Écrits et conférences d'intérêt général



(Dernière mise à jour le 5 octobre 2008)

 

 

 
 

 

La réforme du missel qui n’eut pas lieu – celle de saint Pie V

(paru dans l'Appel nº 310, octobre 2008, p. 20)

 

            À l’époque du Concile de Trente, une réforme de la liturgie, et particulièrement de la célébration eucharistique, s’imposait.  Pour le comprendre il faut jeter un coup d’oeil d’ensemble sur l’histoire de la célébration eucharistique depuis le Christ jusqu’au 16ème siècle. 

 

            Faites ceci en mémoire de moi, avait dit Jésus au cours de son dernier repas avec ses disciples.  Dès la première génération chrétienne ses disciples se mirent à célébrer un repas fraternel en sa mémoire.  Graduellement une structure de célébration se dessina et quelques formules commencèrent à s’imposer par leur qualité intrinsèque.  L’anaphore ou « prière eucharistique » qu’on trouve dans la Tradition Apostolique de saint Hippolyte, écrite vers l’année 215, (et dont s’inspire directement notre Prière Eucharistique nº 2 actuelle) était présentée par son auteur non pas comme une formule figée, mais comme un modèle dont pouvait s’inspirer le célébrant. La créativité liturgique était alors de mise.

 

            Les six premiers siècles sont considérés par les liturgistes comme l’âge d’or de la célébration liturgique.  Les fidèles se réunissaient pour faire ensemble mémoire du Christ au cours d’un repas fraternel présidé par un presbyte ou un épiscope. Il s’agissait d’une célébration commune avec des rites qui s’enrichirent graduellement de formules nouvelles.  Les deux siècles qui suivirent furent marqués par une diversification grandissante, sous l’influences des peuples nouveaux, dits « barbares ».

 

            Au cours de la longue évolution qui va suivre, jusqu’au Concile de Trente, la « Messe » comme on l’appelle désormais, devient toujours plus l’affaire du clergé, au cours de laquelle le peuple fait ses dévotions, qui n’ont souvent rien à voir avec le mystère célébré à l’autel.  On interrompt ses dévotions pour adorer l’hostie lors de l’élévation, mais on communie de moins en moins.

 

            L’apparition de l’imprimerie provoquera la multiplication des « missels » souvent fort différents d’un église locale à l’autre et de qualité souvent plutôt douteuse. Une réforme s’imposait à l’époque du Concile de Trente.  Celui-ci en dressa les grandes lignes, mais laissa au Pape le soin de la réaliser.  Ce fut la tâche de Pie V, après la mort de Pie IV.  Malheureusement une véritable réforme n’était pas possible à ce moment-là, le contact avec la grande tradition liturgique de l’âge d’or ayant été perdu.  Plutôt que de s’embarquer dans une réforme du missel qui dépassait ses forces et les connaissance de ses collaborateurs, Pie V se contenta d’imposer à l’Église universelle le missel alors utilisé par la Curie romaine et qui n’était guère différent de celui prescrit à l’Église de Rome par le Pape Nicolas II trois siècles plus tôt, à l’une des époques les moins glorieuses de la tradition liturgique.

 

            La réforme dont le Concile de Trente avait tracé les grandes lignes et que Pie V ne réalisa pas, parce qu’il n’avait pas les moyens de la faire, est celle qui fut réalisée après Vatican II.  Les liturgistes qui préparèrent le missel dit de Paul VI n’avaient nullement pour but d’adapter la liturgie traditionnelle au goût des temps modernes, mais bien de la purifier des scories accumulées au cours des longs siècles de décadence liturgique, et de lui redonner la pureté de son âge d’or. 

 

            Dès lors, devant l’acharnement de certains Chrétiens d’aujourd’hui à vouloir préférer la forme « extraordinaire » de célébration du missel non réformé de Pie V à celle du missel rénové de Paul VI, on ne sait s’il faut rire ou pleurer.

 

Armand VEILLEUX