Les mots qui tuent.
Qu’est-ce qu’un terroriste ? Qu’est-ce qu’un civil ?
Selon l’étymologie du mot, un terroriste devrait être quelqu’un qui sème
la terreur. En ce sens, plus un groupe
armé, y compris l’armée régulière d’un pays, possède des armes puissantes, plus
il peut semer la terreur. Peut-on être
plus terroriste qu’en faisant pleuvoir des centaines de tonnes d’obus et de
bombes, y compris des bombes à fragmentation et légèrement radioactives, sur
une ville en quelques minutes ou quelques heures ? Peut-on terroriser une
population habitant sur un espace exigu, plus qu’en lui bloquant toutes les
issues de fuite et l’arrosant d’un feu continuel durant douze
jours faisant près d’un millier de morts (dont la moitié avaient moins de
16 ans) et quelques milliers de blessés ?
Mais les mots ont le sens que leur donnent les conventions et leur sens
évolue. De nos jours on réserve le nom
de « terroristes » à ceux qui ne peuvent pas se permettre tous ces
armements sophistiqués, et qui ont recours à des armes rudimentaires et mènent
donc des guerres « non symétriques » ne répondant plus aux
normes. Pour certains, la raison
principale d’appeler un groupe terroriste est le fait qu’il s’attaque à des
civils et non seulement à des militaires.
Mais on ne se préoccupe pas en général de savoir si ces terroristes ne
sont pas eux-mêmes des civils qui ont été opprimés et attaqués de diverses
façons durant toute leur vie.
Le dérapage sémantique est cependant allé plus loin. Même s’il n’y a aucune définition communément
admise du terrorisme, dès qu’on a appliqué à quelqu’un ce titre de terroriste, cet
individu est tellement diabolisé qu’il a perdu concrètement tous ses droits
humains. Pour quelques pays occidentaux
– et pas des moindres -- il est devenu tout à fait normal d’assassiner
quiconque est considéré « terroriste », sans aucune forme de procès.
Comme le terroriste est considéré un ennemi universel, il est considéré un
danger pour toute l’humanité et quiconque peut impunément l’éliminer, même si c’est
en envoyant sur sa voiture ou sa résidence un missile qui tuera en même temps
sa femme et ses enfants et quelques voisins.
Quiconque lui est proche est considéré terroriste par contagion.
Cela devient plus dramatique encore lorsqu’un groupe appartenant à une nation
dont tous les droits ont été bafoués depuis soixante ans essaye de faire valoir
ses droits par toutes sortes de moyens les uns politiques, les autres
violents. Il suffit qu’une soi-disant
grande puissance déclare ce groupe « terroriste » pour que tous les
membres de l’organisation soient considérés « terroristes » et donc
« cible légitime » pour l’assassinat, même s’il s’agit d’enseignants
et de médecins qui n’ont jamais eu aucune activité violente.
Prenons le cas du Hamas. La lutte pour la reconquête des droits des
Palestiniens expulsés de leurs terres et ensuite occupés dans les territoires
limités qui leur étaient restés, avait été incarnée durant plus de 25 ans par
Yasser Arafat et son parti politique le Fatah.
Malgré sa reconnaissance d’Israël et toutes les concessions faites à
Oslo, Arafat n’a jamais pu obtenir d’Israël le respect des promesses
faites. C’est en réaction à cet échec
que se forma le groupe du Hamas, décidé de ne pas se laisser piéger de la même
façon et de ne pas reconnaître Israël tant qu’Israël ne reconnaîtrait pas un
état Palestinien viable. Cela semble tout simplement logique. (Et l’ironie veut
que, comme c’est maintenant communément admis en Israël, c’est Israël qui a
encouragé la formation du Hamas pour affaiblir Arafat).
