Questions cisterciennes
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Au delà du Sommet[1] Les sommets ne
sont pas d'habitude des endroits où l'on veut demeurer. Ce sont des lieux au-delà de la vie normale
et ordinaire. Y monter
de temps à autre afin de jeter un regard sur la vallée et vers
l'horizon lointain, dans toutes les directions, peut être un défi
stimulant. Mais il faut,
à un moment donné, redescendre et reprendre le cours de ses occupations
normales. De plus, tout
alpiniste professionnel vous dira que la descente est aussi difficile
et dangereuse que la montée. (Il est probable qu'un nombre aussi
grand d'expéditions ont été balayées par des avalanches durant
leur descente de l'Everest que durant sa montée). Depuis un bon
nombre d'années nous avons planifié sérieusement notre «Sommet"; et, hélas, la préparation n'est pas encore terminée.
Un aspect de la planification à laquelle nous n'avons peut-être
pas donné suffisamment d'attention est celle qui concerne la période
d'"après Sommet." Peu de personnes
font une profession de l'alpinisme.
C'est, de toute façon, un métier risqué.
Mais il ne faut pas s'y mettre longtemps, avant d'y développer
une habitude. Il y a maintenant
environ vingt ans que nous travaillons à nos Constitutions. Même si plusieurs moines et moniales n'y sont
aucunement intéressés, d'autres y ont mis un intérêt considérable,
au point, peut-être, de ne plus pouvoir s'en passer.
Essayer de trouver la solution finale au problème complexe
de l'Unité des deux Branches de l'Ordre peut devenir "compulsif",
tout comme essayer de trouver la solution au cubre de Rubic. (Vous êtes-vous déjà rendu compte que le cube
de Rubic est beaucoup plus beau lorsque toutes les couleurs sont
mélangées que lorsqu'un enfant intelligent a trouvé par quel truc
placer tous les petits carrés de lamée couleur sur chacune des
faces du cube?...) Par suite de la
nécessité de réviser notre législation après Vatican II, la nature
du Chapitre Général a changé radicalement.
La majeure partie de ce que nous avons fait depuis lors
a consisté tout simplement en cela: préparer une nouvelle législation.
A la Réunion au Sommet, à Rome, en décembre prochain, il
y aura bien peu d'abbés et d'abbesse de la période d'avant cette
grande entreprise législative.
Même si nous terminons nos Constitutions à ce Sommet, le
Saint Siège n'acceptera probablement pas toutes nos solutions
sans changement et sans dialogue.
Cela signifie que d'importantes questions auront probablement
à être discutées de nouveau à de futures Conférences Régionales
et à de futurs Chapitres Généraux (ou Réunions au Sommet, ou Assemblées
Générales, selon ce qu'on voudra bien les appeler).
La tentation sera grande de continuer à légiférer.
Et même si nos Constitutions étaient approuvées telles
quelles, nous savons que les "Statuts" relèvent de l'autorité
du Chapitre Général, et nous voudrons probablement réviser plusieurs
d'entre eux au prochain Chapitre Général... Allons-nous enfin
rompre cette spirale? Continuer sans fin à faire des lois peut
être une façon très efficace d'éviter des questions vitales plus
lourdes de défis. Bien sûr, nous
avons travaillé sérieusement ces dernières années, préparant l'invasion
de notre terre promise juridique.
Certaines de nos tribus régionales ont même envoyé des
émissaires dans le pays de Kibbutzah[2]. Les uns sont revenus avec des récits de riches
moissons et de fruits merveilleux;
d'autres, avec des récits de Nephilim et d'autres créatures
terriblement dangereuses (Nombres, 13,33).
Aussi, nous avons décidé d'être très prudents à ce sujet,
et nous avons examiné toutes les avenues.
Toutes les formes d'évolution ont été suggérées, y compris
des nuances inconnues jusqu'à maintenant de développement statique
et de status quo évolutif. L'imagination
humaine est très fertile, spécialement lorsque la complémentarité
des sexes se met de la partie.
Aussi, d'autres formules nouvelles pourraient probablement
être découvertes, spécialement si quelque sorcier de l'ordinateur
apportait au Chapitre un ordinateur de la cinquième génération
(intelligence artificielle). Ce
qui complique les choses, c'est que tous les problèmes sont entrelacés.
