Questions monastiques en général
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Le rôle de la sous-culture monastique dans la formation
du moine
[i]
Dans le contexte d'une recherche consacrée à
étudier l'influence formatrice de la communauté bénédictine, je
m'arrêterai ici à analyser le rôle joué dans cette formation par
ce qu'on pourrait appeler la culture ou plus précisément la sous-culture
monastique. Par ce mot, je n'entends pas tellement la philosophie,
la théologie ou les idéologies à travers lesquelles les moines
ont essayé ou essaient d'exprimer le sens qu'ils veulent donner
à leur vie ; mais bien plutôt le style même de vie dans lequel
cette recherche s'exprime, ce que les anciens appelaient une politeia.
Cette politeia est constituée, entre autres, par un style
propre de prière, de lectio ou d'études, de travail manuel
et de relations interpersonnelles, ainsi que par un équilibre
déterminé qu'on cherche à établir entre ces divers éléments.
Approches diverses du processus
de formation
Pour nous aider à mieux comprendre comment la
vie communautaire peut influer de diverses façons sur la formation
des moines et de la communauté monastique, j'aimerais, au point
de départ, décrire, en les abordant sous divers angles, deux façons
nettement différentes de concevoir le processus éducatif. Dans le monde de l'éducation, on distingue de
nos jours deux grands types de pédagogie : la pédagogie mécanique
et la pédagogie organique. On peut en effet concevoir l'éducation
comme une opération de style mécanique, qui a pour objectif premier
de faire passer dans la tête et dans le comportement du disciple
une somme de connaissances, d'habiletés et de conduites définies
et précises. Dans cette perspective, on suppose l'existence d'un
réservoir de connaissances et de comportements éprouvés par l'expérience,
accumulés par la société tout au long de l'histoire ; et la formation
consiste à les déverser dans le disciple qui doit les assimiler.
Le symbole de l'entonnoir caractérise assez bien ce type de pédagogie. Mais l'activité éducatrice ou formatrice peut
être envisagée d'une autre manière : non plus comme un phénomène
mécanique, mais comme un processus de croissance. C'est la pédagogie
organique, selon laquelle le premier acteur de tout effort de
formation, c'est le disciple lui-même. Celui-ci peut être alors
comparé à une plante, il croît organiquement. S'il possède en
lui-même et comme en puissance les énergies de croissance, il
a par ailleurs besoin d'une ambiance favorable, d'un terreau enrichissant.
Former, c'est d'abord créer ce milieu propice à la croissance
et au développement des ressources personnelles de l'individu.
Ainsi conçue, l'éducation devient l'affaire de toute la vie. Il est clair que deux anthropologies nettement
distinctes soustendent ces deux conceptions de la formation. L'une
conçoit le processus d'humanisation comme un enrichissement, l'autre
le conçoit comme un développement. La première ne respecte ni
le mystère de l'individualité de chaque personne ni celui de l'action
imprévisible de Dieu. Elle dilue l'historicité de l'action de
Dieu dans une fausse perspective eschatologique qui aboutit à
considérer l'histoire comme close. La seconde respecte le mystère
de chaque personne et fait confiance au dynamisme de vie que porte
celle-ci. Elle est un processus maïeutique visant à faire croître
jusqu'à sa pleine stature ce que le disciple porte déjà en herbe. Il va sans dire qu'on peut retrouver ces deux
conceptions de la formation à l'intérieur de la vie monastique.
On pourra la comprendre comme un vêtement que l'on revêt, un moule
dans lequel se couler, un idéal à partir duquel on peut être mesuré
et jugé. Mais on pourra aussi considérer que, dans la vie monastique,
l'essentiel est une expérience spirituelle dont on peut favoriser
la naissance, mais qu'on ne petit ni susciter directement ni communiquer.
Elle doit jaillir du coeur même du disciple où elle est pur don
gratuit de Dieu, mais l'environnement immédiat la conditionne
toujours, la rendant possible, facile, difficile ou impossible,
selon les cas.
1. - CULTURE ET SOUS-CULTURE MONASTIQUE
Toute expérience doit se faire à l'intérieur
d'un contexte culturel déterminé. Cela relève de la condition
humaine même. C'est pourquoi, lorsque la culture générale environnante
et dominante ne permet plus ou ne favorise plus suffisamment la
recherche d'un type déterminé d'expérience, apparaissent des sous-cultures
constituées expressément en fonction de cette recherche spirituelle.
