La nuit des longs couteaux

 

 

Devant le parlement européen, la semaine dernière, Alexis Tsipras disait, dans une formule lapidaire que la Grèce avait été durant cinq ans un « laboratoire d’austérité » et que l’expérience avait failli. Est-ce là simple rhétorique populiste ?  Non. Tsipras ne faisait que répéter ce qu’avaient dit au cours des dernières années et des derniers mois une longue liste d’économistes de réputation internationale, y compris quelques prix Nobel d’économie.  Ainsi, Joseph Stiglitz, parlant de la gestion de la dette grecque par la Troïka (Commission Européenne, Banque Centrale Européenne et Fonds Monétaire International), écrivait récemment que la crise grecque actuelle était, dans l’histoire, la plus grave récession délibérément provoquée : (« I can think of no depression, ever, that has been so deliberate and had such catastrophic consequences »). 

 

Et tout ça s’est produit avant l’arrivée au pouvoir du gouvernement SIRIZA.

 

Cet arrivée au pouvoir dans un pays européen, par voies entièrement démocratiques, d’un gouvernement de gauche remettant en cause l’approche technocratique et purement financière des problèmes économiques, qui méprisait les populations devenues victimes d’une médecine médiévale de la saignée jusqu’à mort du patient, a donné des boutons aux décideurs des chancelleries occidentales.

 

Depuis lors, en plus d’expérimenter des techniques d’austérité qui avaient pu réussir en d’autres circonstances mais qui s’étaient avérées inefficaces et inadaptées à la situation de la Grèce, il fallait punir collectivement le peuple grec pour avoir élu ce gouvernement. En tout cas, il fallait l’amener, en lui infligeant des situations de plus en plus insupportables, à renverser ce gouvernement de gauche. (Ce n’est qu’un des nombreux exemples de « punitions collectives » à l’époque contemporaine).

 

En suscitant, il y a quelques semaines, un référendum, Tsipras faisait un jeu de poker extrêmement dangereux.  Il l’a gagné -- et tout à fait démocratiquement, même si les grandes démocraties européennes, oubliant tout devoir de non-ingérence, ont essayé d’influencer directement y compris par des menaces le vote des Grecs. Ce succès de Tsipras était impardonnable.

 

La longue nuit de négociation de dimanche à lundi, qui fut une sorte de « Nacht der langen Messer », au cours de laquelle le Kaiser Wolfgang Schäuble réussit à imposer sa volonté au reste des négociateurs, s’est terminée par un assassinat politique.  Les exigences imposées au gouvernement grec, en particulier l’obligation de faire voter en deux ou trois jours toute une série de lois d’une brutale radicalité, sont tellement irréalistes qu’elles ne peuvent avoir d’autre but que de faire tomber le gouvernement SIRIZA.

 

Même si Alexis Tsipras s’est révélé jusqu’à maintenant un animal politique d’une habilité remarquable, il lui faudra démontrer des talents assez exceptionnels pour faire accepter à son parlement et à son peuple ces mesures qui sont des insultes à leur souveraineté et à leur dignité. À moins qu’il ne réussisse, ce qui est peu probable et peut-être pas désirable, collez bien votre oreille au sol, et vous entendrez probablement déjà le bruit des bottes des colonels grecs revenant au pouvoir.

 

L’Europe de la solidarité a perdu son âme. Une ligne rouge a été franchie dans cette nuit des longs couteaux, où l’Europe s’est manifestée clairement non plus comme l’Europe de la solidarité mais comme une Europe post-démocratique menée par une oligarchie technocrate.

 

 

Armand VEILLEUX

14 juillet 2015