Écrits et conférences d'intérêt général
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LA PRIÈRE DE L'ÉGLISE
La constitution de Vatican II sur la liturgie nomme l'Office
divin
la
« voix de l'Église » ou la « voix
de
l'Épouse
s'adressant
à
l'Époux
»,
reprenant ainsi sous une autre forme l'expression
traditionnelle
:
«
la
prière
de
l'Église
».
Nous
voudrions,
dans
ce
bref
article,
réfléchir
sur
cette
expression
pour
essayer
d'en
préciser
le
contenu
théologique.
Il
s'agit
de
déterminer en quoi consiste fondamentalement le caractère
ecclésial
de
l'Office
divin.
Le
problème
est,
au
fond,
celui
du
caractère
ecclésial
de
la
liturgie
en
général.
Mais
peut-être
y
a-t-il
avantage
à
l'aborder
ainsi
par
un
cas
concret, celui de l'Office divin, vu la complexité
de
l'ensemble
des
réalités
groupées
sous
le
concept
de
liturgie,
et
vu
la
grande
diversité
existant
entre
celles-ci.
Aussi,
après
avoir
précisé
la
problématique
du
concept
actuel
de
liturgie
en
général
et
décrit
rapidement
les
essais
de
définitions
qui
en
ont
été tentés, nous nous occuperons plus expressément
de
l'Office
divin.
Pour
déterminer
ce
qui
le
constitue
«
prière
de
l'Église
»
nous
interrogerons
les
textes
de
Vatican
II,
et
tout
particulièrement
la
constitution
dogmatique
sur
l'Église. Histoire de l'usage du mot liturgie
et
tentatives
de
définition Le sens technique profane qu'eut le mot dans l'antiquité
grecque
classique n'a pas laissé de trace dans
son
usage
biblique
et
chrétien.
Mais
déjà
à
l'époque hellénistique
le
mot
avait
évolué
vers
un
sens
technique
cultuel.
Et
sans
que
l'on
puisse
parler
de
dépendance
à
l'égard
de
ce
sens
cultuel
païen, les
Septante
employèrent
le
mot
également
dans
un
sens
technique
cultuel, avant
tout
pour
désigner
le
culte
lévitique,
mais
aussi
—
sous
l'influence
spiritualisante
de
la
prédication
prophétique
—
le
culte
spirituel
(prière, lecture de la Parole de
Dieu,
etc...)
[1]
Poursuivant dans la même direction, le Nouveau Testament désigna le culte chrétien
en
général
—
rituel
ou
non
—
par
le
mot
«
liturgie
».
Par
la
suite,
les
auteurs
chrétiens
appliquèrent
le
mot
à
certains
rites
déterminés
du
culte
chrétien
tels
que
l'Eucharistie, le Baptême, la psalmodie, et aussi
à
certaines
fonctions
ecclésiastiques.
Cet
usage
demeura
jusqu'à
nos
jours
celui
de
l'Eglise
byzantine, avec cette précision que c'est à peu près seulement l'Eucharistie qui jouit de cette appellation
[2]
. Une nouvelle période, occidentale celle-là, de l'histoire
du
mot
liturgie
s'ouvrit
vers
le
milieu
du
XVI°
siècle,
lorsque,
sous
l'influence
des
humanistes
hellénisants,
les
historiens
des
textes
et
des
rites
de
la
célébration
eucharistique
qualifièrent
de
liturgiques
ces
formulaires
et
ces
rites
qu'ils
avaient pris pour objet de leurs investigations
historiques.
Ce
furent,
entre
autres,
G.
Cassander
[3]
, J. Pamelius
[4]
, J. Bona
[5]
. Quant à Mabillon, il semble avoir été le premier à user du substantif liturgie dans le même sens
[6]
. Cet usage
prévalut,
et
au
siècle
suivant,
on
l'appliqua
non
seulement à l'Eucharistie,
mais
aux
réalités
du
culte
de
l'Eglise
en
général.
Tout
comme Mabillon
avait
parlé
de
liturgie
gallicane,
et
D.
Giorgi
de
liturgie
du Pontife Romain
[7]
, on parla de liturgie romaine,
liturgies
orientales,
etc. Dans cet usage nouveau du mot liturgie, dont dépend
l'usage
actuel,
ce
n'était
plus,
comme
en
Orient
et
dans
l'Eglise
ancienne,
la
réalité
même
du
culte et des célébrations cultuelles qui était désignée,
mais
bien
l'ensemble
matériel
des
formules
et
rubriques
selon
lesquelles
se
célébrait
le
culte,
et
qui
constituaient
l'objet
d'une
nouvelle
science,
la
science
liturgique.
Ce
qui
frappe
dans
ce
processus,
c'est
l'origine
en
quelque
sorte
accidentelle
du
regroupement,
sous
le
même
concept
de
liturgie,
de
diverses
activités
cultuelles. N'y a-t-il pas quelque inconvénient à réunir ainsi
sous
un
commun
dénominateur,
des
réalités
aussi
diverses
que
la
célébration
de
l'Eucharistie,
la
consécration
épiscopale,
la
récitation
du
bréviaire
et
la
bénédiction
d'un
pont
?...
Le
théologien
doit
alors
se
demander
si
ce
commun
dénominateur
correspond
réellement
à
une
nature
spécifique
possédée
en
commun
par
toutes
les
réalités
désormais
nommées
liturgiques.
Et
la
distinction
entre
« liturgique » et « non-liturgique » a-t-elle un fondement
réel
?
Et
dans
l'affirmative
quel
est
ce
fondement
? Certes il ne faut pas bouder l'évolution
de
la
réflexion
théologique
vers
une plus grande
précision
des
concepts
—
évolution
qui,
de
toute
façon,
est
irréversible.
Il
y
a
ainsi
dans
la
vie
de
l'Eglise,
comme
dans
la
vie
de
l'humanité
en
général,
certaines
réalités
qui
ont
été
longtemps
vécues
avant
d'être conceptuellement
perçues
dans
leur
individualité
et
réunies
sous
un
même concept
avec
d'autres
réalités
de
même
nature.
Qu'on
pense
par
exemple
à
la
notion
de
sacrement.
L'Eglise
a
toujours
célébré
l'Eucharistie,
le Baptême,
la
Confirmation
et,
sous
une
forme
ou
une
autre,
les
autres
rites
que
nous
appelons
les
«
sept
sacrements
».
Ce
n'est
toutefois
qu'à
l'époque
de
la
Haute
Scolastique
que
cet
ensemble
de
réalités
—
quand
même assez
distinctes
les
unes
des
autres
—
fut
groupé
sous
un
commun
dénominateur.
