Écrits et conférences d'intérêt général


 

 

 
 

LA PRIÈRE DE L'ÉGLISE


Réflexions sur la théologie de l'Office divin

(in: Collectanea Cisterciensia 29 [1967], 101·115)

 

La constitution de Vatican II sur la liturgie nomme l'Office divin la « voix de l'Église » ou la « voix de l'Épouse s'adressant à l'Époux », reprenant ainsi sous une autre forme l'expression traditionnelle : « la prière de l'Église ». Nous voudrions, dans ce bref article, réfléchir sur cette expression pour essayer d'en préciser le contenu théologique. Il s'agit de déterminer en quoi consiste fondamentalement le caractère ecclésial de l'Office divin. Le problème est, au fond, celui du caractère ecclésial de la liturgie en général. Mais peut-être y a-t-il avantage à l'aborder ainsi par un cas concret, celui de l'Office divin, vu la complexité de l'ensemble des réalités groupées sous le concept de liturgie, et vu la grande diversité existant entre celles-ci. Aussi, après avoir précisé la problématique du concept actuel de liturgie en général et décrit rapidement les essais de définitions qui en ont été tentés, nous nous occuperons plus expressément de l'Office divin. Pour déterminer ce qui le constitue « prière de l'Église » nous interrogerons les textes de Vatican II, et tout particulièrement la constitution dogmatique sur l'Église.

 

 

Histoire de l'usage du mot liturgie et tentatives de définition

 

Le sens technique profane qu'eut le mot dans l'antiquité grecque classique n'a pas laissé de trace dans son usage biblique et chrétien. Mais déjà à l'époque hellénistique le mot avait évolué vers un sens technique cultuel. Et sans que l'on puisse parler de dépendance à l'égard de ce sens cultuel païen, les Septante employèrent le mot également dans un sens technique cultuel, avant tout pour désigner le culte lévitique, mais aussi — sous l'influence spiritualisante de la prédication prophétique — le culte spirituel (prière, lecture de la Parole de Dieu, etc...) [1] Poursuivant dans la même direction, le Nouveau Testament désigna le culte chrétien en général — rituel ou non — par le mot « liturgie ». Par la suite, les auteurs chrétiens appliquèrent le mot à certains rites déterminés du culte chrétien tels que l'Eucharistie, le Baptême, la psalmodie, et aussi à certaines fonctions ecclésiastiques. Cet usage demeura jusqu'à nos jours celui de l'Eglise byzan­tine, avec cette précision que c'est à peu près seulement l'Eucharistie qui jouit de cette appellation [2] .

Une nouvelle période, occidentale celle-là, de l'histoire du mot liturgie s'ouvrit vers le milieu du XVI° siècle, lorsque, sous l'influence des huma­nistes hellénisants, les historiens des textes et des rites de la célébration eucharistique qualifièrent de liturgiques ces formulaires et ces rites qu'ils avaient pris pour objet de leurs investigations historiques. Ce furent, entre autres, G. Cassander [3] , J. Pamelius [4] , J. Bona [5] . Quant à Mabillon, il semble avoir été le premier à user du substantif liturgie dans le même sens [6] . Cet usage prévalut, et au siècle suivant, on l'appliqua non seule­ment à l'Eucharistie, mais aux réalités du culte de l'Eglise en général. Tout comme Mabillon avait parlé de liturgie gallicane, et D. Giorgi de liturgie du Pontife Romain [7] , on parla de liturgie romaine, liturgies orientales, etc.

Dans cet usage nouveau du mot liturgie, dont dépend l'usage actuel, ce n'était plus, comme en Orient et dans l'Eglise ancienne, la réalité même du culte et des célébrations cultuelles qui était désignée, mais bien l'ensemble matériel des formules et rubriques selon lesquelles se célébrait le culte, et qui constituaient l'objet d'une nouvelle science, la science liturgique. Ce qui frappe dans ce processus, c'est l'origine en quelque sorte accidentelle du regroupement, sous le même concept de liturgie, de diverses activités cul­tuelles. N'y a-t-il pas quelque inconvénient à réunir ainsi sous un commun dénominateur, des réalités aussi diverses que la célébration de l'Eucharistie, la consécration épiscopale, la récitation du bréviaire et la bénédiction d'un pont ?... Le théologien doit alors se demander si ce commun dénominateur correspond réellement à une nature spécifique possédée en commun par toutes les réalités désormais nommées liturgiques. Et la distinction entre « liturgique » et « non-liturgique » a-t-elle un fondement réel ? Et dans l'affirmative quel est ce fondement ?

Certes il ne faut pas bouder l'évolution de la réflexion théologique vers une plus grande précision des concepts — évolution qui, de toute façon, est irréversible. Il y a ainsi dans la vie de l'Eglise, comme dans la vie de l'humanité en général, certaines réalités qui ont été longtemps vécues avant d'être conceptuellement perçues dans leur individualité et réunies sous un même concept avec d'autres réalités de même nature. Qu'on pense par exemple à la notion de sacrement. L'Eglise a toujours célébré l'Eucharistie, le Baptême, la Confirmation et, sous une forme ou une autre, les autres rites que nous appelons les « sept sacrements ». Ce n'est toutefois qu'à l'époque de la Haute Scolastique que cet ensemble de réalités — quand même assez distinctes les unes des autres — fut groupé sous un commun dénominateur. II y a cependant cette différence importante que la précision de la terminologie sacramentaire fut l'aboutissement d'un lent processus de maturation théologique, alors que l'usage actuel du mot liturgie est né de l'emploi qu'en firent les historiens à l'époque de la Renaissance.

