Vie religieuse en général



(Dernière mise à jour le 22 juillet 2008)

 

 

 
 
La paternité ou la maternité spirituelle dans le monachisme

(Ermeton, 25 février 2001)

 

Deuxième conférence : La paternité spirituelle chez Pachôme

Un document très intéressant nous permettant d'analyser les diverses formes de paternité spirituelle rencontrées dans le monachisme primitif est la Vie de Pachôme. L'auteur de cette Vita a comme but principal de bien montrer que Pachôme est le fondateur de la Koinonia, de la forme égyptienne de vie monastique cénobitique. La façon qu'avait Pachôme de concevoir la vie cénobitique, son rôle de père de la koinonia et l'ascèse, n'était pas sans faire problème et ces tensions apparaissent dans la Vita, nous permettant de bien voir les caractéristiques de chacune des deux formes de vie monastique.

Un récit capital est celui de la vocation première de Pachôme: Alors qu'Antoine est de famille chrétienne, vient de la ville, et entend au cours de la célébration liturgique la Parole de Dieu qui l'appelle à tout quitter et même à se séparer physiquement de la communauté ecclésiale locale pour aller vivre au désert; Pachôme, au contraire, est de souche païenne, vient des régions désertiques de la Haute-Égypte et reçoit dans le moment même de sa conversion l'appel à la vie communautaire, qui se précisera peu à peu.

Dans la prison de Thèbes, alors qu'il est jeune conscrit et encore païen, il est avec ses compagnons l'objet de charité active des Chrétiens de l'endroit. Il promet à Dieu, s'il est délivré de sa situation de prisonnier, de servir les hommes tous les jours de sa vie. Libéré, il se rend à Shenesêt où il se met précisément au service de la population. Les gens commencent alors à revenir habiter ce village, qui était presque abandonné, parce que Pachôme est bon pour eux.

Un autre texte capital est le récit du temps passé par Pachôme sous la direction du vieillard Palamon. Ce Palamon est si typique des abbas du désert qu'on peut légitimement penser que l'auteur a placé cet épisode au début de la Vita, précisément pour bien faire voir le contraste entre cette forme de paternité et celle que développera Pachôme dans sa Koinonia.

Voici, de façon schématique les éléments de cette rencontre:

a) tout d'abord le vieillard hésite à recevoir ce "postulant". Il lui demande d'une voix rude: "pourquoi frappes-tu".
b) Pachôme exprime un désir: "Je désire que tu me permettes de devenir moine auprès de toi, mon père" - chaque mot est à bien peser.
c) Palamon lui partage son expérience - son propre régime de jeûnes, de prières, de veille, de travail. (SBo 10)
d) Palamon l'accepte, le met à l'épreuve durant trois mois, puis lui donne l'habit.
e) "Ils vivaient ensemble comme un seul homme, pratiquant une ascèse dure et épuisante. Dès que P. fut devenu moine, Palamon voulut l'éprouver par des veilles du soir au matin, dans les prières, les récitations et beaucoup de travaux manuels, afin de juger sa mesure de sommeil... Pachôme fit avec une grande obéissance ce que son père Apa Palamon lui avait commandé.... Palamon fut très heureux de son obéissance et de ses progrès." (SBo 10, passim).

La Vie nous raconte les progrès que Pachôme fait en imitant Palamon. Il croît en vertu; et un jour vient donc où c'est pour lui le temps de quitter son père spirituel.

Pachôme, après avoir quitté Palamon, s'installe dans un village abandonné, qui bientôt sera de nouveau habité, à cause de lui. Vient tout d'abord son frère Jean, qui au nom de la famille, le cherchait depuis son départ de la Haute-Égypte. Cette brève apparition de Jean dans la Vie de Pachôme a évidemment un but didactique. Elle est sans doute inventée par l'auteur de la Vita, pour donne un enseignement. (D'ailleurs on ne voit pas comment il se ferait que les frère de Pachôme, qui est encore païen, ait un nom chrétien (Jean).

