Vie religieuse en général



(Dernière mise à jour le 22 juillet 2008)

 

 

 
 

Le rôle du chapitre Général

dans le processus de re-fondation d'un Institut Religieux

    [Article publié en espagnol dans la revue Vida Religiosa, 82 (1997) 303-312, dans un numéro spécial sur le thème: "Les fondateurs re-fonderaient-ils leurs Instituts!"

Chaque institut religieux vit l'Évangile selon un charisme déterminé. Ce charisme a d'abord été en général celui d'un fondateur ou d'une fondatrice et a été reçu et assumé par un groupe de disciples qui ont formé la première communauté de cet institut. Il a été par la suite sans cesse ré-interprété à travers les années, ou même les siècles, en fonction de nouveaux besoins de l'Église et de la société et de nouvelles situations culturelles. Ce charisme initial est le fondement sur lequel repose tout l'institut, et tout effort de renouveau ne peut être qu'un retour à ce fondement, donc une re-fondation.

En appelant tous les instituts religieux à entreprendre un effort de renouveau, Vatican II a désigné l'institution séculaire du chapitre Général comme instrument privilégié pour réaliser cette tâche. Au cours d'un chapitre Général un institut assume à nouveau son charisme, en fait une relecture en fonction du contexte ecclésial et culturel d'aujourd'hui, et prend les décisions qui s'imposent pour son insertion rénovée dans la pâte humaine et ecclésiale contemporaine.

I - Chapitre Général comme événement ecclésial

Un charisme n'est pas donné, il est confié. Il n'appartient pas à la personne ou au groupe qui le reçoit, mais à l'Église. Ainsi en est-il du charisme d'un institut religieux. Bien qu'il lui soit propre, il n'est cependant pas sa propriété exclusive. Ce charisme, de par sa nature même, appartient au Peuple de Dieu tout entier et non pas aux quelques centaines ou quelques milliers de membres qui forment actuellement l'institut. Ces derniers en sont les gardiens; ils n'en sont pas les propriétaires. L'ensemble du Peuple de Dieu a donc un droit et un devoir de vigilance sur cette partie de son patrimoine -- droit et devoir qu'exerce la hiérarchie ecclésiastique, au nom du Peuple de Dieu, spécialement à travers l'approbation des Constitutions de chaque institut.(1)

Le chapitre d'un institut n'est donc pas une affaire privée qui ne concerne que les membres de cet institut. Il s'agit d'un événement ecclésial qui intéresse la communauté chrétienne tout entière. Il est normal que celle-ci s'y intéresse et se préoccupe de ses orientations. Pour un institut, c'est l'occasion privilégiée de prendre une nouvelle conscience de ses liens avec l'Église dont il exerce une partie de la mission et avec le monde auquel il est envoyé par le Christ.

Un groupe de Chrétiens peut se réunir pour vivre ensemble leur vie chrétienne en toute liberté, sans demander aucune reconnaissance juridique. À partir toutefois du moment où ils veulent être reconnus par l'Église comme un institut religieux, ils acceptent de se reconnaître gardiens d'un charisme ecclésial. Si ce groupe est constitué non seulement d'une seule communauté locale mais d'une communauté de communautés réunies en un Congrégation ou un Ordre, c'est cet ensemble qui a désormais la responsabilité de discerner collégialement la volonté de Dieu sur lui. Le chapitre Général est un moment fort de ce discernement.

La vie consacrée appartient en effet à la structure même de l'Église. Elle est aussi ancienne que celle-ci. Même si une certaine convention la fait naître vers la fin du deuxième siècle de notre ère, avec l'apparition du monachisme organisé, ce n'est là guère plus qu'une convention d'historiens. Ce monachisme institutionnalisé de l'époque d'un Antoine et d'un Pachôme est en pleine continuité avec l'ascétisme chrétien des deux premiers siècles. En réalité, la vie religieuse retrace ses origines jusqu'à la première génération chrétienne et même jusqu'à l'événement de la Pentecôte.

