Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Petits pirates vs grands pirates

 

         La Somalie est un pays extrêmement pauvre.  Elle n’a ni pétrole ni aucune richesse minérale particulière. 70 % de la population vit d’un nomadisme pastoral rendu toujours plus aléatoire par les changements climatiques de la planète. Les efforts pour y développer une agriculture sédentaire n’ont guère eu de résultats.  Heureusement, elle a près de trois mille kilomètres de côtes, ce qui a permis traditionnellement à une partie de la population de vivre de la pêche.

 

         Or la situation a radicalement changé, il y a une dizaine d’années. Après la chute du gouvernement de Siad Barre -- relique de l’ère de la guerre froide -- et le grand fiasco de l’intervention humano-militaire américaine au nom des Nations Unies en 1992-1994, des flottes de navires de pêche étrangers ont profité de la désorganisation totale du pays pour envahir ses eaux.  Les nations européennes et asiatiques, ayant presque épuisé les réserves de poissons dans leurs propres eaux, par une pêche non contrôlée, ont envahi les côtes de la Somalie.  Les navires français, espagnols, japonais, chinois, etc....  soutirent plusieurs milliers de tonnes de poissons par année. D’autant plus que des ententes sulfureuses avec une administration illégitime ont rendu floue la démarcation de la zone des eaux nationales et internationales.

 

         La vague de piraterie actuelle le long des côtes de la Somalie a commencé, en 1998,  comme une réponse de petits pirates demandant leur dû à ces grands pirates opérant sur des chalutiers européens et asiatiques.

 

         Les Somaliens avaient une raison de plus de chercher une compensation de la part de ces grands pirates.  C’est que leurs côtes ont été polluées par des déchets toxiques provenant des mêmes pays d’où viennent les bateaux de pêche.  En effet, peu de temps après la débâcle américaine et onusienne qui laissa le pays plus désorganisé que jamais auparavant, on vit apparaître sur les côtes de la Somalie un grand nombre de bateaux qui déversaient des barils dans la mer.  Quelques années plus tard on commença à constater dans la population riveraine d’étranges maladies.  Puis le Tsunami de 2004 déversa sur les côtes de nombreux barils, parfois éventrés, contenant des déchets toxiques provenant en particuliers d’hôpitaux européens, ainsi que des déchets nucléaires hautement radioactifs.  Des entrepreneurs mafieux avaient trouvé le moyen de se débarrasser de ces déchets.  L’envoyé spécial des Nations Unies pour  la Somalie, qui constata tous ces dégâts, estima que déverser ces déchets dans la mer le long du rivage de la Somalie coûtait environ 8 € la tonne, alors que les traiter en Europe coûtait 1.000 € la tonne.  Belle économie pour des sociétés porte-nom comme Progresso (Italie) ou Achair Partners (Suisse). Peu importait la santé des Somaliens.  Ces dégâts furent dûment constatés par les Nations Unies ; ils ont connu une certaine publicité dans des revues européennes qu’on ne pourrait certes pas accuser d’être gauchistes, comme Famiglia cristiana.  Aucune dépollution ne fut pratiquée.  Aucun dommage ne fut payé.

 

         Doit-on se surprendre alors que les pirates somaliens considèrent qu’en arraisonnant des bateaux et en exigeant de fortes rançons, ils ne font que réclamer des dommages qui leur sont dus ?  Et si d’authentiques brigands se sont joints à ces premiers pirates à la Robin Hood, doit-on s’en surprendre davantage ?

 

         Le peuple somalien ayant été réduit à une misère extrême par une aventure militaire onusienne et américaine qui aurait dû les sortir d’une misère qui était réelle mais bien moindre, peut-on se surprendre que les jeunes sans travail et sans avenir se sentent offusqués lorsque de riches européens, démontrant un manque élémentaire de bonnes manières, vont se prélasser dans leurs eaux sur de luxueux yachts de plaisance et lorsque ne cessent de passer sous leurs yeux les navires corsaires occidentaux soutirant à leur partie du monde la manne du pétrole, sans qu’ils n’aient droit à aucune redevance.

 

         Évidemment on s’insurge lorsqu’ils arraisonnent aussi des navires transportant, dit-on, des cargaisons d’aide qui leur serait destinée, mais transportant très probablement aussi les armes destinés à les maintenir dans la soumission. Mais comment peuvent-ils savoir ? De toute façon ils ont faim.

 

          Cette entreprise de piraterie a certes pris des proportions inacceptables, mais elle n’a pas fait couler de sang jusqu’à ce que Monsieur Sarkozy, le 10 avril, et Monsieur Obama, ces derniers jours, autorisent l’assassinat des pirates pour libérer les otages.  Ils ont ainsi fait entrer le mouvement dans une nouvelle phase dont personne ne peut prévoir toutes les conséquences meurtrières. 

 

         On n’aura dont encore rien appris ni de la déconfiture du Vietnam, ni de la catastrophe humanitaire monumentale de l’Irak, ni de la défaite de plus en plus inévitable de la folle aventure de l’Afghanistan.  Après la guerre contre le terrorisme, on vient de lancer celle contre la piraterie.  On arrivera sans doute d’ailleurs à trouver des liens entre ces petits pirates somaliens et Al Qaida ainsi qu’avec le fantôme de Ben Laden.

 

Armand VEILLEUX

16 avril 2009