Le rôle précis que vous donnerez au Père Immédiat d'un
monastère de moniales dépendra du type de filiation que vous adopterez
pour la Branche féminine de l'Ordre; et ceci, évidemment sera
différent, selon que vous visiez à l'autonomie à travers des structures
parallèles ou des structures intégrées...
Les possibilités sont vraiment sans fin --quoique dépendantes
de la grâce de Dieu et des bonnes grâces de Rome --et nous pourrions
facilement continuer à déplacer les morceau ducasse-tête jusqu'à
la fin du siècle, sinon jusqu'à la Parousie. Ma suggestion
est que nous arrivions tous au Sommet de la Via Aurelia avec l'intention
de nous entendre sur une solution raisonnable et de poursuivre
notre vie monastique... Je
crois que certaines des formules qui ont été proposées jusqu'à
maintenant sont plus dans la ligne de l'évolution générale de
l'Eglise et du monde que d'autres. Mais, franchement, quelle que soit la formule
qui entrera dans le texte de nos Constitutions, je ne crois pas
qu'elle influencera considérablement l'évolution de la vie dans
l'Ordre. La vie, dans son développement, suit ses propres
lois. Evidemment, une législation
vraiment mauvaise pourrait étouffer la vie; mais de toutes les
possibilités offertes, chacune a quelque chose de bon.
Et même, à part cela, la seule différence entre ces solutions
est que certaines peuvent devenir désuètes plus rapidement que
d'autres. Toutes tomberont en désuétude, de toute façon. En conséquence,
pourquoi ne pas nous entendre sur une législation raisonnablement
bonne; puis célébrer allègrement notre consensus, et passer à
des questions plus sérieuses?
Et la chose la plus importante sera d'établir l'agenda
de l'Ordre pour les années à venir. Si nous n'établissons pas un tel agenda, chaque
Région développera le sien, probablement sans porter trop d'attention
à ce que devrait être un agenda commun pour l'Ordre. Et, évidemment, il y aura le danger d'une réaction
("backlash")
comme nous en avons connu une au Chapitre de 1971, après le Chapitre
charismatique de1969. Puis-je suggérer
quelques points qui pourraient apparaître à cet agenda? Premièrement, je ne surprendrai personne
en disant que je crois encore que tout le champ de la formation
est de la plus haute importance.
Donc, dès que nous aurons terminé d'écrire notre Ratio
Institutionis, nous devrons nous mettre plus sérieusement,
en tant qu'Ordre, à l'étude de toute la question de la formation,
c'est-à-dire, du processus global par lequel, dans le contexte
de a forme cistercienne de vie monastique, quelqu'un devient graduellement
une femme ou un homme adulte, un(e) chrétien(ne) mûr(e), s'ouvrant
de plus en plus à la grâce de l'union contemplative avec Dieu. Une seconde question qui ne perdra rien en
importance dans les années à venir, est celle du mouvement féministe. Je me suis intéressé à la théologie féministe
depuis un certain temps (pour des raisons purement académique,
évidemment). Il est fascinant de se rendre compte à quel
point toutes les civilisations de l'humanité ont été dominées
depuis des millénaires par diverses nuances de sexisme masculin.
Presque tout dans la culture est sexiste, en commençant par les
langues -- ce qui rend très difficile l'élaboration d'un langage
"inclusif" et explique le caractère souvent bizarre
des essais faits jusqu'à présent pour traduire la Bible et les
textes liturgiques dans un langage non-exclusif. If est facile
de repousser du revers de la main la théologie féministe et même
tout le mouvement féministe, en se référant à ses expressions
radicales. Mais d'autres expressions du même mouvement
sont marquées de pondération et ont un caractère scientifique
solide, comme, par exemple, le livre d'Elisabeth Schüssler-Fiorenza,
In Memory of Her. Depuis plus
ou moins une décennie, tout ce questionnement a pris une place
de plus en plus grande dans les réunions de théologiens et les
Conférences de Supérieurs Majeurs. La théologie féministe
nous a obligés à revoir notre lecture des Écritures et des Pères
de l'Eglise, ainsi que notre interprétation de la Tradition. Son influence sur la vie de l'Eglise a été considérable
et l'évolution de la Branche féminine de notre Ordre au cours
des trente dernières années lui doit beaucoup -- quoique indirectement. Toutes les questions soulevées par le mouvement
féministe ont toujours été implicites dans nos discussions sur
l'Unité de l'Ordre, mais elles ont rarement fait surface. C'est un problème (ou un ensemble de problèmes
que nous devrons affronter directement et sérieusement dans l'avenir,
à moins que nous ne voulions reprendre le vieux rêve gnostique
d'une supposée androgynie primitive.
