ÉVÉNEMENTS monastiques



(Dernière mise à jour le 12 mai 2008)

 

 

 
 

Une Synaxe cistercienne
Cîteaux, 17-19 mars 1998

Synaxis est un mot grec signifiant "réunion". Il était utilisé dans les écrits monastiques anciens pour désigner la réunion des moines pour l’Eucharistie et les autres moments de prière commune, comme aussi pour d’autres types de rencontres. On a cru que ce nom convenait tout à fait pour désigner la rencontre de Cisterciennes et Cisterciens qui eut lieu à l’abbaye de Cîteaux du 17 au 19 mars 1998, tout juste avant la célébration du 9ème centenaire de la fondation de l’abbaye, le 21 mars.

Cette "Synaxe cistercienne" fut une rencontre de moines et de moniales appartenant à toutes les branches de la famille cistercienne. Mais qu’est au juste cette "famille cistercienne"? -- Pour répondre à cette question il faut remonter loin dans l’histoire.

Notons tout d’abord que la Règle de saint Benoît n’envisage aucune forme de fédération entre monastères. Elle s’occupe simplement de la vie monastique telle qu’elle est vécue dans chaque monastère, sous une règle et un abbé. La réforme monastique de Benoît d’Aniane, dans le contexte de la réforme carolingienne de l’Église, fut la première en Occident à introduire un lien de dépendance entre un monastère et un autre; et la grande réforme de Cluny porta cette expérience à ses limites extrêmes. En effet les fondations de Cluny étaient des maisons dépendantes de l’abbaye fondatrice, de telle sorte que les moines de ces fondations faisaient profession pour Cluny et avaient l’abbé de ce monastère comme leur abbé. Cîteaux, à travers sa Carta Caritatis, fut unique en son genre, établissant une structure qui préservait l’autonomie de chaque monastère tout en maintenant des liens de charité entre les maisons et en donnant même une expression juridique à cette communion, à travers les institutions de la filiation, de la visite et des chapitres généraux. Cîteaux fut le premier "Ordre" monastique au sens strict.

Par suite d’une longue série de situations historiques, les monastères qui vivent aujourd’hui selon l’idéal cistercien appartiennent à divers Ordres ou Congrégations. Il y a aussi quelques monastères n’appartenant à aucun Ordre ou Congrégation. Tout en représentant une grande variété d’expressions du charisme cistercien, toutes ces communautés de femmes et d’hommes ont clairement quelque chose en commun. Si nous cherchons une expression qui puisse servir à désigner l’ensemble de ces expressions, celle qui vient immédiatement à l'esprit est celle de "famille cistercienne".

De fait, c’est à la "famille cistercienne", même sans faire mention d’aucun Ordre ou Congrégation en particulier, que le Pape Jean-Paul II a adressé une lettre à l’occasion du 9ème centenaire de la fondation de Cîteaux.

Il y avait à Cîteaux, pour la Synaxe cistercienne des 17-19 mars 1998: a) des soeurs et des frères appartenant à diverses congrégations formant l’"Ordre cistercien" (Ordo cisterciensis, autrefois appelé "Saint Ordre de Cîteaux" ou "Commune Observance");     b) l’"Ordre Cistercien de la Stricte Observance" (appelé communément "Trappistes"),    c) l’"Ordre des moniales cisterciennes d’Esquermes", d) la "Congrégation cistercienne de Saint Bernard" en Espagne (connue sous le nom de Las Huelgas), et e) les soeurs "Bernardines d’Oudenaarde". Il y avait aussi deux femmes laïques représentant des groupes de laïcs associés à des monastères cisterciens.

La réunion n’avait pas de caractère officiel et ses membres n’avaient pas de mandat pour prendre quelque décision que ce soit ou même pour "représenter" officiellement leur Ordre ou Congrégation. Le but principal de la réunion était de passer quelque temps ensemble, comme des soeurs et des frères, et d’apprendre à mieux se connaître. L’atmosphère fut excellente dès le début. Le niveau de décibels, qui n’a cessé de s’élever d’un repas à l’autre au réfectoire, était une claire manifestation de la vivacité de la communication.

