Le droit de se défendre

 

          Chaque fois qu’Israël envahit brutalement le territoire palestinien qu’il contrôle déjà militairement, tuant par centaines hommes, femmes et enfants, et détruisant systématiquement les infrastructures vitales (électricité, approvisionnement d’eau, édifices, routes), nos chefs d’états occidentaux ressortent le même vieux disque fêlé.  Dans des termes si semblables et usés que cela les rend ridicules, ils répètent en choeur qu’Israël a le droit de se défendre.  Quelques-uns, tout en hésitant, ont le courage d’ajouter « ... de façon proportionnée », mais pratiquement aucun n’ose dire que l’intervention d’Israël est disproportionnée.

 

          Évidemment qu’Israël a le droit de se défendre !  Mais comment se fait-il que personne n’ose dire que les Palestiniens et en particulier les Gazaouis ont aussi le droit de se défendre ?  Gaza est une prison à ciel ouvert.  Le blocus exercé par Israël et contrôlé militairement, empêche l’entrée des produits essentiels à une vie humaine décente.  La nourriture est insuffisante, l’eau potable de même. Les hôpitaux et dispensaires manquent des produits les plus élémentaires pour soigner les malades. Il n’y a pas de ciment pour reconstruire les maisons et autres infrastructures détruites dans les attaques précédentes.

 

          Le peuple de Gaza est un peuple sous occupation militaire, constamment agressé par l’armée d’Israël. Ses élus sont éliminés les uns après les autres par des missiles qui ne cessent de pleuvoir sur le territoire avec une précision chirurgicale.  Ce peuple, agressé en permanence a le droit de se défendre.  Les roquettes qu’il lance actuellement sur Israël, avec des dommages presque nuls, sont à peu près sa seule façon de se défendre.  Cette défense est disproportionnée, car elle est ridicule par rapport à l’agression constante que ce peuple subit. Justifier la réplique massive, meurtrière et destructrice d’Israël comme l’application d’un droit à la défense est odieux en plus d’être ridicule.

 

          On peut aimer et respecter profondément le peuple juif tout en condamnant la brutalité de son gouvernement actuel qui va à l’encontre de toutes les règles internationales.  Il est temps qu’on se libère de ce chantage qui veut considérer comme « antisémite » quiconque condamne les crimes de ses dirigeants.  Il est temps qu’on appelle un chat un chat et un crime un crime.

 

          L’habitude s’est prise pour les puissants (les USA et Israël en particulier, mais ils ne sont pas les seuls) de classer unilatéralement comme « terroristes » tous ceux dont ils n’approuvent pas les méthodes ou les idées.  Quiconque vit dans la prison à ciel ouvert qu’est Gaza ne peut que considérer Netanyahu et son armée comme des terroristes et agir à leur égard comme les puissants s’autorisent à agir à l’égard de « leurs » terroristes.

 

          Dans les incursions périodiques de l’armée d’Israël sur Gaza et les autres territoires palestiniens, les morts se comptent par centaines et parfois par milliers. En très grande majorité des civils. On avertit cyniquement les habitants de quitter leurs maisons, quelques minutes avant de les détruire, mais on sait qu’ils n’ont aucun endroit où aller et ils se font tuer devant leurs maisons, dans la rue. Si l’on ajoute à cela tous les décès causés depuis un demi-siècle par l’absence de soins médicaux, par l’absence de ressources essentielles, par le manque d’instruction et si l’on y ajoute toutes ces vies écourtées par ce blocus qui est une agression militaire permanente, on arrive non seulement à plusieurs centaines de milliers de victimes mais à des millions.  Jusqu’à quand devra-t-on attendre avant de réclamer le droit de considérer ce traitement des Palestiniens comme un génocide.  Le gouvernement norvégien a osé le faire ces derniers jours.  Qui aura assez d’honneur pour faire de même ?

 

          Dans l’Évangile, on trouve une belle expression qui est utilisée dans deux sens différents et complémentaires. C’est l’expression « Fils de l’homme », qui signifie, dans un premier sens tout être humain et, dans un sens plus restreint, le « fils de l’homme » par excellence, le Christ.  À Gaza, ces jours-ci, comme depuis des décennies, c’est le Fils de l’Homme qui est bafoué et agressé.  Et l’ensemble des États qu’on appelle abusivement « la communauté internationale » (qui n’a en fait rien d’une communauté) se tait, pour des raisons de rentabilité électorale. Eux qui savent agir si rapidement et même brutalement dans des situations beaucoup moins dramatiques.

 

          Comment comprendre cet acharnement des dirigeants d’Israël contre Gaza ? Ne faudrait-il pas chercher la principale raison dans le gisement de trente milliards de mètres cubes de gaz naturel qui se trouve dans les eaux territoriales palestiniennes et qu’Israël voudrait bien pouvoir exploiter, si possible sans payer de droits aux Palestiniens. Moshe Ya’alon, l’actuel ministre israélien de la Défense déclarait en 2007 que « le gaz ne peut pas être extrait sans une opération militaire qui éradique le contrôle du Hamas à Gaza ».  Cette déclaration fut suivie peu après, en 2008, de l’opération « Plomb durci » contre Gaza.  La présente agression, peu après l’échec de négociations sur le partage de ce gaz naturel, a sans doute le même but ultime.

 

          Toute agression exige une occasion qui la provoque.  Cette fois-ci l’agression a été provoquée par l’enlèvement et la mort de trois adolescents juifs. Beaucoup de mystère demeure autour de ce drame. Comment ont-ils pu être kidnappés dans un territoire sous le contrôle des autorités juives ? Selon la presse locale, l’armée juive savait dès les premières heures, où étaient les corps. Mais une « recherche » de plusieurs jours avant de les « découvrir » a permis d’arrêter de nombreux palestiniens, y compris des politiciens considérés comme « terroristes » tout simplement parce qu’ils appartiennent à un parti politique, et surtout de faire la reconnaissance des lieux.  Excellente préparation à l’invasion qui allait suivre. Les services secrets israéliens, dont personne ne doute de l’effroyable efficacité, et qui connaissent tous les centimètres carrés de Gaza n’ont produit aucune explication sur les auteurs de cet assassinat et sur ses circonstances.  De là à penser à un coup monté pour justifier une agression, il n’y avait qu’un pas qu’a franchi allègrement la presse des pays arabes.

 

          Peut-on espérer que cet ultime drame secoue l’humanité pour qu’elle fasse enfin justice au Peuple palestinien.   Israël en sera le premier bénéficiaire.

 

 

Armand Veilleux,

19 juillet 2014