C'est ainsi qu'à l'intérieur de toutes les grandes traditions
humaines le monachisme apparaît ou se développe surtout à l'occasion
des grands bouleversements culturels et sociaux. Une telle sous-culture est généralement, au
point de départ, un facteur d'intégration personnelle. Elle correspond
au type d'expérience spirituelle que font ou que recherchent ceux
qui l'élaborent ou ceux qui y entrent. Elle peut les mener ainsi
à découvrir leur propre identité et les aider à atteindre un degré
élevé d'intégration personnelle. Cela se réalise surtout aux époques
initiales d'une sous-culture, au moment où celle-ci est en pleine
adéquation avec le type d'expérience spirituelle qu'elle est supposée
engendrer ou développer. Mais au fur et à mesure que diminue l'adéquation
entre cette sous-culture et l'expérience spirituelle des personnes
qui y appartiennent, elle peut devenir, au contraire, un facteur
d'aliénation, en conduisant les membres non plus à leur identité
personnelle mais à la simple identification à un modèle extérieur. La sous-culture devient alors un facteur d'intégration
sociale plutôt que d'intégration personnelle, et concourt à la
consolidation de la culture dominante. Au lieu de mener l'individu
vers son identité propre, au-delà de la culture environnante,
elle l'amène à s'identifier à celle-ci et à s'y limiter. On reconnaîtra
ici des catégories de Carl Jung, selon qui la première moitié
de la vie d'un homme est dominée par I'attention qu'il porte à
son ego. L'homme est alors préoccupé par ce qu'il fait et il s'identifie
à ce qu'il fait, aux rôles qu'il joue, aux fonctions qu'il remplit.
Il s'agit alors d'une fausse identification avec son moi superficiel
et empirique. Dans l'autre moitié de sa vie, à supposer que l'homme
en arrive à être vraiment adulte, il entre en contact plus étroit
avec son moi intérieur (inner self), sa véritable identité.
C'est alors seulement qu'il est capable de rencontre immédiate
ou d'expérience. Selon son état de santé, la sous-culture monastique,
comme toute autre sous-culture, peut conduire ses membres soit
vers l'identification soit vers leur « identité ». Le christianisme s'enracine dans la culture
religieuse d'Israël. Il existait déjà au sein même du judaïsme
un fort mouvement d'ascétisme orienté vers une rencontre contemplative
de Dieu. Ce mouvement a beaucoup marqué toute l'Eglise primitive.
C'est pourquoi, au cours des premières générations chrétiennes,
ceux qui se sentirent appelés à se consacrer plus intensément
à la recherche de l'expérience de Dieu dans une vie d'ascèse radicale,
pouvaient le faire au sein même des diverses Eglises locales,
sous la direction de leurs pasteurs, quitte à se regrouper, lorsque
le besoin commença de s'en faire sentir, dans des sortes de confréries,
toujours sous la direction de leurs évêques. Ce fut le cas, par
exemple, pour ces groupements d'Asie Mineure dont nous parlent
saint Ephrem et saint Aphraat et qui s'appellent les Fils du Pacte
et les Filles du Pacte. Certains chrétiens adultes et mûrs dans
leur cheminement spirituel quittent parfois dès ce moment la communauté
ecclésiale pour aller poursuivre leur démarche spirituelle dans
le désert. Au fur et à mesure de l'évolution historique,
lorsque les structures de l'Église se développèrent et que, pour
certains chrétiens, l'adéquation devenait plus difficile à réaliser
entre ces structures et leur expérience personnelle, le phénomène
proprement monastique apparut et se développa, au IVe siècle,
avec la rapidité d'une explosion .en chaîne. Ce phénomène évolua en deux directions à la
fois. Des foules de chrétiens partirent pour le désert y vivre
solitairement des expériences spirituelles hors de la culture
chrétienne environnante, sous la direction d'un père spirituel
charismatique. D'autres se réunirent en groupements où, en marge
de la grande communauté ecclésiale, mais pas nécessairement en
rupture avec elle, ils élaborèrent une authentique sous-culture,
destinée à devenir le terreau ou la matrice d'un type déterminé
d'expérience et de recherche spirituelles. Ces communautés, à partir desquelles s'est constituée
la sous-culture monastique de caractère cénobitique, sont nées
en général au charisme d'un grand moine ayant le don de rassembleur.
Ainsi en est-il de Pachôme qui, dès le moment de sa conversion
au christianisme, se met à rechercher avidement quelle est la
volonté de Dieu sur lui, et qui découvre peu à peu, à travers
les événements ,et la Parole de Dieu, que sa mission est de «
rassembler les hommes pour les conduire à Dieu ». Ainsi en est-il
de Basile, organisant graduellement, dans sa ville épiscopale,
les fidèles éveillés par l'enseignement ascétique d'Eustate de
Sébaste. Le charisme propre d'un fondateur de communauté,
qui mettait sur pied un style de vie devant servir d'environnement
favorable au développement personnel d'un grand nombre de moines,
était assez différent de celui du père spirituel du désert reprenant
dans la solitude le rôle du didascale urbain. Dans ces communautés cénobitiques, du moins
au cours de la première génération, la sous-culture étant en parfaite
adéquation avec l'expérience spirituelle vécue, l'individu trouvait,
par le fait même de son intégration à la communauté, le chemin
de la découverte de son identité spirituelle personnelle. Au fur
et à mesure que les générations passèrent, les besoins spirituels
se modifièrent et l'adéquation entre la sous-culture monastique
et l'expérience spirituelle qu'on y vivait ou qu'on y recherchait
devenait moins grande. Des personnalités d'une trempe plus forte
cherchaient à aller au-delà de ce cadre et de cette sous-culture,
comme ceux qui étaient partis seuls au désert. A l'intérieur même
de ces communautés, le besoin se fit alors sentir d'un guide spirituel
pour conduire les individus dans leur cheminement personnel. C'est
ainsi que peu à peu le rôle joué par le père spirituel au désert
fut assumé par l'abbé au sein de la communauté. Cela n'était pas
sans entraîner des conséquences sérieuses pour l'avenir du monachisme. Le rôle du père spirituel au désert, comme celui
du gourou dans l'hindouisme ou du staretz en Russie, était nettement
de caractère charismatique et passablement marginal. Il aidait
le disciple à découvrir son identité propre, au-delà de la culture
et des structures environnantes. L'abbé d'un monastère cénobitique
est au contraire le gardien d'une sous-culture et d'une structure.