Le Hamas est une organisation politique ayant une branche militaire,
comme cela semble normal pour une peuple occupé, encerclé et dont les
dirigeants sont cesse sous la menace d’être assassinés par un missile venu du
pays voisin. La réaction symbolique de cette milice consiste alors à répliquer
à ces assassinats par un lancement de roquettes auquel réplique
un lancement de missiles israéliens, et le cercle infernal continue. Mais ce qui défie la compréhension est que
les projectiles allant dans un sens soient terroristes mais pas ceux allant
dans l’autre, même s’ils tuent un nombre beaucoup plus grand de civils.
Le Hamas, en tant que parti politique, a été élu par le Peuple
palestinien dans une élection dont personne ne peut douter du caractère
totalement démocratique. Ce fut la
surprise générale. La première élection démocratique dans le monde arabe (de
quoi faire rougir de honte les dictatures pro-américaines du Golfe). Les États-Unis déclarèrent que le Hamas étant
terroriste ne devrait pas être reconnu.
Et l’Union Européenne après beaucoup de tergiversations fit de
même. Ce fut une erreur monumentale,
responsable en grande partie du sang versé actuellement à Gaza. On connait la suite. Israël arrêta 45 membres
du parlement, considérés comme criminels du simple fait qu’ils appartenait au
parti Hamas (sans se soucier de savoir et encore moins de démontrer qu’aucun
d’entre eux n’aie jamais fait de violence ou incité à la violence
). Ils sont toujours dans les geôles israéliennes. On exigeait pour reconnaître ce gouvernement
élu qu’il reconnaisse Israël, mais sans demander à Israël de reconnaître un
état palestinien. On exigeait également de ce gouvernement qu’il cesse de se
défendre, mais sans demander à Israël de cesser d’assassiner ses autorités
élues.
La division entre le Fatah et le Hamas ayant été exacerbée par Israël et
les USA dans l’espoir de voir disparaître le Hamas, celui-ci a pris le contrôle
de la bande de Gaza, Abbas devenant de plus en plus une marionnette incapable
d’obtenir la moindre concession d’Israël.
La bande de Gaza fut alors encerclée de façon étanche par Israël avec la
complicité honteuse de l’Égypte. Les
vivres de toutes sortes ont été coupées au point de
créer une situation humanitaire catastrophique contraire à toutes les normes
internationales. Le blocus et les
incursions meurtrières fréquentes sur le territoire de Gaza continuant, le
lancer de roquettes sur Israël continua.
Intervint un cessez-le-feu de six mois, qui devait impliquer un
relâchement du blocus. Israël ne respecta
jamais cet engagement (profitant plutôt de cette période pour réduire à son
niveau le plus bas l’entrée des produits les plus essentiels à Gaza, y compris
le matériel médical, en préparation de son invasion). Un peu avant la fin des six mois de trève, Israël fit deux incursions meurtrières à l’intérieur
de Gaza et le lancement des roquettes arrêté depuis près de six mois reprit.
La presse d’Israël, relayée par presque toute la presse internationale,
n’a cessé de répéter ad nauseam, que la guerre
actuelle avait été déclenchée par la rupture du cessez-le-feu par le
Hamas. C’est un mensonge dont personne
n’est dupe. Tout d’abord parce que c’est
Israël qui a rompu le cessez-le-feu le 4 novembre par l’assassinat de plusieurs
dirigeants du Hamas à Gaza et ensuite parce qu’au bout de six mois il n’y avait
plus de cessez-le-feu à rompre.
Bien plus, ce n’est pas le Hamas, comme on le répète partout, qui a
refusé de reconduire le cessez-le-feu mais bien Israël. Et cela était rapporté explicitement dans la
presse d’Israël le 23 décembre. On pouvait y lire que Yuval Diskin,
chef du service de sécurité Shin Bet d’Israël
« informa le cabinet d’Israël (le 23 décembre) que le Hamas était
intéressé à continuer le cessez-le-feu mais voulait en améliorer les conditions ». Diskin expliquait
que le Hamas voulait la levée du blocus et un cessez-le-feu incluant la
« West Bank ». Le cabinet israélien
refusa -- élections obligent.
