Questions cisterciennes



 

 

 
 

Les débuts de la réforme liturgique de Vatican II

 

au sein de l’OCSO

         

          Très peu de « Pères conciliaires » de Vatican II sont encore vivants.  Plus nombreux par ailleurs sont ceux qui, à divers titres, ont pu suivre au jour le jour les activités du Concile.  Je suis de la génération de ceux qui étaient déjà moines avant le Concile, qui en ont reçu l’annonce par Jean XXIII comme une bouffée d’air frais, qui en ont suivi avec passion tous les instants et qui essaient depuis un demi-siècle d’en mettre en pratique les grandes intuitions.  Le présent article offrira donc un mélange de souvenirs personnels et de réflexions d’abord sur les débuts de la réforme liturgique postconciliaire au sein de notre Ordre, mais aussi sur ce que nous avons vécu depuis lors.

 

          Pour la petite histoire, j’aime dire, avec un brin de fierté, que j’étais sur la Place Saint-Pierre à Rome le matin de l’ouverture du Concile et que j’y ai écouté le discours d’ouverture dans lequel Jean XXIII énonçait l’esprit dans lequel il voulait qu’il se déroule.  Je fus étudiant à Rome durant les quatre sessions du Concile et durant les premières années de l’après-Concile.  Ce furent des années d’une richesse exceptionnelle, que je suis très reconnaissant d’avoir vécu dans la Ville Éternelle.

 

 

Monte Cistello

 

          Nous étions près de 80 étudiants à Monte Cistello, avec l’Abbé Général et les Définiteurs, en octobre 1962. L’Abbé Général de notre Ordre était, de droit, Père conciliaire.  Cependant, ni Dom Gabriel ni Dom Ignace ne partagèrent beaucoup d’informations sur le Concile avec les étudiants.  Au début de la première session, comme Dom Gabriel n’en soufflait pas un mot lors de son chapitre hebdomadaire du dimanche matin, nous nous sommes plaints au Maître des étudiants, le père Basil Morison.  Le résultat fut que Dom Gabriel, le dimanche suivant, nous décrivit le spectacle superbe des longues rangées de mitres blanches dans la nef centrale de la basilique, ainsi que la beauté de la pietà de Michel Ange dans une chapelle latérale.  Nous n’avions pas droit aux secrets du Concile réservés aux grands !

 

          Nous avions cependant d’autres sources d’information.  Évidemment, nous avions accès à la presse internationale, comme tout le monde ; mais nous pouvions surtout participer à de nombreuses conférences données un peu partout à Rome par des évêques et des théologiens.  Plusieurs théologiens de renom furent aussi invités à venir nous parler à la Maison généralice, sans compter qu’un grand nombre de nos professeurs, dans les divers collèges et universités de Rome étaient des experts au Concile.

 

 

La Constitution sur la Liturgie

 

          Le schéma sur la liturgie fut le premier thème abordé au Concile. Le débat eut lieu du 22 octobre au 13 novembre 1962. Un vote fut pris le 14 novembre, mais un si grand nombre d’amendements furent proposés que le texte fut renvoyé à la session suivante. C’est à la fin de cette deuxième session, le 4 décembre 1963, que sera promulgée par Paul VI la Constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium, indiquant les grandes lignes d’une réforme liturgique à faire. Elle avait été votée le 22 novembre par 2147 oui contre 4 non.

 

          L’orientation de mes études en fut affectée.  En effet, mon abbé m’avait envoyé à Rome pour y faire des études d’Écriture Sainte, et mes deux premières années furent consacrées à faire la licence en théologie nécessaire pour entrer à l’Institut biblique. Mais comme on prévoyait que l’Ordre aurait besoin de liturgistes pour la réforme demandée par le Concile, on me demanda de poursuivre plutôt des études à l’Institut Liturgique de Sant’Anselmo. Père Chrysogonus Waddell de l’abbaye de Gethsémani y étudiait alors. Un peu plus tard Père Damien Smith de Roscrea, qui servait comme cellérier à Tre Fontane s’inscrivit aussi aux cours de liturgie de Sant’Anselmo, et Père Placide Vernet fit de même un peu plus tard pour deux ans.