Il doit veiller à ce que chacun de ses moines s'y conforme et
s'y identifie. A partir du moment où la tradition cénobitique
et la spiritualité du désert se fusionnent en Occident, et que
l'abbé du monastère assume la fonction du père spirituel du désert,
c'est celle-ci même qui est récupérée par le système cénobitique.
Le monachisme, par la suite, sera toujours plus facilement agent
de consolidation culturelle que facteur d'intégration personnelle. On sait comment toute structure sociale, surtout
lorsqu'elle est forte, tend à récupérer, pour se consolider, se
développer et se perpétuer, toutes les énergies qu'elle engendre.
Les grandes périodes de renouveau dans l'histoire du monachisme
sont celles où des énergies qui ne se sont pas laissé récupérer
constituent une marginalité créatrice et réinventent une nouvelle
politeia ou sous-culture qui soit en accord avec la sensibilité
religieuse du temps, La vie bénédictine est une expression privilégiée
de la sous-culture monastique occidentale. A travers le Maître
et Cassien, elle s'enracine dans la grande tradition orientale.
Benoît a conçu explicitement cette forme de vie comme une formation,
une schola dominici servitii. Il- s'agit d'une politeia
ou d'une façon de vivre l'Evangile où certaines exigences évangéliques
sont nettement privilégiées, où certaines pratiques ascétiques
sont strictement requises et où, un équilibre déterminé est établi
entre les divers éléments qui constituent cette politeia.
On y trouve une ascèse qui véhicule une anthropologie, une liturgie
et une mystique qui véhiculent une théologie, ainsi qu'une organisation
des relations interpersonnelles qui véhicule une philosophie socio-politique. Cette sous-culture bénédictine a traversé les
siècles non sans connaître des âges d'or, des périodes de décadence
et des réformes successives. Comme toute sous-culture, elle fut
tour à tour - selon les époques, les lieux et les personnes -
soit facteur d'intégration personnelle soit facteur de consolidation
culturelle. Nous ne pouvons certes pas nous arrêter à analyser
toute cette histoire; mais voyons ce qu'il en est aujourd'hui. 2. - INFLUENCE FORMATRICE DE LA COMMUNAUTÉ BÉNÉDICTINE AUJOURD'HUI
Dans cette seconde partie concernant la valeur
formatrice de la communauté bénédictine, ce sont surtout des questions
que je voudrais soulever afin d'inviter à l'analyse et au dialogue.
Des questions qu'il me semble urgent de poser, encore que, dans
la plupart des cas, je n'aie pas moi-même de réponse - en tout
cas pas de réponse claire - à leur donner. Concernant chacun des
éléments de vie monastique, les interrogations se ramènent pratiquement
à celles-ci : y a-t-il adéquation entre ce que nous faisons et
l'attitude spirituelle que nous prétendons exprimer ou développer
en le faisant ? les divers éléments de notre vie nous forment-ils
indirectement et malgré nous à nous adapter à la culture profane
générale environnante ou bien constituent-ils encore une sous-culture
qui puisse engendrer et supporter efficacement un type déterminé
d'expérience spirituelle ?
Parlons d'abord du travail et de toute la structure
économique qui en dépend. Dans toutes les cultures du passé, quoique sous
diverses formes, la grande aspiration religieuse de l'homme consistait
dans l'expérience de la présence divine et dans la participation
à la vie de Dieu. Mais un tournant décisif s'est opéré au début
de notre époque. Le sens aigu du développement ontologique avec
Hegel, du développement social avec Marx, du développement physiologique
avec Darwin, et la perception de l'homme contemporain comme une
transition vers le surhomme avec Nietzsche, ont conduit à placer
la religion de l'homme, non plus dans la présence de Dieu, mais
dans l'expérience d'un monde terrestre autonome, devant arriver
à sa perfection simplement par la transformation sociale de l'homme
lui-même et par la maîtrise technique et scientifique de son environnement.
