Questions monastiques en général
|
|||
|
|||
Le
silence
dans
une
célébration
monastique
[1]
Au coeur de la vie du moine se trouve
non
pas
le
silence
mais
la
Parole.
Il
essaye
de
faire
de
toute
sa
vie
une
prière
continuelle,
s’efforçant
de
mettre
en
pratique
l’unique
précepte
évangélique
sur
la
prière,
qui
est
celui
de
prier
sans
cesse.
Or
cette
prière
continuelle,
qui
doit
se
poursuivre
tout
au
long
des
occupations
de
la
journée,
ne
consiste
pas
à
réciter
des
prières
ni
à
penser
constamment
à
Dieu,
mais
bien
à
rester
dans
une
communion
aussi
constante
que
possible
avec
la
Parole
prononcée
en
son
coeur
par
l’Esprit
Saint :
Abba. C’est en se laissant absorber dans le silence
où
naît
la
Parole
du
Père,
qu’il
est
engendré
à
son
propre
être
de
fils. L’unique
prière L’unique prière qui existe est celle
du
gémissement
de
l’Esprit
en
nous
dont
parle
Paul
aux
Romains.
Tout
le
reste
de
ce
qu’on
appelle
prière
est
un
ensemble
de
moyens
humains
utilisés
pour
faire
jaillir
au
niveau
de
notre
conscience
cette
relation
existentielle
avec
la
Parole
qui
nous
engendre
dans
le
Silence.
Évidemment
cette
présence
à
la
Présence,
qui
est
l’essence
de
la
prière,
ne
peut
avoir
dans
la
vie
quotidienne
toujours
la
même
intensité. Elle peut être parfois très vive et souvent
plutôt
latente.
Mais
elle
doit
être
toujours
là
pour
qu’il
y
ait
cette
prière
continuelle. Pour que cette prière se réalise, ou
plutôt
pour
qu’elle
soit
donnée
et
reçue
–
car
elle
est
toujours
un
don
gratuit
--
un
certain
nombre
de
conditions
sont
nécessaires. La première est celle d’un effort constant de
purification
du
coeur.
Il
y
a
aussi
certaines
conditions
extérieures
qui
la
rendent
possible. Le mode de vie monastique comporte un certain
nombre
de
pratiques
destinées
à
la
favoriser,
entre
autre
la
solitude
et
la
pratique
du
silence.
Les
moines
s’efforcent
donc
de
maintenir
dans
leur
monastère
--
avec
un
succès
qui
varie
selon
les
lieux
et
les
temps,
et
qui
n’est
jamais
total
–
une
atmosphère
de
silence.
Prière
et
écrits
bibliques Un moyen essentiel utilisé par les
moines
pour
rejoindre
la
Parole
au
coeur
du
Silence
de
Dieu
est
un
contact
aussi
fréquent
que
possible
avec
les
écrits
de
l’Ancien
et
du
Nouveau
Testament
qui
nous
transmettent
cette
Parole
telle
qu’elle
a
été
reçue,
vécue
et
retransmise
par
une
longue
tradition
de
témoins.
Le
moine
ne
lit
pas
l’Écriture
pour
y
trouver
un
enseignement
moral,
théologique
ou
même
spirituel,
mais
avant
tout
pour
entrer
en
contact
avec
la
Parole
par
l’intermédiaire
de
l’expérience
de
témoins
privilégiés
afin
d’en
faire
lui-même
son
expérience. Plusieurs fois par jour le moine se
retrouve
à
l’église
avec
ses
frères
pour
célébrer
avec
eux
l’Office
Divin
et
l’Eucharistie.
Ont
peut
dire
que
ces
moments
rompent
le
silence,
en
quelque
sorte.
Ce
sont
des
moments
où
ils
disent
et
chantent
ensemble
le
contenu
de
leur
silence,
où
ils
écoutent
ensemble
la
Parole
que
tout
au
long
du
jour
ils
s’efforcent
d’écouter
au
fond
de
leur
coeur. Ils rompent le silence extérieur pour communier
dans
leur
effort
de
pénétrer
dans
le
Silence
de
Dieu. Cette prière commune est conçue comme
une
célébration.