 

          Il convient de rappeler ici une personne qui joua un rôle très important dans toute la réforme liturgique de Vatican II, et qui, à plusieurs reprises, nous aida de façon discrète dans nos propres efforts pour appliquer cette réforme dans notre Ordre.  Il s’agit du père Annibale Bugnini. C’était un Lazariste (Congrégation de la Mission) qui était, depuis 1946, rédacteur en chef de la revue liturgique Ephemerides liturgicae. En 1948 il avait été nommé par Pie XII secrétaire de la « Commission pour la réforme liturgique » instaurée la même année pour rendre la liturgie plus conforme à l’esprit de l’encyclique Mediator Dei.  Il fut secrétaire de la Commission préparatoire de Vatican II pour la liturgie. Il était très estimé de Paul VI, qui dès son élection, en juin 1963, le nomma théologien personnel du Pape, puis, dès l’ouverture de la seconde session du Concile le nomma à la présidence de la Commission spéciale pour la réforme de la liturgie.

 

          Dès le mois d’octobre 1963, avant même que la Constitution sur la liturgie ne soit votée, Paul VI demanda au Cardinal Lercaro et au Père Bugnini de mettre sur pied un groupe d’experts pour préparer l’application de cette réforme. Firent partie de ce groupe, outre Bugnini, Cipriano Vagaggini, Frederick Mc Manus, Johannes Wagner, Aimé-Georges Martimort, Josef Andreas Jungmann, Herman Schmidt, Ansgar Dirks et Emmanuel Bonet.  Les délibérations de ce groupe sur la meilleure façon de mettre en œuvre la réforme conciliaire, aboutit à la création, le 29 février 1964, du Consilium ad exsequendam Constitutionem de sacra Liturgia.

 

          Notre Ordre s’attaqua à la réforme liturgique demandée par le Concile, dès les mois qui suivirent la proclamation de la Constitution conciliaire. L’histoire des débuts de cette réforme est complexe et peu connue.  Elle vaut la peine d’être racontée.

 

 

Les premières Commissions Centrales et le Chapitre Général de 1965

 

          À la suite du Chapitre Général de 1964, Dom Ignace Gillet, qui y fut élu Abbé Général, constitua une petite commission pour étudier le projet de six moines de l’abbaye d’Achel qui voulaient faire une expérience de vie monastique simplifiée.  En effet, même si ce Chapitre Général avait été essentiellement un Chapitre d’élection, après la mort de Dom Gabriel Sortais durant la deuxième session du Concile, on y avait traité de quelques questions urgentes, et on y avait en particulier autorisé, sous certaines conditions, des « fondations monastiques simplifiées ».  Dom Ignace, qui ne voulait pas assumer seul la responsabilité d’approuver le projet des « Six d’Achel », décida de convoquer un petit groupe d’abbés à qui il donna le mandat d’étudier la question. En faisaient partie, outre Dom Gabriel van de Moosdijk, abbé d’Achel, Dom Edouard Wellens de Westmalle et Dom Willibrordus van  Dijk, abbé de Tilburg (des aspirations semblables étant présentes dans ces deux monastères). Dom Ignace y adjoignit Dom Jean Chanut de Cîteaux, Père Immédiat de Westmalle et Dom André Louf du Mont-des-Cats, Père Immédiat de Tilburg, ainsi que Dom Ambrose Southey de Mount Saint Bernard, qui venait d’être élu Abbé Vicaire et, sans doute pour donner un caractère plus international, Dom Andreas Schmidt de Mariawald.

 

          Cette réunion qui se tint à Westmalle du 12 au 16 avril 1964, et qui allait donner naissance à la « Commission Centrale », fut une sorte de petit « coup d’état ». Les abbés participants, considérant que le problème n’était pas propre à Achel mais concernait les aspirations de nombreux jeunes moines et moniales de l’Ordre, traitèrent d’un large éventail de questions, dont quelques-unes concernaient la liturgie, comme, par exemple, l’usage généralisé de la langue vivante et la réduction du nombre de psaumes aux Vigiles, et qui devraient être soumises au prochain Chapitre Général.