Lorsque des Chrétiens, dès la première génération chrétienne, se sentirent appelés à adopter comme mode permanent de vie certains des renoncements radicaux demandés par Jésus à ceux qui voulaient le suivre, ils trouvaient dans la culture ambiante un courant religieux d'orientation ascétique et mystique, dans lequel Jésus s'était lui-même inséré en se faisant baptiser par Jean, et qu'il avait assumé dans son mode de vie avec ses disciples. Lorsqu'après quelques siècles de fécondation de ce courant par le message évangélique, et de purification progressive de ses manifestations extérieures, apparaît le phénomène structuré du monachisme, nous sommes au point d'aboutissement d'un processus d'inculturation admirablement réussie. Un processus toujours à continuer ou à reprendre.

Il y a un lien étroit entre renouveau, évangélisation et inculturation. Ce sont, en ce contexte, trois mots désignant la même réalité, vue sous des angles légèrement différents. L'évangélisation se fait dans la rencontre de l'Évangile avec une culture. De cette rencontre résulte une transformation de la culture et l'Évangile y trouve une nouvelle forme d'expression. Ce phénomène est appelé de nos jours inculturation. Toute culture étant sans cesse en évolution et subissant à certaines époques des transformations plus radicales et plus rapides, elle doit être constamment, dans ses nouvelles formes d'existence, confrontée de nouveau à l'Évangile et fécondée de nouveau par celui-ci. C'est le processus que l'on nomme désormais nouvelle évangélisation, laquelle est sans cesse nécessaire, non pas parce que la précédente évangélisation n'aurait pas été réussie ou aurait perdu de sa vitalité (ce qui est possible), mais simplement parce que la réalité qui a été "évangélisée" est maintenant devenue autre et doit, dans sa nouvelle forme, être de nouveau confrontée avec les défis de l'Évangile.

Si toute inculturation vraie est une nouvelle évangélisation, tout renouveau qui n'est pas un acte fait une fois pour toutes, mais un processus ininterrompu -- est une re-fondation, puisqu'il consiste à retrouver les solides fondements de l'Évangile sous l'épaisse couche d'humanité, d'histoire et de traditions accumulée au cours de deux millénaires de christianisme et de quelques (ou plusieurs) siècles d'histoire de l'institut.

Il - L'institut en situation d'écoute

Lors d'un chapitre général - et cela vaut aussi à des niveaux divers pour les chapitres provinciaux et locaux - un institut se met en situation d'écoute. À l'écoute d'abord de la Parole de Dieu. Cette Parole lui vient à travers sa propre tradition et aussi à travers ce que vivent, perçoivent et disent ses membres. Elle lui vient aussi à travers ce que l'Esprit dit à l'Église d'aujourd'hui aussi bien que par les signes des temps, c'est-à-dire le contexte social et culturel contemporain.

Le même Esprit qui a parlé aux fondateurs continue de parler au coeur de chacun des membres actuels de l'institut et de les interpeller dans leurs situations concrètes et variées. Il est donc important qu'un chapitre général se donne les moyens, aussi bien au cours de sa préparation qu'au cours de son déroulement, de donner la parole à tout ce qui se vit au sein de l'institut. Il doit écouter la voix de ceux qui peinent sous le poids du jour et de la chaleur dans les activités pastorales traditionnelles de l'institut comme de ceux qui creusent des sillons nouveaux en terrains inconnus. Il doit libérer les cris d'angoisse des insatisfaits comme la mélodie des satisfaits. Ils doit se laisser guider par les succès dans les initiatives humaines et se laisser enseigner par les échecs.

Dans cette attitude d'écoute de la Parole de Dieu, il est normal que l'institut, lors d'un chapitre Général, fasse une re-lecture des textes fondateurs de sa Tradition, aussi bien que de ce qu'ont vécu le fondateur et la première communauté. À l'origine de chaque charisme religieux, en effet, il y a en général non seulement une ou quelques personnes charismatiques, mais aussi un écrit fondamental tel que, par exemple, la Règle de saint Augustin, ou celle de saint Benoît ou de saint François d'Assise. Comme la Bible, et comme tout autre écrit, ces textes sont prégnants de significations presque illimitées, et cette richesse de sens ne se manifeste qu'à travers un dialogue toujours renouvelé entre le texte et les personnes qui les lisent dans des contextes divers. Seules les personnes - ou les groupes profondément en contact avec la culture de leur temps et ce que l'Esprit dit présentement à l'Église peuvent permettre à la richesse de signification contenue dans ces textes anciens de continuer à se manifester.