Nous avons appris à nous mieux connaître, en premier lieu au cours des contacts informels, mais aussi par les communications faites en assemblée plénière et aussi dans la réflexion en petits groupes. Dom Mauro Esteva, l’Abbé Général de l’Ordre Cistercien, expliqua la structure de son Ordre, composé de congrégations ayant chacune son abbé président et son chapitre général. Dom Bernardo Olivera, l’Abbé Général de l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance, utilisa des statistiques pour expliquer l’évolution de l’Ordre au cours des dernières décennies, montrant une augmentation constante du nombre de monastères, malgré une certaine décroissance dans le nombre total des moines et des moniales, et un déplacement graduel du centre de l’Ordre qui, d’européen et surtout français qu’il était il y a cinquante ans, est devenu de plus en plus multinational et multiculturel, avec un nombre toujours plus grand de communautés d’Afrique, d’Amérique du Sud et de l’Asie/Pacifique. Les deux Abbés Généraux on mentionné les progrès faits depuis Vatican II en ce qui concerne la participation des moniales dans les institutions centrales des Ordres, spécialement dans les Chapitres Généraux et dans les divers corps juridiques intermédiaires, tels que le Synode de l’OC ou la Commission Centrale et le Conseil Permanent de l’OCSO.

Mère Joséphine Mary, la Prieure Générale des moniales cisterciennes d’Esquermes, expliqua l’évolution historique de son Ordre, dont les débuts remontent à l’abbaye d’Annay, fondée en 1196, et qui a maintenu son identité cistercienne à travers bien des vicissitudes. Elle souligna à la fois la souffrance du passé et leur joie actuelle d’être reconnues comme membres authentiques de la famille cistercienne. Mère María Jesús Fernández décrivit l’évolution des Soeurs de la Congrégation de saint Bernard, comprenant vingt-six monastères dont plusieurs, comme Las Huelgas, remontent jusqu’au XIIème siècle. Après être devenues une fédération en 1954, elles ont récemment été reconnues comme une congrégation ayant son propre chapitre général et son abbesse présidente, et sont rattachées particulièrement à l’OCSO à travers un Décret d’Association du Saint Siège. Soeur Noëlla Ghijs nous expliqua qui sont les soeurs Bernardines d’Oudenaarde. La plupart ne les connaissaient guère qu’à travers la liste de leurs adresses (en très petits caractères!) que l’on peut lire dans l’Elenchus Monasteriorum de l’OCSO, au moins jusqu’à ce qu’elles deviennent mieux connues de certains d’entre nous à cause de la grande générosité manifestée par leurs soeurs du Rwanda à l’égard de nos moniales et de nos moines du Zaïre lors des événement tragiques des dernières années.

Il devint évident pour tous les participants, à l’écoute de ces interventions – traduites simultanément en français, anglais, espagnol et allemand – que toutes ces expériences non seulement sont autant de manifestations légitimes et authentiques du même charisme cistercien, mais aussi que cette diversité elle-même est une grande richesse.

La lettre du Pape à la famille cistercienne devait être rendue publique le 21 mars, mais comme le texte nous en avait été communiqué quelques jours avant la Synaxe, nous l’avons lue durant la session d’ouverture. Cette écoute en commun fut une expérience très forte. Nous avons ensuite réfléchi sur ce texte en petits groupes linguistiques et nous nous sommes tous reconnus dans la spiritualité qu’il décrit. Les références nombreuses à la Règle de saint Benoît tout au long de cette lettre – que pourrait-il y avoir de plus cistercien? – ont frappé plusieurs d’entre nous. Un passage de la lettre fut perçu par tous comme un défi et une mission:

Revenant aujourd'hui à son inspiration primitive, après neuf siècles d'histoire continue pas toujours exempte de vicissitudes, la famille cistercienne se reconnaît en la grâce fondatrice des premiers Pères. Elle découvre aussi la légitime diversité de ses traditions, qui sont une richesse pour tous et qui expriment la vitalité du charisme originel; l'Église y voit l'œuvre de l'unique Esprit à partir d'un don identique.

En cette célébration de la fondation de Cîteaux, j'encourage vivement les communautés qui forment la grande famille cistercienne à entrer ensemble dans le nouveau millénaire, en véritable communion, dans la confiance mutuelle et dans le respect des traditions léguées par l'histoire (Nº 7).

Des "laïcs cisterciens" étaient aussi présents à la Synaxe. Madame Jacqueline Rychlicki décrivit l’expérience d’un groupe de laïcs formant une communauté laïque associée au monastère de Holy Spirit à Conyers, en Géorgie, aux États-Unis, et qui s’efforcent de traduire dans leur vie dans le monde les aspects fondamentaux de la spiritualité cistercienne. Elle mentionna d’autres groupes des États-Unis vivant le même idéal de façons variées. Madame Denise Baudran décrivit une expérience semblable vécue par un groupe de laïcs appartenant à une association appelée "La Grange Saint Bernard", à Clairvaux, et dont un nombre plus restreint ont établi une relation plus étroite avec la communauté de Cîteaux. Madame Veronica Onyedika Chidi Umegakwe était censée venir du Nigeria pour nous expliquer une expérience semblable, mais elle fut retenue en son pays par la béatification du bienheureux Cyprian Michael Iwene Tansi, qui eut lieu au Nigeria le 22 mars. Elle nous aurait parlé d’une organisation appelée "Father Tansi Solidarity Prayer Movement" (et mieux connue par le peuple comme "Friends of Father Tansi"), qui compte environ 50,000 membres (portant, pour les circonstances importantes – comme une béatification – un habit blanc et noir les faisant tous ressembler à des Cisterciens!) et un groupe plus restreint qui a développé une relation spéciale avec le monastère d’Awhum au cours des dernières années, et qui se nomment les "Father Tansi’s (lay) Contemplatives".