 

          Les membres de cette Commission qui s’auto-baptisa « Commission d’aggiornamento », au grand déplaisir de dom Ignace, proposèrent même de se réunir de nouveau pour préparer le Chapitre Général.  Dom Ignace fut pris de court par l’allure qu’avait prise cette réunion, dont le rapport lui fut communiqué par Dom André Louf qui agissait comme secrétaire. Il ne voulut pas que ce rapport soit communiqué à personne dans l’Ordre, même pas aux membres de la Commission, mais accepta quand même, après consultation de tout l’Ordre, qu’il y ait une deuxième réunion de ce groupe pour préparer le Chapitre Général suivant, à laquelle devraient participer, cette fois, des supérieurs de toutes les régions de l’Ordre.

 

          Cette deuxième réunion, qui se tint à Monte Cistello en décembre 1964, avait ceci de particulier que ni l’Abbé Général ni les Définiteurs, quoique présents dans la maison, n’y participèrent, sauf une brève présence de l’Abbé Général au début et à la fin.  Père Chrysogonus et moi étions informés des discussions, surtout celles concernant la liturgie par les deux abbés des USA qui y participaient, Dom Emmanuel Spillane de Holy Trinity et Dom Eusebius Wagner de New Clairvaux.

 

          Dès le début de la réunion Dom Ignace fit une mise au point sur une éventuelle demande concernant l’usage de la langue vernaculaire pour l’Office Divin [1] . Une question avait été posée officieusement au Père Bugnini, et il semblait impossible d’obtenir actuellement un élargissement de la pratique en vigueur.  La Commission voulut quand même rencontrer le père Bugnini, qui accepta de venir et donna un bon nombre de conseils invitant à aller de l’avant avec confiance sans oublier la prudence [2] .

 

          C’est sur la base des travaux et des recommandations de cette Commission de préparation que le Chapitre Général réuni à Cîteaux, du 29 avril au 12 mai 1965, avant même la tenue de la dernière session du Concile, lança décidément la phase postconciliaire du renouveau de l’Ordre, en particulier dans le domaine liturgique. Les décisions concernant la liturgie n’étaient pas sans lien avec celles concernant l’unification de nos communautés par la suppression de la division de celles-ci en deux catégories, les choristes et les convers.

 

          Il y avait depuis longtemps dans notre Ordre une Commission de Liturgie, pour laquelle le Chapitre Général de 1953 avait voté un Statut.  Elle fut renouvelée au Chapitre Général de 1965, d’une façon toutefois un peu imprécise. Le Consilium  avait indiqué que devrait être constitué au sein de l’Ordre un Comité particulier d’études pour la révision du rite cistercien. L’une des commissions du Chapitre Général proposa une liste de personnes qui pourraient être membres de la Commission de Liturgie et d’autres qui pourraient être membres du Comité d’études. Cette liste fut approuvée par l’assemblée à mains levées, sans plus de précisions [3] .  À la fin du Chapitre, le rôle de cette Commission et des membres du Comité d’études était encore flou [4] .

 

          Les Capitulants de 1965, heureux d’avoir eu un Chapitre Général mieux préparé que tous les précédents, décidèrent de créer de nouveau une commission semblable, à laquelle ils donnèrent le nom de Commission Centrale, pour préparer le Chapitre suivant.  La commission tint deux sessions à Monte Cistello, en février 1966 et en octobre 1966, au cours desquelles plusieurs questions liturgiques furent discutées, en particulier en relation avec la question de l’Unification des communautés. C’est durant la première de ces réunions que je rédigeai, à la demande des abbés américains qui y participaient, un mémoire sur la place de l’Opus Dei dans la vie monastique. Ce texte se trouve sur mon site web [5] .