La science et les idéaux sociaux sont devenus les substituts de
la mystique. Avec cette dimension mystique et son efficacité extérieure,
la science a pu prétendre alors offrir à la fois une analyse de
la condition humaine et une façon de transformer celle-ci. Cette évolution historique nous a fait déboucher
sur une nouvelle ère de l'histoire de l'humanité, celle de l'homo
oeconomicus. La préoccupation ultime de l'homme est désormais
placée dans les réalisations matérielles. Nous vivons donc, en
nos pays industrialisés, dans un contexte culturel et social explicitement
et profondément athée, et cela n'est pas sans lourdes conséquences
pour quiconque aspire encore à vivre l'expérience de la présence
de Dieu. L'une des caractéristiques de cette société
est l'importance qu'y a prise la consommation. Non seulement l'attitude
de consommation s'est étendue à toutes les valeurs humaines, mais
le primat donné à la consommation en a fait le moteur idéologique
de toute la société. C'est la relation entre besoin, production
et consommation qui se trouve alors viciée et inversée. On ne
produit plus ce que l'homme doit consommer pour satisfaire ses
vrais besoins, mais on crée des besoins artificiels afin d'activer
la consommation, qui permettra à son tour d'accroître la production. Bien plus, la consommation elle-même devient
la créatrice de nouveaux besoins, selon un processus bien connu
des narcomanes, qu'Ivan Illich appelle « la loi des espérances
grandissantes » et que Heidegger avait baptisé « le cycle de l'apaisement
tentateur ». On consomme d'abord pour le plaisir que procure la
consommation, puis pour faire disparaître la frustration que provoque
l'absence de celle-ci, et on devient de plus en plus frustré tout
en consommant de plus en plus. Dans nos pays dits développés la
saturation des besoins primaires d'abord, secondaires ensuite,
a fait déplacer la consommation vers le champ des activités tertiaires,
c'est-à-dire les services (enseignement, soins hospitaliers, services
sociaux, etc.), si bien que les objets de ces activités de service
sont devenus des objets de consommation soumis aux mêmes lois
de la propagande et du marchéage (marketing) que les objets
matériels. Nous devons dès lors nous demander si l'organisation
économique de nos communautés monastiques et surtout notre travail
nous forment réellement à un autre type de société, Il est possible
en effet que nos styles de vie monastique aient été affectés par
ce primat de l'économie et la mentalité de consommation au point
de susciter et d'entretenir eux-mêmes, à notre insu, pareille
mentalité. Dans quelle mesure ont-ils subi cette influence et,
en conséquence, concourent-ils indirectement à créer et à maintenir
cette disposition d'esprit : c'est la question à nous poser. Si
nous admettons que la communauté nous forme, il est important
d'analyser en détail à quoi elle nous forme! Je suggère que nous examinions d'abord nos sources
de revenu et l'ensemble de l'organisation économique dans nos
monastères. Plusieurs de nos communautés, sinon la plupart, vivent
présentement d'une industrie. S'agit-il d'une entreprise visant
à satisfaire des besoins réels ou d'une industrie entretenant
des besoins artificiels ? Fabriquons-nous en fonction de la production,
prenant pour acquis qu'il y aura toujours consommation, ou bien
d'après une analyse objective des besoins ? jouons-nous le jeu
du marchéage, qui tend à développer ceux-ci ? L'importance que la tradition bénédictine donne
au travail manuel et sa spiritualité du travail s'enracinent dans
une théologie de la participation de l'homme à l'oeuvre de la
Création. On y retrouve une conception positive du corps qui contraste
avec l'attitude négative héritée du manichéisme et de la philosophie
néo-platonicienne et dont plusieurs écoles d'ascèse se sont inspirées. Nous nous demanderons alors si les méthodes
de travail que nous avons introduites dans nos communautés en
ce XXe siècle continuent d'exprimer cette théologie positive du
corps humain, ou si au contraire, elles ne véhiculent pas et ne
nous inculquent pas indirectement le mépris du corps humain qu'incarnent
certaines formes de production, en particulier le travail à la
chaîne. Même l'agriculture n'échappe pas à ce questionnement.
