Écrits et conférences d'intérêt général
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Au-delà de la raison En 1974 le Saint Siège,
dans
une
lettre
du
Secrétaire
d’État
du
Vatican
à
l’Abbé
Primat
de
l’Ordre
bénédictin,
demandait
que
les
moines
chrétiens
assument
un
rôle
de
leadership
dans
le
dialogue
interreligieux.
Comment
s’expliquait
cette
requête
soudaine ?
C’était
un
fait
que,
depuis
Vatican
II
et
la
promulgation
de
Nostra
aetate
bien
des
rencontres
avaient
eu
lieu
entre
de
grands
spécialistes
soit
du
monde
chrétien,
soit
des
grandes
traditions
religieuses
d’Asie.
Ces
rencontres
de
savants,
faites
souvent
dans
les
universités,
avaient
souvent
eu
comme
résultats
non
seulement
la
publication
de
déclarations
intéressantes,
et
même
une
meilleure
connaissance
mutuelle,
mais
n’avaient
pas
donné
beaucoup
de
résultats
dans
l’ordre
du
dialogue
interreligieux
proprement
dit.
Or
deux
grandes
réunions
monastiques
pan-asiatiques
avaient
eu
lieu
à
Bangkok
en
1968
(durant
laquelle
était
mort
tragiquement
Thomas
Merton)
et
à
Bangalore
en
1973.
Au
cours
de
ces
réunions
des
moines
et
moniales
chrétiens
avaient
dialogué
en
profondeur
avec
des
moines
et
moniales
des
grandes
traditions
religieuses
d’Asie,
non
pas
au
niveau
des
institutions
ou
encore
à
celui
de
philosophies
et
des
théologies,
mais
bien
au
niveau
de
l’expérience
religieuse.
À
ce
niveau
le
dialogue
était
non
seulement
possible,
mais
enrichissant
de
part
et
d’autre. Se créa alors en milieu
monastique
chrétien
un
organisme
appelé
DIM
(Dialogue
Interreligieux
Monastique),
ayant
pour
but
de
sensibiliser
les
communautés
monastiques
chrétiennes
à
l’expérience
religieuse
de
leurs
frères
et
soeurs
des
autres
grandes
traditions
monastiques
dont
certaines
avaient
existé
un
millénaire
avant
le
monachisme
chrétien,
et
aussi
d’organiser
des
rencontres
visant
à
développer
une
meilleure
connaissance
mutuelle.
C’est
ainsi
que
des
moines
et
moniales
chrétiens
firent
des
séjours
dans
des
monastères
d’Asie
et
que
des
moniales
d’Asie
en
firent
dans
des
communautés
chrétiennes.
Ces
derniers
furent
souvent
reçus
par
Jean-Paul
II,
qui
manifesta
toute
son
estime
pour
leur
expérience
religieuse. D’abord attentif surtout
aux
grandes
traditions
d’Asie,
le
DIM
se
tourna
aussi
graduellement
vers
l’Islam.
Même
si
un
monachisme
organisé
n’a
jamais
existé
dans
l’Islam,
les
moines
et
les
moniales
chrétiens
qui
vivaient
au
contact
de
populations
musulmanes
ou
qui
avaient
étudié
les
traditions
religieuses
de
l’Islam
se
rendirent
rapidement
compte
de
l’importance
d’un
dialogue
avec
leurs
frères
musulmans. En effet ils trouvaient dans l’expérience religieuse
de
quelques
grands
mystiques
de
l’Islam
et
dans
certaines
écoles,
en
particulier
dans
le
soufisme,
mais
tout
autant
–
sinon
plus
–
dans
la
piété
du
« petit
peuple »
une
expérience
religieuse
avec
laquelle
il
leur
était
facile
de
communier. Dans la poursuite de ce
dialogue,
non
seulement
dans
le
monde
arabe,
mais
aussi
au
milieu
des
populations
musulmanes
d’autres
pays,
comme
les
Philippines
et
l’Inde,
ils
trouvèrent
des
guides
éclairés
et
précieux
auprès
de
Chrétiens
engagés
et
qui
demeurèrent
fidèles
jusqu’au
martyre
à
cette
communion
même
lorsqu’ils
devinrent
dérangeants
pour
les
politiciens
en
place. Ils trouvèrent aussi un encouragement constant
et
de
sages
conseils
auprès
du
Président
et
des
autres
membres
du
Conseil
Pontifical
pour
le
Dialogue
avec
les
Religions
non-chrétiennes
jusqu’à
ce
que
ce
Conseil
soit
fondu
avec