A vrai dire, une certaine incertitude a également toujours existé jusqu'à nos jours, sur l'endroit exact où doit être tracée la ligne de démarcation entre « liturgique » et « non-liturgique ». La question peut paraître résolue concrètement du fait que le Magistère reconnaît comme liturgiques certaines formes de culte, à l'exclusion de tout autre, même si une valeur spéciale est désormais explicitement reconnue aux sacra exercitia d'une communauté locale [8] . Mais le théologien est autorisé à se demander si une simple détermination juridique suffit pour conférer une valeur spirituelle et cul­tuelle spéciale à une forme déterminée de culte. Ce qui l'intéresse est de rechercher si, dans la réalité même, il existe entre liturgie et culte non-litur­gique une distinction essentielle dont dépendraient les déterminations juri­diques du Magistère. La considération des divers efforts faits au cours du dernier demi-siècle pour définir la nature de la liturgie pourra nous éclairer.

Aussi longtemps que le mot liturgie fut restreint au champ de la science historique, il jouit d'un usage indiscuté. Il passa sans difficulté au domaine des canonistes qui considérèrent la liturgie comme une branche de la science juridique, se distinguant des autres branches de la même science par son objet matériel [9] . Le passage à la théologie fut beaucoup plus difficile et lent, car il supposait une véritable métamorphose du concept. C'est malheureusement avec une grande part de vérité que, dans sa réaction contre les premiers efforts déployés par M. Festugière [10] pour donner une définition plus théologique de la liturgie, P. Navatel pouvait écrire : « prise dans son usage le plus usuel, la liturgie signifie, pour tout le monde, la partie sensible, cérémonielle et décorative du culte catholique » [11] . La grande controverse qui se déclencha alors provint du fait que, de part et d'autre, on essayait de définir des choses diverses : alors que les théologiens prenaient pour objet de leur définition les réalités mêmes du culte, les historiens et les canonistes tentaient de définir sous le même nom de liturgie les formules, rites et rubriques selon lesquels se réalisaient ces actes de culte.

Les nombreuses définitions théologiques de la liturgie qui furent tentées se ramènent fondamentalement presque toutes à celle-ci : la liturgie est le « culte de l'Eglise ». En général, elles ont ceci en commun qu'elles procèdent d'une façon scolastique en vue d'arriver à une définition technique rigoureuse. Partant d'une notion générique de culte, on distingue celui-ci en public et privé, puis en naturel et surnaturel, et ainsi on arrive à la notion de culte public surnaturel, qu'on applique à la liturgie. Le désavantage de cette méthode est qu'elle n'explique pas ce qui constitue intrinsèquement ce culte comme public et surnaturel. Il n'apparaît tel que pour le simple fait extrinsèque d'être le culte d'une société surnaturelle. Et comme la notion sous-jacente d'Église demeure unilatéralement corporative, le seul fondement du caractère ecclésial du culte liturgique est alors la détermination juridique et donc extrinsèque du Magistère [12] .

L'un des efforts en vue d'élaborer une définition théologique de la liturgie est cependant digne d'une mention spéciale. C'est celui d'Odo Casel [13] . Sans entrer dans toute la question complexe de la Mysterienlehre, il faut reconnaître à Casel d'avoir montré que la liturgie n'est pas simplement le culte naturel dû par l'homme à son créateur, élevé à l'ordre surnaturel, mais bien la représentation dans des mystères cultuels (Kultmysterien) célébrés par la communauté cultuelle (Kultgemeinde) du mystère pascal du Christ (Urmysterium). Ce faisant, il était le premier à relier organiquement — par sa notion de mystère — les rites liturgiques au culte de l'unique prêtre de la Nouvelle Alliance, le Christ.

L'Encyclique Mediator Dei, tout en rejetant les conceptions juridiques et esthétiques de la liturgie, selon lesquelles celle-ci serait ou bien l'ensemble des rubriques, ou bien un simple apparat cérémoniel, et en mettant en évidence le rôle du Christ lui-même comme chef du Corps mystique, dans la liturgie, ne semble pas avoir apporté de nouveaux éléments de solution pour le problème qui nous occupe présentement.

A une époque plus récente, sous l'influence du développement de l'ecclésiologie, deux nouvelles approches du problème furent tentées : celle de A. Stenzel [14] et celle de J.A. Jungmann [15] . Le premier, dans un effort pour déterminer le caractère « public » du culte liturgique, établit un parallèle entre le culte et la révélation. La révélation publique ne dépend pas de la décision de la Hiérarchie, mais au contraire celle-ci la propose parce qu'elle est publique par nature. D'autre part, la reconnaissance d'une révélation privée par la Hiérarchie n'empêche pas cette révélation de demeurer privée. Ainsi en est-il du culte. Il est privé ou public par nature. Le culte public est celui qui découle de la révélation publique par laquelle Dieu constitue son Peuple, et donc, concrètement, il est celui que le Peuple de Dieu accomplit en tant que Peuple.