Jean est la première personne qui vient rejoindre Pachôme (SBo 19). Ils ne s'étaient pas vus depuis que Pachôme avait été conscrit. Il vint trouver Pachôme. Et la Vita dit que "Lorsqu'il le rencontra à Tabennèse, il l'embrassa. Aussitôt Pachôme lui adressa la Parole de Dieu et le fit moine auprès de lui. Pachôme devient donc le père de son frère, en lui adressant la Parole de Dieu (i.e. en le convertissant à l'Évangile) puis il "le fit moine auprès de lui". Ils vivront ensemble, et la Vita s'attarde à décrire leur vie commune "Ils pratiquaient ensemble de grandes ascèses... Ils marchaient dans un grand renoncement...Ils priaient ensemble..." Puis vient le moment où il y a un différend entre les deux. La nature du différend est très intéressante. Ils se sont mis à construire leur monastère. Or Jean veut construire un logis pour eux deux seulement et Pachôme veut construire pour les foules qui viendront à lui. À un moment donné, Pachôme se met en colère contre son frère et, durant la nuit, dans sa prière, il demande pardon à Dieu disant: "Comment vais-je enseigner à ceux que tu vas appeler à cette vie avec moi, si je ne commence pas par vaincre mes pensées charnelles" et, le matin suivant, il demande pardon à Jean. Et puis Jean disparaît. La Vita dit simplement qu'il "pratiqua de grandes ascèses jusqu'au jour de sa mort".

L'auteur de la Vie n'a, de toute évidence, fait intervenir le frère de Pachôme, que pour bien montrer la nette différence entre la tradition monastique du père spirituel du désert qui vit seul ou avec un disciple (même si de nombreux autres disciples peuvent vivre dans les alentours) et la Koinonia qu'instaurera Pachôme et qui consistera en ce que plusieurs frères vivent ensemble.

Arrivent alors les premiers disciples. Ici il y a une différence entre la forme primitive de la Vie de Pachôme, dont nous ne possédons que des fragments et la forme en quelque sorte définitive et standard de la Vie bohairique et de la Vie grecque. Dans la forme plus primitive nous voyons que peu de temps après que Pachôme se fut installé dans le village abandonné de Tabennèse, les gens commencent à revenir à ce village pour vivre avec lui. Il se met alors totalement à leur service, faisant tous les travaux, préparant les repas, recevant les visiteurs, etc. Le jour où il eut leur imposer une vie commune plus structurée, avec travail commun, repas communs et prière commune, ils se rebellent, et, finalement, après avoir longtemps patienté, il les chasse et il recommencera avec un autre groupe. Par cette expérience, il a appris qu'il ne suffit pas de se mettre au service des autres, comme il essaie de le faire depuis sa conversion. Il lui faut établir une forme de vie où tous sont au service les uns des autres. Ce sera l'essence même de la Koinonia, de la vie commune.

Mais arrêtons-nous à la description de ces débuts telle qu'on la lit dans la Vie bohairique (SBo 23). Trois hommes viennent à Pachôme (ils ont des noms coptes: Pšentaêsi, Sourous et Pšoï - ils viennent donc du paganisme, comme ce sera le cas pour la plupart des disciples de Pachôme). Ils disent à Pachôme: "Nous désirons devenir moines auprès de toi et servir le Christ". Il parle avec eux et les examine pour voir s'ils peuvent "renoncer à leurs parents pour servir le Christ". Puis il les reçoit chez lui dans la joie et l'amour de Dieu. "Lorsqu'ils furent entrés dans la sainte communauté ils s'adonnèrent... à de nombreuses ascèses".

Au début il fait lui-même tous les travaux pour eux, se disant que ce sont encore des néophytes qui n'ont pas encore atteint l'attitude qui leur permettrait de servir les autres. Puis "il établit pour eux des règles et un style de vie sans pierre d'achoppement, ainsi que des traditions profitables pour leurs âmes à partir des Écritures".

La différence profonde entre la relation du père spirituel des milieux anachorétiques de Basse-Égypte et la tradition cénobitique pachômienne est déjà exprimée très clairement: Il ne s'agit plus de la relation entre un père spirituel et son disciple (ou ses disciples), avec qui il partage son expérience personnelle, et qu'il guide personnellement dans leur croissance spirituelle. Il s'agit de l'établissement d'une règle de vie, d'une communauté dans laquelle on entre et par laquelle on est formé. Le rôle exercé au désert par le père spirituel passe à la communauté. C'est désormais la communauté comme telle qui incarne et exerce la paternité du Christ. Le rôle de l'abbé cénobitique est d'établir et de maintenir cette koinonia entre les frères.