Cette nouvelle expression du charisme cistercien réalisée de nos jours par des laïcs, n’est pas absent des préoccupations du Pape. Il écrivit en effet dans sa lettre à la famille cistercienne:

Je vous encourage aussi, suivant les circonstances, à discerner avec prudence et sens prophétique la participation à votre famille spirituelle de fidèles laïcs, sous la forme de ""membres associés", ou bien, suivant les besoins actuels dans certains contextes culturels, sous la forme d'un partage temporaire de la vie communautaire" (Vita consecrata, n. 56) et d'un engagement dans la contemplation, à condition que l'identité propre de votre vie monastique n'en souffre pas (nº 5) Avant la Synaxe, on avait fait le projet d’un éventuel document qui devait être le fruit de la réunion. Une première mouture d’une Carta Unanimitatis in Diversitate avait été préparée par une petite commission préparatoire composée de membres de divers Ordres. Les monastères de l’OCSO et quelques autres monastères de la famille cistercienne l’avaient étudiée et avaient fourni leurs commentaires. Il est cependant devenu graduellement évident, même avant la Synaxe, que vouloir donner une forme finale à un tel document au cours de la Synaxe elle-même était un plan trop ambitieux. Les difficultés de faire étudier ce textes par les divers monastères de toutes les branches de la famille cistercienne auraient demandé beaucoup plus de temps que celui dont nous disposions. On rédigea durant la réunion elle-même un Message adressé par tous les participants – non pas en leurs qualités "institutionnelles", mais en leurs noms propres. Ce message fut lu par l’Abbé Général de l’OC durant la messe du 21 mars.

Une section de ce message est l’invitation faite aux Supérieurs Généraux "de former une commission dont le mandat soit de poursuivre le travail de cette Synaxe et de promouvoir tout ce qui peut faire avancer notre communion". On espère que cette commission reçoive par la suite un statut officiel des chapitres généraux respectifs.

Le 20 mars, les participants à la Synaxe, après avoir voté le message qu’on vient de mentionner, allèrent ensemble visiter le monastère de Molesme (maintenant propriété privée) et celui de Clairvaux (maintenant prison à sécurité maximale). L’auteur de ce rapport ne put participer à cette excursion et n’assista pas non plus aux grandes festivités du 21 mars à Cîteaux, car il s’envola le 20 mars pour le Nigeria, afin d’y représenter l’Ordre (O.C.S.O.) à la béatification d’un de nos moines, le bienheureux Cyprian Michael Iwene Tansi. À Onitsha, le 22 mars, il faisait partie d’une foule de plus de deux millions de personnes assistant à la messe de béatification célébrée par Jean Paul II.

Après avoir lu à Cîteaux la lettre du Pape, il faisait bon d’entendre à nouveau dans sa bouche l’expression "famille cistercienne". En effet, le rite de béatification commençait par les mots suivants:

Accédant à la requête de notre frère, Albert Obiefuna, archevêque d’Onitsha et Président de la Conférence des Évêques catholiques du Nigeria, de plusieurs autres frères dans l’épiscopat, de plusieurs fidèles et de la famille monastique cistercienne,... À la fin de la Synaxe cistercienne à Cîteaux, tous les participants exprimèrent leur satisfaction de cette première synaxe cistercienne. Y en aura-t-il une seconde, comme le désir en fut exprimé au cours de cette réunion? Et, dans l’affirmative, quelle forme prendra-t-elle? Une chose est certaine: la famille cistercienne est une réalité, et, malgré le vieillissement de plusieurs de nos communautés et les problèmes de recrutement que connaissent certaines régions, elle est très vivante. Il n’y a pas de doute non plus qu’avec cette première Synaxe cistercienne, un pas historique et décisif a été franchi dans nos relations. Les historiens continueront probablement à différer dans leurs interprétations des événements passés. Les canonistes continueront probablement à avoir des visions divergentes des situations passées et présentes. Cependant, aussi bien les historiens que les canonistes seront bientôt -- ou plutôt sont déjà – confrontés à une réalité nouvelle.

Rome, Pâques 1998

Armand Veilleux, ocso