Questions cisterciennes



(Dernière mise à jour le 10 juillet 2008)

 

 

 
 

Les Régions dans l'OCSO ... un peu d'histoire

(Document de travail pour la Conférence Régionale CNE, juin 2003)

            Les régions sont apparues dans l'Ordre de façon spontanée à partir des environs de 1960.  C'est d'ailleurs au Chapitre Général de 1960 qu'il est question pour la première fois de réunions informelles d'abbés.  On en reconnaît l'existence, non sans faire une mise en garde.  Voici le texte voté à l'unanimité par les Capitulants:

Il serait regrettable que l'éloignement de nos Chapitres Généraux (que le même CG de 1960 avait décidé de tenir tous les deux ans au lieu de tous les ans) devint la cause de réunions qui pourraient finir par prendre plus ou moins la forme de Chapitre régionaux.  Rien n'empêche les Pères abbés de se réunir pour discuter ensemble de leurs problèmes, mais ces rencontres doivent demeurer sur le plan de l'amitié.  Le Chapitre Général déclare qu'il ne reconnaîtra aucun caractère officiel à ces assemblées et que celles-ci doivent s'abstenir de prendre des décisions et même de formuler des voeux pris en commun (CG 1960, p. 11)

            Ce texte constitue la première reconnaissance officielle de ce qu'on appellera un peu plus tard les "Conférences régionales" et formule deux principes dont l'un restera inchangé jusqu'à aujourd'hui et l'autre connaîtra une évolution lente mais constante.  Le premier principe est qu'il s'agit de libres réunions de supérieurs.  Personne n'est obligé de participer à une Conférence régionale et tout supérieur peut se joindre à celle de son choix s'il y est accepté.  Par ailleurs, le second principe voulant que le Chapitre Général ne reconnaisse aucun caractère officiel à ces assemblées évoluera.  Sans jamais en faire une "structure" de l'Ordre, on leur reconnaîtra par la suite, et de diverses façons, un "caractère officiel".

            Il n'est pas question de ces réunions ni au CG de 1962 ni à celui de 1964; mais entre 1960 et 1965 elles s'imposent comme une réalité de fait dans toutes les parties de l'Ordre, quoique sous des formes très diverses.  La première réunion de la Commission Centrale, réunie à Rome en 1964, en parle à plusieurs reprises.  Le Chapitre Général de 1965 en parle explicitement mais ne va pas aussi loin que la Commission Centrale aurait voulu aller, toujours attentif à éviter le danger du "régionalisme".  Contrairement à la décision de 1960, ces réunions sont maintenant autorisées à formuler des voeux communs et on accepte que leurs comptes rendus puissent être envoyés à tous les abbés. Par ailleurs on remet à plus tard la question d'un éventuel statut juridique.  Cependant on parle déjà de leur confier le soin de préciser l'un ou l'autre usage, et on veut en tenir compte dans la répartition des membres de la Commission Centrale.

            Dans les années qui suivent ces réunions deviennent mixtes de facto dans la plupart des cas, même si se créent des régions d'abbesses parallèles à celles des abbés,  et les Chapitres Généraux de 1967 et de 1969 leur reconnaissent un rôle toujours plus important dans l'Ordre, sans cependant jamais préciser davantage leur statut juridique, ce qui d'ailleurs favorise leur évolution. 

            Le CG de 1967 reconnaît aux régions "un rôle important pour poser les problèmes et les étudier".  Sans qu'on s'en rende trop compte, il y avait là la source d'un problème qui allait nous accompagner tout au long de la réforme de nos institutions.  Quelques régions pouvant se réunir plus facilement à cause de distances moindres et comprenant des personnalités plus marquantes allaient avoir une influence très grande sur la marche de l'Ordre, laissant aux régions "périphériques" très peu de possibilités d'avoir une influence sur la façon dont les problèmes étaient posés et sur la formulation des diverses solutions qui seraient étudiées lors des Chapitres Généraux.

            Le même CG de 1967 estime qu'il faut désormais l'autorisation du Chapitre Général pour former une nouvelle région, et il approuve d'ailleurs la formation de la région africaine.

            Au Chapitre de 1969 de nouvelles attributions sont confiées aux régions : on leur confie le soin d'organiser une cour d'appel pour un religieux envoyé, par mesure disciplinaire, dans un autre monastère; on institue des secrétaires régionaux pour la formation et on autorise chaque région à envoyer au CG un représentant non supérieur.  Concrètement, depuis 1969 jusqu'à la rédaction définitive des Constitutions, et même depuis lors, le CG n'a cessé de donner des tâches aux régions et de les impliquer de diverses façons dans la vie de l'Ordre, sans jamais cependant leur donner un Statut juridique précis.

            La Constitution 81 marque une évolution sur quelques points.  On ne parle plus simplement de réunions libres de supérieurs, mais bien de "régions" regroupant les communautés de l'Ordre, et ces régions sont liées à des zones géographiques, même si personne n'est réellement obligé d'appartenir à une région plus qu'à une autre.