Toute la marche du monastère (telle que décrite en SBo 26) révèle cette intuition profonde. La communauté monastique est organisée comme un village copte traditionnel, avec diverses "maisons" exerçant divers services : la maison des cuisiniers, celle des portiers, celle des infirmiers, etc. À la tête de chaque groupe Pachôme établit des "frères capables de prendre soin du salut des âmes". Un chef de maison, avec son second à la tête de chaque maison. Aussi bien le chef du monastère que les chefs de chaque maison donnent régulièrement des catéchèses sur l'Écriture Sainte, où l'on retrouve la dimension essentielle de l'exercice de la paternité spirituelle tel que dans les premiers siècles de l'Église.

Après le frère de Pachôme, vient aussi sa soeur - car il est impossible d'être un fondateur monastique sans avoir une soeur!... Pachôme l'invite à adopter le même style de vie en lui disant: "Sans doute, à cause de toi, le Seigneur en appellera d'autres à nous et elles seront sauvées à cause de toi." Et, de fait, plusieurs femmes entendirent parler d'elle et vinrent vivre près d'elle. "elle était leur mère et leur digne ancienne".

Cette forme de vie se répand alors à travers toute la Haute-Égypte dans divers types de fondations. Tout d'abord, quand les moines sont trop nombreux à Tabennèse Pachôme fonde un second monastère à Phbow. Puis des anciens ayant des moines vivant autour d'eux demandent à Pachôme de venir transformer leurs groupes en communautés, selon la règle de la Koinonia, puis des évêques demandent à Pachôme de venir instaurer cette vie dans leurs diocèses.

Le récit de la dernière fondation, celle de Phnoum au Sud, indique bien le sens de la communauté et aussi le sens de la paternité spirituelle qui s'y exerce: "Il y amena un bon père appelé Sourous, et il plaça à leur tête cet homme capable de les confirmer dans les commandements de Notre Seigneur Jésus. Quant à notre père Pachôme, il faisait souvent la tournée des monastères, réconfortant tous les frères par la parole de Dieu comme une nourrice réchauffe ses enfants avec l'affection de son coeur".

Il n'y a aucune tension entre le rôle de Pachôme à l'égard de l'ensemble de ses monastères, celui du supérieur qu'il met à la tête de chaque monastère et celui du chef de chacune des maisons qui constituent un monastère, ainsi que de son second, parce que tous sont des serviteurs de la même Parole de Dieu; tous incarnent et exercent la même paternité de Dieu et le font avant tout par le partage de la parole de Dieu et ensuite par l'entraide fraternelle à tous les niveaux.

***********
Pachôme eut un disciple privilégié, Théodore. Pachôme lui fit une grande confiance, mais une tension s'établit graduellement entre les deux qui aboutit à un rejet de Théodore par Pachôme, suivi d'un rétablissement dans ses fonctions sans que toutefois Théodore soit désigné par Pachôme comme son successeur.

Il semble bien que la tension que la Vita décrit entre Pachôme et Théodore est la tension entre deux formes d'exercice de la paternité spirituelle: celle du désert et celle du coenobium. Voyons d'abord ce qu'on peut tirer de l'histoire de la vocation de Théodore:

Théodore appartenait à un monastère (non pachômien) de Basse-Égypte. Un frère de sa communauté dut un jour aller en Haute-Egypte, et fut reçu dans le monastère de Pachôme à Tabennèse. Le soir il entendit Pachôme adresser aux moines la Parole de Dieu. Lorsqu'il fut de retour dans son monastère, il rapporta à ses confrères l'explication de l'Écriture qu'il avait entendue de la bouche de Pachôme. Il y avait dans ce monastère un jeune moine du nom de Théodore, qui fut enflammé par ces paroles et pria Dieu "de lui faire voir cet homme parfait" qu'était son serviteur, abba Pachôme. Lorsque enfin Théodore arrive chez Pachôme, après quelques péripéties, il embrasse Pachôme, baisant ses mains et ses pieds et dépose un baiser avec la plus grande ferveur sur la porte du monastère. Il y a ici une première leçon: Théodore cherchait un grand maître spirituel et il trouve aussi un monastère, c'est-à-dire une communauté. D'ailleurs le récit continue: "Plus tard il [Pachôme] l'introduisit dans le monastère. Lorsqu'il fut à l'intérieur, Théodore vit que les frères marchaient avec droiture; il imita leurs bonnes oeuvres et leurs vertus..." C'est donc par son intégration dans une communauté que Théodore sera formé comme moine.