Par le passé le travail des champs était l'une des activités les
plus paisibles. Mettant l'homme en contact avec la nature, il
le formait à un sens de la contemplation et à ce type de sagesse
que l'on ne trouve guère que chez nos vieux paysans. Est-ce que
notre agriculture hautement mécanisée et spécialisée continue
de nous porter à un tel état d'âme, ou bien ne forme-t-elle pas
en nous la même attitude que pourrait nous faire adopter n'importe
quel type de travail en usine ? Dans tous les pays développés
elle est devenue une des industries les plus exigeantes en termes
d'investissements de capital et d'administration. De plus certains
types d'exploitation agricole maintiennent et nourrissent des
modes d'alimentation qui concourent au déséquilibre entre les
peuples et au maintien de la faim dans de larges portions de l'humanité. Saint Benoît prévoyait que les monastères auraient,
dans leur enceinte, tout ce qui était nécessaire à la marche de
la communauté, tel que moulin, ateliers divers, etc., afin que
les moines n'aient pas à aller au dehors et que soient préservés
leur solitude et leur silence. De nos jours, cette même situation
conduit souvent à des résultats inverses, multipliant les relations
des divers officiers et chefs d'emploi avec l'extérieur, pour
l'achat de matières premières et de machines, pour la vente des
produits ou pour la formation technique, etc. Cela nécessite souvent
aussi des investissements en immeubles et en machinerie qui sont
nettement disproportionnés avec le nombre des moines. De plus,
le fait de posséder ses propres sources de revenu classe immédiatement
les moines dans un secteur privilégié de la population et concourt
à former en eux la mentalité et les préoccupations, comme aussi
les perspectives idéologiques, politiques et sociales aussi bien
qu'économiques de cette classe minoritaire de la société. Je crois qu'il y aurait lieu de pousser plus
sérieusement que nous ne l'avons fait jusqu'ici une exploration
du côté du travail salarié. Dans bien des cas et moyennant certaines
conditions, celui-ci nous permettrait, me semble-t-il, d'arriver
beaucoup plus facilement aux fins voulues par saint Benoît que
l'autosuffisance économique. Il aiderait aussi à mieux sauvegarder
d'autres valeurs monastiques fondamentales, telles que la pauvreté
collective, par exemple. Pour arriver à vivre dans ce monde d'inflation
où nous sommes présentement, nous avons besoin de faire beaucoup
d'argent ; alors notre travail est facilement orienté vers l'argent
plutôt que vers la vie. Et par le fait même nous devenons un élément
constitutif, une roue d'engrenage de la société capitaliste de
consommation où nous nous trouvons ; et par le fait même nous
cautionnons et nous encourageons ce type de société, au lieu d'être
en son sein une sous-culture à dimension critique. Dans ses ouvrages sur l'école, la médecine et
les transports-, Ivan, Illich a montré comment l'absurde production
industrielle des services a des effets seconds aussi catastrophiques
et destructeurs que la surproduction d'un bien de consommation.
Déjà avant les auteurs du deuxième rapport du Club de Rome, Illich
parlait de limites à la production et aussi de limites à la croissance
des services de la société. Il avança alors le concept d'équilibre
multidimensionnel de la vie humaine et de la relation de
l'homme à son outil. La difficulté que beaucoup de nos communautés
rencontrent de nos jours à trouver et à maintenir un équilibre
entre travail, prière, lectio divina et autres éléments
de la vie monastique ne proviendrait-elle pas du fait que nous
nous sommes laissé inféoder à l'idéologie pratique d'une culture
industrielle ? La logique implacable et la rationalité totale
auxquelles obéit cette civilisation industrielle est source de
bien des formes d'injustice et d'oppression. Certaines classes
sociales sont exploitées par d'autres. Alors qu'une petite portion
de l'humanité vit dans l'abondance, les deux tiers des hommes
sont maintenus par les structures en place dans une situation
de sous-développement, de dépendance et, souvent de misère. Par
nos styles de vie, en particulier par nos propres sources de revenu,
par la nature des liens que celles-ci engendrent, nous sommes
profondément reliés à ce système, qui est un système d'exploitation
et qui constitue un péché social collectif. Notre sous-culture
monastique dans sa condition présente nous forme à trouver normale
cette situation de péché. La solution de ce problème n'est guère
facile, mais le problème n'en existe pas moins ; il mérite une
profonde réflexion et un sérieux examen de conscience collectif.
L'organisation du travail et la structure économique
de la communauté sont sans doute ce qui conditionne le plus la
vie des moines. Mais dans l'ordre des valeurs il y a des réalités
encore plus importantes. Saint Benoît est très catégorique lorsqu'il
affirme que rien ne doit être préféré à la prière communautaire
: nihil operi Dei praeponatur. Le fait de prier chaque jour, en commun, à plusieurs
reprises, forme le moine à une attitude constante de prière. L'utilisation
quotidienne de textes bibliques et surtout des psaumes éveille
en lui tous les sentiments religieux les plus profondément inscrits
dans le coeur de l'homme. Mais il est important de nous demander,
d'une part, si les formules liturgiques que nous utilisons véhiculent
une spiritualité et une théologie en congruence avec notre expérience
spirituelle et d'autre part si les formes dans lesquelles nous
célébrons n'ont pas été influencées outre mesure par la culture