Pour J.A. Jungmann, il y a liturgie là où il y a une réalisation de l'Eglise en prière. Mais il fait une distinction entre la liturgie universelle, qui dépend du Pape, et la liturgie locale qui dépend de l'Evêque ou du légitime pasteur de l'Eglise locale. Il admet par ailleurs que la prière d'un particulier peut être liturgique, s'il est député pour prier au nom de l'Eglise universelle. Jungmann a eu le mérite de mettre ainsi en évidence le lien rattachant la liturgie à l'Eglise locale. Mais dans son explication, comme dans celle de Stenzel, il semble bien que le fondement du caractère ecclésial ne puisse être autre que la détermination juridique du Magistère. Et alors, dans leurs efforts pour réviser certaines conceptions actuelles, ils se heurtent à la législation courante.

La Constitution de Vatican II sur la Liturgie, tout en donnant de celle-ci une définition qui est presque verbalement celle de Mediator Dei, en approche le mystère par un autre angle. Au lieu de partir, comme le faisait encore l'Encyclique, d'une notion générique et naturelle de culte, et de société, elle part de la considération de l'unique culte de la nouvelle Alliance, celui que le Fils rend au Père dans l'Esprit, et par lequel est réalisée la sanctification des hommes. Ainsi apparaît beaucoup plus clairement le lien qui unit les rites liturgiques de l'Eglise avec l'unique prêtre et l'unique sacrifice. La liturgie est la re-présentation de l'unique culte, l'actuation de l'unique sacerdoce.

La Constitution sur la liturgie a mis singulièrement en lumière ce lien indissoluble de la liturgie avec le sacerdoce du Christ. Mais il ne faut pas oublier avec quelle insistance elle souligne le fait que tout culte chrétien est une actuation de ce même sacerdoce. Ainsi en est-il de la prière privée faite dans le silence du coeur, et qui est fortement recommandée [16] . Elle est, elle aussi, une actuation du sacerdoce du Christ ; autrement elle serait sans valeur. La liturgie ne peut donc être définie simplement comme une « actuation du sacerdoce du Christ ». C'est pourquoi lorsque la Constitution affirme qu'elle est l'exercice par l'Eglise de la fonction sacerdotale du Christ [17] , l'élément spécifique de cette définition ne peut être évidemment que « par l'Eglise ». Nous sommes cependant toujours au même point dans notre recherche. Y a-t-il quelque chose d'intrinsèque à la prière liturgique, qui la constitue prière de l'Eglise ?

A cette dernière question, on pourrait facilement déceler dans la Constitution sur la liturgie tous les éléments de réponse, présentés d'une façon plus ou moins implicite. Mais puisque ceux-ci sont d'ordre ecclésiologique, il nous semble préférable de consulter directement la pièce maîtresse du Concile, la Constitution Lumen Gentium sur l'Eglise. Sans doute fût-ce une grâce pour le Concile d'avoir commencé ses débats par la liturgie, et sans doute également trouvons-nous dans la Constitution sur la liturgie de précieux éléments d'une ecclésiologie renouvelée. Mais de ce point de vue proprement ecclésiologique, cette première Constitution conservait encore quelques hésitations qui furent surmontées dans Lumen Gentium. Dans notre recherche du fondement théologique du sens ecclésial de la prière liturgique, nous croyons donc préférable de nous référer directement à la doctrine de cette deuxième grande Constitution, quitte à revenir ensuite à la première pour en mieux apprécier les affirmations doctrinales.

 

 

Théologie de la liturgie selon l'ecclésiologie de Vatican II

 

Le progrès remarquable que Vatican II a fait faire à l'ecclésiologie catholique, par la publication de la Constitution Lumen Gentium, consiste essentiellement dans la redécouverte de certaines données fondamentales de l'ecclésiologie traditionnelle qui, au cours des siècles, étaient, en Occident, passées graduellement dans l'ombre par suite d'un certain déplacement d'accent. De nouveau l'accent s'est déplacé de la considération de la structure hiérarchique vers celle plus fondamentale de la nature mystérique de l'Eglise, ainsi que de la considération de l'Eglise universelle vers celle de I’ Eglise locale, espace vital de I' agapè et du culte, où se « réalise » l'Eglise comme événement de l'Histoire du Salut. Ces notions fondamentales de l'ecclésiologie de Vatican II sont la base nécessaire pour l'élaboration d'une théologie de la liturgie.

Dans un excellent article, le Père Congar a bien montré [18] , il y a quelques années, comment toute la conscience ecclésiologique orientale ancienne était centrée sur le mystère de I’ Eglise, manifesté principalement dans la réalité concrète de l'Eglise locale. C'est à cette vision que revient Vatican II. Ce mystère de l'Eglise est celui de la vie divine que le Christ, par son incarnation, a redonnée à l'humanité entière. L'œuvre de l'Esprit Saint, au sein de l'Eglise, est de reconformer la nature humaine individuée dans les personnes que nous sommes à l'image de celle du Christ. A travers l'ascèse d'une part et les sacrements d'autre part, l'homme — et avec lui la création entière — se reconfigure à l'image de Dieu à partir de ce foyer de divinisation qu'est le Christ, et dont le rayonnement immédiat crée cette sphère de vie divine qu'est I’ Eglise. L'Orient n'a pas, comme l'Occident latin, élaboré une image du Corps mystique dans un sens corporatif et sociologique. Sa considération est demeurée avant tout mystérique ; l'unité entre les membres de I’ Eglise et le caractère communautaire des sacrements tiennent non à une notion de société hiérarchiquement constituée sous un seul chef visible, mais à la réception et au partage par tous de la même réalité surnaturelle de la vie divine.