II
y
a
cependant
cette
différence
importante
que
la
précision
de la terminologie
sacramentaire
fut
l'aboutissement
d'un
lent
processus
de
maturation
théologique,
alors
que
l'usage
actuel
du
mot
liturgie
est
né
de
l'emploi
qu'en
firent
les
historiens
à
l'époque
de
la
Renaissance. A vrai dire, une certaine incertitude
a
également
toujours
existé
jusqu'à
nos jours, sur
l'endroit
exact
où
doit
être
tracée
la
ligne
de
démarcation
entre « liturgique
»
et
«
non-liturgique
».
La
question
peut
paraître
résolue
concrètement
du
fait
que
le
Magistère
reconnaît
comme
liturgiques
certaines
formes de
culte,
à
l'exclusion
de
tout
autre,
même
si
une
valeur
spéciale
est
désormais
explicitement
reconnue
aux
sacra
exercitia
d'une
communauté
locale
[8]
. Mais le théologien
est
autorisé
à
se
demander
si
une
simple
détermination
juridique
suffit
pour
conférer
une
valeur
spirituelle
et
cultuelle spéciale à une forme déterminée
de
culte.
Ce
qui
l'intéresse
est
de
rechercher
si,
dans
la
réalité
même,
il
existe
entre
liturgie
et
culte
non-liturgique une distinction essentielle dont dépendraient les
déterminations
juridiques du Magistère. La considération des divers efforts
faits
au
cours
du
dernier
demi-siècle
pour
définir
la
nature
de
la
liturgie
pourra
nous
éclairer. Aussi longtemps que le mot liturgie
fut
restreint
au
champ
de
la
science
historique, il jouit d'un usage
indiscuté.
Il
passa
sans
difficulté
au
domaine
des canonistes qui considérèrent la liturgie comme une branche de la science
juridique,
se
distinguant
des
autres
branches
de
la
même
science
par
son
objet matériel
[9]
. Le passage
à
la
théologie
fut
beaucoup
plus
difficile
et
lent, car
il
supposait
une
véritable
métamorphose
du
concept.
C'est
malheureusement
avec
une
grande
part
de
vérité
que,
dans
sa
réaction
contre
les premiers
efforts
déployés
par
M.
Festugière
[10]
pour donner
une
définition plus théologique de la liturgie, P. Navatel pouvait
écrire
:
«
prise
dans
son
usage
le
plus
usuel,
la
liturgie
signifie,
pour
tout
le
monde,
la
partie
sensible, cérémonielle et décorative du culte catholique
»
[11]
. La grande
controverse qui se déclencha alors provint
du
fait
que,
de
part
et
d'autre,
on
essayait
de
définir
des
choses
diverses
:
alors
que
les
théologiens
prenaient
pour objet de leur définition les réalités mêmes du culte, les historiens
et
les
canonistes
tentaient
de
définir
sous
le
même
nom
de
liturgie
les
formules,
rites
et
rubriques
selon
lesquels
se
réalisaient
ces
actes
de
culte. Les nombreuses définitions théologiques
de
la
liturgie
qui
furent
tentées
se ramènent
fondamentalement
presque
toutes
à
celle-ci
:
la
liturgie
est
le
« culte de
l'Eglise
».
En
général,
elles
ont
ceci
en
commun
qu'elles
procèdent
d'une façon scolastique en vue d'arriver
à
une
définition
technique
rigoureuse.
Partant
d'une
notion
générique
de
culte,
on
distingue
celui-ci
en
public et privé, puis en naturel et surnaturel, et
ainsi
on
arrive
à
la
notion
de
culte
public
surnaturel,
qu'on
applique
à
la
liturgie.
Le
désavantage
de
cette
méthode
est
qu'elle
n'explique
pas
ce
qui
constitue
intrinsèquement
ce culte comme public et surnaturel. Il n'apparaît
tel
que
pour
le
simple
fait
extrinsèque
d'être
le
culte
d'une
société
surnaturelle.
Et
comme
la
notion
sous-jacente
d'Église
demeure
unilatéralement
corporative,
le
seul
fondement
du
caractère
ecclésial
du
culte
liturgique
est
alors
la
détermination
juridique
et
donc
extrinsèque
du
Magistère
[12]
. L'un des efforts en vue d'élaborer une définition
théologique
de
la
liturgie
est
cependant
digne
d'une
mention
spéciale.
C'est
celui
d'Odo
Casel
[13]
. Sans entrer dans toute la question
complexe
de
la
Mysterienlehre,
il
faut
reconnaître
à
Casel
d'avoir
montré
que
la
liturgie
n'est
pas
simplement
le
culte
naturel
dû
par
l'homme
à
son
créateur,
élevé
à
l'ordre
surnaturel,
mais bien la représentation dans des mystères cultuels
(Kultmysterien)
célébrés par la communauté cultuelle (Kultgemeinde) du mystère pascal du Christ (Urmysterium).
Ce
faisant,
il
était
le
premier
à
relier
organiquement
— par sa notion de mystère — les rites liturgiques
au
culte
de
l'unique
prêtre
de
la
Nouvelle
Alliance,
le
Christ. L'Encyclique Mediator
Dei,
tout
en
rejetant
les
conceptions
juridiques
et
esthétiques
de
la
liturgie,
selon
lesquelles
celle-ci
serait
ou
bien
l'ensemble
des rubriques,
ou
bien
un
simple
apparat
cérémoniel,
et
en
mettant
en
évidence le rôle
du
Christ
lui-même
comme
chef
du
Corps
mystique,
dans
la
liturgie, ne
semble
pas
avoir
apporté
de
nouveaux
éléments
de
solution
pour le problème
qui
nous
occupe
présentement. A une époque plus récente, sous
l'influence
du
développement
de
l'ecclésiologie, deux
nouvelles
approches
du
problème
furent
tentées
:
celle
de
A.
Stenzel
[14]
et
celle
de
J.A.
Jungmann
[15]
. Le premier,
dans
un
effort
pour déterminer le caractère « public
»
du
culte
liturgique,
établit
un
parallèle entre
le
culte
et
la
révélation.
La
révélation
publique
ne
dépend
pas
de
la
décision
de
la
Hiérarchie,
mais
au
contraire
celle-ci
la
propose
parce qu'elle
est
publique
par
nature.
D'autre
part,
la
reconnaissance
d'une
révélation privée par la Hiérarchie
n'empêche
pas
cette
révélation
de
demeurer privée. Ainsi en est-il du culte. Il est privé ou public par nature.
