Écrits et conférences d'intérêt général
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Y a-t-il plusieurs spiritualités ?
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Le
thème
de
cette
rencontre
est
une
question :
« Y
a-t-il
plusieurs
spiritualités ? ».
Puisque
les
organisateurs
ont
demandé
à
trois
intervenants
de
répondre
à
cette
question,
j’en
conclus
qu’ils
ont
assumé
qu’il
y
avait
au
moins
trois
réponses
possibles.
En
fait
il
y
a
probablement
autant
de
réponses
qu’il
y
a
de
personnes
ici
présentes
et
sans
doute
des
milliers
d’autres
réponses
possibles. Le
problème
fondamental
est
que
le
mot
« spiritualité »
peut
revêtir
une
multitude
de
sens.
Si
vous
vous
êtes
amusés
à
taper
ce
mot
dans
Google,
vous
avez
pu
voir
tout
de
suite
des
centaines
de
significations
très
différentes
données
à
ce
mot.
Je
suis
moine ;
vous
vous
attendez
donc
à
ce
que
je
puisse
vous
dire
quelques
chose
de
la
« spiritualité
monastique ».
Si
j’étais
jésuite
vous
vous
attendriez
à
ce
que
je
parle
de
« spiritualité
ignacienne ».
D’un
pasteur
de
l’Église
réformée
ou
d’un
évêque
de
l’Église
anglicane
on
s’attend
à
ce
qu’il
nous
parle
de
la
spiritualité
de
son
Église.
On
perçoit
facilement
alors
qu’il
y
a
dans
ces
diverses
spiritualités
beaucoup
en
commun.
Le
mot
signifie
alors
à
la
fois
une
certaine
attitude
religieuse,
une
façon
de
vivre
sa
relation
avec
Dieu,
ainsi
qu’en
ensemble
de
pratiques
visant
à
favoriser
ou
nourrir
cette
relation.
Lorsque
des
penseurs
laïcs
comme
le
philosophe
André
Compte
Sponville
ou
Luc
Ferry
nous
parlent
de
« spiritualité »
athée,
le
mot
a
certainement
un
sens
différent.
Il
s’agit
alors
plutôt
d’une
recherche
intellectuelle
visant
à
une
dimension
de
l’existence
humaine
ou
même
de
l’existence
tout
court,
même
lorsqu’on
n’accepte
pas
l’existence
d’un
être
transcendent
que
les
croyants
appellent
Dieu. Un
élément
commun
à
toutes
ces
approches
est,
me
semble-t-il,
l’acceptation
commune
de
l’existence
d’une
réalité
qu’on
appelle
l’esprit.
Un
deuxième
élément
commun,
qui
me
semble
découler
du
premier
est
la
possibilité
pour
l’être
humain
de
faire
l’expérience
existentielle
de
cette
réalité,
et
donc
d’avoir
une
« expérience
religieuse ».
Si
l’on
accepte
ces
prémisses,
on
en
déduira
que
toutes
les
spiritualités
dont
on
pourra
parler
correspondront
à
la
façon
de
vivre
cette
expérience
spirituelle,
de
l’exprimer
dans
des
concepts,
d’en
garder
le
souvenir
dans
des
traditions
et
des
coutumes
religieuses
ou
autres
et
de
l’interpréter
à
travers
divers
systèmes
de
penser
et
diverses
interprétations.
Lorsqu’on
parle
de
spiritualité
on
parle
d’expérience
spirituelle
et
lorsqu’on
parle
d’expérience
spirituelle
il
y
a
lieu
de
distinguer
trois
niveaux. Il y a tout d’abord l’expérience elle-même,
puis
la
mémoire
(collective)
de
l’expérience,
et
enfin
l’interprétation
de
l’expérience. Le niveau de l’expérience est celui de la foi ;
celui
de
la
mémoire
collective
de
l’expérience
est
celui
de
la
religion
et
celui
de
l’interprétation
de
l’expérience
est
celui
de
la
philosophie
et
de
la
théologie. L’expérience
spirituelle
elle-même,
si
elle
est
authentique
et
dans
la
mesure
même
où
elle
est
authentique,
est
la
même
pour
tout
humain.
Mais
elle
n’est
jamais
vécue
dans
l’abstrait. Pour faire une expérience d’une façon consciente
et
réfléchie,
il
faut
pouvoir
se
la
dire,
et
l’on
se
la
dit
à
travers
des
catégories
culturelles
et
religieuses
qui
varient
d’une
personne
à
l’autre.
