Écrits et conférences d'intérêt général
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LA LITURGIE DANS LA VIE DU PEUPLE DE DIEU
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Dans le Christianisme,
comme dans toute autre religion, nous courons sans cesse le danger
de réduire notre foi à son expression religieuse et de réduire
celle-ci à sa dimension culturelle ou liturgique. La liturgie
est l'expression de l'expérience spirituelle d'une
communauté chrétienne; elle ne peut donc être la totalité de cette
expérience. Celle-ci englobe toute la vie, car c'est à travers
chacune des dimensions de sa vie: culturelle, sociale, économique
ou politique, que l'homme fait l'expérience de son Dieu. Cependant, même
si elle n'est qu'un aspect de la vie du Chrétien, la liturgie
y occupe une place centrale, car elle est en quelque sorte un
lieu de rencontre. C'est elle qui relie l'expérience spirituelle
individuelle avec celle de la communauté. C'est en elle aussi
que la vie de tous les jours et la foi expriment leur rencontre. Pour bien comprendre
comment la liturgie est reliée aux divers aspects de la vie chrétienne,
j'aimerais rappeler d'abord les divers niveaux de l'expérience
spirituelle. À son niveau premier et le plus fondamental, cette
expérience est la rencontre même de Dieu dans la foi. Elle est
fondamentalement la même pour tout homme. Elle est cependant
largement conditionnée par la culture dans laquelle on vit et
les catégories que celle-ci nous offre pour nous exprimer à nous-mêmes
d'abord et aux autres ensuite, cette expérience. Le deuxième
niveau est celui de la mémoire collective de cette expérience,
à travers un ensemble structuré de rites et de croyances, qui
constituent une religion. La liturgie appartient à ce deuxième
niveau, où elle est le point crucial de rencontre entre l'expérience
spirituelle et la vie extérieure. Quant au troisième niveau, qui
est celui de l'interprétation de l'expérience, à travers les
philosophies, les théologies ou les mythologies, il est un peu
moins important pour notre propos immédiat. À l'intérieur de toute
tradition spirituelle, l'accent se déplace constamment, selon
les époques, de l'un à l'autre de ces trois niveaux. À certaines
époques les énergies sont drainées vers les spéculations philosophiques
et théologiques, à d'autres moments, c'est l'activité rituelle
qui domine, alors qu'en d'autres temps on assiste à un retour
à l'intériorité et au primat de l'expérience elle-même. Dans les quelques
réflexions qui vont suivre, je voudrais toucher quelque peu à
la relation entre liturgie et culture et aux points de contact
entre la liturgie et quelques autres aspects particuliers de la
vie humaine. Il me semble que cela pourrait nous aider à dialoguer
sur la place exacte que doit jouer de nos jours la liturgie dans
l'ensemble de notre vie chrétienne. Liturgie et
Culture La relation
entre la liturgie et la culture se réalise dans les deux directions.
D'une part les structures liturgiques sont toujours tributaires
d'une culture déterminée et marquée par les contrecoups de son
évolution. D'autre part la liturgie peut agir sur la culture et
devenir soit un facteur de consolidation sociale de celle-ci soit
un facteur actif de mutation culturelle. La liturgie
chrétienne s'enracine d'abord dans la tradition culturelle juive.
Elle a été fortement marquée à ses débuts aussi bien par les grands
courants spirituels du judaisme que par certaines coutumes rituelles
de l'Ancien Testament. Elle se situe par le fait même non seulement
à l'intérieur d'une tradition religieuse mais aussi d'une tradition
culturelle, celle d'Israël. À partir de
l'ère constantinienne, la culture romaine a, à son tour, imprimé
sa marque sur le culte chrétien. Et, peu à peu, s'est constituée
en Occident une liturgie latine intégrée à l'univers de pensée
judéo-chrétien et à l'héritage culturel de l'Europe nouvelle.
Il y a eu longtemps un mariage étroit, que l'on aurait pu croire
durant un certain temps indissoluble, entre la liturgie catholique
romaine et la culture latine. Au cours du processus d'évangélisation,
des peuples ont été appelés, durant des siècles, pour embrasser
la foi chrétienne, à rejeter leur propre culture, profondément
liée à leur vie religieuse, pour adopter la culture judéo-chrétienne
romaine. Cette adéquation
entre la culture environnante et l'univers symbolique de la liturgie,
qui caractérisait le Moyen-âge, a été rompu depuis déjà assez
longtemps. Le christianisme a pénétré dans des continents ayant
leur propre culture, parfois beaucoup plus ancienne et peut-être
plus riche que la culture latine.