La réalité qui est au centre de cette ecclésiologie fondée sur le mystère du Christ est donc celle de la Communion (18a). La vie divine est essentiellement communion : communion des Personnes divines au sein de la Trinité, communion du divin et de l'humain dans le Christ, communion des hommes rachetés à la vie divine dans le Christ et communion avec leurs frères dans cette même vie divine. L'Eglise est, dans le temps qui court de l'Ascension du Christ à la Parousie, le sacrement du Christ et du dessein salvifique du Père, parce qu'elle est, au milieu des nations, la réalisation et la manifestation de cette réalité divine de la communion.

Mais qui dit mystère (ou sacrement), au sens biblique et patristique du mot, dit réalisation et manifestation d'une réalité spirituelle et invisible dans une réalité matérielle et visible qui en est le signe réalisateur et avec laquelle, en fin de compte, elle s'identifie. Or, c'est en tant qu'elle est une communion visible entre baptisés, dans la même foi, la même charité et la même espérance, que l'Eglise est signe de la communion spirituelle avec Dieu [19] et réalisation du salut [20] . C'est pourquoi l'Eglise, en tant qu'événement, en tant que manifestation actuelle de son mystère, c'est l'Eglise locale, et tout particulièrement l'assemblée cultuelle. La manifestation optimale de l'Église, comme le Concile le rappelle, c'est la célébration de l'Eucharistie par l'Evêque entouré de ses fidèles et de son presbyterium [21] . Israël, le Peuple de Dieu et l'Ancien Testament, était un peuple « selon la chair » ; il s'identifiait dans le lieu et le temps avec l'ensemble de ses membres, et même s'il pouvait se concentrer dans un « reste », il ne pouvait être tout entier à divers endroits à la fois. Mais l'Eglise, parce qu'elle est un Peuple de Dieu selon l'Esprit, est tout entière partout où son mystère se trouve signifié, c'est-à-dire partout où se trouve manifestée dans une communion ecclésiale visible la réalité spirituelle de la communion avec Dieu. Chaque Eglise locale est non pas une circonscription administrative de l'Eglise universelle mais une réalisation complète du mystère total de l'Eglise [22] .

L'entrée dans le Peuple de Dieu se fait par le baptême qui confère cette participation au sacerdoce du Christ que la Constitution sur l'Eglise appelle le « sacerdotium commune ». C'est en vertu de ce sacerdoce que tous les chrétiens, y compris ceux qui ont un ministère spécial, participent au culte du Christ et de l'Eglise [23] . Le culte de la Nouvelle Alliance n'est pas le culte d'une caste privilégiée, il est celui de tout le Peuple de Dieu. Le sacerdoce ministériel, dont parle ensuite la Constitution, et qui vient se greffer sur le sacerdoce commun, habilite à l'accomplissement d'une fonction spéciale au sein de l'activité cultuelle qui demeure toujours celle de la communauté entière [24] . Comme ces ministères hiérarchiques appartiennent à la structure de l'Eglise, on comprend que la manifestation idéale et la plus parfaite de l'Eglise soit la célébration présidée par l'Evêque. Ce n'est toutefois pas la seule forme possible de réalisation de l'Eglise locale. Cette réalisation a lieu également dans la célébration paroissiale de la liturgie, présidée par le remplaçant de I’ Evêque. Et même sans présence d'un ministre sacré il peut y avoir une réelle manifestation du mystère de communion de l'Eglise, et donc une réelle Eglise locale, quoique l'aspect hiérarchique n'en soit pas manifesté [25] . C'est pourquoi la prière commune d'une communauté religieuse ou d'une communauté de laïcs sans voeux est réellement une « prière de l'Eglise » [26] . De même en est-il d'une famille : lorsqu'un père et une mère, entourés de leurs enfants, offrent leur prière au Seigneur, celle-ci est la prière de ce que le Concile appelle une « Ecclesia domestica » [27] , elle est donc la prière de l'Eglise.

Toutes ces précisions données, nous pouvons maintenant énoncer la conclusion à laquelle elles nous conduisent. Partout où une communauté de fidèles se rassemblent pour manifester leur communion de vie divine, communiant entre eux dans la fraction du pain, dans l'audition de la parole de Dieu, dans une prière vraiment chrétienne, là le Christ est présent, sous le signe même de leur communion, et leur culte est celui du Christ s'exprimant par la voix de son Epouse ; il est le culte de l'Eglise. Dans toute prière authentiquement chrétienne d'une communauté cultuelle, il y a prière de l'Eglise, parce que cette prière elle-même fait de cette communauté une Eglise, un événement de l'Eglise. Donc, ce qui fonde le caractère ecclésial de la prière liturgique est d'être la manifestation et l'actuation d'une Eglise locale, du Peuple de Dieu comme communauté de salut et de culte [28] .