            Selon cette Cst 81 et les statuts 81.A et 81.C, les conférences régionales sont d'utiles moments de communion, de réflexion et d'échanges.  Par ailleurs le statut 81.B lie les régions à deux structures importantes de l'Ordre, la Commission Centrale et le Chapitre Général, en prévoyant que chaque Conférence est représentée à la Commission Centrale  par un supérieur et qu'elle peut envoyer au CG un délégué non supérieur. 

            En réalité on peut dire que c'est ce statut qui a compliqué l'évolution des régions depuis lors.  (D'autres diront peut-être qu'il les a empêché d'évoluer de façon trop incontrôlée...).  En effet si les régions n'étaient que des organismes de réflexion et de partage pastoral, peu importerait qu'elles regroupent un grand nombre ou un tout petit nombre de supérieurs, qu'elles soient mixtes ou non, qu'elles se subdivisent en sous-régions et qu'elles se réunissent à des fréquences très variées.  Mais à partir du moment où elles sont structurellement liées à la constitution même de la Commission Centrale, toute approbation d'une nouvelle région, surtout si elle correspond à une ère géographique ne comprenant que très peu de communautés, et toute réorganisation des régions posent des problèmes difficiles à résoudre.

            Il devient donc important de se demander comment se sont tissés les liens entre la Commission Centrale et les régions.  Si, en effet, on imaginait une composition de la Commission Centrale qui ne soit pas liée aux régions tout en respectant une juste représentation des cultures, il serait peut-être plus facile de repenser la constitution des régions. 

            Faisons donc une brève histoire de la Commission Centrale.

            C'est tout de suite après le CG de 1964, durant lequel il fut élu Abbé Général, que Dom Ignace Gillet créa une petite commission pour étudier la situation des "Six d'Achel" qui désiraient faire une "fondation simplifiée" au Danemark, ainsi qu'une situation semblable dans un autre monastère de Hollande.  Cette Commission était composée des six abbés de Cîteaux, Westmalle, Mont-des-Cats, Mount Saint Bernard, Achel, Mariawald et Tilburg.  Dom Ambroise en était le président. La réunion eut lieu à Westmalle du 12 au 16 avril 1964.

            On pourrait dire que cette réunion opéra une sorte de "coup d'état".  Son mandat étant assez large, elle l'étendit encore plus et traita de toute la problématique de renouveau dans l'Ordre.  Son rapport de 15 pages (qui n'a d'ailleurs pas été distribué dans l'Ordre) portait comme titre "Commission d'aggiornamento". La Commission prévoyait de se réunir de nouveau en novembre.

            Dom Ignace donne un rapport de cette réunion aux Capitulants dans une circulaire du 13 mai 1964.  Ensuite, dans une autre circulaire, datée du 12 septembre il consulte les Capitulants sur l'opportunité d'une autre réunion et, dans l'affirmative, sur la composition de cette commission.  Le résultat de ce questionnaire, communiqué dans une circulaire du 25 novembre 1964 montre que les avis sont très partagés.  Si la majorité ne souhaitent pas une deuxième "commission de Westmalle", une majorité désire quand même qu'une commission, entièrement renouvelée, se réunisse "pour étudier les problèmes de portée générale existant dans l'Ordre".  De plus la majorité estime que cette Commission doit "être composée de membres choisis plus exactement au prorata du nombre de moines et de moniales en chaque pays ou groupe de pays". 

            La réunion eut lieu à Monte Cistello, à Rome, en décembre 1964.  Elle était composée de 15 membres représentant les monastères d'Europe et d'Amérique du Nord. au prorata du nombre de moines et de moniales ( 1 pour le Canada; 3 pour les États-Unis; 2 pour l'Italie-Espagne; 1 pour la Grande Bretagne; 1 pour l'Irlande, 2 pour la Hollande et la Belgique flamande; 5 pour la France et la Belgique wallonne). Le rapport de cette réunion couvrait presque cent pages, et il faisait de nombreuses fois référence aux "groupes régionaux".  C'était la première fois qu'un Chapitre Général était si bien préparé.  Ce fut la première réunion de la Commission Centrale, même si elle ne portait pas encore ce nom.  Elle fut présidée par l'Abbé vicaire et ni l'Abbé Général ni les Définiteurs n'en firent partie. (L'Abbé Général assista cependant à la plupart des séances, "invité" par la Commission).

            Le Chapitre Général de 1965 décide de créer de nouveau une telle commission "chargée de préparer le prochain Chapitre Général".  Cette décision est prise à l'unanimité, à mains levées.  Les membres sont élus par le Chapitre Général, au nombre de 15, au prorata non plus du nombre de moines et de moniales, mais du nombre de maisons.