Le
culte
public
est
celui
qui
découle
de
la
révélation
publique
par
laquelle
Dieu
constitue
son
Peuple,
et
donc,
concrètement,
il
est
celui
que
le
Peuple
de
Dieu
accomplit
en
tant
que
Peuple. Pour J.A. Jungmann, il y a liturgie
là
où
il
y
a
une
réalisation
de
l'Eglise
en prière.
Mais
il
fait
une
distinction
entre
la
liturgie
universelle,
qui
dépend du
Pape,
et
la
liturgie
locale
qui
dépend
de
l'Evêque
ou
du
légitime
pasteur de
l'Eglise
locale.
Il
admet
par
ailleurs
que
la
prière
d'un
particulier
peut être liturgique,
s'il
est
député
pour
prier
au
nom
de
l'Eglise
universelle. Jungmann
a
eu
le
mérite
de
mettre
ainsi
en
évidence
le
lien
rattachant
la liturgie
à
l'Eglise
locale.
Mais
dans
son
explication,
comme
dans
celle
de
Stenzel, il semble
bien
que
le
fondement
du
caractère
ecclésial
ne
puisse
être autre
que
la
détermination
juridique
du
Magistère.
Et
alors,
dans
leurs
efforts pour
réviser
certaines
conceptions
actuelles,
ils
se
heurtent
à
la
législation
courante. La Constitution de Vatican II sur la Liturgie, tout
en
donnant
de
celle-ci
une
définition
qui
est
presque
verbalement
celle
de
Mediator Dei, en approche
le
mystère
par
un
autre
angle.
Au
lieu
de
partir,
comme
le
faisait
encore l'Encyclique, d'une notion générique et naturelle
de
culte,
et
de
société,
elle
part
de
la
considération
de
l'unique
culte
de
la
nouvelle
Alliance,
celui
que
le
Fils
rend
au
Père
dans
l'Esprit,
et
par
lequel
est
réalisée
la
sanctification
des
hommes.
Ainsi
apparaît
beaucoup
plus
clairement
le
lien
qui unit les rites liturgiques de l'Eglise avec l'unique
prêtre
et
l'unique
sacrifice.
La
liturgie
est
la
re-présentation de l'unique culte, l'actuation de l'unique sacerdoce. La Constitution sur la liturgie a mis singulièrement
en
lumière
ce
lien
indissoluble
de
la
liturgie
avec
le
sacerdoce
du
Christ.
Mais
il
ne
faut
pas
oublier
avec
quelle
insistance
elle
souligne
le
fait
que
tout
culte
chrétien
est
une
actuation
de
ce
même
sacerdoce.
Ainsi
en
est-il
de
la
prière
privée
faite dans le silence du coeur, et qui est fortement
recommandée
[16]
. Elle est,
elle
aussi,
une
actuation
du
sacerdoce
du
Christ
;
autrement
elle
serait
sans valeur.
La
liturgie
ne
peut
donc
être
définie
simplement
comme
une
« actuation
du
sacerdoce
du
Christ
».
C'est
pourquoi
lorsque
la
Constitution affirme qu'elle est l'exercice
par
l'Eglise
de
la
fonction
sacerdotale
du
Christ
[17]
, l'élément
spécifique
de
cette
définition
ne
peut
être
évidemment
que « par l'Eglise
».
Nous
sommes
cependant
toujours
au
même
point
dans
notre recherche.
Y
a-t-il
quelque
chose
d'intrinsèque
à
la
prière
liturgique,
qui
la
constitue
prière
de
l'Eglise
? A cette dernière question, on pourrait
facilement
déceler
dans
la
Constitution sur la
liturgie
tous
les
éléments
de
réponse,
présentés
d'une
façon
plus ou moins
implicite.
Mais
puisque
ceux-ci
sont
d'ordre
ecclésiologique,
il nous semble préférable de consulter
directement
la
pièce
maîtresse
du
Concile,
la
Constitution
Lumen
Gentium
sur
l'Eglise.
Sans
doute
fût-ce
une
grâce
pour
le
Concile
d'avoir
commencé
ses
débats
par
la
liturgie,
et
sans
doute
également
trouvons-nous
dans
la
Constitution
sur
la
liturgie
de
précieux éléments d'une ecclésiologie renouvelée. Mais
de
ce
point
de
vue
proprement
ecclésiologique,
cette
première
Constitution
conservait
encore
quelques hésitations qui furent surmontées dans Lumen
Gentium.
Dans
notre
recherche
du
fondement
théologique
du
sens
ecclésial
de
la
prière
liturgique,
nous croyons donc préférable de nous référer directement
à
la
doctrine
de
cette
deuxième
grande
Constitution,
quitte
à
revenir
ensuite
à
la
première
pour
en
mieux
apprécier
les
affirmations
doctrinales. Théologie de la liturgie selon l'ecclésiologie
de
Vatican
II Le progrès remarquable que Vatican
II
a
fait
faire
à
l'ecclésiologie
catholique, par la
publication
de
la
Constitution
Lumen
Gentium,
consiste
essentiellement dans
la
redécouverte
de
certaines
données
fondamentales
de
l'ecclésiologie
traditionnelle
qui,
au
cours
des
siècles,
étaient,
en
Occident,
passées graduellement
dans
l'ombre
par
suite
d'un
certain
déplacement
d'accent. De nouveau l'accent s'est
déplacé
de
la
considération
de
la
structure
hiérarchique
vers
celle
plus
fondamentale
de
la
nature
mystérique
de
l'Eglise, ainsi que de la considération de l'Eglise
universelle
vers
celle
de
I’
Eglise
locale,
espace
vital
de
I'
agapè
et
du
culte,
où
se
«
réalise
»
l'Eglise
comme
événement
de
l'Histoire
du
Salut.
Ces
notions
fondamentales
de
l'ecclésiologie de Vatican II sont la base nécessaire
pour
l'élaboration
d'une
théologie
de
la
liturgie. Dans un excellent article, le Père
Congar
a
bien
montré
[18]
, il y a quelques années,
comment
toute
la
conscience
ecclésiologique
orientale
ancienne
était centrée
sur
le
mystère
de
I’
Eglise,
manifesté
principalement
dans
la
réalité concrète
de
l'Eglise
locale.
C'est
à
cette
vision
que
revient
Vatican
II.
Ce mystère de
l'Eglise
est
celui
de
la
vie
divine
que
le
Christ,
par
son
incarnation, a redonnée à l'humanité
entière.