Comme on le sait, une fois qu'un texte est sorti de la main de son auteur, il acquiert une existence autonome et assume une nouvelle signification chaque fois qu'il est lu -- chaque lecture étant une interprétation, laquelle est la révélation d'une des possibilités presque infinies contenues dans le texte. Ces écrits et les événement auxquels ils sont associés prennent constamment un sens nouveau chaque fois qu'il sont lus.

Les chapitres généraux de l'époque d'avant Vatican II n'était souvent guère plus, dans beaucoup d'instituts que des chapitres d'élection. Vatican II ayant désigné le chapitre général comme l'un des principaux moyens de renouveau(2), les chapitres généraux qui ont suivi le Concile ont été consacrés à la révision des Constitutions et, d'une façon générale au renouveau des instituts. Peut-être ceux-ci ont-ils continué par la suite durant trop longtemps à centrer toute leur attention sur leur propre vie interne et leur propre organisation.

Un renouveau vraiment ecclésial demande que les instituts de vie consacrée exercent au cours même de leurs chapitres généraux leur fonction ecclésiale. Pour cela il convient qu'ils se mettent à l'écoute des besoins, des aspirations, des problèmes et des expériences du Peuple de Dieu tout entier. Une communauté diocésaine ou limitée aux diocèses d'un pays peut faire une lecture, à la lumière de l'Évangile, ce de que vit l'Église de ce diocèse ou de ce pays. Une grande Congrégation ou Ordre étendu à l'échelle mondiale est dans une situation privilégiée pour faire une lecture de la situation de l'Église universelle. Une telle lecture n'est rien d'autre qu'un service qu'elle peut offrir au peuple de Dieu, et que personne d'autre ne peut réaliser de la même manière et dans la même perspective.

Dans des moments de profonds et rapides changements culturels comme ceux que nous vivons de nos jours, les instituts religieux peuvent, à travers leurs chapitres généraux, apporter à la société leur lecture de situations humaines telles que, par exemple, les déplacements massifs de populations, l'écart toujours grandissant entre riches et pauvres, la rencontre massive des cultures et des religions.

L'institut doit également savoir écouter ce que les laïcs peuvent avoir à leur dire de leurs aspirations et de ce qu'ils attendent d'eux. Non seulement beaucoup de fondations religieuses ont commencé comme des mouvements laïcs, officiellement reconnus par la suite par l'Église comme instituts religieux, mais certaines réformes de la vie religieuse, les grandes réformes monastiques du douzième siècle par exemple, et celle de Cîteaux en particulier, furent la réponse aux aspirations, aux attentes et aux requêtes de mouvements laïcs au sein de l'Église durant tout le siècle précédent.

Un phénomène auquel tous les instituts ont à porter une attention toute particulière de nos jours est le fait qu'un très grand nombre de laïcs, dans toutes les parties du monde, se sentent de nos jours appelés à partager non seulement les activités et la mission de tel ou tel institut religieux, mais aussi sa spiritualité, tout en conservant leurs obligations et leur situation dans le monde. Peut-être beaucoup d'instituts doivent-ils avoir l'humilité de reconnaître que l'Esprit de Dieu, ultime "propriétaire" de leur charisme, est en train de donner à ce même charisme, des formes d'expression nouvelles auxquelles ils n'auraient jamais osé penser.

III- De l'écoute à la parole

La parole écoutée, assimilée et par le fait même interprétée, ne peut être gardée jalousement. Elle brûle les entrailles et doit se transformer en parole transmise. La parole du chapitre s'adressera évidemment à l'ensemble de l'institut, dont les capitulants sont les délégués, mais devrait aussi, au moins en certaines circonstances, avoir le courage de s'adresser au Peuple de Dieu et à la société civile. Il y a des choses qu'une fois écoutées, on n'a plus le droit de ne pas crier sur les toits. Évidemment elle ne remplira sa fonction que si elle est compréhensible pour ceux

à qui elle s'adresse. Il semble inutile, sinon impertinent, de le dire; malheureusement trop de textes issus des chapitres généraux -- comme de tant d'autres organismes ecclésiastiques - utilisent un langage que bien peu ne comprennent.

