Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

 

Si le schisme au niveau doctrinal n’est pas vraiment un danger pour l’Église contemporaine, celui au niveau de la sensibilité ecclésiale, est un fait. Une génération charnière l’empêche de se réaliser pleinement.

 

 

Les trois Églises

 

          Le hasard m’a fait relire récemment un article de Jack Dominian publié dans la revue anglaise The Tablet en 1985. Même si cet article date de plus d’un quart de siècle, il est tout à fait d’actualité. L’auteur y parlait de trois Églises. La première était composée des personnes les plus âgées, nostalgiques du bon vieux temps, demeurées attachées aux pratiques religieuses traditionnelles, soucieuses d’orthodoxie doctrinales et se conformant aux règles de la morale catholique.  À cette Église appartenaient la majorité des catholiques pratiquants et  la plupart des prêtres âgés.

 

          La seconde Église était petite par rapport à la première. Elle se composait de ceux qui dans les vingt ans qui avaient suivi Vatican II, s’étaient efforcés d’appliquer les intuitions du Concile, spécialement dans les domaines de la coresponsabilité et de l’engagement social ainsi que dans la formation d’authentiques communautés.  Elle s’intéressait à l’œcuménisme, à une liturgie vraie, à une prière ancrée dans un monde sécularisé.  Les problèmes qui préoccupaient cette seconde Église laissaient la première tout à fait indifférente. Les Catholiques pratiquants de la messe du dimanche appartenaient à ces deux Églises.

 

Et puis, il y avait une troisième Église, naissant de la mort de la première.  C’était l’Église des jeunes baptisés, croyant en Dieu et ayant de fortes convictions morales, un grand besoin de prière, un engagement à l’égard des réalités transcendantales, un sens profond des relations humaines et une soif de justice sociale – mais sans le moindre désir, dans la plupart des cas, d’appartenir à l’Église institution. 

         

            Dominian pensait qu’une génération plus tard la première de ces deux Églises aurait pratiquement disparu et que la majorité des Catholiques appartiendraient à la troisième. En réalité ce qui s’est produit est que c’est la deuxième Église qui a presque disparu, la majorité de ceux qui la formaient ayant rejoint les rangs de la première.  Par ailleurs, la troisième est bien vivante et constitue probablement l’avenir de la chrétienté.

 

Le charisme d’Assise

 

          J’écris ces lignes d’Assise où la famille franciscaine célèbre cette année le huitième centenaire du jour où Claire, une jeune noble de 18 ans, s’enfuyant de sa famille et renonçant à un mariage plein d’avenir, venait rejoindre le petit groupe de jeunes marginaux réunis autour de François à la Portioncule. La fraîcheur de ce charisme est toujours présente à Assise. On n’y retrouve pas, en général, de grands rassemblements. Mais on y rencontre constamment de petits groupes de pèlerins, souvent des jeunes, venant de partout boire à l’esprit d’Assise. Ils n’attirent guère d’attention, comme les JMJ ou encore les rencontres de Taizé, devenues deux institutions du phénomène religieux contemporain.  Mais ils sont les manifestations de petites communautés réengendrant la grande communion ecclésiale qu’on appelle Église.

 

 

Un schisme ?

 

          Les schismes se situant au niveau de la foi ne sont guère un danger pour l’Église d’aujourd’hui, les divisions issues du phénomène lefebvrien ne méritant pas ce nom et relevant plutôt du folklore religieux.  Il y a cependant bel et bien un schisme entre la première et la troisième Églises, telles que décrites plus haut. Il se situe au niveau de la sensibilité ecclésiale.  L’une garde sa confiance en l’avenir, en s’appuyant sur l’évènement nommé Vatican II ; l’autre se nourrit de nostalgie en regardant en arrière par-dessus cet évènement.  Heureusement qu’un reste de la deuxième Église, constituée de témoins d’une génération en voie de disparition, constitue un trait d’union empêchant que le schisme ne se réalise totalement.

 

Armand VEILLEUX