L'œuvre
de
l'Esprit
Saint,
au
sein de l'Eglise, est de reconformer la nature humaine individuée dans
les
personnes
que
nous
sommes
à
l'image
de
celle
du
Christ.
A
travers
l'ascèse
d'une part et les sacrements d'autre part, l'homme — et avec lui la création
entière
—
se
reconfigure
à
l'image
de
Dieu
à
partir
de
ce
foyer
de
divinisation qu'est le Christ, et dont le rayonnement immédiat crée cette sphère
de
vie
divine
qu'est
I’
Eglise.
L'Orient
n'a
pas,
comme
l'Occident
latin,
élaboré
une
image
du
Corps
mystique
dans
un
sens
corporatif
et
sociologique.
Sa considération est demeurée avant tout mystérique
;
l'unité
entre
les
membres
de
I’
Eglise
et
le
caractère
communautaire
des
sacrements
tiennent
non
à
une
notion
de
société
hiérarchiquement
constituée
sous
un
seul
chef
visible,
mais
à
la
réception
et
au
partage
par
tous
de
la
même
réalité
surnaturelle de la vie divine. La réalité qui est au centre de
cette
ecclésiologie
fondée
sur
le
mystère
du Christ est
donc
celle
de
la
Communion
(18a).
La
vie
divine
est
essentiellement communion : communion des
Personnes
divines
au
sein
de
la
Trinité,
communion
du
divin
et
de
l'humain
dans
le
Christ,
communion
des
hommes rachetés à la vie divine dans le Christ et
communion
avec
leurs
frères
dans
cette
même
vie
divine.
L'Eglise
est,
dans
le
temps
qui
court
de
l'Ascension du Christ à la Parousie, le sacrement
du
Christ
et
du
dessein
salvifique
du
Père,
parce
qu'elle
est,
au
milieu
des
nations,
la
réalisation
et
la
manifestation
de
cette
réalité
divine
de
la
communion. Mais qui dit mystère (ou sacrement),
au
sens
biblique
et
patristique
du
mot, dit réalisation
et
manifestation
d'une
réalité
spirituelle
et
invisible
dans une réalité matérielle et visible
qui
en
est
le
signe
réalisateur
et
avec
laquelle, en fin de compte, elle s'identifie. Or, c'est en tant qu'elle
est
une
communion
visible
entre
baptisés,
dans
la
même
foi,
la
même
charité
et
la
même espérance, que l'Eglise est signe de la communion
spirituelle
avec
Dieu
[19]
et réalisation
du
salut
[20]
. C'est pourquoi
l'Eglise,
en
tant
qu'événement, en tant que manifestation
actuelle
de
son
mystère,
c'est
l'Eglise locale, et tout particulièrement
l'assemblée
cultuelle.
La
manifestation
optimale
de
l'Église,
comme
le
Concile
le
rappelle,
c'est
la
célébration
de
l'Eucharistie
par
l'Evêque
entouré
de
ses
fidèles
et
de
son
presbyterium
[21]
. Israël, le
Peuple
de
Dieu
et
l'Ancien
Testament,
était
un
peuple
«
selon
la chair » ;
il
s'identifiait
dans
le
lieu
et
le
temps
avec
l'ensemble
de
ses
membres, et
même
s'il
pouvait
se
concentrer
dans
un
«
reste
»,
il
ne
pouvait être tout
entier
à
divers
endroits
à
la
fois.
Mais
l'Eglise,
parce
qu'elle
est un Peuple
de
Dieu
selon
l'Esprit,
est
tout
entière
partout
où
son
mystère
se trouve signifié, c'est-à-dire
partout
où
se
trouve
manifestée
dans
une
communion
ecclésiale
visible
la
réalité
spirituelle
de
la
communion
avec
Dieu. Chaque Eglise locale est non pas une circonscription
administrative
de
l'Eglise
universelle
mais
une
réalisation
complète
du
mystère
total
de
l'Eglise
[22]
. L'entrée dans le Peuple de Dieu
se
fait
par
le
baptême
qui
confère
cette
participation au sacerdoce du Christ
que
la
Constitution
sur
l'Eglise
appelle
le « sacerdotium commune ». C'est en vertu de
ce
sacerdoce
que
tous
les
chrétiens,
y
compris
ceux
qui
ont
un
ministère
spécial,
participent
au
culte
du
Christ
et
de
l'Eglise
[23]
. Le culte de
la
Nouvelle
Alliance
n'est
pas
le
culte d'une caste privilégiée, il
est
celui
de
tout
le
Peuple
de
Dieu.
Le
sacerdoce ministériel,
dont
parle
ensuite
la
Constitution,
et
qui
vient
se
greffer
sur le sacerdoce
commun,
habilite
à
l'accomplissement
d'une
fonction
spéciale au sein de l'activité
cultuelle
qui
demeure
toujours
celle
de
la
communauté entière
[24]
. Comme ces
ministères
hiérarchiques
appartiennent
à
la structure
de
l'Eglise,
on
comprend
que
la
manifestation
idéale
et
la
plus
parfaite de l'Eglise soit la célébration
présidée
par
l'Evêque.
Ce
n'est
toutefois pas la seule forme possible de réalisation de l'Eglise locale. Cette
réalisation
a
lieu
également
dans
la
célébration
paroissiale
de
la
liturgie,
présidée
par
le
remplaçant
de
I’
Evêque.
Et
même
sans
présence
d'un
ministre
sacré il peut y avoir une réelle manifestation du mystère de communion
de
l'Eglise,
et
donc
une
réelle
Eglise
locale,
quoique
l'aspect
hiérarchique
n'en
soit
pas
manifesté
[25]
. C'est pourquoi
la
prière
commune
d'une
communauté
religieuse
ou
d'une
communauté
de
laïcs
sans
voeux
est
réellement
une « prière de l'Eglise »
[26]
. De même en
est-il
d'une
famille
:
lorsqu'un
père et une mère, entourés de leurs enfants, offrent
leur
prière
au
Seigneur,
celle-ci est
la
prière
de
ce
que
le
Concile
appelle
une
«
Ecclesia
domestica
»
[27]
, elle est donc la prière de l'Eglise. Toutes ces précisions données, nous pouvons maintenant
énoncer
la
conclusion à laquelle elles nous conduisent. Partout où
une
communauté
de
fidèles
se
rassemblent
pour
manifester
leur
communion
de
vie
divine,
communiant entre eux dans la fraction du pain, dans
l'audition
de
la
parole
de
Dieu,
dans
une
prière
vraiment
chrétienne,
là
le
Christ
est
présent,
sous
le
signe
même
de
leur
communion,
et
leur
culte
est
celui
du
Christ
s'exprimant par la voix de son Epouse ; il est le culte de
l'Eglise.