Saint
Benoît,
le
père
des
moines
d’Occident,
donne
à
cette
prière
commune
le
nom
d’Opus Dei. L’Office monastique est donc conçu comme un
travail,
une
activité
commune,
et
non
pas
comme
un
environnement
destiné
à
favoriser
ou
à
nourrir
une
méditation
personnelle
des
textes
chantés
ou
écoutés. Le silence est important dans une célébration
monastique,
mais
c’est
tout
d’abord
le
Silence
dans
lequel
se
déroule
la
célébration
et
le
Silence
dans
lequel
il
fait
entrer,
et
non
pas
un
ensemble
de
plages
de
silence
introduites
plus
ou
moins
artificiellement
tout
au
long
de
la
célébration. La
célébration
et
le
silence La célébration devra se dérouler avec
une
grande
sérénité,
parfois
très
joyeuse
comme
à
certaines
grandes
fêtes,
parfois
plus
réservée
ou
même
douloureuse
en
certaines
circonstances. L’important est que la communauté se retrouve
toujours
soudée
dans
cette
célébration
qui
doit
avoir
son
propre
rythme
et
sa
propre
vie.
Cette
célébration
ne
consiste
pas
en
une
série
de
textes
ou
de
chants
destinés
à
nourrir
une
prière
individuelle.
Il
s’agit
au
contraire
de
l’expression
collective
de
la
prière
que
tous
s’efforcent,
chacun
pour
sa
part,
de
vivre
tout
long
de
la
journée.
L’Office Divin devra avoir une vie,
être
animé
par
un
souffle
et
donc
suivre
un
certain
rythme. Ce rythme impliquera des moments de pause entre
les
lectures
et
les
chants.
Ces
moments,
on
hésite
à
les
appeler
« silences »,
car
au
donne
alors
au
mot
silence
un
sens
tout
autre
que
celui
du
Silence
dans
lequel
se
déroule
toute
la
célébration. Il ne faudrait pas non plus voir en cela une
alternance
entre
la
prière
commune
et
la
prière
personnelle. Il s’agit d’un bout à l’autre, y compris dans
les
moments
dits
de
silence,
d’une
prière
commune,
d’une
activité
de
prière,
d’un
opus.
La
lectio
divina De tout temps, dans la Tradition chrétienne,
le
contact
avec
la
Parole
de
Dieu
transmise
dans
les
Écritures
et
la
Tradition
a
été
considéré
non
seulement
comme
une
école
de
prière
mais
bien
comme
une
prière.
De
nos
jours
on
lui
a
donné
le
nom
latin
de
lectio divina et on tend malheureusement à en faire un exercice dont
des
spécialistes
peuvent
enseigner
la
méthode. La vraie lectio
n’est
pas
un
exercice ;
elle
est
une
vie.
Elle
consiste
à
se
laisser
sans
cesse
interpeller
par
la
Parole,
non
pas
pour
faire
sur
elle
ensuite
de
belles
réflexions,
mais
pour
se
laisser
pénétrer
par
elle
comme
par
un
glaive,
et
pour
se
laisser
sans
cesse
retrouver
par
elle
dans
notre
aujourd’hui.
L’Office divin est, dans une communauté
monastique,
le
moment
privilégié
de
la
lectio. Cette écoute commune,
jour
après
jour,
et
même
plusieurs
fois
par
jour,
de
la
Parole
est
une
lectio
communautaire. Non pas parce qu’on s’arrêterait pour faire
sur
ces
textes
un
« partage »
mais
simplement
parce
qu’on
se
laisse
bousculer
ensemble
par
la
même
Parole.
C’est
lorsque
nous
écoutons
la
Parole
qu’elle
nous
atteint
en
nos
profondeurs
et
non
lorsque
nous
faisons
sur
elle
nos
méditations
ou
nos
réflexions.
