de la communauté, ils parviennent à trouver la perle cachée dans la vie cistercienne. Ils savent maintenant ne plus pouvoir compter sur leurs propres forces et sont comme acculés à s'abandonner à Dieu dans la foi.

La Règle, interprétation concrète de l'Évangile

            Quand le temps vient de s'engager pour la vie dans l'alliance avec Dieu, le sens et la forme même de leur don leur est mis sur les lèvres par l'entremise de la Règle: "Je promets d'obéir à mon abbé selon la Règle, jusqu'à la mort." Comment ne pas avoir alors dans le coeur l'image du Christ des Évangiles qui, dans le mouvement même où il leur révèle l'amour de son Père, leur ouvre en quelque sorte, pour le leur faire partager, le secret insondable de son être de Fils devenu pour nous la Parole incarnée qui murmure à notre coeur: "Je fais toujours ce qui lui plaît." Certes, l'entrée dans ce mystère ne diminue pas les difficultés de la vie quotidienne mais elles deviennent alors l'occasion de se confier toujours plus en Celui qui daigne faire de leur coeur une demeure. L'écoute de la Parole exige d'eux une conversion totale, un retournement complet sans cesse renouvelés et leur donne la vraie compréhension de l'enseignement de la Règle sur l'humilité, condition sine qua non de leur relation au Seigneur. "L'obéissance est le propre de ceux qui n'ont rien de plus cher que le Christ."

            Si la Règle est le fruit de la tradition monastique, si elle a été pour nos Pères de Cîteaux une source de renouveau, si, grâce à elle, ils ont pu nous laisser en héritage une spiritualité cistercienne d'une richesse et d'une diversité si admirable, pourquoi cette même Règle ne pourrait-elle pas être encore pour nous qui vivons dans la post-modernité et dans des cultures si différentes, la source d'un vrai renouveau et d'un avenir plein de promesses?

La vie cénobitique qui donne vie à la Parole

            Je n'ai nullement l'intention de traiter en long et en large de la vie communautaire. Je voudrais simplement dire quelques mots sur certains éléments de notre vie qui pourraient à l'heure actuelle mettre en danger l'aspect contemplatif de notre vie et devraient peut-être attirer notre attention.

Le travail manuel

            Nos Pères de Cîteaux croyaient en la valeur formatrice du travail manuel exécuté en commun. S'il est un facteur d'équilibre pour le corps et l'esprit, il est aussi un des éléments qui fait l'unité de la communauté. Qu'en est-il actuellement? Beaucoup de monastères se voient obligés d'abandonner l'agriculture et se livrent à des travaux artisanaux ou même industriels. Faut-il viser à obtenir le plus grand rendement, le plus grand profit possible en multipliant machines et mains-d'oeuvre extérieures? Que penser lorsque l'économie du monastère repose presque tout entière sur des activités commerciales? Quelle influence cela aura-t-il à la longue sur l'aspect contemplatif de nos vies monastiques?

L'entraide fraternelle

            La vie cénobitique rassemble dans une communion fraternelle ceux qui cherchent vraiment Dieu. Par le voeu de stabilité, le moine se donne tout entier à sa communauté. Il sait qu'il trouvera en elle une aide puissante pour le libérer de sa volonté propre de l'entraîner, avec toujours plus de vérité, dans la recherche de Dieu. Sans la présence d'anciens vraiment spirituels, il est difficile de discerner si notre recherche de Dieu est incarnée dans notre vie quotidienne. Il n'y a pas d'aide plus précieuse dans la vie du moine que la présence de ces êtres qui ont su se débarrasser de leur vétusté et qui sont devenus, sans le savoir, devant Dieu et devant leurs frères, d'une totale simplicité. Les réunions communautaires et l'entraide  fraternelle approfondissent notre compréhension mutuelle et, dans nos différences même, nous font entrevoir des visages du Christ encore inconnus de nous. Aimant parce qu'aimés, dans la joie des enfants de Dieu, nous sommes alors capables de partager le pardon mutuel.

La lectio divina

            Tous nous reconnaissons l'importance de la lecture de la Bible qui est comme le signe, le sacrement où se trouve cachée la réalité du salut. Pour que les Écritures s'incarnent dans le coeur du moine, qu'elles le dégagent d'un moralisme mortel, une sérieuse formation, non seulement à la lectio divina mais à l'acte de lecture au sens large du mot, me paraît nécessaire dès les débuts de la vie monastique. Beaucoup de nos jeunes se contentent de déchiffrer les textes de façon superficielle. En parlant de l'Écriture, je n'exclus évidemment pas la lecture des Pères de l'Église et celle de nos Pères cisterciens selon les possibilités de chaque langue et l'attrait de chacun. Notre horaire, il va sans dire, devrait donner une place importante à la lecture afin qu'elle soit vraiment fructueuse.

L'Opus Dei

            La vie monastique est tout entière Opus Dei. Si l'Eucharistie est le coeur et le sommet de notre vie, par l'Office divin, écho de la grande louange eucharistique, le moine entre dans les paroles inspirées des psaumes, les fait siennes et, porté par l'Esprit qui les anime, se transforme peu à peu en l'image de Celui à qui s'adresse sa louange. Notre liturgie, pour laisser à l'Esprit un espace aussi grand que possible, se doit de rester dans la simplicité de nos Pères de Cîteaux. Là, le coeur et les lèvres concordent plus facilement. Est-il nécessaire de dire que le respect de la vérité des heures est très importante, plus sans doute que le lieu où nous les célébrons. L'étude des psaumes dès l'entrée au monastère me paraît aussi indispensable.

            Il est certes possible de vivre les éléments de notre vie de diverses façons. J'ai simplement voulu dire ici une expérience de vie cistercienne, à la fois personnelle et communautaire, que nous vivons grâce à l'exemple et l'aide de ceux qui, j'ose le dire, ont été  - ou sont encore - nos Pères dans la vie monastique. En eux ou en elles, nous entrevoyons déjà la moisson recueillie dans le combat de chaque jour; leur paix et leur joie nous sont un gage de ce que la Règle nous promet dans le Prologue: "À mesure que l'on progresse dans la vie monastique et dans la foi, le coeur se dilate, et l'on court dans la voie des commandements de Dieu, avec la douceur ineffable de l'amour." N'est-ce-pas là une vraie vie contemplative?