Et c'est en favorisant cette intégration que Pachôme s'attachera avec un soin particulier à former Théodore, lui faisant exercer très tôt une paternité à l'égard de ses frères. La Vita note: "Notre père Théodore fit de beaux progrès en tous genres, en menant un mode de vie très courageux. Il grandissait dans les instructions qu'il entendait des lèvres de notre père Pachôme, à l'image de qui il marchait en toutes choses. Les frères, voyant qu'il grandissait comme Samuel et qu'il était agréable à tous commencèrent à imiter son exemple. Et notre père Pachôme leur donnait à tous comme réponse d'aller trouver Théodore et de recevoir de lui consolation dans leurs tribulations et leurs tentations. Ils allaient le voir, si bien qu'ils l'appelèrent le consolateur des frères. Par l'onction de ses paroles il redonnait paix à chacun. Souvent il priait avec plusieurs d'entre eux jusqu'à ce que le Seigneur mette fin à leurs tentations."

Il y a donc place, au sein de la communauté cénobitique, dans certaines circonstances, en particulier dans les moments de tribulation ou de tentation, pour ce qu'on appellerait aujourd'hui l'accompagnement spirituel. Mais cet accompagnement, qui est aussi un exercice de la paternité de Dieu, n'est pas nécessairement exercé par le supérieur. Il délègue ordinairement quelqu'un d'autre pour le faire. Son rôle à lui est d'être le père de la communauté comme telle et toute son énergie doit être consacrée à construire celle-ci et à la nourrir par la Parole.

Même ce service de la Parole, le Père de la Koinonia la partage avec plusieurs. Un soir, alors que Théodore est encore jeune, Pachôme lui demande d'adresser la Parole de Dieu aux frères, après le repas. Pachôme, au milieu des frères, l'écoute comme tous les autres. (Cette ascension rapide ne plaît d'ailleurs pas à tous et certains des anciens sortent, sans écouter).

Pachôme fait confiance à Théodore et l'établit bientôt économe à Tabennèse puis le prend comme assistant à la tête de toute la Congrégation. Mais Théodore, peut-être à cause même de ses talents de consolateur des affligés et de sa capacité de gagner les coeurs par sa bonté, semble revenir graduellement au type de relation qui était celui du père charismatique du désert et arrive de moins en moins à entrer dans la façon qu'a Pachôme de comprendre l'autorité et la paternité spirituelle. Cette tension se manifeste de plus en plus clairement. Un premier exemple est la scène où Pachôme, malade durant une période de travail, refuse les soins spéciaux que veut lui donner Théodore. Il ne veut pas être traité autrement que les autres frères. Un deuxième est celui où Pachôme, de nouveau malade, lave les pieds de Théodore après que celui lui eût lavé les mains.

Tout cela prépare la crise qui éclatera au sein de la Congrégation pachômienne d'abord avant la mort de Pachôme, puis après sa mort. Un jour que Pachôme était très malade et qu'on attendait sa mort, les frères anciens demandèrent à Théodore d'être leur père après la mort de Pachôme, et celui-ci accepta. Malheureusement pour Théodore, Pachôme se remit de sa maladie et, ayant appris ce qui s'était passé, il démit Théodore de toutes ses fonctions. Ce n'est que sept ans plus tard que Théodore fut rétabli dans ses fonctions, mais Pachôme ne le désigna pas comme successeur. Il désigna plutôt Horsièse.

Il serait trop long de raconter toute la crise que vécut alors la Congrégation, qui fut grave, mais dont elle sortit, parce que Pachôme avait réussi à former une véritable communauté - Koinonia - qui avait une identité propre et n'était liée dans son existence ni à sa personne ni à son charisme personnel, mais était plus grande que tous ceux qui étaient appelés à la servir.