Que
le
rythme
de
l’Office
prévoie
de
brefs
moments
de
transition
entre
les
diverses
parties
de
la
célébration
pour
laisser
pénétrer
dans
le
coeur
de
chacun
cette
expérience,
c’est
nécessaire.
Ce
rythme
variera
d’une
communauté
à
l’autre
et
devra
être
constant
en
chaque
communauté. Rien de plus vide qu’un moment un peu plus prolongé
de
silence
qu’introduirait
arbitrairement
et
de
façon
inattendu
un
chantre
ou
un
célébrant
soit
par
distraction
ou
par
fantaisie. Durant un tel silence on attend simplement qu’il
se
termine.
Cela
n’empêchera
évidemment
pas
un
président
sensible
à
la
communauté
de
percevoir
qu’un
plus
long
moment
de
silence
s’impose
après
une
lecture
qui
vient
à
propos
dans
l’expérience
vécue
de
la
communauté
et
d’en
discerner
la
longueur
opportune. Pour le moine chrétien l’essentiel
de
sa
vie
monastique
est
ce
qu’il
a
de
commun
avec
tous
ses
frères
et
soeurs
chrétiens. La recherche de la prière continuelle, c’est-à-dire
d’une
union
d’amour
avec
Dieu
aussi
constante
que
possible,
est
le
but
de
toute
vie
chrétienne.
Le
moine
utilise
pour
arriver
à
ce
but
un
ensemble
de
moyens
dont
l’agencement
constitue
ce
qu’on
appelle
la
voie
« monastique ».
Parmi
ces
moyens
se
trouvent
la
solitude
et
le
silence.
Le
moine
a
donc
avec
le
silence,
tout
au
long
de
sa
vie
quotidienne,
une
relation
assez
différente
de
celle
qu’ont
la
majorité
des
chrétiens
dans
leurs
vocations
respectives.
Il
est
donc
normal
que
sa
relation
au
silence
dans
la
liturgie,
aussi
bien
dans
l’Eucharistie
que
dans
l’Office
Divin,
soit
assez
différente
de
celle
de
ses
soeurs
et
frères
ayant
une
vocation
différente.
Eucharistie
et
plages
de
silence On comprend l’importance que peut avoir
pour
des
Chrétiens
n’ayant
souvent
que
l’Eucharistie
du
dimanche
comme
prière
commune
avec
d’autres
Chrétiens,
le
fait
d’introduire
dans
cette
célébration
des
plages
importantes
de
silence
permettant
à
chacun
de
mieux
faire
sienne
la
prière
commune
et,
au
besoin,
de
mieux
assimiler
l’enseignement
reçu.
Les
besoins
d’une
communauté
monastique
sont
différents.
Évidemment,
lorsque
cette
communauté
s’ouvre
à
la
participation
de
nombreuses
personnes
de
l’extérieur
à
sa
célébration,
en
particulier
à
la
célébration
eucharistique,
elle
doit
prendre
aussi
leurs
besoins
en
considération.
Cela
ne
devra
pas
cependant
aboutir
simplement
à
transformer
la
célébration
monastique
en
célébration
de
type
paroissial,
mais
devra
aussi
aider
ceux
qui
y
viennent
à
entrer
dans
l’expérience
monastique. D’ailleurs les personnes qui ont pris l’habitude
de
venir
régulièrement
prier
dans
un
monastère
y
sont
attirées
non
pas
parce
qu’elles
trouvent
en
ces
célébration
des
moments
plus
ou
moins
nombreux
et
plus
ou
moins
longs
de
silence,
mais
plutôt
par
le
Silence
au
sein
duquel
se
déroule
toute
la
célébration
et
qui
est
constitué
par
l’expérience
spirituelle
collective
des
frères
ou
de
soeurs
et
non
par
tel
ou
tel
élément
matériel
et
tangible
précis. Les
psaumes
comme
écoute
de
la
Parole Selon une grande partie de la tradition
monastique,
surtout
la
plus
ancienne,
les
psaumes
ne
sont
pas
conçus
comme
une
prière
que
l’on
doit
faire
sienne
–
en
faisant
parfois
une
gymnastique
considérable
pour
réussir
à
en
faire
une
prière
chrétienne. La psalmodie est plutôt conçue comme une écoute
de
la
Parole,
soit
que
l’on
psalmodie
tous
ensemble,
soit
qu’on
écoute
la
voix
d’un
psalmiste.