dominante ambiante. Depuis saint Benoît, en effet, l'Office divin,
comme d'ailleurs tous les autres éléments de notre vie liturgique,
a connu une longue évolution et a reçu la marque de bien des conceptions
théologiques et des situations sociales. Ainsi, pour ne donner
qu'un exemple un peu cocasse, bien des oraisons, dans leur sens
original, continuent de nous faire prier pour la délivrance de
périls qui ont disparu depuis plusieurs siècles ! L'Office divin a été élaboré en un temps où,
dans un Empire Romain envahi par les peuples barbares, la collectivité
primait sur les personnes. Le style de ces célébrations collectives
correspond-il encore aux besoins spirituels des hommes de notre
temps, beaucoup plus sensibles à la dignité et à l'importance
de la personne humaine ? Par ailleurs, à l'époque où ce type d'Office
s'est constituê, l'expression rituelle était d'une importance
primordiale, alors que dans l'évolution spirituelle de notre temps
on assiste à un retour marqué au primat de l'intériorité sur l'expression
rituelle. C'est pourquoi on peut se demander si l'équilibre établi
par Benoît pour ses moines italiens du Vle siècle entre prière
privée et prière commune, ainsi qu'entre psalmodie et prière silencieuse,
est encore aussi valable pour les hommes d'aujourd'hui, ou s'il
n'aurait pas avantage à être réévalué. Dans la société de chrétienté où l'on a formé
cet Office, il existait un rapport très étroit entre les grands
symboles collectifs qui sont les structures d'interprétation de
l'existence et de l'univers - et la vie quotidienne. Les rites
religieux et les rythmes de vie, la spiritualité et la culture
populaire, les mythes et le « vécu » se renforçaient les uns les
autres pour donner cohérence et finalité à la vie. Le ciel et
la terre étaient bien articulés l'un à l'autre. L'homme moderne, au moins dans les sociétés
dites civilisées, se retrouve, dans son existence quotidienne,
sans liturgie, sans symbole, sans rites, sans spiritualité, sans
culture populaire. Des structures mécaniques ont remplacé les
institutions organiques. Or, nous ne pouvons ignorer que, dans une large
mesure, notre vie monastique a été modifiée par cette évolution
de la culture environnante. Nous avons certes conservé nos liturgies,
nos rites, nos symboles ; mais ces réalités ne collent plus, ou
en tout cas collent beaucoup moins à notre vie quotidienne, par
exemple à notre travail, qui est souvent organisé selon les exigences
techniques et administratives de n'importe quelle usine, ou même
à nos études, qui se sont coulées dans les canaux de la science
moderne. Une profonde division menace notre vie quotidienne,
une forme de schizophrénie spirituelle. Certains moines résolvent
la tension en se donnant totalement au travail, parfois sous le
couvert d'une mystique du service. D'autres se donnent totalement
à la liturgie ou à la dimension rituelle de la vie, tout en acceptant
les autres occupations monastiques, tel le travail, comme quelque
chose de non important quoique de malheureusement nécessaire! Tout comme l'homme moderne est porté à s'évader
de la dure réalité quotidienne en se donnant de nouveaux mondes
symboliques et de nouvelles religions, le moine peut aussi céder
à la tentation de se créer dans un univers liturgique désarticulé
de la vie quotidienne des substituts symboliques à la réalité.
Le défi auquel nous sommes affrontés collectivement n'est pas
celui de dépoussiérer d'anciens symboles d'une autre culture,
mais bien celui de resymboliser notre expérience quotidienne d'aujourd'hui. Bien qu'il ne soit pas possible d'approfondir
ici ce point, il nous faut prendre conscience du fait que notre
liturgie véhicule et transmet des attitudes socio-politiques qu'il
serait bon d'analyser. Par là en effet elle peut facilement servir
à consolider le statu quo au lieu d'éveiller aux exigences
évangéliques dans le domaine social.
De toutes les activités du moine, après la prière,
et en union avec celle-ci, la lectio divina est sûrement
la plus traditionnelle et la plus fondamentale. Par elle le moine
se maintient en contact constant avec la Parole de Dieu, avec
la vie et l'exemple du Verbe incarné, avec l'expérience spirituelle
des grands témoins de l'Ancien et du Nouveau Testaments. Elle
est certainement l'un des plus puissants éléments de formation
de la politeia monastique -, non pas tellement parce qu'elle
enseigne quelque chose au moine, mais parce qu'elle lui fait découvrir
le chemin de son coeur et le conduit à la conversion, non seulement
du coeur, mais de toute la vie. Elle est, selon une expression
de Jean Leclercq, une « lecture active », c'est-à-dire qu'elle
exige du lecteur qu'il transforme sa vie pour l'adapter à ce que
lui dit la Parole de l'Ecriture. Il est évident cependant que le contexte dans
lequel cette lecture doit se faire maintenant est fort différent
de ce qu'il était au début du monachisme et durant le moyen âge.
La lecture spirituelle telle que la concevaient les anciens supposait
un contexte culturel qui n'existe plus. Ce contexte était constitué
par tout un ensemble harmonieux de symboles, d'archétypes, de
rites liturgiques, d'art, de poésie, de philosophie et de mythes.
Ce contexte culturel à- forte saveur sapientielle est maintenant
chose du passé, il nous faut bien l'avouer, même si nous pouvons
le déplorer amèrement. Le novice qui aborde Evagre ou Cassien sans
la préparation nécessaire pourra trouver un grand intérêt et peut-être
du profit à leur lecture ; mais ce qu'il lira ne sera certainement
pas Evagre ou Cassien, mais bien ce qu'il voudra lui-même y mettre.