Mais tout de suite on fera une objection. L'Office divin récité « en privé » ne serait-il plus prière de l'Eglise, ne serait-il plus prière liturgique ?... En premier lieu il faut se souvenir avec quelle insistance le Concile rappelle que la prière liturgique, de sa nature, requiert une célébration commune, et comment il exhorte les prêtres à réciter en commun leur Office aussi souvent que les circonstances le permettent [29] . Il reste toutefois vrai que même lorsqu'un prêtre récite en privé son Office, sa prière est considérée comme « la prière de l'Eglise ». Elle l'est certes, au sens général où toute prière d'un chrétien est faite dans le Christ, et donc dans l'Eglise [30] . Mais si nous considérons comme « prière de l'Eglise » celle dans laquelle il y a une manifestation visible (sacramentelle) du Peuple de Dieu, il nous semble qu'à ce point de vue également la récitation privée de l'Office peut être dite « liturgique ». Dans ce cas, cependant, le signe ecclésial est réduit à sa limite minimale. L'usage d'un formulaire et d'un rythme de prière traditionnels et communs à tous les fidèles de l'Eglise universelle ou d'une Eglise locale peuvent en ce cas être le signe rattachant visiblement (car cette visibilité est requise par la nature de l'ordre sacramentel) cette prière à l'Eglise universelle ou à une Eglise locale.

Ceci doit nous amener à réfléchir sur un autre aspect de la question, celui de l'approbation par la Hiérarchie des textes et des rites employés dans la prière liturgique. Pour qu'une prière soit réellement un signe qui transforme sacramentellement en Peuple de Dieu l'assemblée qui l'offre, elle doit évidemment être authentiquement chrétienne. C'est-à-dire que, dans son contenu et son mode de déroulement, elle doit répondre à certaines conditions objectives qui en fassent une expression adéquate de la réalité salvifique, du mystère pascal du Christ. Ce n'est donc pas l'accomplissement en commun de n'importe quelle dévotionnette qui sera « liturgique ». C'est pourquoi le Magistère de l'Eglise, conscient de sa fonction pastorale, a toujours veillé à l'orthodoxie et à l'authenticité chrétienne de la prière des membres de l'Eglise. Lorsque la Hiérarchie reconnaît et approuve, sous une forme ou une autre (et ces formes ont beaucoup varié au cours de l'histoire de l'Eglise), une prière comme « liturgique », cela veut dire qu'elle en reconnaît le caractère authentiquement chrétien et l'aptitude à exprimer le mystère pascal du Christ, qui est le mystère même de l'Eglise. Ces prières ainsi reconnues par les pasteurs de l'Eglise acquièrent donc une garantie dont ne jouissent pas les prières improvisées par les fidèles indépendamment de leurs pasteurs. Cela ne signifie pas toutefois que les prières de cette dernière catégorie ne peuvent pas posséder la même valeur spirituelle et le même caractère chrétien et ecclésial que celles qui sont officiellement reconnues. En d'autres termes, l'approbation de la Hiérarchie en ce domaine est d'ordre déclaratif plutôt que constitutif [31] . On peut en trouver une preuve concrète dans le fait qu'actuellement certaines parties de la liturgie sont laissées au choix des participants, même lorsque ceux-ci ne sont pas clercs et ne peuvent donc avoir une juridiction déléguée. Ainsi non seulement un diacre mais un laïc peut, en l'absence du prêtre, organiser une' liturgie de la Parole. De même permission a été donnée aux supérieurs et supérieures, en pays de mission, de choisir certaines parties de l'Office, en particulier les leçons de Matines, etc... De plus, à défaut d'un formulaire explicitement approuvé, les fidèles peuvent trouver une garantie équivalente en employant certaines formules de prière dont la Tradition a reconnu l'aptitude à exprimer la prière chrétienne : les Psaumes, par exemple.

Si l'approbation officielle des textes et des rites n'est pas constitutive de la prière de l'Eglise, la députation le serait-elle ?... il faut noter en premier lieu que tout chrétien, de par son baptême, et sa confirmation, est député et habilité à actuer le sacerdoce du Christ par l'exercice de son sacerdoce royal en communion avec ses co-membres dans le Corps mystique, et donc à célébrer la liturgie [32] . De plus, certaines personnes ou certains groupements, de par le rôle même qu'ils ont à jouer dans le Peuple de Dieu, y sont tenus d'une façon spéciale. L'évêque, et le prêtre qui est son ministre, sont par vocation les sanctificateurs du Peuple de Dieu. Il y a donc pour eux une exigence spéciale (intrinsèque à leur fonction ministérielle) d'édifier l'Eglise, d'abord dans la célébration eucharistique de leur Eglise locale, mais aussi dans la célébration des autres sacrements et dans la prière qui de soi doit leur être commune avec le Peuple dont ils ont la charge et avec leurs co-pasteurs. De même, analogiquement, en est-il des religieux, surtout si, comme c'est le cas pour la majorité d'entre eux, ils mènent la vie commune. Leur vocation étant ecclésiale, ils doivent, soit à travers le simple témoignage existentiel de leur ascèse, soit à travers des ministères actifs, construire l'Eglise. Leur vie commune et leur ministère commun au service de la communauté ecclésiale doit nécessairement, de sa nature même, se couronner par une communion dans la prière commune, puisque la liturgie est le sommet vers lequel tend toute l'activité de l'Eglise, en même temps que la source où elle puise sa valeur [33] . C'est pourquoi, bien longtemps avant que le droit canon ne vienne leur en faire une obligation juridique, prêtres et religieux se sont, depuis la plus haute antiquité, reconnus obligés (par les exigences intrinsèques à leur vocation) à la prière liturgique. L'obligation sous peine de péché qui leur en est maintenant faite ne peut évidemment changer la nature spirituelle de leur prière [34] . En déclarant certaines personnes officiellement députées pour accomplir la « prière de l'Eglise », selon des formulaires et un rythme déterminés, le Magistère veut d'une part s'assurer que dans ces groupements se réalise au maximum la prière ecclésiale à laquelle leur vocation les députe, et d'autre part il reconnaît officiellement et publiquement leur prière comme une expression authentique de la prière du Peuple de Dieu. Ici encore il s'agit d'une garantie dont ne jouit pas la prière des autres groupes, même si celle-ci peut posséder la même valeur ecclésiale.