La nouvelle interprétation des textes fondateurs ne doit cependant pas s'exprimer nécessairement dans des textes nouveaux, dans des commentaires ou dans des circulaires, mais d'abord dans des actions, des gestes, des prises d'orientation, dans une vie de sainteté transformée par ce dialogue avec le texte. La tradition sera alors transmises aux générations suivantes non pas à travers des écrits du chapitre Général, mais à travers la vie même de l'institut, transformée par ce contact.

Un chapitre général est le moment pour un institut de redéfinir son identité. Il y a cependant lieu d'éviter ici un écueil. Cette définition ne peut être abstraite, et ne saurait être le fruit d'une analyse scientifique des écrits primitifs et de l'histoire de l'institut réalisée par des spécialistes. L'identité d'une communauté ne se définit pas à travers une formule, mais à travers des décisions concrètes qui impliquent le sens renouvelé d'une vocation, le reconnaissance d'une mission spécifique et, en beaucoup de cas, l'admission d'un besoin de conversion et l'engagement à réaliser celle-ci dans la vie de tous les jours.

Notre identité n'est pas, en effet, quelque chose que nous pouvons déterminer nous-mêmes. Elle nous vient de la réponse à un appel perçu et cet appel est toujours nouveau. Notre identité n'est donc pas quelque chose que nous pouvons découvrir uniquement en étudiant notre passé. Nous la réalisons en répondant aux appels de l'Esprit sur nous aujourd'hui. Mais surtout, ce que nous avons à proclamer au monde, ce n'est pas qui nous sommes. C'est Jésus-Christ. Nous n'avons pas à nous dire à nous-mêmes ni à qui que ce soit qui nous sommes. Nous avons à dire qui est Dieu. Et nous avons à le dire à travers notre vie tout autant qu'à travers nos paroles. Peut-être qu'en certains pays où il n'est pas permis de prêcher l'Évangile en paroles, et où les religieux ne peuvent que vivre les valeurs évangéliques - qui sont les valeurs humaines les plus fondamentales - dans leur milieu de travail et dans leurs relations humaines, c'est là que la "témoignage" (martyre) chrétien est à son état le plus pur.

Il faudrait d'ailleurs peut-être se garder de la multiplication de textes dits "spirituels" et ne pas sous-estimer l'importance de texte législatifs. L'élaboration par un chapitre général de bons statuts, par exemple sur la formation initiale et permanente, ou sur la visite canonique, ou encore sur la mise en pratique de l'option pour les pauvres, peut être une activité plus pastorale et spirituelle que la publications de beaux textes sur sa spiritualité de l'institut. Le chapitre général a non seulement à se préoccuper de la qualité de la vie religieuse de ses membres actuels, mais aussi de la qualité de l'institut lui-même, qui a pour mission de maintenir vivant et de transmettre aux générations à venir son charisme, à travers un complexe cohérent de doctrine, de traditions, d'observances et de rites.

À travers le chapitre général, un institut est appelé à poser sur le monde qui l'entoure, dans lequel il vit, et auquel il a été envoyé en mission, un regard d'amour et de compassion. Que de paroles vaines de nos jours, dans beaucoup d'écrits dits "religieux", où le monde moderne est jugé en bloc comme mauvais et corrompu et

où les religieux se présentent eux-mêmes comme une contre-culture, ou comme un substitut évangélique à la culture ambiante ! L'histoire des instituts religieux, et en particulier celle du monachisme chrétien, longue de presque deux millénaires, montre que chaque fois qu'il y eut un moment de grande créativité ou de renouveau d'une qualité particulière, ce fut lorsqu'un groupe d'hommes ou de femmes furent particulièrement présents à la culture de leur temps et surent donner dans leur vie une réponse aux aspirations les plus profondes des hommes et des femmes de leur temps, qui étaient devenues leurs propres aspirations.

Il n'est pas rare que les religieux dans un rejet simpliste de la modernité, se laissent enchanter par un mouvement philosophique qui s'est auto-proclamé "postmodernité" et qui est immensément plus contraire à la fois chrétienne que n'a pu l'être la "modernité" sous n'importe laquelle de ses expressions.