celui
pour
la
Culture. Au moment où Nostra aetate devient de plus en plus un
texte
appartenant
à
l’histoire
et
où
ceux
qui
ont
consacré
leur
vie
à
l’appliquer
sont
facilement
taxés
de
naïfs
ou
de
nostalgiques,
le
dialogue
religieux
proprement
monastique
non
seulement
garde
toute
son
importance,
mais
acquiert
une
actualité
irremplaçable,
précisément
du
fait
qu’il
se
situe
au
niveau
de
l’expérience
spirituelle. En effet, la suppression
du
Conseil
Pontifical
pour
les
Religions
non-Chrétiennes
comme
entité
distincte,
et
son
intégration
dans
le
Conseil
pour
la
Culture
marque
un
changement
important
d’orientation
du
magistère
de
l’Église
romaine
concernant
le
dialogue
interreligieux
[1]
. Déjà depuis Vatican II une constante divergence
d’orientation
avait
existé
entre
le
Conseil
pour
le
Dialogue
avec
les
Religions
non
chrétiennes
et
la
Congrégation
pour
l’Évangélisation
des
Peuples
qui
voyait
facilement
dans
toute
forme
de
dialogue
et
surtout
dans
la
prière
en
commun
avec
des
non-chrétiens
un
danger
d’affaiblir
la
mission
d’Évangélisation
qu’a
l’Église
à
l’égard
de
tous
les
peuples
et
aussi
un
danger
de
relativisme.
La
tendance
actuelle
est
qu’un
dialogue
au
niveau
théologique
est
impossible
et
inutile,
à
cause
des
conceptions
radicalement
différentes
de
Dieu
et
qu’il
faut
situer
le
dialogue
essentiellement
au
niveau
de
la
culture
et
du
respect
des
droits
humains.
Une
nouvelle
ligne
de
pensée
s’est
aussi
récemment
manifestée :
l’appel
à
une
réflexion
de
part
et
d’autre
sur
les
relations
entre
foi
et
raison. Des événements récents ont démontré que ces
joutes
intellectuelles
ne
seront
pas
faciles. Or, un autre niveau de
la
conscience
humaine,
au
delà
des
relations
sociales,
des
systèmes
philosophiques
et
théologiques
et
même
des
structures
et
des
rites
religieux,
est
celui
de
l’expérience religieuse, où les fidèles authentiques
de
toutes
les
traditions
religieuses
de
l’humanité
se
retrouvent
avec
une
facilité
qui
est
proportionnelle
à
la
profondeur
et
à
l’authenticité
de
leur
expérience.
Il
n’y
a
qu’un
Dieu
–
quel
que
soit
le
nom
ou
les
noms
qu’on
lui
donne.
Et
quiconque
fait
réellement
l’expérience
du
vrai
Dieu,
au
delà
de
toutes
les
idéologies,
se
retrouve
en
profonde
communion
avec
tout
autre
authentique
chercheur
de
Dieu. Ce type de rencontre auquel tend – avec évidemment
des
réussites
diverses
–
le
dialogue
interreligieux
monastique
est
plus
nécessaire
que
jamais
si
l’on
ne
veut
pas
que
toute
forme
de
dialogue
méritant
le
nom
de
« religieux »
disparaisse. Pour les adeptes de ce
dialogue,
la
question
« L’Islam
est-il
raisonnable ? »
est
sans
intérêt.
Pour
eux
l’importance,
bien
que
réelle,
de
toute
« raison »
--
qu’elle
soit
aristotélicienne,
platonicienne,
kantienne,
cartésienne
ou
encore
hindoue,
bouddhiste
ou
musulmane
--
est
toute
relative.
L’expérience
religieuse
qui
mérite
ce
nom
n’est
ni
rationnelle
ni
contre
la
raison ;
elle
est
au-delà
de
la
raison.
Dieu
est
plus
grand
et
tout
autre
que
tout
ce
qu’on
peut
en
connaître,
en
dire,
en
penser
ou
en
« sentir ».
C’est
là
une
conviction
profonde
du
contemplatif
qu’il
soit
musulman
ou
chrétien. Mais même à cause du domaine
où
l’on
semble
vouloir
camper
pour
le
moment
le
dialogue
avec
l’Islam,
c’est-à-dire
au
niveau
de
la
culture,
du
respect
de
la
vie
et
des
droits
humains,
ce
dialogue
interreligieux
au
niveau
de
l’expérience
est
plus
essentiel
que
jamais.
En
effet
l’Occident
tend
à
ne
plus
voir
l’Islam
qu’à
travers
la
radicalisation
d’un
certain
islamisme.