Même au sein du monde occidental l'explosion des nationalismes
a fait naître une grande diversité culturelle. Par ailleurs,
au même moment on assiste à l'émergence d'une vaste culture mondiale
caractérisée par une nouvelle sensibilité humaine et la globalité
des prises de conscience. Il existe désormais pour une grande
partie des chrétiens une sorte de dichotomie - certains diraient:
une schizophrénie spirituelle - entre leur vie de tous les jours
et leur pratique religieuse. Cette rupture de l'adéquation entre
culture et liturgie est sans doute une des principales choses
qui expliquent l'abandon de la pratique religieuse de nature
liturgique par beaucoup de Chrétiens. C'est là surtout qu'apparaît
l'importance pour chaque peuple et même pour chaque communauté
locale de développer sa créativité et d'inventer une expression
liturgique qui traduise fidèlement les modalités de son expérience
du Mystère du Christ. Au moment où nous assistons, au niveau mondial,
à la mort d'un type de civilisation et à la naissance d'une société
nouvelle, il me semble que nous devrions être capables d'inventer
une grande liturgie cosmique pour célébrer cette mort et cette
renaissance. Ce serait une authentique expression du mystère pascal,
peut-être plus valable que nos liturgies-maisons. Je disais plus haut que la liturgie
peut être aussi bien facteur de consolidation que de mutation
culturelle. Un bon exemple serait la façon dont le langage utilisé
dans la liturgie a véhiculé depuis des siècles une attitude sexiste
et une conception de la sujétion de la femme héritées d'un contexte
socioculturel plusieurs fois millénaire mais désormais inacceptable.
Les efforts entrepris depuis quelques années par de nombreux groupes
en divers pays pour modifier le langage liturgique dans un sens
non-sexiste peuvent contribuer réellement et efficacement au
développement dans l'Église, d'un nouveau type de relations entre
femmes et hommes et donc à une réelle mutation culturelle. Liturgie et
Politique II est impossible de parler des
relations de la liturgie avec la culture sans parler de ses relations
avec la politique. Beaucoup de gens sont effrayés dès que l'on
mentionne la politique en relation avec la foi et encore plus
avec l'expression liturgique de celle-ci. Il est clair que nous
n'entendons pas ici par politique n'importe quelle forme de partisannerie,
mais bien tout ce qui touche à l'organisation structurelle de
la société et des réseaux de communication qui constituent celle-ci. À travers les siècles, l'Église
a toujours joué des rôles politiques. Lorsque
Constantin sortit vainqueur de la guerre civile qui déchirait
et désarticulait l'Empire Romain, il découvrit dans l'Église l'institution
fondamentale et étendue qui pouvait être le ciment social, le
facteur d'intégration de cette société fracturée et lui redonner
ainsi sa cohésion. Ce fut sans doute son génie que de percevoir
que, pour reconstruire une société politiquement unanime, la
confession collective de la même foi chrétienne et la formation
d'une même «conscience nationale» fondée sur cette foi serait
le moyen tout désigné. L'Église, qui venait de vivre trois siècles
de martyre, de prison et clandestinité, se retrouvait subitement
dans une position privilégiée et inespérée. Elle accepta, sans
probablement en peser toutes les conséquences, de s'institutionnaliser
de façon à pouvoir jouer un rôle sociopolitique. Elle acquit en
même temps une position de monopole; en particulier le monopole
de l'organisation des rites collectifs de la société et aussi
celui de la définition des légitimités qui cimenteraient l'ordre
social nouveau. Auprès de l'ensemble du peuple, c'est essentiellement
à travers sa liturgie que l'Église a joué ce rôle d'enseignement
et de conditionnement social et politique. Il est important
de nous demander quelle conception de la société humaine non seulement
nos formules liturgiques, mais nos modes de rassemblements culturels
véhiculent et imprègnent en nous. Des hommes comme Mgr Lefebvre
ont eu au moins la lucidité de percevoir les implications politiques
des réformes conciliaires et ce n'est pas sans raison qu'ils s'arrêtent
surtout aux réformes liturgiques. La position de Mgr Lefebvre
est d'abord politique, comme l'était celle de l'Action française:
c'est d'abord le refus de la République et de la démocratie,
et donc par voie de conséquence de toute évolution liturgique
ou disciplinaire qui implique une conception de l'autorité autre
que monarchique. Mais de fait, malgré les timides réformes conciliaires
et postconciliaires, notre langage liturgique n'est-il pas encore
profondément monarchique? Les grandes
manifestations liturgiques ou paraliturgiques peuvent aussi assumer
une dimension politique souvent insoupçonnée de leurs organisateurs
eux-mêmes. Même si on n'y parle pas du tout de politique ni même
d'événements sociaux, elles ne sont pas, comme on le prétend innocemment,
apolitiques. Offrant une réponse de type affectif à un désarroi
collectif profond, elles font facilement le jeu de la «droite».