 

          Au début d’octobre 1966, Père Chrysogonus Waddell, fit un voyage en Europe pour poursuivre la recherche de manuscrits nécessaires à la rédaction de sa thèse de liturgie.  Après une visite rapide des bibliothèques de Paris, Metz, Troyes et Montpellier, il vint à Rome au début d’octobre.  Il y rencontra, à titre privé, tous les personnages importants du Consilium : le père Bugnini, le père Frederick R. Mc Manus de la Commission de Liturgie de la Conférence épiscopale américaine qui s’occupait des traductions de textes liturgiques en anglais, et surtout le chanoine Martimort. Ce dernier lui dit que Paul VI serait ouvert à faire de larges concessions concernant l’utilisation des langues vivantes dans la liturgie si l’Abbé Général soulevait la question dans une audience privée.  Mais, justement, l’Abbé Général y était lui-même tout à fait opposé. Cette permission sera quand même donnée en décembre 1967.

 

Le groupe de liturgistes élu au Chapitre Général de 1965 après une première rencontre de deux jours à Westmalle en juillet de la même année tint une deuxième réunion au Mont-des-Cats en 1966, à laquelle furent invitées plusieurs autres personnes. Il s’agissait surtout d’élaborer un nouveau Statut pour la Commission, remplaçant celui de 1953.  Ce Statut fut voté au Chapitre de 1967 qui élit alors la nouvelle Commission de Liturgie de l’Ordre qui allait opérer au cours des années suivantes la réforme demandée par Vatican II [6] .

 

          C’est au cours de cette année 1966, que le Père Bugnini avait suggéré qu’un membre de l’Ordre soit désigné pour servir de lien entre nous et le Consilium et qui aurait le titre d’observateur, pouvant assister à toutes les réunions plénières du Consilium.  Plusieurs noms furent proposés par les membres de la Commission de Liturgie élue en 1965, mais aucun ne semblait agréer à Dom Ignace.  On finit par savoir qu’il voulait désigner à cette fonction Dom Bernard de Bonnecombe, qui pourrait ainsi venir à Rome après la fermeture de son monastère.  Finalement, ce fut Père Damien Smith de Roscrea, qui vivait alors à Tre Fontane dont il était le cellérier, qui fut désigné.

 

          À la réunion du Mont-des-Cats en 1966, il fut décidé de publier un Bulletin de liturgie qui paraîtrait en français et en anglais.  Il ne s’agissait pas d’une revue à parution périodique régulière, mais d’une publication officieuse qui permettrait à la Commission de faire connaître aux supérieurs et aux autres membres de l’Ordre l’état de l’avancement des travaux en cours concernant la réforme liturgique demandée par le Concile.  Je fus chargé de la publication de ce bulletin dans les deux langues [7] . Je pus toujours compter sur la collaboration de Père Chrysogonus pour l’édition de langue anglaise, et Père Placide Vernet s’assura que je ne manque jamais d’études à publier. Durant les premières années, les deux éditions contenaient les mêmes articles, ce qui supposait une somme importante de traductions.  Père Chrysogonus réalisait lui-même une grande partie des traductions du français à l’anglais ; je m’occupais de celles de l’anglais au français.   Après mon élection comme abbé de Mistassini en 1969 il me devint plus difficile d’assumer cette tâche.  Le père Marie-Gérard Dubois assuma, à partir de 1972, la direction de l’édition française qui comptait déjà 16 numéros et qui prit désormais le nom de Liturgie. Les pères Paul Houix, Robert Gantoy, Arsène Christol et Hugues de Séreville lui succédèrent. Depuis 2002 soeur Marie-Pierre Faure de Chambarand est la rédactrice en chef de la revue. Quant à l’édition anglaise, Père Chrysogonus en assuma graduellement toute la responsabilité à partir du début des années 1970, et sa parution se poursuivit jusqu’en 2003.

 

 

Commissions cisterciennes nationales de Liturgie et Loi Cadre

 

          Le Chapitre Général de 1967, en plus d’approuver les nouveaux Statuts de la Commission de Liturgie de l’Ordre, et d’en amender de nouveau la composition, prévoyait que les diverses régions de l’Ordre pourraient se donner des Commissions régionales ou nationales pour promouvoir le renouveau liturgique chez-elles. Il s’en créa dans plusieurs régions de l’Ordre et ces commissions firent en général un excellent travail. Je ne parlerai que de celles où j’ai eu à travailler personnellement. Naquirent à ce moment-là la Commission de la région des USA et celle du Canada. À l’instigation de Père Chrysogonus Waddell, je fus invité à faire partie de la Commission des USA et, à mon instigation, Père Chrysogonus fut invité à faire partie de la Commission canadienne. Ce fut pour nous deux une nouvelle phase d’étroite collaboration sur divers projets que nous jugions importants pour nos communautés.