Dom G. Lafont, dans une communication au colloque de Monaco en 1965 [35] , a bien mis en lumière comment cette idée de la députation est née ou du moins a été systématisée dans un contexte ecclésiologique tout différent du nôtre, et avec lequel elle est cohérente. L'Eglise étant considérée comme l'assemblée de tous les baptisés sous le gouvernement monarchique du Pape (dans une vision plus « additionnelle » que « communionnelle »), on ne pouvait concevoir la réalisation de l'Eglise totale dans une Eglise particulière. Par conséquent pour expliquer conceptuellement l'existence d'une prière de l'Eglise totale, on n'avait d'autre moyen que de recourir à l'idée de députation : le Pape, suprême autorité de l'Eglise députe certaines personnes pour prier au nom de tous les membres de l'Eglise universelle. Dans une ecclésiologie de la communion, comme celle de Lumen Gentium, qui voit la réalisation du mystère entier de l'Eglise dans chaque Eglise locale, ce recours à la notion de députation n'est plus du tout nécessaire, même s'il peut encore s'expliquer.

De fait la Constitution sur la liturgie recourt explicitement à cette notion de députation dans le chapitre sur l'Office divin [36] . Dom G. Lafont, dans l'article déjà mentionné, a souligné le fait que cette idée de députation, telle qu'exprimée à cet endroit, cadre assez mal avec la doctrine constante de la même Constitution sur la liturgie, qui voit dans le caractère baptismal la députation de tout chrétien à la prière liturgique. D'ailleurs les Pères du Concile ont bien senti le malaise [37] , et une addition fut faite au texte, selon laquelle non seulement la prière des prêtres et des autres personnes « députées » par le droit est reconnue liturgique, mais aussi celle des autres fidèles priant avec le prêtre. Cette addition, qui peut ne pas paraître très importante à première vue, montre que, pour les Pères du Concile, la députation n'est pas constitutive de la prière de l'Église, puisque la prière d'autres personnes que celles députées est reconnue comme liturgique. J. Pascher, dans son commentaire, parle dans ce cas de députation « non obligans » ; mais cette députation « non obligans » est-elle autre que celle du baptême ? [38]

On peut d'ailleurs constater que la Constitution sur la liturgie contient déjà, quoique d'une façon moins explicite peut-être, la doctrine que nous avons déduite de la Constitution sur l'Eglise. Elle affirme expressément, au § 14, que tout fidèle, en vertu du sacerdoce royal reçu à son baptême, est délégué (ius habet et officium) à célébrer la liturgie. Et c'est de ce fondement doctrinal qu'est déduite la nécessité pastorale de la participation active aux célébrations liturgiques. De même, lorsque la Constitution veut rappeler l'exigence intrinsèque à la liturgie de la célébration « publique » et non « privée », elle fonde cette exigence sur le caractère ecclésial de la liturgie. Or, elle met ce caractère ecclésial directement en rapport avec le caractère sacramentel de l'Eglise qui est unitatis sacramentum [39] . L'argument revient donc à ceci : La liturgie doit être célébrée d'une façon communautaire parce qu'elle est de sa nature une manifestation de l'Eglise comme sacrement de l'unité ou de la communion. Enfin, au § 7, la Constitution explique comment le Christ est présent dans le rassemblement des fidèles qui s'unissent pour prier : « Praesens adest denique dura supplicat et psallit Ecclesia, ipse qui promisit :Ubi sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum'. » Donc, là où deux ou trois fidèles sont réunis pour prier, le Christ est au milieu d'eux pour accomplir l'œuvre de la glorification du Père et de la sanctification des hommes [40] , et dans ce petit groupe c'est l'Eglise qui « supplie et psalmodie ».

On le voit, la doctrine de la Constitution sur la Liturgie est tout à fait conforme à celle que nous avons trouvée plus développée dans la Constitution sur l'Eglise. Et nous pouvons donc considérer que se trouvent fondées aussi bien dans l'une que dans l'autre les conclusions suivantes :

 

 

Conclusions

 

a) Une prière est authentiquement chrétienne et donc actuation de l'unique culte de la Nouvelle Alliance lorsque, dans son contenu et dans son mode d'exécution, elle est apte à exprimer la réalité surnaturelle du salut, le mystère pascal du Christ, unique liturgie. (Les conditions subjectives de tout acte surnaturel sont évidemment présupposées).

b) Quand cette prière authentiquement chrétienne est accomplie dans des conditions extérieures qui en font une manifestation de l'Eglise comme communauté de culte, — concrètement quand elle est l'expression de la prière d'une Église locale — elle peut légitimement être appelée la « prière de l'Eglise ».

c) La hiérarchie reconnaît officiellement ce caractère authentiquement chrétien et ecclésial de certaines prières accomplies par certaines personnes, dans des conditions déterminées et avec des textes officiellement approuvés. Cette prière, qui jouit ainsi d'une garantie objective supérieure est celle à laquelle l'usage actuel réserve l'appellation de « liturgique ».

d) Ce qui fonde le caractère ecclésial propre de la prière liturgique, ainsi que des autres prières qui sans être actuellement qualifiées de liturgiques, possèdent la même nature de « prière de l'Eglise », c'est d'être non seulement une actuation du sacerdoce du Christ mais aussi et en même temps une manifestation visible du Peuple de Dieu comme communauté de prière et de sanctification.