Dans
toute
prière
authentiquement
chrétienne
d'une
communauté
cultuelle,
il
y
a
prière
de l'Eglise, parce que cette prière elle-même fait
de
cette
communauté
une
Eglise,
un
événement
de
l'Eglise.
Donc,
ce
qui
fonde
le
caractère
ecclésial
de
la prière liturgique est d'être la manifestation et
l'actuation
d'une
Eglise
locale,
du
Peuple
de
Dieu
comme
communauté
de
salut
et
de
culte
[28]
. Mais tout de suite on fera une objection. L'Office divin
récité
«
en
privé
»
ne
serait-il
plus
prière
de
l'Eglise,
ne
serait-il
plus
prière
liturgique
?...
En premier lieu il faut se souvenir
avec
quelle
insistance
le
Concile
rappelle
que la prière
liturgique,
de
sa
nature,
requiert
une
célébration
commune,
et comment il exhorte les prêtres
à
réciter
en
commun
leur
Office
aussi
souvent
que
les
circonstances
le
permettent
[29]
. Il reste
toutefois
vrai
que
même lorsqu'un prêtre récite en
privé
son
Office,
sa
prière
est
considérée
comme « la
prière
de
l'Eglise
».
Elle
l'est
certes,
au
sens
général
où
toute
prière
d'un
chrétien
est
faite
dans
le
Christ,
et
donc
dans
l'Eglise
[30]
. Mais si nous
considérons
comme
«
prière
de
l'Eglise
»
celle
dans
laquelle
il
y
a
une manifestation
visible
(sacramentelle)
du
Peuple
de
Dieu,
il
nous
semble
qu'à ce point
de
vue
également
la
récitation
privée
de
l'Office
peut
être
dite
« liturgique
».
Dans
ce
cas,
cependant,
le
signe
ecclésial
est
réduit
à
sa
limite minimale.
L'usage
d'un
formulaire
et
d'un
rythme
de
prière
traditionnels et
communs
à
tous
les
fidèles
de
l'Eglise
universelle
ou
d'une
Eglise
locale peuvent en ce cas être le
signe
rattachant
visiblement
(car
cette
visibilité
est
requise
par
la
nature
de
l'ordre
sacramentel)
cette
prière
à
l'Eglise
universelle ou à une Eglise locale. Ceci doit nous amener à réfléchir
sur
un
autre
aspect
de
la
question,
celui
de l'approbation par la Hiérarchie
des
textes
et
des
rites
employés
dans
la
prière liturgique. Pour qu'une prière soit réellement un signe qui transforme
sacramentellement
en
Peuple
de
Dieu
l'assemblée
qui
l'offre,
elle
doit
évidemment être authentiquement chrétienne. C'est-à-dire
que,
dans
son
contenu
et
son
mode
de
déroulement,
elle
doit
répondre
à
certaines
conditions
objectives qui en fassent une expression adéquate
de
la
réalité
salvifique,
du
mystère
pascal
du
Christ.
Ce
n'est
donc
pas
l'accomplissement
en
commun
de
n'importe
quelle
dévotionnette
qui
sera
«
liturgique
».
C'est
pourquoi
le
Magistère
de
l'Eglise,
conscient
de
sa
fonction
pastorale,
a
toujours
veillé à l'orthodoxie et à l'authenticité chrétienne
de
la
prière
des
membres
de
l'Eglise.
Lorsque
la
Hiérarchie
reconnaît
et
approuve,
sous
une
forme
ou
une autre (et ces formes ont beaucoup varié au cours
de
l'histoire
de
l'Eglise),
une
prière
comme
«
liturgique
»,
cela
veut
dire
qu'elle
en
reconnaît le caractère authentiquement chrétien et l'aptitude
à
exprimer
le
mystère
pascal
du
Christ,
qui
est
le
mystère
même
de
l'Eglise.
Ces
prières
ainsi
reconnues
par
les
pasteurs
de
l'Eglise
acquièrent
donc
une
garantie
dont
ne
jouissent
pas
les
prières
improvisées
par
les
fidèles
indépendamment
de
leurs pasteurs. Cela ne signifie pas toutefois que
les
prières
de
cette
dernière
catégorie
ne
peuvent
pas
posséder
la
même
valeur
spirituelle
et
le
même caractère chrétien et ecclésial que celles qui
sont
officiellement
reconnues.
En
d'autres
termes,
l'approbation
de
la
Hiérarchie
en
ce
domaine
est
d'ordre
déclaratif
plutôt
que
constitutif
[31]
. On peut
en
trouver
une
preuve
concrète dans le fait qu'actuellement
certaines
parties
de
la
liturgie
sont
laissées au
choix
des
participants,
même
lorsque
ceux-ci
ne
sont
pas
clercs
et ne peuvent
donc
avoir
une
juridiction
déléguée.
Ainsi
non
seulement
un
diacre mais
un
laïc
peut,
en
l'absence
du
prêtre,
organiser
une'
liturgie
de
la
Parole.
De
même
permission
a
été
donnée
aux
supérieurs
et
supérieures,
en
pays de mission,
de
choisir
certaines
parties
de
l'Office,
en
particulier
les leçons de Matines, etc... De plus, à défaut d'un formulaire explicitement approuvé, les fidèles peuvent trouver une garantie
équivalente
en
employant
certaines
formules
de
prière
dont
la
Tradition
a
reconnu
l'aptitude
à
exprimer
la
prière
chrétienne
:
les
Psaumes,
par
exemple. Si l'approbation officielle des
textes
et
des
rites
n'est
pas
constitutive
de
la
prière
de
l'Eglise,
la
députation
le
serait-elle
?...
il
faut
noter
en
premier
lieu
que
tout
chrétien,
de
par
son
baptême,
et
sa
confirmation,
est
député
et
habilité
à
actuer le sacerdoce du Christ par l'exercice de son sacerdoce
royal en communion avec ses co-membres dans le Corps
mystique,
et
donc
à
célébrer
la
liturgie
[32]
. De plus, certaines personnes ou
certains
groupements,
de
par
le
rôle
même
qu'ils
ont
à
jouer
dans
le
Peuple
de
Dieu,
y
sont
tenus
d'une
façon
spéciale.
