Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

 

À bout de souffle...

 

            Au temps où l’on se payait largement le luxe de la poésie – et les mythes sont d’admirables poèmes – les humains inventaient des mythes pour s’exprimer à eux-mêmes la perception qu’ils avaient du sens de la vie et de son origine. 

            Ainsi, dans le premier livre de la Bible juive, le début de toutes choses est présenté comme un immense magma de matière, un immense chaos (un tohu-bohu, en hébreu), sans vie. Alors le souffle de Dieu (ou l’esprit de Dieu, le mot hébreu ruah signifiant à la fois souffle et esprit) plana sur ce chaos en en fit jaillir la vie par vagues successives.  Chaque vague impliquait une nouvelle diversification : ténèbre et lumière, ciel et terre, végétaux et animaux, homme et femme.  L’être humain apparaît lorsque Dieu insuffle son propre esprit dans l’une de ses créatures. Il serait stupide de briser la beauté --  le « souffle » grandiose -- de cette vision mystique et poétique en essayant d’y voir un fondement pour l’une ou l’autre des hypothèses scientifiques modernes sur l’origine de la vie humaine.  

            Nous retrouvons la présence de ce Souffle de Dieu tout au long de la Bible juive et dans les écrits du Nouveau Testament.  Lorsque des hommes jouèrent un rôle important dans la conduite politique du peuple, comme un Moïse ou un Josué, ou encore dans l’appel du peuple à la conscience ou à la conversion, comme le firent ceux qu’on appela les prophètes, c’est que le Souffle de Dieu descendit sur eux ou même fondit sur eux.           

            Le messager qui annonce à Marie qu’elle sera mère du Fils de Dieu, lui explique que le Souffle de Dieu planera sur elle, comme il avait plané sur les eaux au matin de la création et en avait fait jaillir la vie.  Lorsque Jésus veut se faire disciple de Jean le Baptiste et qu’il descend dans l’eau du Jourdain, le même Esprit de Dieu se manifeste au dessus de lui sous la forme d’une colombe, symbole de la paix. Et lorsque le même Jésus envoie ses disciples en mission, la dernière fois qu’il se manifeste à eux, il souffle sur eux.  Enfin, un grand Souffle envahit l’endroit où se trouvent les apôtres, le jour de la Pentecôte, jour où ils commencent enfin à prendre conscience de la mission que Jésus leur a donnée de répandre son Souffle à toutes les nations.

             Ce Souffle qui a donné vie à tout ce qui a vie, Jésus de Nazareth l’a appelé son Esprit et l’Esprit de son Père.  Et il nous l’a promis. Il est celui que nous appelons Dieu, lorsque nous parlons de Dieu avec un grand « D ». Il est plus présent à nous que nous ne sommes présents à nous-mêmes. Nous entrons en relation personnelle avec Lui lorsque nous pénétrons en notre propre coeur jusqu’à cette racine où notre être jaillit de la source de l’Être. 

            C’est quand je m’éloigne de ce centre, quand je me disperse dans des activités superficielles, que je m’essouffle, au point d’être à bout de souffle, parce que je me coupe alors du Souffle qui engendre toute vie. Si notre société occidentale actuelle semble ne plus aller que de crise en crise, c’est sans doute qu’elle est à bout de souffle, coupée de la source de toute vie, qu’il s’agisse de vie animale ou de vie humaine, de vie du corps de l’esprit ou du coeur. 

            La fête de la Pentecôte rappelle à tous les Chrétiens qu’ils doivent être dans le monde où ils vivent des porteurs de l’Esprit. Ils doivent être des ponts.  Leur mission n’est pas d’abord de faire la morale à leurs concitoyens, de partir en croisade pour la défense de tel ou tel principe mais bien de laisser passer à travers eux le Souffle, afin qu’il anime toujours plus l’humanité et l’univers.  Pour cela il leur faut tout d’abord être présents au Monde, d’une présence aimante et respectueuse et, d’autre part, se laisser eux-mêmes remplir du Souffle.  En tout cas, ne pas être à bout de Souffle ! 

 

Armand Veilleux

 

dans L'Appel, juin 2009, nº 318, p. 20.