Les conflits sociaux peuvent alors pourrir et l'exploitation continuer
en paix. Il suffit de lire les grandes oraisons du Missel romain
écrites au temps des invasions barbares et des guerres qui déchiraient
l'Europe pour voir qu'elles n'avaient rien de cet a-politisme.
Dans ce domaine,
la liturgie peut être un facteur de mutation, conduisant personnellement
et collectivement ses membres à la conscientisation et la conversion.
À travers le monde entier, à l'occasion de l'anniversaire de la
bombe atomique sur Hiroshima, des groupes de citoyens ont déployé
un effort de conscientisation et de protestation contre l'utilisation
des engins nucléaires et les dangers de l'énergie nucléaire en
général. Je suppose qu'en plusieurs endroits cette préoccupation
a été exprimée dans les célébrations liturgiques, et cela me semble
tout à fait normal. Liturgie et
Aliénation Le sens du péché
et le besoin de conversion sont des réalités fondamentales du
Message chrétien. Elles ont toujours tenu une place importante
dans l'ensemble de nos célébrations liturgiques et non seulement
dans le sacrement de pénitence. Les textes et les rites liturgiques
ont toujours véhiculé et entretenu avant tout le sens du péché
personnel. Or la conscience contemporaine est de plus en plus
sensible au péché collectif, et spécialement au péché social collectif
que constituent plusieurs situations nationales ou internationales
telle que la disparité énorme et entretenue entre pays riches
et pays pauvres, l'oppression de peuples et de classes sociales,
la lutte des classes inscrites dans les structures sociales, la
destruction de l'environnement, etc. Pour répondre
à ce nouveau contexte, nos célébrations pénitentielles devraient
exprimer et développer de plus en plus ce sens du péché collectif
et de la responsabilité sociale qui s'ensuit. Nos célébrations
doivent aussi trouver le moyen d'assumer et de transformer en
cris poussés vers le Seigneur - à l'instar des psaumes bibliques
- les angoisses et l'aliénation des hommes de notre temps. Nous avons facilement
la tentation de situer nos célébrations bien au chaud quelque
part en dehors de ce monde angoissant des drames collectifs. C'est,
bien sûr, une expérience dramatique de passer à travers la présente
aliénation collective qui se manifeste dans des phénomènes tels
que, sur le plan individuel, l'instabilité psychologique, le retard
de la maturation, l'attrait de la drogue et des autres évasions;
et, sur le plan social, la résistance croissante à tout ordre
social et l'anarchie, d'un côté, aussi bien que la poussée totalitaire,
de l'autre. Ces réalités ont l'avantage de nous révéler les tragédies
cachées et intérieures de notre civilisation. Sous toutes ses
formes, cette expérience d'aliénation peut donc être comprise
comme une révélation de l'ambiguïté que tout homme porte au fond
de son coeur et qui ternit au moins quelque peu chacune de nos
actions. Saint Paul nous
avait parlé de cette ambiguïté: Je fais le mal que je ne veux
pas et je ne fais pas le bien que je veux. Et toute l'attente
messianique et eschatologique de la spiritualité judéo-chrétienne avait été sous-tendue jusqu'à notre époque
par une conscience de la déchéance de l'homme de sa dignité primitive
et par le besoin d'une transformation rédemptrice. Dans l'euphorie
d'une transformation sociale et d'un progrès technique accélérés,
l'homme occidental a perdu à notre époque ce sens du péché et
cette conscience d'un besoin de rédemption. Aveuglé par un sens
exagéré du progrès, il a été empêché de reconnaître les forces
négatives et aliénantes à l'œuvre dans le monde nouveau qu'il
est en train de créer. Le chaos actuel nous ramène heureusement
à plus de réalisme sur nous-mêmes et sur notre situation. Si paradoxal
que cela puisse paraître, c'est peut-être cette expérience aiguë
de l'aliénation qui nous ouvrira la voie vers une redécouverte
de l'intériorité perdue au cours de l'euphorie du développement
industriel et technique. Car l'homme découvre les véritables dimensions
de son être aussi bien à travers ses tensions intérieures et ses
frustrations qu'à travers sa vertu et sa piété; aussi bien à travers
ses angoisses qu'à travers sa certitude de posséder la vérité.
