Écrits et conférences d'intérêt général



 

 

 
 

Un certain culte de la personnalité qui s’est développé dans l’Église à notre époque n’est pas dans la ligne du message évangélique.  C’est plutôt une forme de sécularisation.

 

Le pape ou la Vierge ?


On m’a fait voir récemment un chapelet qui avait ceci de particulier que le médaillon central ne portait pas l’effigie de la Vierge Marie, mais bien, d’un côté, celle de Jean-Paul II et, de l’autre, celle de Benoît XVI.  Ce chapelet fut acheté à Rome l’an dernier, donc avant qu’aucun des deux ne soit encore béatifié.  Même si cet objet n’a sans doute pas été mis en vente par le Vatican, le fait qu’il soit vendu et acheté à Rome montre jusqu’où peut aller un certain culte de la personne.  Passe encore qu’on mette en vente des montres, des stylos ou des brosses à dents à l’effigie du pape ! On trouve ce genre de pacotilles dans tous les centres de pèlerinage. Mais le Pape sur le médaillon d’un chapelet ! Cela nous appelle à réfléchir un peu sur le culte de la personne au sein de l’Église.


L’Église romaine, à notre époque, a eu le bonheur d’avoir à sa tête une longue lignée de pontifes se distinguant par d’éminentes qualités spirituelles et humaines. C’est une grâce dont on ne peut que remercier Dieu. Cela lui a certainement valu un grand respect même de la part de ceux qui ne partagent pas sa foi. Cette grâce a eu  cependant, comme effet secondaire, le développement dans le peuple – pas nécessairement croyant – d’un culte de la personnalité. Le deuxième corollaire est que l’attention s’est graduellement déplacée du message au messager. Il est difficile de savoir combien, parmi ceux qui formaient les grands rassemblements de jeunes ou de moins jeunes autour de Jean-Paul II et qui criaient à qui mieux mieux Viva il Papa, portaient vraiment attention à son message. 

 

Le culte de la personne dans l’Église


Nous vivons dans une société post-moderne bloquée dans son développement à sa phase adolescente -- celle du culte des héros. Un certain nombre de mouvements au sein de l’Église – eux-mêmes marqués en général par la forte personnalité du fondateur ou de la fondatrice charismatique -- et qui agissent avec succès comme groupes de pression au sein de l’administration romaine, concourent largement à développer cette concentration de l’attention sur l’autorité suprême.  Une première conséquence est l’affaiblissement considérable de l’autorité et de l’autonomie d’action de toutes les autorités subalternes.


Une autre conséquence périlleuse de cette évolution est que l’Église tend à être toujours plus identifiée avec ses leaders, et cela à tous les niveaux.  Aussi longtemps que ses chefs sont de saints hommes, admirables de courage, d’intelligence, et  de grandeur morale, tout va bien. Quelle belle Église !  Mais le corollaire est tout aussi vrai. Si l’une ou l’autre de ses autorités, que ce soit un évêque, un religieux ou un curé, manifeste un comportement moral répréhensible, c’est la crédibilité de toute l’Église qui est en péril.  On en sait quelque chose en Belgique de nos jours.


Jésus de Nazareth a parlé et agi avec autorité, mais a aussi toujours refusé tout exercice de pouvoir et surtout les attirails du pouvoir. Il a même mis en garde ses disciples contre cette tentation. « Les chefs des nations… Pour vous, qu’il n’en soit pas ainsi ».  Lorsqu’au sortir de trois siècles de persécutions, l’Église obtint droit d’existence au sein de l’Empire romain, à l’époque de Constantin, elle adopta les méthodes administratives de cet empire et ses évêques adoptèrent les signes honorifiques des fonctionnaires romains. Ce fut la première forme de sécularisation au sein de l’Église. Cette sécularisation a connu par la suite de nombreuses autres étapes.  Qu’on puisse aujourd’hui vendre des chapelets à l’effigie des papes montre qu’un nouveau glissement s’est produit sur la même pente.

 

Armand VEILLEUX