Même
dans
les
pays
arabes
et
autres
où
l’Islam
est
la
religion
majoritaire,
cet
islamisme,
dont
la
dimension
religieuse
est
toute
superficielle
et
qui
est
essentiellement
une
réaction
politique
à
une
autre
forme
de
radicalisme
venant
d’Occident,
tend
à
troubler
l’image
du
véritable
Islam.
Un
authentique
dialogue
au
niveau
de
l’expérience
religieuse
entre
personnes
de
religions
et
de
cultures
différentes
ayant
choisi
de
trouver
dans
la
rencontre
de
Dieu
le
sens
et
le
but
de
leur
vie
est
peut-être
la
seule
antidote
à
l’invention
diabolique
d’une
soi-disant lutte entre les civilisations dont ceux qui
l’annoncent
risquent
bien
de
l’engendrer. Pour le moine chrétien
et
l’humble
paysan
musulman
–
de
l’Algérie,
du
Maroc,
des
Philippines
ou
de
l’Inde
–
qui
cultivent
ensemble
leur
jardin,
qui
s’échangent
des
services
aussi
simples
que
le
prêt
d’une
tasse
de
lait
ou
de
quelques
carrés
de
sucre,
qui
assistent
ensemble
à
un
moment
de
prière
dans
la
mosquée
ou
dans
la
chapelle
du
monastère,
la
question
de
la
relation
entre
foi
et
raison
ne
se
pose
pas. Ils se retrouvent, sans aucun raisonnement,
dans
la
conviction
commune
que
Dieu
est
grand,
qu’il
est
un,
et
surtout
qu’il
est
« le
miséricordieux ».
Cette
conscience
de
la
miséricorde
infinie
de
Dieu
est
un
appel
à
la
jihad, à la lutte contre ce que les Chrétiens
appellent
le
vieil
homme,
et
qui
est
un
autre
nom
pour
la
conversion. Ce goût de Dieu que partagent
le
Chrétien
et
le
Musulman
du
petit
peuple,
dont
les
coeurs
frémissent
à
la
mention
du
Nom
de
Dieu,
leur
donnent
un
commun
désir
de
la
paix
et
de
la
communion
fraternelle,
même
lorsqu’autour
d’eux,
au
nom
d’idéologies
opposées
mais
aussi
antireligieuses
les
unes
que
les
autres,
Chrétiens
et
Islamistes
s’entretuent.
Spontanément,
ils
cherchent
à
déverser
ensemble
sur
ce
monde
blessé
un
baume
de
miséricorde
et
de
pardon. Dans un monde où l’on
s’entredéchire
de
façon
barbare
pour
s’imposer
de
part
et
d’autre
des
formes
de
société,
chacun
jugeant
la
sienne
supérieure
à
celle
de
l’autre,
ceux
qui
se
rencontrent
dans
la
recherche
de
l’expérience
du
Dieu
vivant
savent
reconnaître
dans
leurs
différences
autant
de
facettes
de
l’indicible
beauté
du
Dieu
à
la
fois
transcendant
et
tout
proche. Devant un monde où l’usage
de
la
raison
a
conduit
à
tant
de
développements,
mais
aussi
a
engendré
tant
de
luttes
et
de
guerres,
il
n’est
peut-être
pas
mal
que
certaines
personnes,
qui
savent
tout
ce
qu’elles
doivent
à
la
raison
mais
qui
ne
veulent
ni
en
faire
une
idole
ni
se
laisser
mener
par
elle,
la
fassent
taire
de
temps
à
autre,
pour
se
rencontrer
ensemble,
dans
une
autre
lumière,
au-delà de la raison. abbé de Scourmont, Belgique
[1]
Je suis conscient que, comme le répète le Cardinal
Poupart,
le
Conseil
Pontifical
pour
le
Dialogue
Interreligieux
n’a
pas
été
supprimé
officiellement
mais
que
les
deux
Conseils
(celui
pour
la
Culture
et
celui
pour
le
Dialogue)
ont
le
même
président. Il reste que l’information donnée par le Vatican
le
12
mars
2006
laisse
bien
entendre
que
c’est
la
présidence
du
second
qui
est
unie
pour
le
moment
à
celle
du
premier.
Pour
les
informateurs
extérieurs
cela
indique
bien
une
forme
de
fusion,
à
plus
ou
moins
brève
échéance,
d’autant
plus
que
l’approche
du
“nouveau
président”
du
Conseil
pour
le
Dialogue
est
décidément
“culturelle”. |
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