Il
s’agit
de
se
laisser
pénétrer
et
interpeller
par
l’expérience
spirituelle
de
grands
croyants
qui
ont
marqué
la
spiritualité
du
Peuple
de
Dieu. Il ne s’agit pas non plus d’écouter le psaume
pour
prier
ensuite.
C’est
l’écoute
elle-même
qui
est
prière.
Une
prière
qui
consiste
à
communier
avec
le
Dieu
vivant
à
travers
l’expérience
qu’en
ont
eu
des
hommes
de
chair
et
de
sang,
comme
nous,
marqués
par
leurs
limites
humaines
et
parfois
leurs
désirs
violents
de
vengeance
aussi
bien
que
par
l’ardeur
de
leur
désir
et
de
leur
amour.
Dès
lors,
qu’un
bref
moment
de
silence
suive
chaque
psaume
pour
laisser
s’ancrer
en
nous
l’expérience
vécue
au
cours
de
sa
récitation
ou
de
son
écoute,
cela
va
de
soi.
Mais
en
général
la
plupart
des
communautés
monastiques
trouveront
artificiel
un
temps
plus
long
à
ce
moment.
Même
après
les
lectures,
un
temps
trop
long
tendra
à
transformer
cette
activité
commune
de
prière
en
une
alternance
continuelle
entre prière commune et réflexion ou méditation privée,
qui
changerait
la
nature
de
la
célébration. Au cours de la réforme liturgique qui
a
suivi
Vatican
II,
dans
les
communautés
monastiques,
on
s’est
efforcé
en
général
de
réduire
le
nombre
de
psaumes,
pour
privilégier
une
lecture
plus
substantielle
des
autres
parties
de
l’Écriture
et
aussi
pour
favoriser
un
style
de
célébration
plus
paisible
et,
pourrait-on
dire,
plus
silencieux,
c’est-à-dire
plus
de
nature
à
faire
pénétrer
dans
le
Silence
de
Dieu. Il est intéressant de constater qu’en général
les
communautés,
même
celles
manifestant
le
meilleur
esprit
liturgique,
n’ont
pas
été
très
ouvertes
à
l’introduction
de
blocs
de
silence. Je crois que cette réaction était très saine,
la
journée
monastique
étant
conçue
comme
une
longue
plage
de
silence
(toujours
relatif,
évidemment)
que
les
moments
de
prière
commune
viennent
rythmer
en
le
brisant. Lorsqu’on dit que l’Office Divin (expression
que
je
préfère
à
« Prière
des
Heures »
lorsqu’on
parle
de
l’Office
monastique)
est
conçu,
dans
la
théologie
contemporaine,
comme
une
sanctification
des
heures.
Cela
ne
veut
pas
dire
que
certaines
heures
de
la
journée,
celles
auxquelles
on
célèbre
les
Offices,
deviennent
plus
sacrées
ou
saintes
que
les
autres. Cela veut dire simplement que c’est tout le
rythme
de
la
journée
--
cette
alternance
de
lumière
et
de
ténèbre,
de
travail
et
de
repos,
de
rencontres
et
de
moments
solitaires
--
qui
est
assumé
dans
le
rythme
de
la
vie
divine
sous
le
souffle
de
l’Esprit. En pénétrant dans ce rythme, sans quitter notre
temps
et
notre
attachement
à
un
lieu
concret,
nous
sommes
assumés
au
delà
du
temps
et
de
l’espace
dans
le
Silence
éternel
où
s’engendre
la
Parole
qui
nous
a
engendrés.
Armand
Veilleux,
ocso Abbaye
de
Scourmont,
Belgique
[1]
Article paru
dans Vivre et célébrer – Revue de pastorale
liturgique
et
sacramentelle,
Ottawa,
volume
43,
nº
198
(2009),
pp.
7-11. |
|
||