Dans tous les événements qu’on vient de décrire on voit intervenir constamment
une
ambigüité
extrêmement
dangereuse
et
meurtrière
sur
le
concept
de
« terroriste ».
Pour
n’importe
quel
Palestinien
l’attitude
d’Israël
à
son
égard
(blocus
et
interventions
meurtrières
constantes)
est
une
attitude
terroriste,
tout
autant
que
le
fait
d’envoyer
sur
Israël
quelques
roquettes
dont
l’effet
est
presque
toujours
purement
symbolique.
Mais il y a une autre ambigüité peut-être plus grave. Elle porte sur la
notion de « civil » et de « non-civil ».
Depuis qu’il a pris le contrôle de Gaza, de l’avis de tous les
organismes des Nations-Unis et des ONG qui y travaillent, le Hamas y a instauré
un ordre qui n’existait pas du temps du contrôle par le Fatah. Les autorités du Hamas se sont consacrées à
organiser la vie civile des citoyens, malgré les difficultés créées par
l’embargo. Elles se sont efforcées de
développer l’éducation et les services de santé. La plupart des dirigeants sont des personnes
très cultivées formées dans les universités européennes et américaines, qui
n’ont rien à voir avec la violence. Pour
assurer la sécurité de la Bande de Gaza, ils ont formé (avec l’aide d’experts
européens) des unités de policiers proches du peuple. La centaine de policiers qui furent tués dans
les premières minutes du bombardement par Israël il y a treize jours, étaient
une classe de jeunes policiers non armés qui venaient de terminer leur
formation. Ils n’avaient rien à voir
avec la branche armée du Hamas. C’était
des civils. Les compter comme des
« militants » est une fausseté machiavélique. (Voir à ce sujet le témoignage
d’un expert en solution de conflits, qui avait concouru à les former :
William Sieghart, dans The Times de Londres,
du 31 décembre 2008).
Israël, avec une logique implacable mais totalement absurde, considère
que
le
Hamas
étant
un
organisme
« terroriste »,
tout
ce
que
fait
le
Hamas
est
terroriste
et
quiconque
a
quelque
chose
à
faire
avec
cette
administration
est
terroriste.
C’est
pourquoi
les
dirigeants
d’Israël
considéraient
légitime
de
détruire,
dès
les
premiers
jours,
toute
l’infrastructure
administrative
de
la
Bande
de
Gaza
(tous
les
édifices
administratifs
construits
avec
l’argent
de
la
Communauté
européenne). Ils considéraient surtout que toute personne
ayant
quelque
lien
avec
le
Hamas
(donc
la
majorité
de
la
population)
étaient
des
« cibles
légitimes »
(sic)
de ses canons – y compris les chauffeurs des
camions
des
Nations
Unis !
En réalité, très peu de membres des milices du Hamas ont été tués depuis le début des opérations. Ils sont toujours terrés dans leurs embuscades attendant qu’Israël commence la recherche de l’ennemi de maison en maison. Ce qui n’aura probablement pas lieu, car ce serait trop meurtrier pour les soldats juifs. Donc, en réalité, si l’on donne au mot « civil » le sens qu’il a dans tous les autres pays, il faut dire qu’au moins 90% sinon plus des victimes tuées ou blessées jusqu’à maintenant étaient des civils et non des combattants (la moitié ayant d’ailleurs moins de 16 ans, selon les rapports des médecins, et plus d’une centaine des enfants). Et les quelques combattants qui sont morts l’ont été en défendant leur pays contre une invasion criminelle, dont personne ne doute plus qu’elle faisait essentiellement partie d’une campagne électorale.
Qui, dans n’importe quel autre pays, voudrait se faire élire au prix de
tant
de
destruction
et
de
morts ?
Armand Veilleux
8 janvier 2009