C'est à travers l'expérience de l'une et de l'autre que l'homme
fait l'expérience de Dieu. Or c'est le mystère pascal du Christ
tel que nous en faisons concrètement l'expérience dans notre
vie quotidienne, que nous avons à exprimer dans notre liturgie. L'une des formes
de l'aliénation caractéristique de notre civilisation technologique
consiste dans le fait que cette civilisation nous a coupés de
nos racines dans le temps et l'espace. Ces racines étaient essentielles
pour l'homme primitif et tiennent une place de premier rang dans
toutes les grandes religions de l'Est. Nous nous sommes créés
un temps artificiel et des espaces artificiels, au lieu d'apprivoiser
le temps et l'espace naturels et de nous laisser apprivoiser par
eux. Ainsi coupés de nos racines, nous avons perdu le contact
avec nos archétypes et nos mythes, et nous ne cultivons plus
suffisamment notre imagination créatrice pour être capable d'approcher
d'une façon spirituelle chacune des situations dans lesquelles
nous nous trouvons. La liturgie
qui nous ramène sans cesse au moment primordial du commencement
- Au commencement était le Verbe - et qui nous tend sans cesse
vers l'eschaton, vers cet instant où le Verbe
fait homme sera tout en tous, nous rachète de cette aliénation.
À cette fin, des lieux de prières, qui nous créent des racines
spirituelles dans l'espace sont tout aussi importants que les
temps de prière qui nous situent dans le temps. Liturgie et
Ascèse C'était la conception
des Églises orientales aux premiers siècles, que l'Esprit Saint
réalise la divinisation des membres du Corps du Christ par l'ascèse
et les sacrements, les deux modes de divinisation étant reliés
dans une profonde unité. Cette unité s'exprimait dans la pratique
liturgique. Le jeûne, par exemple, n'était pas une simple mortification
de caractère individuel. Il avait toujours une dimension communautaire
et était lié à l'audition et à l'explication de la Parole de Dieu,
ainsi qu'à des moments déterminés de l'année liturgique. Nous
avons malheureusement divorcé ces deux dimensions de notre vie
chrétienne. Nos disciplines ascétiques, vidées de leur sens sont
tombées en désuétude. Ce n'est probablement qu'à travers la liturgie
que nous pourrons les redécouvrir, et leur donner une vie nouvelle. Mais peut-être
faut-il inventer de nouvelles disciplines ascétiques. Peut-être
aussi que des formes nouvelles d'ascèse s'offrent à nous de nos
jours. L'une d'elle est sans doute d'assumer le climat social
d'aliénation dont nous avons parlé plus haut. Pour beaucoup de
personnes, une autre forme d'ascèse sera d'accepter l'évolution
dans la vie de l'Église et la liturgie, ou encore d'accepter
l'existence du pluralisme et même de la marginalité. Durant les premiers
siècles du Christianisme, chacune des Églises avait sa vie propre,
avec sa discipline et sa liturgie. On avait par exemple les liturgies
d'Antioche, de Jérusalem, d'Alexandrie. L'Unité du Peuple de Dieu
résidait dans la communion qui unissait ces diverses Églises locales,
celle de Rome ayant entre toutes le primat de la
charité. Par la suite,
après la paix constantinienne, l'Église emprunta beaucoup à l'Empire
pour son organisation et l'on assista à un mouvement continuel
de centralisation et d'uniformisation. De nos jours le mouvement
va en sens inverse. Concomitamment avec l'émergence d'une conscience
globale au sein de l'humanité, on assiste au développement des
pluralismes dans tous les secteurs de la vie. L'impulsion donnée
par Vatican II à la vitalité de l'Église locale favorise ce développement.
Les diverses Églises nationales (et pas seulement en pays de mission)
retrouvent graduellement leur visage propre. La liturgie
a un rôle très important à jouer en ce domaine, non seulement
pour exprimer la personnalité propre à chaque Église locale, mais
pour permettre à cette personnalité d'éclore. Nous savons comment
notre expérience spirituelle est largement conditionnée par les
catégories et les modes d'expression que nous possédons pour nous
la dire. Une Église locale, un Peuple, comme les individus, découvre
la forme d'expérience spirituelle qui lui est propre en l'exprimant
individuellement et collectivement. Pluralisme et créativité
sont deux réalités connexes. Ces deux réalités
sont, à leur tour, reliées à la marginalité. Celle-ci est une
réalité difficile à circonscrire, car il y a diverses formes de
marginalité, dont les unes sont positives et les autres négatives.