 

          Ce travail allait nous introduire à notre insu au coeur d’une tempête qui agita l’Ordre au début de la réforme postconciliaire.  Il est sans doute trop tôt pour faire l’histoire de cette tempête, qui fut d’ailleurs fort bien surmontée, mais Dom Marie-Gérard Dubois en a donné une description bien équilibrée dans l’ouvrage récent sur l’histoire de l’Ordre à notre époque [8] .

 

          Les autres membres de la Commission américaine de Liturgie étaient, à part Père Chrysogonus, Mère Myriam Dardenne de Redwoods et Dom Edward McCorkell de Berryville (tous désormais décédés !). Nous tînmes une réunion à Redwoods à l’automne de 1967, au cours de laquelle nous préparâmes un projet de Loi-cadre pour la célébration liturgique de l’Office divin dans les monastères de la Région.  Cette Loi-cadre donnait une grande liberté pour le choix des textes et l’agencement des parties de l’Office.  Elle impliquait la suppression de l’Office de Prime et permettait en certains cas de ne célébrer au chœur que les quatre Offices de Vigiles, Laudes, une Heure médiane et les Vêpres, si l’équilibre de la vie communautaire l’exigeait ou pouvait en être favorisé, les autres Offices étant célébrés en privé.  Les abbés américains acceptèrent de demander au Saint-Siège l’application de cette Loi-cadre et les abbés canadiens décidèrent de se joindre à cette demande.  La requête qui était dans la ligne de ce que le Chapitre Général avait prévu, fut présentée au Consilium pour l’application de la réforme postconciliaire selon tous les canaux officiels prévus et fut accordée [9] . 

 

          L’Abbé Général fut surpris par le fait que l’indult soit accordé, jugeant que cela allait contre certaines décisions conciliaires prévoyant que les moines conserveraient l’intégralité de l’Office divin traditionnel.  Par diverses interventions auprès du Saint Siège il obtint que l’indult soit partiellement révoqué.  L’un des arguments apportés était que le Consilium n’avait pas l’autorité pour accorder cet indult sans avoir d’abord consulté la Congrégation des Religieux.  La nouvelle communiquée à l’Ordre fut d’abord que l’indult était révoqué.  On apprit par la suite que la seule chose à laquelle le Pape lui-même s’était opposé et qui était révoquée était la possibilité de réduire le nombre des Petites Heures au choeur.  Le reste de l’indult était validé.

 

          Cette Loi-cadre fut appliquée dans les monastères des États-Unis et du Canada, et une enquête faite peu avant le Chapitre Général de 1969 démontra qu’elle y était vécue de façon positive et avec beaucoup de fruits.  Après les premiers jours du Chapitre, qui furent assez houleux, le Promoteur, Dom Ambrose, me demanda de faire un rapport sur l’expérience canado-américaine [10] .  Non seulement cette Loi-cadre ne fut pas révoquée, mais le Chapitre général décida d’en demander une semblable pour l’ensemble de l’Ordre [11] .  La requête fut acceptée par le Saint-Siège et cette mesure fut l’un des principaux éléments de toute notre réforme liturgique.

 

Une nouvelle étape

         

          Au cours des années 1967,1968 et suivantes la Commission de l’Ordre se réunit de façon régulière pour revoir l’ensemble de nos livres liturgiques : le Missel, l’Opus Dei, la Calendrier et les divers rituels.  Ces textes revus furent approuvés par les Chapitres Généraux successifs et ensuite par le Saint Siège. La plupart se retrouvent dans le nouveau Rituel approuvé par le Saint Siège en 1995 pour les deux grands Ordres cisterciens.

