Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

On ne semble pas trouver de nos jours en grand nombre des théologiens de la classe de ceux à qui on doit pour une large par les grands textes de Vatican II. Serait-ce que leur mission, distincte de celle du magistère, n’est pas suffisamment reconnue ?

 

Théologiens recherchés !

 

          À Vatican II, les pères conciliaires purent compter sur l’aide essentielle de nombreux théologiens de grande qualité académique et spirituelle.  On demeure encore émerveillé, de nos jours, du nombre de spécialistes de très haut niveau que comptait alors l’Église, même si elle sortait d’une période pénible pour les théologiens, dont, depuis Humani generis, on n’attendait guère plus que de trouver dans la Tradition des textes justifiant les énoncés du Magistère.

 

          Cinquante ans plus tard, s’il y a sans doute dans nos facultés de théologie d’excellents professeurs ; il est bien difficile de discerner une « collection » de théologiens de la classe de ceux qui avaient survécu courageusement à Humani generis et sans la sagesse de qui les grands textes de Vatican II n’auraient pas vu le jour. Qu’on pense à un Karl Rahner, un Yves Congar, un Henri de Lubac, et tant d’autres. Peut-être que ceux d’aujourd’hui écrivent pour le moment dans le secret comme le Père de Lubac écrivit son admirable Méditations sur l’Église, alors qu’il lui était interdit d’enseigner.  Faut-il être presque centenaire comme le Père Joseph Moingt pour parler librement sans rien craindre ?

 

Deux missions complémentaires

 

          Les théologiens ont toujours eu dans l’Église un rôle distinct de celui du magistère et complémentaire de celui-ci. Ils sont déjà mentionnés dans le Nouveau Testament, où ils sont appelés docteurs (didascales en grec). Alors que le rôle du magistère est de transmettre intact le donné de la foi, celui des théologiens est de repenser sans cesse les formulations de ce donné pour qu’il puisse être reçu et compris par les hommes et les femmes de tous les temps.

 

          Si une nouvelle évangélisation est perçue comme plus nécessaire que par le passé, c’est qu’un fossé s’est créé entre les formules dogmatiques et les cultures modernes en rapide évolution.  Toutes ces cultures doivent être de nouveau remises en contact avec le donné évangélique. Une nouvelle évangélisation qui serait pensée d’en haut et véhiculée à travers une longue chaîne de transmission jusqu’à chacune des Églises locales ne trouverait que bien peu de réception.  Encore moins si elle était le produit de quelques escadrons de « nouveaux évangélisateurs » appliquant les mêmes méthodes au niveau mondial.  Une transmission renouvelée n’est possible que s’il y a en chaque Église locale aussi bien des pasteurs éclairés et dévoués que des théologiens courageux en syntonie avec leur culture. Ensemble, pasteurs et théologiens doivent pouvoir non seulement transmettre le donné de la foi d’une façon compréhensible, mais aussi interpeller la culture à la lumière de l’Évangile. C’est ce qu’on appelle inculturation.

 

 

 

 

Pour une liberté de recherche

 

          Si les théologiens d’aujourd’hui, que nous recherchons, ne se manifestent que timidement, c’est peut-être parce qu’ils sont recherchés… d’une autre façon. Trop, parmi les meilleurs, ont été mis en examen – un Jon Sobrino et un Jacques Dupuis, par exemple. Il appartient à la mission du théologien d’investiguer des voies nouvelles d’intelligence de la foi.  Il lui appartient d’être aventureux et même audacieux, sachant se soumettre à l’examen et à la correction de ses pairs. C’est ainsi que progressent toutes les sciences ; et la théologie est une science. C’est sans doute pourquoi, peu de temps après Vatican II, en 1968, dans la foulée d’une mise en examen du Père Edward Schillebeeckx, un groupe de 1360 théologiens signèrent un document demandant une juste liberté de recherche et d’expression pour les théologiens. Parmi les jeunes signataires se trouvaient Walter Kasper et Josef Ratzinger.

 

          On ne peut qu’espérer que, dans le contexte de la Nouvelle Évangélisation, les théologiens assument sans crainte leur responsabilité au sein de chaque Église locale.

 

 

Armand VEILLEUX

 

Publié dans L'Appel, nº 344, février 2012