Voici quand même deux mots d'explication sur cette crise. On peut distinguer les neuf fondations de Pachôme en deux groupes. Les quatre premières furent très rapprochées les unes des autres dans le temps et dans l'espace, et Pachôme semble avoir gardé sur l'ensemble une autorité immédiate. Un peu plus tard, il y eut une seconde vague de fondations, beaucoup plus éloignées de Phbôou et qui, sauf la dernière étaient rapprochées les une des autres. Thbêou, la troisième fondation de ce groupe, était une communauté déjà existante dont le père, Pétronios, demanda à Pachôme de l'intégrer dans la Koinonia. Pachôme reconnut tout de suite la valeur spirituelle de Pétronios et ses qualités de discernement. Aussi il le mit à la tête de tous les monastères de cette région, qui se distinguaient évidemment des environs de Tabennèse par une mentalité différente, sans mentionner les différences dialectales. Tout nouveau dans la Congrégation, et appartenant à une région éloignée, Pétronios acquérait ainsi sur les monastères de son secteur une autorité et une responsabilité comparables à celles de Pachôme sur l'ensemble des monastères du Sud. Il était en quelque sorte signalé à l'attention comme successeur éventuel.

C'est dans ce contexte que, lors d'une maladie de Pachôme, les "anciens", c'est-à-dire, ceux entrés avant le grand essor de fondations, et dont Théodore était l'un des derniers, vinrent demander à celui-ci d'être leur supérieur après la mort de Pachôme.

Toujours est-il que Pachôme, sur son lit de mort, nomma comme son successeur Pétronios qui était cependant malade, victime de la même épidémie. Celui-ci avant de mourir nomma Pétronios, un homme simple, sans le brio ni de Pachôme, ni de Théodore, mais extraordinairement imbu de la Parole de Dieu. Sous son supériorat, des tensions de plus en plus fortes se manifestèrent au sein de la Congrégation. Horsièse, sentant que les frères vouaient Théodore comme supérieur se démit et installa ce dernier. Celui-ci réussit à rétablir l'unité, mais après un certain nombre d'année s'aperçut qu'il n'arrivait plus à faire passer son message. Il alla donc à son tour chercher Horsièse, qui fut rétabli comme supérieur de la Koinonia, fonction qu'il remplit avec succès durant de nombreuses années.

La Congrégation survécut à cette crise, non seulement parce que Théodore et Horsièse, chacun avec ses grandeurs et ses limites, étaient deux personnes sincères et humbles, mais surtout parce que communauté fondée et formée par Pachôme, avait sa propre identité et sa vitalité propre, et ne dépendait ni dans son existence ni dans son développement, de telle ou telle personne qui se trouvait provisoirement à sa tête.

C'était vraiment une communauté dont Dieu était le Père. Théodore avait sans doute un plus grand charisme personnel que Pachôme et qu'Horsièse pour conforter, consoler et orienter les moines dans les moments de difficulté personnelle et c'est pourquoi il était très aimé des frères. Il aurait fait un excellent père spirituel charismatique au désert, et sa présence au sein de la communauté, sous Pachôme, était précieuse. Il n'a pas réussi à entrer vraiment dans la perspective cénobitique de Pachôme où c'est la communauté comme telle qui, par son mode de vie et l'encouragement mutuel guide les frères dans leur cheminement spirituel et où l'abbé exerce cette paternité de Dieu détenue par la communauté, avant tout à travers le ministère de la Parole de Dieu. C'est pourquoi son supériorat, lorsque finalement il y accéda, ne fut pas un succès. Horsièse, par ailleurs, ne semble pas avoir eu de grands talents d'"accompagnateur", mais il connaissait à fond l'Écriture, savait l'enseigner et l'appliquer aux situations communautaires concrètes. Si sa première expérience comme supérieure de la Koinonia dut être interrompue parce qu'elle n'était pas bien acceptée par certains qui désiraient plutôt un leadership du type de celui de Théodore, il sut se démettre humblement et sut de même reprendre tout simplement la charge lorsque les circonstances eurent changé, et l'exercer avec grand profit pour tous durant de nombreuses années.

Cette expérience pachômienne nous montre que, dans la tradition cénobitique c'est la communauté comme telle qui incarne la paternité - ou maternité - spirituelle. L'abbé exerce cette paternité dont la communauté est détentrice, à travers son attention paternelle pour chacun des moines sans doute, mais avant tout à travers son enseignement - enseignement donné par l'exemple aussi bien que par la parole. Cette expérience pachômienne nous enseigne aussi que l'abbé doit s'efforcer de former une communauté et non seulement des individus. Si la communauté est solide, elle saura non seulement vivre toutes les transitions, mais saura aussi passer à travers les crises éventuelles.