La lectio divina est donc impossible de nos jours sans
une solide formation à la Bible et aux Pères. Mais il ne faut pas nous en arrêter là. Ce que
nous nous sommes efforcés de faire jusqu'à maintenant a été d'initier
d'abord les jeunes moines à une culture du passé afin qu'ils puissent
ensuite recevoir une « formation monastique ». J'ai bien peur
que, dans la plupart des cas, ce que nous prétendons être un acheminement
à la formation monastique ne soit rien d'autre qu'une initiation,
culturelle, I'initiation à une culture du passé. En lançant des
jeunes moines trop rapidement dans la lecture des Pères, nous
risquons d'en faire des transfuges culturels, des gens qui n'appartiennent
plus en fait à aucune culture. Il me semble important de développer d'abord
une authentique culture monastique cohérente pour l'homme d'aujourd'hui.
C'est une fois bien intégré personnellement à l'intérieur de celle-ci
que le jeune moine pourra, sans danger d'aliénation, entreprendre
de scruter les écrits relevant d'une autre culture. L'attitude
opposée ne représenterait qu'une forme de tourisme intellectuel. Un premier danger, ici, c'est de confondre,
la véritable lectio divina avec les nécessaires études
préliminaires des Pères et de leur culture. Mais il existe un
autre danger plus subtil. Dans nos sociétés hautement scolarisées,
le savoir est devenu, comme le reste, un objet de consommation.
Plus un être humain consomme d'éducation, plus il fait fructifier
son savoir et s'élève dans la hiérarchie des capitalistes de la
connaissance au point que, comme le dit encore Illich, l'éducation
définit une nouvelle pyramide des classes, dans la mesure où les
gros consommateurs de savoir prétendent rendre à la société des
services d'une valeur plus éminente et se réservent ainsi le droit
de redéfinir le bonheur de l'homme et ses besoins. Ni l'étude
de la Bible, ni l'étude des Pères du monachisme n'échappent à
cette évolution. L'univers culturel du monachisme ancien doit
être redécouvert laborieusement par une minorité de spécialistes
(ou capitalistes de la connaissance). Ceux-ci ont toujours la
tentation d'accaparer le droit de définir les objectifs et les
valeurs du monachisme, un peu comme les spécialistes de toutes
les autres branches de la science moderne. Il y a là une véritable
forme de domination intellectuelle et morale.
L'Eglise est un mystère de communion fraternelle.
Toutes les fondations cénobitiques à travers l'histoire ont vu
dans la communauté primitive de Jérusalem un modèle à imiter.
Lorsque le jeune Pachôme, alors en prison, découvre le Christ
dans l'assistance gratuite et désintéressée que lui apportent
quelques chrétiens de la ville, il fait la promesse de servir
le genre humain, tous les jours de sa vie ... La caractéristique
fondamentale de l'existence pachômienne est l'amour fraternel
exprimé dans un constant service mutuel entre les frères. On retrouvera
chez Benoît cette atmosphère d'amour fraternel, de considération,
de respect et d'aide mutuelle. Il n'y a certes pas de meilleure
école de charité et d'amour de Dieu. Cependant le contexte culturel
dans lequel Benoît incarne cette profonde intuition est celui
d'une jeune chrétienté bouleversée par les invasions barbares,
où, d'une part, beaucoup de moines ne peuvent pas trop être considérés
comme des adultes et où, d'autre part, le rôle du supérieur est
conçu un peu à l'image du paterfamilias romain qui veille
sur ses enfants, au besoin la verge à la main. Ceci est tout normal, car c'est la société elle-même
qui n'était pas adulte et le peuple chrétien qui était encore
adolescent. Il n'y a pas si longtemps d'ailleurs, les papes parlaient
encore aux chefs d'état et à l'ensemble de l'humanité non seulement
comme à des fils mais comme à des enfants. Mais depuis lors bien
de l'eau a coulé sous les ponts, y compris ceux du Tibre. Une
large partie de l'humanité et du peuple chrétien est devenue adulte.
On s'attend donc de nos jours à trouver dans nos monastères des
hommes ou des femmes mûrs qui assument ensemble la coresponsabilité
de la mise en commun de leur cheminement spirituel personnel,
sous la direction d'un abbas. Par ailleurs, surtout depuis le Concile, les
formes de relation interpersonnelle, tout aussi bien que les formes
de l'exercice de l'autorité, ont passablement évolué dans nos
communautés, mais on peut se demander si c'est dans un sens qui
permet une meilleure réalisation et une meilleure expression de
cette fraternité qui est constitutive du cénobitisme. Sous le couvert du respect des personnes et
de leur autonomie, n'a-t-on pas souvent développé un très grand
individualisme caractéristique de notre société moderne? Nietzsche
avait prédit que le monde à venir serait caractérisé par l'indépendance
de l'individu et par la coagulation de la masse. Cette tendance
vers la privatisation d'une part et la massification d'autre part
ne risque-t-elle pas de marquer la vie de nos communautés monastiques
? Souvent aussi nous avons introduit dans nos
relations interpersonnelles bien des attitudes que, non sans une
certaine ironie, notre société appelle « démocratiques ». Et cela
aboutit facilement à la dictature d'une majorité, et tout le monde
sait qu'une telle dictature est autrement plus intraitable que
celle d'un individu, si autoritaire soit-il ! En ce domaine comme en d'autres, nous sommes
toujours devant le même défi : d'une part l'idéal de fraternité
a été incarné par le monachisme ancien dans des structures culturelles
que nous ne pouvons plus accepter ; d'autre part la culture ambiante
est, sur beaucoup de points, en contradiction avec cet idéal.