 

Mistassini — Monte Cistello.                                                            

Armand VEILLEUX, ocso.



[1] Sur l'usage biblique du mot voir A. ROMEO, ll termine leitourgia nella grecità biblica, dans Miscellanea liturgica in honorem L. Mohlberg, T. 2, Rome 1949, p. 467-519.

[2] On trouvera une brève étude générale sur l'histoire du mot dans E. RAITZ VON FRENTZ, Der Weg des Wortes « Liturgie » in der Geschichte, dans Eph. Lit. 55 (1941), p. 74-80.

 

[3] Liturgica de ritu et ordine dominicae coenae quam celebrationem Graeci liturgiam, Latini missam appellarunt, 1558.

[4] Liturgia Latinorum, Cologne 1571.

[5] Rerum liturgicarum libri duo, Rome 1671

[6] De liturgia gallicana, Paris 1685.

[7] Liturgia Romani Pontificis, 1731.

[8] Const. Lit., § 13 ; cf. J.A. JUNGMANN, L'Évêque et les « Sacra Exercitia », dans Concilium n° 2, 1965, p. 50-56.

[9] Par exemple C. CALLEWAERT : « Definiri potest liturgia : cultus publicus ab Ecclesia quoad exercitium ordinatus, seu ordinatio ecclesiastica exercitii cultus publici. » (Liturgicae institutiones Tract. I, Bruges 19444, p. 6.).

[10] La liturgie catholique, Maredsous 1913.

[11] Dans : L'apostolat liturgique et la piété personnelle, dans Études 137 {1913), p. 452.

[12] Voir par exemple la définition donnée par R. GUARDINI : « Liturgie ist der öffentliche, gesetzliche Gottesdienst der Kirche » (Vom Geist der Liturgie, 193413-14, p. 4.) Trad. franç. L'esprit de la liturgie (Le Roseau d'Or, 7) Paris 1929, p. 102.

[13] Les ouvrages de CASEL les plus importants sur cette question sont Das christliche Kultmysterium, Ratisbonne 19604, trad. franç. Le mystère du culte (Lex Orandi, 38), Paris 1964, et Mysteriengegenwart dans Archiv f. Liturgiewissenschaft 8 (1928), p. 145-224.

[14] Cultus publicus. Ein Beitrag zum Begriff und ekklesiologischen Ort der Liturgie, dans Zeitsch. f. kath. Theol. 75 (1953), p. 174-214.

[15] Was ist Liturgie? ibid., 55 (1931), p. 83-102 ; et Gewordene Liturgie, 1941, p. 1-27.

[16] Const. Lit„ § 12.

[17] Ibid. § 7.

[18] Conscience ecclésiologique en Orient et en Occident du VIe au XIe siècle, dans Istina 6 (1959), p. 187-236.

18a Sur cette notion de « communion », voir, entre beaucoup d'excellents ouvrages, M.-J. LE GUILLOU : Église et « Communion » Essai d'ecclésiologie comparée, dans Istina 6 (1959) p. 31-82. L'auteur y montre comment, malgré les divisions entre les chrétiens cette notion de « communion » est demeurée le fondement commun de toutes les ecclésiologies. Du même auteur, voir : Mission et unité. Les exigences de la communion, (Unam Sanctam, 33), Paris 1960. Cf. également J. HAMER, L'Église est une communion, (Unam Sanctam, 40), Paris 1960.

[19] Cf. Const. sur l'Égl., Ch. I, § 1 : « Cum autem Ecclesia sit in Christo veluti sacramentum seu signum et instrumentum intimae cum Deo unionis totiusque generis humani unitatis... ».

[20] Cf. l'explication donnée au Concile par la Commission théologique ; « Mysterium Ecclesiae adest et manifestatur in concreta societate. Coetus auteur visibilis et elemen­tum spirituale non sunt duae res, sed una realitas complexa, complectens divina et humana— Quod per analogiam cum Verbo incarnato illustratur. » Le texte est cité par Dom Olivier Rousseau dans G. BARAUNA et Coll.  L'Église de Vatican II, Tome 2 (Unam Sanctam, 51b), Paris 1966, p. 40.

[21] Const. Lit., § 26.

[22] Ibid. : « Haec Christi Ecclesia vere adest in omnibus legitimis fidelium congre­gationibus localibus, quae, pastoribus suis adhaerentes, et ipsae in Novo Testamento ecclesiae vocantur. »

[23] Cf. Const. sur l'Egl., § 11 : « Fideles per baptismum in Ecclesia incorporati, ad cultum religionis christianae charactere deputantur. » Voir aussi le § 10. La même doctrine est explicitement affirmée dans le Décret sur le ministère et la vie des prêtres, Ch. I, § 2.

[24] Ceci avait déjà clairement été exprimé par Pie XII aux Congressistes d'Assise, en 1956 : « La contribution que la hiérarchie et celle que les fidèles apportent à la liturgie ne s'additionnent pas comme deux quantités séparées, mais représentent la collaboration des membres d'un même organisme, qui agit comme un seul être vivant... C'est dans cette unité que l'Eglise prie, offre, se sanctifie, et l'on peut donc affirmer à bon droit que la liturgie est l'œuvre de l'Eglise tout entière. » Texte dans La Maison-Dieu n° 47-48, 1956, p. 332-333.