L'évêque,
et
le
prêtre
qui
est
son
ministre,
sont par vocation les sanctificateurs du Peuple de Dieu. Il y a donc pour
eux
une
exigence
spéciale
(intrinsèque
à
leur
fonction
ministérielle)
d'édifier
l'Eglise, d'abord dans la célébration eucharistique
de
leur
Eglise
locale,
mais
aussi dans la célébration des autres sacrements et dans la prière qui de
soi
doit
leur
être
commune
avec
le
Peuple
dont
ils
ont
la
charge
et
avec
leurs
co-pasteurs. De même, analogiquement, en est-il des
religieux,
surtout
si,
comme
c'est
le
cas
pour
la
majorité
d'entre
eux,
ils
mènent
la
vie
commune.
Leur vocation étant ecclésiale, ils doivent, soit
à
travers
le
simple
témoignage
existentiel
de
leur
ascèse,
soit
à
travers
des
ministères
actifs,
construire l'Eglise. Leur vie commune et leur ministère
commun
au
service
de
la
communauté
ecclésiale
doit
nécessairement,
de
sa
nature
même,
se
couronner
par
une
communion
dans
la
prière
commune,
puisque
la
liturgie
est
le
sommet vers lequel tend toute l'activité de l'Eglise,
en
même
temps
que
la
source
où
elle
puise
sa
valeur
[33]
. C'est pourquoi,
bien
longtemps
avant
que le droit canon ne vienne leur
en
faire
une
obligation
juridique,
prêtres
et religieux
se
sont,
depuis
la
plus
haute
antiquité,
reconnus
obligés
(par
les exigences
intrinsèques
à
leur
vocation)
à
la
prière
liturgique.
L'obligation sous peine de péché qui leur
en
est
maintenant
faite
ne
peut
évidemment
changer
la
nature
spirituelle
de
leur
prière
[34]
. En déclarant
certaines
personnes officiellement députées pour accomplir la
«
prière
de
l'Eglise
»,
selon
des
formulaires
et
un
rythme
déterminés,
le
Magistère
veut
d'une
part
s'assurer
que
dans
ces
groupements
se
réalise
au
maximum
la
prière
ecclésiale à laquelle leur vocation les députe, et d'autre
part
il
reconnaît
officiellement
et
publiquement
leur
prière
comme
une
expression
authentique
de
la
prière
du
Peuple
de
Dieu.
Ici
encore
il
s'agit
d'une
garantie
dont
ne
jouit
pas
la
prière
des
autres
groupes,
même
si
celle-ci
peut
posséder
la
même
valeur
ecclésiale. Dom G. Lafont, dans une communication
au
colloque
de
Monaco
en
1965
[35]
, a bien mis
en
lumière
comment
cette
idée
de
la
députation
est
née ou du moins
a
été
systématisée
dans
un
contexte
ecclésiologique
tout
différent du
nôtre,
et
avec
lequel
elle
est
cohérente.
L'Eglise
étant
considérée
comme l'assemblée
de
tous
les
baptisés
sous
le
gouvernement
monarchique
du Pape (dans
une
vision
plus
«
additionnelle
»
que
«
communionnelle
»),
on
ne
pouvait
concevoir
la
réalisation
de
l'Eglise
totale
dans
une
Eglise
particulière.
Par
conséquent
pour
expliquer
conceptuellement
l'existence
d'une
prière
de
l'Eglise
totale,
on
n'avait
d'autre
moyen
que
de
recourir
à
l'idée de députation
:
le
Pape,
suprême
autorité
de
l'Eglise
députe
certaines
personnes pour prier au nom de tous
les
membres
de
l'Eglise
universelle.
Dans
une
ecclésiologie
de
la
communion,
comme
celle
de
Lumen
Gentium,
qui voit la réalisation du mystère entier de l'Eglise
dans
chaque
Eglise
locale,
ce
recours
à
la
notion
de
députation
n'est
plus
du
tout
nécessaire,
même
s'il
peut
encore
s'expliquer. De fait la Constitution sur la liturgie recourt explicitement
à
cette
notion
de
députation
dans
le
chapitre
sur
l'Office
divin
[36]
. Dom G. Lafont,
dans
l'article déjà mentionné, a souligné le fait que cette
idée
de
députation,
telle qu'exprimée à cet endroit,
cadre
assez
mal
avec
la
doctrine
constante
de
la
même
Constitution
sur
la
liturgie,
qui
voit
dans
le
caractère
baptismal
la députation
de
tout
chrétien
à
la
prière
liturgique.
D'ailleurs
les
Pères
du
Concile ont
bien
senti
le
malaise
[37]
, et une addition
fut
faite
au
texte,
selon laquelle non seulement la
prière
des
prêtres
et
des
autres
personnes
« députées
»
par
le
droit
est
reconnue
liturgique,
mais
aussi
celle
des
autres
fidèles priant avec le prêtre. Cette
addition,
qui
peut
ne
pas
paraître
très
importante
à
première
vue,
montre
que,
pour
les
Pères
du
Concile,
la
députation n'est pas constitutive de la prière de l'Église,
puisque
la
prière
d'autres
personnes
que
celles
députées
est
reconnue
comme
liturgique.
J.
Pascher, dans son
commentaire,
parle
dans
ce
cas
de
députation
«
non
obligans
»
;
mais cette députation
«
non
obligans
»
est-elle
autre
que
celle
du
baptême ?
[38]
On peut d'ailleurs constater que
la
Constitution
sur
la
liturgie
contient
déjà, quoique
d'une
façon
moins
explicite
peut-être,
la
doctrine
que
nous
avons
déduite
de
la
Constitution
sur
l'Eglise.
Elle
affirme
expressément,
au
§ 14, que tout fidèle, en vertu
du
sacerdoce
royal
reçu
à
son
baptême,
est
délégué
(ius
habet
et
officium)
à
célébrer
la
liturgie.
Et
c'est
de
ce
fondement
doctrinal
qu'est
déduite
la
nécessité
pastorale
de
la
participation
active
aux célébrations liturgiques. De même, lorsque la
Constitution
veut
rappeler
l'exigence
intrinsèque
à
la
liturgie
de
la
célébration
«
publique
»
et
non
« privée », elle fonde cette exigence sur le caractère
ecclésial
de
la
liturgie.