Comme l'ensemble des chrétiens, mais d'une façon particulière, les religieux sont appelés à évangéliser, donc à inculturer l'Évangile ou à transformer la culture ambiante de l'intérieur en y mettant le ferment de l'Évangile, et non pas en proclamant la mort ou la déchéance de leur propre culture. La contre-culture n'a jamais rien engendré. Une vie religieuse "contre-culture" serait anti-évangélique. Il y a évidemment en toute culture des semences de morts et des éléments en voie de décomposition qui servent d'engrais aux semences de vie nouvelle qui ne manquent jamais de poindre. La tâche des religieux est de savoir jeter un regard contemplatifs et plein de compassion sur cette culture et y discerner les signes de vie nouvelle a faire croître Les prophètes de malheur qui ont déjà perçu les signes de mort sont déjà suffisamment nombreux.

Si le chapitre général se tient par exemple au moment où se vit quelque événement spécial dans un pays particulier ou encore dans une Église locale où l'institut est présent, un message de l'institut à cette Église ou à cette société, à partir de son expérience évangélique particulière, pourrait être non seulement un geste légitime mais, en certains cas, la réponse à une obligation morale. Sans tomber toutefois dans inflation verbale dont semble souffrir l'Église de nos jours. Il ne faudrait surtout pas que les chapitres se sentent obligés de publier de longs documents où seraient analysés tous les aspects d'un problème, et où le souci de la nuance empêcherait toute parole percutante et désinstallante. Un bref appel de quelques lignes à tel type d'engagement dans telle situation concrète, ou la dénonciation non équivoque, en style lapidaire, de tel abus de pouvoir ou de tel manque aux droits humains élémentaires, a certainement plus de poids et d'effet.

IV - Une parole donnée et reçue en dialogue

Un chapitre général ne peut pas être simplement l'affaire d'un groupe de personnes élues pour cette tâche. C'est l'affaire de tous les membres de l'institut. Les capitulants sont des "délégués" qui exercent leur fonction au nom de tous les membres de l'institut. Un chapitre est un acte collégial et communautaire. Collégial dans son fonctionnement, ce qui veut dire que les décisions prises au chapitre le sont par le collège des participants légalement désignés. Communautaire, parce qu'il est l'expression de la vie de toute la communauté de communautés qu'est l'institut.

Un institut commence à se désintégrer au moment où ceux qui sont plus attentifs aux besoins de l'église et de la mission et plus en syntonie avec le charisme du fondateur se voient acculés à développer des projets personnels, bienveillamment bénis par les supérieurs, sans pouvoir les insérer dans un projet communautaire. Le chapitre général a donc la responsabilité de s'informer de ces projets individuels, d'évaluer objectivement leur valeur et leur authenticité, et de les assumer s'il y a lieu au nom de tout l'institut. C'est souvent là la voie du renouveau.

Le chapitre, étant un moment d'écoute, doit être un moment de dialogue; car c'est à travers la parole des autres que nous est transmise la parole de Dieu. Le dialogue est dès lors un exercice de docilité à Dieu. Pour répondre à Dieu il faut d'abord écouter les hommes. Pour entendre la voix de Dieu, il faut dialoguer avec ses frères. Ce dialogue peut prendre mille et une façons, depuis le partage d'Évangile, jusqu'à la réponse à un questionnaire ou une enquête, en passant par les réunions d'études, le travail en commissions, la formulation de votes, les mises en communs, etc. Cette attitude d'écoute est essentielle durant le chapitre même; elle l'est tout autant durant la phase préparatoire.

Un chapitre général ne peut être réussi que dans la mesure où il est bien préparé. Et il ne s'agit pas simplement d'une bonne préparation technique - qui a certainement son importance -mais d'une préparation éloignée des esprits et des coeurs, dont tous les membres de l'instituts doivent se sentir responsables. En réalité la période de préparation d'un chapitre commence le jour où se termine le chapitre précédent. À partir de ce moment en effet, commence un travail de conversion, d'engagement et de mise en pratique des orientations du chapitre. Et c'est cet effort qui permettra à l'institut, lors du chapitre suivant, de faire une nouvelle lecture de sa tradition et de son contexte culturel et ecclésial avec des yeux et des coeurs renouvelés afin d'en dégager une nouvelle signification et d'y percevoir de nouveaux appels.

S'il s'agit d'un chapitre d'élection, on se laissera guider par l'Esprit pour élire non pas la personne qui plaît le mieux ou qui sera le meilleur administrateur, mais celle qui semble capable de diriger l'institut dans la poursuite de sa mission et dans la lecture continuelle de la volonté de Dieu. De telles élections sont en général accompagnées de messes solennelles du Saint Esprit et d'invocation pour recevoir ses lumières. Il n'y a rien de plus louable. On renonce peut-être trop facilement cependant à sa responsabilité de discernement en pensant que celui qui sera élu sera le candidat de l'Esprit Saint.