Il y a une marginalité positive qui est inhérente à toute entreprise
créatrice. Les grands fondateurs ont toujours été des marginaux.
On sait comment toute institution, surtout lorsqu'elle est forte,
tente de récupérer toutes les énergies qu'elle génère, pour se
renforcer, et se perpétuer. La vie nouvelle jaillit toujours d'énergies
marginalisées et arrachées à cette récupération. S'il ne faut
pas craindre la marginalité, qui est signe de vitalité, il faut
évidemment exercer à son égard un certain discernement. N'est
pas nécessairement positive la marginalité de n'importe quel original qui décide de célébrer la liturgie
à sa façon et d'imposer au besoin
son mode de célébration à sa communauté. La marginalité créatrice,
la vraie, jaillit d'une exigence interne et englobe toute la vie.
Le groupe ou la personne qui a le courage d'entreprendre le pèlerinage
d'Abraham, de quitter ses sécurités et d'assumer une existence
marginale - qui est une forme de solitude et de désert - est seul
à pouvoir se permettre d'être marginal dans ses expressions du
culte. Il ne pourrait d'ailleurs pas faire autrement sans être
faux avec lui-même et avec les autres. Liturgie et
Dialogue interreligieux A Vatican II
l'Église catholique a, pour la première fois de façon officielle,
pris une attitude très positive à l'égard des grandes traditions
religieuses non-chrétiennes, y reconnaissant des «semences de
Révélation». Au moment où le dialogue œcuménique entre Chrétiens
semble piétiner, ce dialogue interreligieux prend rapidement de
l'ampleur. D'ailleurs les religions sont tellement liées à la
culture que la grande rencontre des cultures caractéristiques
de notre époque ne peut pas ne pas conduire à une rencontre massive
des grandes religions. Si ce dialogue
se situait au niveau des systèmes philosophiques et théologiques,
il serait sans issue. Mais s'il se situe au niveau de l'expérience
spirituelle elle-même, il est prometteur de fruits sans nombre.
Or la liturgie exprime cette expérience religieuse propre à chaque
tradition, à travers un langage symbolique qui rejoint tout homme,
indépendamment de ses catégories mentales. Ce dialogue
pourra nous apporter beaucoup à nous Chrétiens, car nos symboles
liturgiques expriment souvent notre expérience chrétienne en
tant que pensée, c'est-à-dire qu'ils expriment notre théologie
et nos doctrines plus que l'expérience elle-même. Dans les grandes
religions d'Asie au contraire, le langage symbolique est demeuré
plus proche de l'expérience et de la vie. Il exprime l'expérience
en tant que vécue. C'est pourquoi le dialogue avec ces traditions
peut nous aider à retrouver le chemin d'une expérience plus dégagée
des systèmes. Mais ne nous
faisons pas d'illusion. L'évolution présente de l'humanité implique
une crise profonde de toutes les religions; et cette crise est
déjà commencée depuis longtemps. Elle conduira sans doute à un
nouvel équilibre entre l'expérience spirituelle et son expression
religieuse, à un retour au primat de la spiritualité sur la religiosité.
Elle conduira très probablement aussi à une forme d'expression
religieuse commune aux hommes de diverses croyances, sans danger
de syncrétisme, car ce qui est vraiment propre à chaque tradition
se situe d'abord au niveau de la foi et de l'expérience plutôt
qu'à celui de l'expression rituelle. Conclusion: On voit donc
comment la liturgie ne peut être un secteur isolé de l'existence
humaine. Dans la mesure où elle est vraie, elle est profondément
reliée à tous les aspects de la vie. C'est pourquoi beaucoup des
problèmes que nous rencontrons dans nos célébrations liturgiques
ne sont pas d'abord des problèmes proprement liturgiques, mais
bien des problèmes de caractère culturel, politique, ascétique
ou autre. La liturgie a par ailleurs, un rôle actif à jouer en
chacun de ces secteurs. Elle est, comme je le disais au début,
un point de jonction, un lieu de rencontre de plusieurs grands
courants. Abbaye
cistercienne
Mistassini,
Qué. |
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