Or,
elle
met
ce
caractère
ecclésial
directement
en
rapport
avec
le
caractère
sacramentel
de
l'Eglise
qui
est
unitatis
sacramentum
[39]
. L'argument revient donc à ceci : La liturgie doit être célébrée
d'une
façon
communautaire
parce
qu'elle
est
de
sa
nature
une
manifestation
de
l'Eglise
comme
sacrement de l'unité ou de la communion. Enfin, au § 7,
la
Constitution
explique
comment
le
Christ
est
présent
dans
le
rassemblement
des
fidèles
qui
s'unissent
pour
prier
:
«
Praesens
adest
denique dura supplicat et psallit Ecclesia, ipse
qui
promisit
:Ubi
sunt
duo
vel
tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum'. » Donc, là
où
deux
ou
trois
fidèles
sont
réunis
pour
prier,
le
Christ
est
au
milieu
d'eux
pour
accomplir
l'œuvre
de
la
glorification du Père et de la sanctification des hommes
[40]
, et dans
ce
petit
groupe
c'est l'Eglise qui « supplie et
psalmodie
». On le voit, la doctrine de la Constitution sur la
Liturgie
est
tout
à
fait
conforme
à
celle
que
nous
avons
trouvée
plus
développée
dans
la
Constitution
sur
l'Eglise.
Et
nous
pouvons
donc
considérer
que
se
trouvent
fondées
aussi bien dans l'une que dans l'autre les conclusions
suivantes
: Conclusions a) Une prière est authentiquement chrétienne et donc actuation de l'unique culte de la Nouvelle Alliance lorsque, dans son
contenu
et
dans
son
mode d'exécution,
elle
est
apte
à
exprimer
la
réalité
surnaturelle
du
salut,
le mystère pascal du Christ, unique liturgie. (Les conditions
subjectives
de
tout acte surnaturel sont évidemment présupposées). b) Quand cette
prière
authentiquement
chrétienne
est
accomplie
dans
des conditions
extérieures
qui
en
font
une
manifestation
de
l'Eglise
comme
communauté de
culte,
—
concrètement
quand
elle
est
l'expression
de
la
prière d'une
Église
locale
—
elle
peut
légitimement
être
appelée
la
«
prière
de
l'Eglise ». c) La hiérarchie
reconnaît
officiellement
ce
caractère
authentiquement
chrétien
et
ecclésial
de
certaines
prières
accomplies
par
certaines
personnes,
dans des conditions déterminées et avec des textes
officiellement
approuvés.
Cette
prière,
qui
jouit
ainsi
d'une
garantie
objective
supérieure
est
celle
à
laquelle
l'usage
actuel
réserve
l'appellation
de
«
liturgique
». d) Ce qui fonde le caractère ecclésial propre de la
prière
liturgique,
ainsi
que
des
autres
prières
qui
sans
être
actuellement
qualifiées
de
liturgiques,
possèdent la même nature de « prière de l'Eglise
»,
c'est
d'être
non
seulement
une
actuation
du
sacerdoce
du
Christ
mais
aussi
et
en
même
temps
une
manifestation
visible
du
Peuple
de
Dieu
comme
communauté
de
prière
et
de
sanctification. Mistassini — Monte Cistello.
Armand VEILLEUX, ocso.
[1]
Sur l'usage biblique du mot voir
A.
ROMEO,
ll
termine
leitourgia
nella
grecità
biblica, dans Miscellanea liturgica in honorem L. Mohlberg, T. 2, Rome
1949,
p.
467-519.
[2]
On trouvera une brève étude générale sur l'histoire du mot dans E. RAITZ VON
FRENTZ, Der
Weg
des
Wortes
«
Liturgie
»
in
der
Geschichte,
dans
Eph.
Lit.
55
(1941),
p. 74-80. [3] Liturgica de ritu et ordine dominicae coenae quam celebrationem Graeci liturgiam, Latini missam appellarunt, 1558. [4] Liturgia Latinorum, Cologne 1571. [5] Rerum liturgicarum libri duo, Rome 1671 [6] De liturgia gallicana, Paris 1685. [7] Liturgia Romani Pontificis, 1731. [8] Const. Lit., § 13 ; cf. J.A. JUNGMANN, L'Évêque et les « Sacra Exercitia », dans Concilium n° 2, 1965, p. 50-56. [9] Par exemple C. CALLEWAERT : « Definiri potest liturgia : cultus publicus ab Ecclesia quoad exercitium ordinatus, seu ordinatio ecclesiastica exercitii cultus publici. » (Liturgicae institutiones Tract. I, Bruges 19444, p. 6.). [10] La liturgie catholique, Maredsous 1913. [11] Dans : L'apostolat liturgique et la piété personnelle, dans Études 137 {1913), p. 452. [12] Voir par exemple la définition donnée par R. GUARDINI : « Liturgie ist der öffentliche, gesetzliche Gottesdienst der Kirche » (Vom Geist der Liturgie, 193413-14, p. 4.) Trad. franç. L'esprit de la liturgie (Le Roseau d'Or, 7) Paris 1929, p. 102. [13] Les ouvrages de CASEL les plus importants sur cette question sont Das christliche Kultmysterium, Ratisbonne 19604, trad. franç. Le mystère du culte (Lex Orandi, 38), Paris 1964, et Mysteriengegenwart dans Archiv f. Liturgiewissenschaft 8 (1928), p. 145-224. [14] Cultus publicus. Ein Beitrag zum Begriff und ekklesiologischen Ort der Liturgie, dans Zeitsch. f. kath. Theol. 75 (1953), p. 174-214. [15] Was ist Liturgie? ibid., 55 (1931), p. 83-102 ; et Gewordene Liturgie, 1941, p. 1-27. [16] Const. Lit„ § 12. [17] Ibid. § 7. [18] Conscience ecclésiologique en Orient et en Occident du VIe au XIe siècle, dans Istina 6 (1959), p. 187-236. 18a Sur cette notion de « communion », voir, entre beaucoup d'excellents ouvrages, M.-J. LE GUILLOU : Église et « Communion » Essai d'ecclésiologie comparée, dans Istina 6 (1959) p. 31-82. L'auteur y montre comment, malgré les divisions entre les chrétiens cette notion de « communion » est demeurée le fondement commun de toutes les ecclésiologies. Du même auteur, voir : Mission et unité. Les exigences de la communion, (Unam Sanctam, 33), Paris 1960. Cf. également J. HAMER, L'Église est une communion, (Unam Sanctam, 40), Paris 1960. [19] Cf. Const. sur l'Égl., Ch. I, § 1 : « Cum autem Ecclesia sit in Christo veluti sacramentum seu signum et instrumentum intimae cum Deo unionis totiusque generis humani unitatis... ». [20] Cf. l'explication donnée au Concile par la Commission théologique ; « Mysterium Ecclesiae adest et manifestatur in concreta societate. Coetus auteur visibilis et elementum spirituale non sunt duae res, sed una realitas complexa, complectens divina et