[25] Cf. B. NEUNHEUSER, Église universelle et Église locale, dans G. BARAUNA et Coll., L'Eglise de Vatican II..., p. 607-638.

[26] Il serait utile de distinguer ici entre les deux tendances ecclésiologiques qui se manifestèrent dans l'Eglise naissante (cf. J. COLSON, L'Evêque dans les communautés primitives. Tradition paulinienne et Tradition johannique de l'Épiscopat des Origines à saint Irénée, Unam Sanctam, 21, Paris 1951). La tendance représentée par saint Jean met singulièrement l'accent sur le rôle de l'évêque; la communauté qui mérite le nom d'Eglise, c'est celle qui célèbre le culte sous la présidence de l'évêque local. L'autre tendance, représentée par les écrits de Paul, de Clément et d'Hermas, met l'accent sur la communauté elle-même. Ainsi Paul appelle la communauté qui se réunit chez un des frères pour célébrer l'Eucharistie è Kat' oikon autou ecclèsia (p.e. Rom. 16, 5 ; Col. 4, 15). Il faut noter que c'est dans cette deuxième tendance que se développera en Orient l'idée du « Monastère-Eglise », et non comme plus tard en Occident par une assimilation progressive du monastère au diocèse et de l'Abbé à l'évêque. Sur cette notion de « Monastère-Eglise », voir : E. VON SEVERUS, Des Monasterium als Kirche, dans Enkainia. Gesamrnelte Arbeiten zum 800-jährigen Weihegedächtnis der Abteikirche Maria Laach, Düsseldorf 1956, p. 230-248 ; A. DE VOGÜÉ, Le monastère, Eglise du Christ, dans B. STEIDLE, Commentationes in Regulam S. Benedicti, (Studia Anselmiana, 42) Rome 1957, p. 25-46 ; A. KASSING, Die Mönchgemeinde in der Kirche, dans Geist und Leben, 34 (1961), p. 190-196 ; S. BENZ, The Monastery as a Christian Assembly, dans The Amer. Ben. Rev., 17 (1966) 166-178.

[27] Const. sur l'Egl., Ch. II, § 11.

[28] Voir ce que dit à ce sujet K. RAHNER dans ses Thesen über das Gebet « im Namen der Kirche », dans Zeitsch. f. kath. Theol. 83 (1961), p. 307-324. L'auteur, après avoir expliqué comment toute prière commune est, de sa nature, un acte de l'Eglise, ajoute : « Mit Recht gibt also dieses gemeinsame Gebet als Akt der Kirche zum Nutzen der Kirche. Da sich dies aus der Natur der Sache ergibt, ist dazu nicht nötig, dass dieses gemeinsame (und zwar legitim geschehene) Gebet ausdrücklich von der kirchlichen Hierarchie aufgetragen wird. Wenn also (über diese Sache brauchen wir hier nicht zu sprechen) Liturgie mir jene gemeinsame Gottesverehrung der Gläubigen genannt wird, die ausdrücklich von der höchsten Autorität angeordnet und gesetzlich geregelt wird, darf man schlicht behaupten, dass auch das « ausserliturgische » gemeinsame Gebet der Gläubigen Akt der Kirche heissen kann und muss » (p. 317).

[29] Const. Lit., § 99 ; cf. aussi les §§ 26-27.

[30] Dans l'article cité à la note 28, K. Rahner explique les différents modes selon lesquels une prière peut être « acte de l'Eglise » ; voir surtout p. 317.

[31] La thèse selon laquelle l'intervention du Pape serait constitutive a été encore récemment exposée systématiquement par J.H. MILLER, Fundamentals of the Liturgy, Notre-Dame (Indiana), 1960, p. 24 et ss. Voir la sévère recension de J.A. Jungmann dans Zeitsch. f. kath. Theol. 83 (1961) p. 96-99.

[32] Cf. note 23.

[33] Const. Lit., § 10.

[34] Cf. K. Rahner, art. cit., p. 317: «  Diesem Akt der Kirche fügt ein ausdrücklicher liturgischer Auftrag der Kirche keine höhere Würde vor Gott hinzu, da es keine grössere gibt als jene, die Hl. Geist mit seinen unaussprechlichen Seufzern dem Gebet verleiht. »

[35] Liturgie et ministères dans les Communautés baptismales. Nous devons à la bienveillance de l'auteur la connaissance de ce texte, les Actes du Colloque n'étant pas encore publiés . [Istina 12 (1967) 263-401].

[36] Const. Lit., § 84.

[37] Voir les explications données dans le commentaire de J.A. jJUNGMANN sur la Constitution Liturgique, dans Das Zweite Vatikanische Konzil, T. I (Lexikon für Theo­logie und Kirche), 1966, p. 76-77.

[38] Dans Eph. Lit. 78 (1964) p. 339. L'auteur croit cependant que c'est la députation juridique qui confère à la prière son caractère liturgique : « Non obligatio facit actionem liturgicam sed vocatio Ecclesiae » (ibid. p. 338). Il avait défendu la même position con­tre K. Rahner, dans ses propres Thesen über des Gebet im Namen der Kirche, dans Liturgisches Jahrbuch 12 (1962), p. 58-62.

[39] Const. Lit., §§ 26-27.

[40] Cf. les §§ 6 et 7 en entier.