Peut-être pourrons-nous faire cela plus sereinement lorsque
nous aurons solutionné au moins de façon provisoire l'aspect juridique
de la question. La situation particulière
de notre Ordre devrait nous permettre d'apporter à la solution
de cette question une contribution positive, au niveau de la vie
plus encore que par des déclarations bruyantes.
Mais pour être capables d'apporter cette contribution,
il est important que nous prenions bien conscience de tous les
problèmes impliqués. Nous devrons aussi éviter la suffisance, car
l'attitude de l'Ordre à l'égard des moniales a été ambiguë (c'est
le mieux qu'on puisse dire) depuis les débuts.
Selon une historienne moderne, les moniales ont dû se percer
une entrée dans l'Ordre en dépit de l'hésitation et même souvent
de l'opposition des moines[3].
Une troisième question que nous devrons considérer
de plus en plus sérieusement est: comment préparer les personnes
à vieillir, dans un contexte monastique.
Certain(e)s vieillissent d'une façon admirable et belle. D'autres sèchent, simplement. Dans des communautés
où l'âge moyen est souvent très élevé (dans beaucoup de communautés
il est dans les 60; et dans certaines, dans les 70), cela devient
un problème chaque jour plus crucial.
Le fait d'avoir de grands groupes de personnes âgées ne
comptant que quelques jeunes est un phénomène relativement nouveau.
Cela crée diverses sortes de problèmes que la tradition
monastique ne peut guère aider -- au moins directement -- à solutionner.
C'est d'ailleurs un problème commun à toues les sociétés
occidentales. Dans plusieurs
pays du Tiers Monde, où nous avons de plus en plus de monastères,
la situation est tout juste l'opposé.
Il y a à peine quelques générations de cela, il y avait
dans la plupart de ces pays un taux très élevé de mortalité infantile,
que les progrès de la médecine a réduite radicalement. La nature cependant ne s'est pas ajustée immédiatement
à ce taux de survie, de telle sorte que le nombre des naissances
continue d'être très élevé, avec, comme résultat, des sociétés
où le nombre des personnes très jeunes est extrêmement élevé en
proportion des personnes dans la quarantaine ou au-delà.
Cela crée une autre sorte de problèmes pour les «vieux"...... Un quatrième et dernier point à mon agenda:
les problèmes des pays envoie de développement deviennent chaque
jour plus complexes et presque déprimants.
Etant donné que notre Ordre est, heureusement, de plus
en plus présent dans ces parties du monde, il serait très important
que nous réfléchissions sur les implications et les exigences
d'une telle situation pour l'Ordre, non seulement au niveau spirituel,
mais aussi sociologique, économique, et même politique.
La première étape serait une évaluation collective de l'expérience
très riche des quelque trente dernières années. Un Chapitre Général entier pourrait être consacré
à l'écoute de l'expérience de nos fondations en Afrique, en Amérique
Latine et en Asie. Cela
pourrait constituer une interpellation très fructueuse pour les
monastères d'Europe et d'Amérique du Nord. Ce ne sont là
que quelques suggestions concernant ce que pourrait être un agenda
pour l'Ordre. Ce que je
veux vraiment dire est surtout qu'après le Sommet nous aurons
à redescendre dans la vallée, et que ce sont là quelques-uns des
problèmes que nous y rencontrerons. Il pourrait être utile d'y jeter un regard du
Sommet. Armand Veilleux Holy Spirit Monastery 2625 Hwy. 212 S.W. Conyers, GA 30208-4044 U.S.A. [1] Ceci est la traduction d'un texte anglais
qui servit de "Prologue" à un Supplément de la Revue
Cistercian Studies consacré à des contributions
relatives à la "Réunion au Sommet" de Nov.-Déc. 1987. [2] Mot hébreu pour collégialité. Même racine que kibboutz [3] L'expression ("to worm their way into the Order") est de Janet Summers
qui, à la dernière Conférence Cistercienne de Kalamazoo (Mai
1987), présenta une excellente communication où elle décrivit
les quatre phases de l'incorporation graduelle et lente des
moniales dans l'Ordre, de 1125 jusqu'à 1228: a) association
non officielle; b) affiliation informelle; c) incorporation silencieuse; d) incorporation
publique. |
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