 

          Les Commissions régionales de Liturgie, en particulier la CFC en France (qui regroupe des personnes appartenant surtout mais non uniquement aux Ordres cistercien et bénédictin) et la Commission espagnole, œuvrèrent sur cette base au cours des années suivantes et firent un excellent travail. Si bien que le Chapitre Général de 1977 décida de supprimer la Commission de Liturgie de l’Ordre et de la remplacer par un simple « Secrétaire de l’Ordre pour la liturgie » [12] . C’est le père Marie-Gérard Dubois du Mont-des-Cats qui fut choisi [13] .  Il remplit cette tâche avec doigté et compétence jusqu’en 2010. Il fut remplacé par Père Justin de Genesee aux Commissions Centrales de Tilburg de cette année [14] .

 

En réalité il est permit de regretter cette décision du Chapitre Général de 1977 de supprimer la Commission de Liturgie de l’Ordre. Plusieurs Commissions régionales continuèrent de faire un excellent travail, mais d’une façon de plus en plus isolée les unes des autres.  Il n’y eut plus l’interaction très fructueuse que les réunions annuelles de la Commission de l’Ordre, composées de membres appartenant à plusieurs régions de l’Ordre avaient permise au cours de la décennie précédente. La liturgie des monastères de chaque pays fut par la suite beaucoup plus influencée par l’évolution liturgique de leur pays que par une réflexion commune faite au niveau de tout l’Ordre.

 

En 1977, même si pratiquement tous les livres liturgiques avaient été revus dans la ligne demandée par le Concile, le véritable renouveau liturgique ne faisait que commencer. Déjà, par ailleurs, se manifestaient dans l’Église par rapport à la réforme liturgique de Vatican II des interprétations diverses entre lesquelles le fossé n’a fait que continuer à se creuser jusqu’à nos jours. Une Commission de Liturgie de l’Ordre aurait permis d’effectuer une réflexion commune et d’adopter une attitude commune face à cette situation ; et il est probable que personne n’aurait eu l’idée de demander le privilège de retourner à la liturgie préconciliaire.

 

Heureusement beaucoup de nos monastères ont développé, grâce aux possibilités données par la Loi Cadre des célébrations liturgiques très belles et priantes. Le défi reste de trouver comment mieux vivre, à ce niveau aussi, la Charte de Charité.  

 

 

Scourmont, le 8 septembre 2012

Armand VEILLEUX

 

Résumé (Revue « Liturgie »)

 

L’Ordre Cistercien de la Stricte Observance prit très au sérieux la réforme liturgique demandée par Vatican II. Il y eut très rapidement une concertation au niveau de toutes les structures de l’Ordre : Chapitre Général, Commissions de préparation du Chapitre Général, Commission Centrale, Régions, Commissions de liturgie de l’Ordre et des Régions, etc. Armand Veilleux qui vécut en première ligne ces travaux nous raconte ces débuts de la réforme liturgique au sein de notre Ordre en les émaillant de souvenirs personnels inédits. Cette « petite histoire » n’est pas sans importance pour comprendre les réalisations des années suivantes.



[1] Compte rendu, p. 1.

[2] Compte rendu, pp. 37-41.

[3] Compte rendu, p. 101.

[4] Compte rendu, pp. 113-114.

[6] Compte rendu, p. 157.

[7] Compte rendu, dans le premier numéro du Bulletin, p. 40.

[8] L’Ordre cistercien de la Stricte Observance au vingtième siècle.  Du Concile Vatican II à la fin du siècle, Rome 2008,  p. 27-38.

[9] Ces démarches firent l’objet d’échanges à la réunion de la Commission de Liturgie du mois d’août 1968, à Scourmont, pp. 4-7.

[10] Compte rendu, pp. 48-50. Le texte de ma communication se trouve dans l’Annexe 9 du Compte rendu, pp. 273-276.

[11] Les principes de cette Loi-cadre pour tout l’Ordre avaient été proposés par Père Marie-Gérard Dubois. Voir Annexe 10, pp. 276-277.

[12] Compte rendu, p. 265.

[13] Compte rendu, p. 288.

[14] Compte rendu, p. 21.