Si nous ne voulons pas être formés par notre style de vie commune
soit à une culture du passé, soit à une culture opposée à l'expérience
monastique, force nous est d'élaborer notre propre sous-culture
monastique pour cette fin du XXe siècle.
CONCLUSION
Nous pouvons choisir de vivre dans le passé,
mais nous sommes alors coupés de la réalité concrète. Nous pouvons
essayer de vivre les valeurs ou en tout cas certaines valeurs
du monachisme dans la culture ambiante, et bien des gens du monde
le font; mais alors il n'y a pas de raison de venir au monastère
pour cela. Ce que nous sommes appelés à faire, c'est d'élaborer
pour l'homme d'aujourd'hui une authentique culture ou sous-culture
monastique à dimension critique, à l'intérieur de la grande culture
environnante, afin que des hommes et des femmes de notre temps,
sans cesser d'être de leur temps, puissent y trouver un terreau
où faire germer ce type d'expérience spirituelle que, depuis des
siècles, on appelle l'expérience monastique. Ce qu'on attend d'un environnement monastique,
c'est qu'il soit avant tout une école de vie. Dans notre approche
présente de la formation, nous ne sommes pas assez réalistes.
Nous supposons chez le novice une foule de choses qui ne s'y trouvent
pas et nous ne reconnaissons pas une foule de choses qui s'y trouvent.
Avant de pouvoir profiter de tous les enseignements, ils doivent
apprendre à vivre, à croître, ce qui suppose apprendre
à mourir et à renaître. Nous court-circuitons trop facilement
ce processus profondément humain. Nos monastères risquent souvent d'être des oasis,
un peu bourgeoises, où les moines sont protégés de la plupart
des aspects négatifs de la culture environnante, sans être provoqués
à une exigeante croissance spirituelle, La communauté est censée
être l'environnement où le moine peut vivre les morts et les renaissances
successives capables de le mener à sa maturité spirituelle ; elle
risque souvent d'être simplement le chaud sein maternel qui le
maintient dans un perpétuel état d'enfance. Les institutions qui
restent en harmonie avec l'expérience spirituelle gardent leur
flexibilité. Elles se durcissent dès que cette harmonie se dégrade
faute de renouveau. Elles deviennent alors facilement des moules
empêchant le moine de devenir lui-même, d'atteindre son moi
profond (inner self) et de répondre à ses propres appels
personnels. C'est l'enseignement traditionnel des grands
mystiques qu'à un certain point dans la vie de prière le sujet
doit suivre simplement les inspirations intérieures de son coeur
qui ne s'appuient sur rien d'extérieur qui puisse prouver leur
caractère mystique. Lorsque quelqu'un est appelé à entrer dans
les voies de la contemplation, il est appelé à laisser les formes
traditionnelles et conventionnelles de pensée et d'action et à
juger de son orientation à partir de critères tout à fait nouveaux
et cachés : par la lumière invisible de l'Esprit Saint en son
coeur. Evidemment cela ne va pas sans un certain risque. Nos institutions
monastiques, qui au moins durant les quelques derniers siècles
sont devenues stéréotypées, en sont arrivées à protéger complètement
le moine contre un tel risque. Ce faisant, elles l'ont aussi protégé
contre toute forme de profond développement spirituel, et contre
la véritable solitude. Rien n'est aussi ennemi de la contemplation,
de la vie contemplative, que le fait d'enrégimenter ceux qui s'y
trouvent engagés. Pour élaborer la culture monastique dont nous
avons besoin et qui sera en mesure de former à l'expérience spirituelle
ces milliers de jeunes qui présentement cherchent ailleurs, deux
étapes sont à respecter : la première consiste à analyser
soigneusement notre situation présente à la lumière de la tradition
et des besoins actuels. La seconde aura pour tâche de donner libre
cours à notre imagination créatrice. J'ai essayé dans cette conférence
de faire un début d'analyse. Quant à l'exercice de la créativité,
ce doit être nécessairement une entreprise collective.
Armand VEILLEUX, O.C.S.O. Kumasi (Ghana. W. Africa) P.O. Box 99 [i] Ces pages reproduisent une communication présentée au Symposium monastique international tenu en août 1977 en Australie. |
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