            À partir du CG de 1967 cette "Commission Centrale" se transforme en "Consilium Generale" Ce Consilium Generale comprend l'Abbé Général et son conseil, plus un délégué de chaque région et le promoteur du Chapitre.  On voit qu'on est passé du prorata du nombre de moines et moniales, puis du prorata du nombre de maisons à une représentation par région.  C'est que les régions sont de plus en plus une réalité importante dans l'Ordre.

            Les pouvoirs du Consilium Generale seront revus en 1971. Il devient le "Conseil plénier" de l'Abbé Général, le Définitoire étant rebaptisé "Conseil permanent".  Dans les Constitutions de Holyoke ce Consilium Generale disparaît et réapparaît la "Commission Centrale" dont l'équivalant dans la branche féminine s'appelle la "Commission de préparation", jusqu'à ce que le même nom de "Commission Centrale" soit choisi par les deux Chapitres lors de la RGM de 1987 et l'approbation des nouvelles Constitutions. 

            Tout au long de cette évolution complexe et fort intéressante de ce nouvel organisme qui change souvent de nom, la représentation des régions demeure un élément fondamental depuis 1967.  Or chaque fois qu'il a été question de remanier certaines régions ou d'en créer de nouvelles, ce fut cette question de la représentativité au sein de la Commission Centrale (et aussi du délégué au Chapitre Général) qui fit problème.  On le comprend, car on ne peut augmenter indéfiniment le nombre des membres de la CC, et il ne serait pas juste qu'une région de deux monastères soit représentée au même titre qu'une de vingt.

            L'évolution parallèle et interdépendante de ces deux nouvelles structures de l'Ordre que sont les régions et la Commission Centrale a certainement été fructueuse.  Elle a eu aussi ses inconvénients.  Si elle a permis aux régions de contribuer activement chacune à sa façon à la transformation des autres structures de l'Ordre et à l'élaboration de la nouvelle législation (Constitutions et divers Statuts), elle a peut-être conduit à mettre souvent en second lieu l'aspect d'entraide pastorale qui était le but premier de ces réunions d'abbés et d'abbesses.

            Afin de permettre aux régions de prendre un nouveau souffle et afin de permettre à la géographie des régions d'évoluer de façon libre, le temps ne serait-il pas venu d'imaginer une composition de la Commission Centrale qui serait faite sur une autre base que celle de la représentation par régions. 

            Les membres de la Commission Centrale représentant les régions sont élus par le Chapitre, même s'ils sont présentés par les régions.  On pourrait imaginer diverses autres façons d'élire les membres de cette Commission Centrale qui, d'ailleurs, auraient peut-être avantage à ne pas être aussi nombreux qu'ils le sont présentement.  D'ailleurs le style des Chapitres Généraux ayant changé considérablement depuis la fin du grand effort législatif de l'Ordre, il y aurait sans doute lieu de modifier aussi le style des Commissions Centrales.  Une grande partie du travail qui s'y fait pourrait être réalisée par un "secrétariat du Chapitre Général" composé d'un petit nombre de personnes, qui se réunirait une première fois un an avant le Chapitre Général et quelques fois par la suite.  Les quelques supérieurs qu'il faudrait ajouter au Conseil de l'Abbé Général pour former son "conseil élargi" pourraient être choisis à chaque Chapitre Général sur la base des même critères qui ont été retenus pour l'élection des membres du Conseil de l'Abbé Général.

            En ce qui concerne une nouvelle répartition possible des régions, le projet d'une nouvelle région méditerranéenne est à l'étude.  Quelque chose de ce projet a été présenté lors de la dernière RGM et la région FSO vient d'en traiter.  Ce projet a conduit à repenser diverses options pour la région CNE, compte tenu de l'ouverture vers l'Europe de l'Est avec une fondation récente et une future en Tchéquie et compte tenu aussi de la nécessité de mieux fédérer les monastères de langue germanique aussi bien que le désir des abbés néerlandais de former une région mixte avec les moniales néerlandaises qui appartiennent à la région CNE. 

            On a évoqué la possibilité de constituer une région de l'Europe du Nord et de l'Est qui pourrait englober tous les monastères de Belgique et des Pays Bas ainsi que ceux de l'Allemagne et de l'Europe de l'Est.  On peut objecter que les monastères français de la présente CNE se trouveraient alors totalement privés de la présence de monastères non français. 

            À mon avis, il y aurait de nombreuses solutions créatrices possibles si l'on n'avait pas à se préoccuper de régions n'étant ni trop grandes ni trop petites pour permettre une représentation au sein de la Commission Centrale.  C'est pourquoi je propose que l'on se contente pour le moment d'un brain storming concernant les diverses nouvelles répartitions possibles et que l'on consacre du temps à imaginer une nouvelle façon de désigner les membres de la Commission Centrale.

Scourmont, le 1 juin 2003                            

                                                                                                          Armand Veilleux