humana— Quod per analogiam cum Verbo incarnato illustratur. » Le texte est cité par Dom Olivier Rousseau dans G. BARAUNA et Coll. L'Église de Vatican II, Tome 2 (Unam Sanctam, 51b), Paris 1966, p. 40. [21] Const. Lit., § 26. [22] Ibid. : « Haec Christi Ecclesia vere adest in omnibus legitimis fidelium congregationibus localibus, quae, pastoribus suis adhaerentes, et ipsae in Novo Testamento ecclesiae vocantur. » [23] Cf. Const. sur l'Egl., § 11 : « Fideles per baptismum in Ecclesia incorporati, ad cultum religionis christianae charactere deputantur. » Voir aussi le § 10. La même doctrine est explicitement affirmée dans le Décret sur le ministère et la vie des prêtres, Ch. I, § 2. [24] Ceci avait déjà clairement été exprimé par Pie XII aux Congressistes d'Assise, en 1956 : « La contribution que la hiérarchie et celle que les fidèles apportent à la liturgie ne s'additionnent pas comme deux quantités séparées, mais représentent la collaboration des membres d'un même organisme, qui agit comme un seul être vivant... C'est dans cette unité que l'Eglise prie, offre, se sanctifie, et l'on peut donc affirmer à bon droit que la liturgie est l'œuvre de l'Eglise tout entière. » Texte dans La Maison-Dieu n° 47-48, 1956, p. 332-333. [25] Cf. B. NEUNHEUSER, Église universelle et Église locale, dans G. BARAUNA et Coll., L'Eglise de Vatican II..., p. 607-638. [26] Il serait utile de distinguer ici entre les deux tendances ecclésiologiques qui se manifestèrent dans l'Eglise naissante (cf. J. COLSON, L'Evêque dans les communautés primitives. Tradition paulinienne et Tradition johannique de l'Épiscopat des Origines à saint Irénée, Unam Sanctam, 21, Paris 1951). La tendance représentée par saint Jean met singulièrement l'accent sur le rôle de l'évêque; la communauté qui mérite le nom d'Eglise, c'est celle qui célèbre le culte sous la présidence de l'évêque local. L'autre tendance, représentée par les écrits de Paul, de Clément et d'Hermas, met l'accent sur la communauté elle-même. Ainsi Paul appelle la communauté qui se réunit chez un des frères pour célébrer l'Eucharistie è Kat' oikon autou ecclèsia (p.e. Rom. 16, 5 ; Col. 4, 15). Il faut noter que c'est dans cette deuxième tendance que se développera en Orient l'idée du « Monastère-Eglise », et non comme plus tard en Occident par une assimilation progressive du monastère au diocèse et de l'Abbé à l'évêque. Sur cette notion de « Monastère-Eglise », voir : E. VON SEVERUS, Des Monasterium als Kirche, dans Enkainia. Gesamrnelte Arbeiten zum 800-jährigen Weihegedächtnis der Abteikirche Maria Laach, Düsseldorf 1956, p. 230-248 ; A. DE VOGÜÉ, Le monastère, Eglise du Christ, dans B. STEIDLE, Commentationes in Regulam S. Benedicti, (Studia Anselmiana, 42) Rome 1957, p. 25-46 ; A. KASSING, Die Mönchgemeinde in der Kirche, dans Geist und Leben, 34 (1961), p. 190-196 ; S. BENZ, The Monastery as a Christian Assembly, dans The Amer. Ben. Rev., 17 (1966) 166-178. [27] Const. sur l'Egl., Ch. II, § 11. [28] Voir ce que dit à ce sujet K. RAHNER dans ses Thesen über das Gebet « im Namen der Kirche », dans Zeitsch. f. kath. Theol. 83 (1961), p. 307-324. L'auteur, après avoir expliqué comment toute prière commune est, de sa nature, un acte de l'Eglise, ajoute : « Mit Recht gibt also dieses gemeinsame Gebet als Akt der Kirche zum Nutzen der Kirche. Da sich dies aus der Natur der Sache ergibt, ist dazu nicht nötig, dass dieses gemeinsame (und zwar legitim geschehene) Gebet ausdrücklich von der kirchlichen Hierarchie aufgetragen wird. Wenn also (über diese Sache brauchen wir hier nicht zu sprechen) Liturgie mir jene gemeinsame Gottesverehrung der Gläubigen genannt wird, die ausdrücklich von der höchsten Autorität angeordnet und gesetzlich geregelt wird, darf man schlicht behaupten, dass auch das « ausserliturgische » gemeinsame Gebet der Gläubigen Akt der Kirche heissen kann und muss » (p. 317). [29] Const. Lit., § 99 ; cf. aussi les §§ 26-27. [30] Dans l'article cité à la note 28, K. Rahner explique les différents modes selon lesquels une prière peut être « acte de l'Eglise » ; voir surtout p. 317. [31] La thèse selon laquelle l'intervention du Pape serait constitutive a été encore récemment exposée systématiquement par J.H. MILLER, Fundamentals of the Liturgy, Notre-Dame (Indiana), 1960, p. 24 et ss. Voir la sévère recension de J.A. Jungmann dans Zeitsch. f. kath. Theol. 83 (1961) p. 96-99. [32] Cf. note 23. [33] Const. Lit., § 10. [34] Cf. K. Rahner, art. cit., p. 317: « Diesem Akt der Kirche fügt ein ausdrücklicher liturgischer Auftrag der Kirche keine höhere Würde vor Gott hinzu, da es keine grössere gibt als jene, die Hl. Geist mit seinen unaussprechlichen Seufzern dem Gebet verleiht. » [35] Liturgie et ministères dans les Communautés baptismales. Nous devons à la bienveillance de l'auteur la connaissance de ce texte, les Actes du Colloque n'étant pas encore publiés . [Istina 12 (1967) 263-401]. [36] Const. Lit., § 84. [37] Voir les explications données dans le commentaire de J.A. jJUNGMANN sur la Constitution Liturgique, dans Das Zweite Vatikanische Konzil, T. I (Lexikon für Theologie und Kirche), 1966, p. 76-77. [38] Dans Eph. Lit. 78 (1964) p. 339. L'auteur croit cependant que c'est la députation juridique qui confère à la prière son caractère liturgique : « Non obligatio facit actionem liturgicam sed vocatio Ecclesiae » (ibid. p. 338). Il avait défendu la même position contre K. Rahner, dans ses propres Thesen über des Gebet im Namen der Kirche, dans Liturgisches Jahrbuch 12 (1962), p. 58-62. [39] Const. Lit., §§ 26-27. [40] Cf. les §§ 6 et 7 en entier.
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