Pour
le
Chrétien,
cette
expérience
est
une
relation
personnelle
avec
Jésus-Christ,
Dieu
fait
homme.
La
mémoire
collective
de
l’expérience
religieuse
s’exprime
à
travers
des
coutumes
religieuses
des
rites,
des
traditions,
une
histoire,
des
codes
moraux.
C’est
le
domaine
de
la
religion.
Ainsi,
la
foi
chrétienne
s’exprime
à
travers
l’Écriture
et
la
tradition
de
l’Église,
à
travers
les
sacrements
et
les
diverses
pratiques
chrétiennes.
C’est
à
ce
niveau
là
que,
même
à
l’intérieur
de
la
foi
chrétienne
peuvent
se
développer
diverses
« spiritualités »,
si
l’on
conçoit
la
spiritualité
comme
une
façon
de
vivre
sa
foi. Au
fur
et
à
mesure
qu’un
groupe
religieux
s’éloigne
dans
le
temps
de
l’expérience
religieuse
initiale
qui
lui
a
donné
naissance,
le
besoin
se
fait
sentir
d’interpréter
cette
expérience
et
son
vécu,
et
d’élaborer
des
façons
successives
de
l’exprimer
d’une
façon
cohérente
en
un
système
de
pensée. À ce niveau-là, même à l’intérieur de la même
foi
chrétienne,
et
même
à
l’intérieur
de
la
même
confession
chrétienne,
il
y
a
place
pour
de
nombreuses
théologies
et
aussi
pour
de
nombreuses
« spiritualités »,
si
l’on
entend
par
« spiritualité »
un
enseignement
cohérent
sur
la
façon
de
vivre
une
expérience
spirituelle. Après
avoir
considéré
ce
tableau
d’ensemble,
nous
pouvons
maintenant
essayer
de
voir
où
chacun
de
nous
se
situe.
Il
serait
un
peu
prétentieux
de
ma
part
de
penser
que
je
pourrais
vous
décrire
de
façon
claire
en
quoi
la
spiritualité
dite
« catholique »
se
distingue
aussi
bien
des
autres
spiritualités
chrétiennes
que
de
celle
des
non
croyants. Tout ce que je puis faire, c’est vous décrire
comment,
en
tant
que
catholique,
je
conçois
et
comment
j’essaye
de
vivre
ma
vie
spirituelle. Le
mot
« spiritualité »,
est
construit
à
partir
du
mot
« esprit ».
La
spiritualité
est
donc
une
façon
de
vivre
en
communion
profonde
avec
l’Esprit.
Et
pour
bien
comprendre
la
spiritualité
chrétienne
il
faut
comprendre
son
enracinement
dans
la
spiritualité
du
peuple
juif. Ce
qui
fut
l’expérience
religieuse
propre
du
peuple
d’Israël,
distincte
de
celle
de
tous
les
autres
peuples
qui
l’entouraient,
fut
d’avoir
perçu
Dieu
non
pas
comme
un
être
lointain
et
impassible,
mais
comme
un
Dieu
personnel
présent
à
toutes
les
dimensions
de
sa
vie
personnelle
et
collective.
Le
mot
esprit
« ruah »
est
présent
à
presque
toutes
les
descriptions
de
cette
expérience,
à
commencer
par
les
belles
descriptions
poétiques
et
symboliques
de
la
création,
qui
sont
d’autant
plus
grandioses
qu’elles
n’ont
rien
d’une
description
qu’on
dirait
aujourd’hui
« scientifique ». Dès
le
premier
jour
de
la
création,
l’esprit
de
Dieu
plane
sur
les
eaux
et
y
engendre
la
vie
sous
toutes
ses
formes.
Une
description
de
la
création
du
premier
homme
nous
montre
Dieu
façonnant
un
homme
avec
de
l’argile
et
insufflant
dans
ses
narines
son
propre
souffle
de
vie.
Ce
même
esprit
descendra
plus
tard
sur
les
prophètes
et
les
inspirera
pour
leur
faire
enseigner
une
spiritualité
de
l’amour
–
décrivant
les
relations
entre
Dieu
et
sa
créature
avec
les
images
les
plus
réalistes
et
concrètes
de
l’amour
humain.
Enfin,
ce
même
esprit
descendra
sur
la
vierge
Marie
et
la
rendra
mère
de
Jésus,
le
fils
du
Père
éternel.