En réalité l'Esprit Saint offre toujours toutes les lumières nécessaires; l'unique problème est de savoir si nous les utilisons. Demander les lumières de l'Esprit-Saint avant une élection, c'est en réalité demander la pureté du coeur- que Dieu seul peut donner- afin que nous puissions nous ouvrir aux lumières qu'il nous offre en permanence pour notre discernement. Dieu n'a pas de candidat. Il laisse aux capitulants la pleine responsabilité de leur choix; et il se lie Lui-même à ce choix . Ce choix sera heureux ou malheureux pour l'institut dans la mesure où les capitulants auront fait un bon discernement en utilisant tous les moyens humains, à travers lesquels travaille l'Esprit Saint. Et quel que soit l'aptitude ou le manque d'aptitude de l'élu, Dieu lui offrira toujours sa grâce, qu'il pourra lui aussi utiliser ou non selon son propre degré de pureté de coeur.

Du point de vue de l'atmosphère des séances, un chapitre doit sans doute avoir un rythme "humain", avec un horaire qui permette à chacun d'avoir non seulement le temps nécessaire de sommeil, mais aussi des moments de prière commune et personnelle et des espaces de réflexion et de fraternité. Il serait faux cependant de vouloir transformer un chapitre général en retraite spirituelle. L'écoute de la Parole de Dieu propre à un chapitre se réalise avant tout à travers l'effort sérieux, responsable et exigeant d'une analyse de la tradition et du contexte contemporain qui ne néglige aucun des instruments offerts par la science et les techniques modernes, et qui ne néglige surtout pas les longues heures d'écoute mutuelle qui peuvent devenir un authentique ascèse surtout si cette écoute doit se faire à travers un système de traductions simultanées et le constant effort de décodification culturelle que chacun doit faire pour bien saisir le message de l'autre.

Il est tout à fait normal que se manifestent parfois, au cours d'un chapitre, des tensions entre diverses tendances. Les capitulants venus d'Asie n'auront pas nécessairement les mêmes perspectives que ceux venus d'Europe; les Africains pourront trouver artificiels les "problèmes de la vie religieuses" perçus par les Américains. Un capitulant servant comme chancelier dans l'église cathédrale, par exemple, n'aura peut-être pas la même lecture des situations locales et des besoins que son confrère qui partage la vie des pauvres dans un bidonville de la même ville. Mais cette diversité et cette complémentarité des lectures est précisément la richesse d'une telle assemblée. Comme dans toute situation similaire, le défi n'est pas de faire disparaître les tensions, mais de les vivre dans la charité d'une façon qui engendre la lumière et l'énergie.

Un chapitre sera sans effet s'il n'est pas reçu par l'institut. Il pourra être reçu, en général, dans la mesure où tous auront pu participer à sa préparation d'une façon active, auront pu contribuer à l'élaboration d'une prise de conscience commune renouvelée de la vocation propre de l'institut. Les normes que pourra publier le chapitre général ne seront mises en pratique et ne porteront leurs fruits que dans la mesure où elles correspondront à des aspirations existant déjà dans la base, où elles permettront la réalisation d'une mission déjà perçue, ou bien mettront en route un processus de conversion répondant à un examen de conscience collectif.

D'un tel chapitre général, un institut ne peut sortir que ré-évangélisé, inculturé et donc re-fondé, parce qu'établi d'une façon nouvelle sur ses propres fondements, et donc sur la pierre angulaire qu'est le Christ.

Armand VEILLEUX, o.c.s.o.

1. Il est intéressant de trouver cette notion déjà chez s. Benoît (RB, cap. 64) qui prévoit, dans sa Règle, que si une communauté tout entière élisait un abbé indigne, l'évêque local, les abbés et les Chrétiens du lieu devraient voir à donner quelqu'un de digne comme abbé à cette communauté.

2. Ceci est repris dans le Droit Canon (c. 631): "Il a surtout pour mission: de protéger le patrimoine de l'institut..., et de promouvoir sa rénovation et son adaptation selon ce patrimoine..."