Le
même
esprit
descendra
sur
Jésus
lors
de
son
baptême
pour
le
consacrer
Messie. Au moment de quitter ses disciples le jour de
l’Ascension
Jésus
soufflera
sur
eux,
en
signe
de
la
transmission
de
son
Esprit
et
ce
même
Esprit
descendra
sur
les
Apôtres
le
jour
de
la
Pentecôte.
Et
saint
Paul
dit
que
nous
ne
savons
pas
prier,
mais
que
l’Esprit
de
Dieu
prie
en
nos
coeurs
et
que
c’est
le
même
esprit
qui
gémit
comme
dans
les
douleurs
de
l’enfantement
au
coeur
de
tout
le
cosmos. Il
n’y
a
pas
de
« spiritualité »
chrétienne,
c’est-à-dire
de
vie
selon
l’Esprit
de
Dieu,
révélé
par
et
en
Jésus-Christ,
sans
une
relation
explicite
et
constante
à
cet
Esprit,
toujours
le
même
au
coeur
de
l’humanité
depuis
le
premier
matin
de
la
création
jusqu’à
notre
vie
à
chacun
de
nous. À
travers
tout
son
enseignement,
Jésus
nous
a
révélé
que
cet
esprit
est
un
esprit
d’amour
et
de
communion.
Il
est
le
lien
d’amour
qui
l’unit
lui-même
à
son
Père,
qui
nous
unit
à
lui
et
qui
doit
nous
unir
les
uns
aux
autres. Si
je
voulais
résumer
en
quelques
mots
ou
quelques
phrases
ce
qu’est
la
spiritualité
chrétienne
dans
l’Église
catholique,
je
dirais
que
c’est
une
vie
humaine
qui
s’efforce
d’être
vécue
sous
forme
de
communion
constante
avec
Dieu :
communion
qui
s’incarne
–
et
doit
s’incarner
–
dans
la
communion
avec
d’autres
chrétiens,
et
aussi
avec
tous
les
hommes
et
femmes,
y
compris
ceux
de
toutes
les
religions
et
de
toutes
les
cultures ;
dans
la
communion
avec
la
société
humaine
et
avec
le
cosmos.
C’est
là
l’essentiel
de
la
spiritualité
chrétienne :
une
vie
vécue
dans
l’esprit,
c’est-à-dire
dans
la
communion
ou
l’amour. Évidemment
cette
vie
dans
l’esprit
pourra
prendre
de
nombreuses
modalités
extérieures.
Certains
mettront
la
personne
même
du
Christ
au
centre
de
leur
vie
de
prière
et
l’on
parlera
de
« spiritualité
christocentrique ». D’autres développeront une grande dévotion à
la
Vierge
Marie,
parfois
sous
des
formes
heureuses
et
parfois
sous
des
formes
malheureuses ;
on
parlera
alors
de
« spiritualité
mariale ».
Certains
chrétiens
mariés
vivront
explicitement
leur
amour
conjugal
comme
une
incarnation
de
leur
communion
avec
Dieu ;
on
parlera
alors
de
« spiritualité
conjugale ».
Certains
vivront
cette
communion
dans
des
communautés
vivant
dans
la
solitude
et
organisant
toute
leur
vie
autour
de
l’expérience
contemplative
de
Dieu. On parlera alors de « spiritualité monastique ».
On
pourrait
allonger
cette
liste.
Toutes
ces
distinctions
ont
leur
importance,
mais
elles
restent
secondaires. La
spiritualité
chrétienne
–
celle
du
catholicisme
comme
des
autres
Traditions
chrétiennes
est
une
vie
« dans
l’Esprit
de
Dieu »,
donc
une
vie
de
communion
avec
Dieu
s’incarnant
dans
tous
les
secteurs
de
l’existence
humaine. Pour
répondre
à
la
question
initiale :
Y
a-t-il
plusieurs
spiritualités. La réponse est « évidemment oui » ;
mais
la
qualité
propre
à
chacune
réside
dans
sa
capacité
à
faire
vivre
en
communion
profonde
avec
l’Esprit. Chimay, 18 avril 2008 Armand Veilleux
[1]
Conférence donnée à Chimay le 18 avril
2008,
dans
le
cadre
d’une
rencontre
plurielle
(catholiques,
protestants
et
laïques)
organisée
par
le
Conseil
Local
de
Pastorale
de
la
communauté
paroissiale
de
Chimay. |
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